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Pour une refondation des institutions intermédiaires en action sociale

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Jean Lavoue

dimanche 04 octobre 2009

en action sociale

Jean LAVOUE

Résumé

Les associations d’action sociales sont confrontées à une période clé de leur histoire. Leurs structures, souvent élaborées sur un mode charismatique, en rapport avec la période des fondateurs, se transforment en profondeur. La nouvelle gouvernance publique, largement inspirée des modèles managériaux issus du monde de l’entreprise impose des modalités d’action toujours plus technocratiques, voire quelquefois purement marchandes, sans avoir elle-même conduit ses propres administrations à transformer leurs structures bureaucratiques. Au fil de ces changements conduits à un rythme intensif, c’est toute la question du sujet humain au travail, de ses capacités propres de donner du sens à son action dans le cadre de dispositifs de délibération avec les autres acteurs, qui se trouve posée. L’usager, le plus souvent appréhendé dans ces nouveaux modèles comme client guidé essentiellement par la logique de son intérêt, est placé au centre d’une conception avant tout technocratique et managériale du social. Les associations d’action sociale, si elles veulent sauvegarder l’essence de leur action, tant sur le plan de l’intervention éducative et sociale que sur celui de leur rôle politique dans les transformations actuelles du lien social, doivent refonder leur dimension institutionnelle en reprenant, à nouveaux frais, l’élaboration de leur structure démocratique. C’est en mobilisant l’ensemble de leurs parties prenantes, dans une conception renouvelée et coopérative du projet, de l’organisation, et du sens de l’action qu’elles peuvent, dans une sorte de réarrimage aux fondements de l’économie sociale et solidaire, espérer continuer à peser et à dessiner pour le social une voie alternative à celle de la seule prestation de service normée par les logiques d’expertises technocratiques et gestionnaires.

Mots-clés : institution – sujet – association – économie sociale et solidaire – parties-prenantes – coopération – espaces de délibération – démocratie – lien social

Introduction

Ce mémoire réalisé dans le cadre de l’Exécutive Master de Sciences Po Paris sur les changements associatifs s’inscrit dans le prolongement d’un parcours de formation précédent qui m’avait conduit à occuper, à partir d’octobre 2002, la fonction de directeur général de l’association Sauvegarde 56. Cette formation s’était déroulée dans le cadre de l’Association pour la Recherche et l’Intervention Psychosociologique à Paris (ARIP). Il s’agissait, là aussi, d’une formation portant sur le changement des organisations mais cependant davantage centrée sur les dynamiques psychosociales à mobiliser en vue d’un tel changement. J’avais ainsi réalisé, dans le cadre de cette formation, un travail sur la structure charismatique de l’association où j’exerçais alors les fonctions de directeur d’un service d’action éducative en milieu ouvert. Cette analyse du changement d’une structure de type charismatique, le terme étant alors à entendre sur le plan psychosociologique d’une organisation caractérisée par une centration forte de toutes les relations et des logiques d’acteurs sur la personnalité du dirigeant 1 , avait été sous-tendue notamment par la conduite d’une action concrète en vue du changement de la structure qui se trouvait alors marquée par un contexte de crise des internats éducatifs, par une interrogation forte et préoccupante sur les ressources, notamment du fait de déficits répétés sur des actions innovantes d’insertion, et par la perspective du départ prochain du dirigeant à la retraite. Ce mémoire réalisé en 2000, « Structure charismatique et changement, l’exemple de la Sauvegarde du Morbihan » 2 , m’avait alors permis de poser les bases d’une conduite du changement de l’intérieur même d’une organisation. Il laissait entièrement ouverte la question de ma place en tant que membre de l’équipe dirigeante de cette association et celle d’y poursuivre, comme directeur de service, parmi les autres acteurs, les changements amorcés. Nommé cependant en 2002 directeur général de l’association, après une longue période de recrutement révélatrice de la phase délicate que connaissait la structure à l’occasion du départ de son dirigeant en poste depuis près de trente ans, j’ai été conduit à approfondir, dans une autre fonction et donc à partir d’une autre place, le travail de changement engagé comme membre de l’équipe de direction de la Sauvegarde 56 sur la base de la formation à l’intervention psychosociologique de l’ARIP.

La formation au cycle sociologique de Sciences Po sur les changements associatifs m’a permis de confronter les éléments de cette analyse à une nouvelle grille de lecture, davantage sociologique et économique, me permettant à la fois d’élargir les points de vue et de reprendre certains aspects trop rapidement abordés au cours des travaux antérieurs. Elle m’a permis notamment de donner beaucoup plus d’épaisseur à la dimension institutionnelle de l’association, comme organisation professionnelle mais aussi comme espace politique et public, et de prendre en compte plus largement l’ensemble de ses parties-prenantes mobilisées dans les processus de changement. Cette formation complète donc, ce qui était mon souhait, l’approche impliquée du changement développée dans le cadre du cycle psychosociologique de l’ARIP, essentiellement centrée sur la dimension inconsciente des structures organisationnelles et, en ce qui concerne la Sauvegarde du Morbihan, sur l’émergence de la figure de son dirigeant. Les approches théoriques, portant notamment sur l’économie sociale et solidaire, mais aussi le diagnostic collectif conduit sur le centre social d’Argenteuil, ont considérablement enrichi et élargi la vision du changement notamment autour des multiples stratégies d’acteurs et des dimensions identitaires et culturelles que l’analyse de Renaud Sainsaulieu 3 présentée dans le cycle de Sciences Po permettait cette fois d’aborder, et surtout des enjeux de gouvernance associative auxquels la présente analyse est cette fois-ci consacrée.

J’ajouterai que l’ensemble de mon parcours professionnel a été scandé par des temps forts de formation continue centrés sur cette question du changement. En 1986, mon mémoire de Diplôme Supérieur en Travail Social et de maîtrise en sciences sociales appliquées au travail, effectué dans le cadre d’un parcours de formation continue à l’université de Caen, avait pour titre : « Les travailleurs sociaux, acteurs du changement social ? » 4 . C’est sur la base de cette formation que j’ai quitté le service public de l’Education Surveillée pour venir diriger, en 1989, le service éducatif en milieu ouvert de la Sauvegarde 56. L’objet de recherche s’est donc déplacé au gré de mon parcours professionnel : des travailleurs sociaux acteurs du changement, je suis passé, avec le mémoire de l’ARIP en 2000, à la question de la transformation structurelle d’une organisation professionnelle et de ses modalités de dirigeance. L’enjeu du changement était, en résumé, de faire évoluer l’organisation d’une structure charismatique à une structure coopérative. La conception de l’association se réduisait alors pour l’essentiel dans ce travail à une organisation de services techniques. Cette conception se trouvait largement en phase avec les représentations des acteurs de ces associations sociales et médico-sociales lors de cette période de professionnalisation qui a précédé le cycle actuel de redéfinition par l’Etat des règles du jeu en matière de gestion des organisations sociales. Dans le cadre de la formation à Sciences Po sur les changements associatifs, sans négliger les composantes du changement traitées antérieurement, c’est avant tout l’inscription sociopolitique de l’association qui est devenue, à mes yeux, l’enjeu essentiel du changement à un moment où les politiques publiques affirment une maîtrise totalement renouvelée des normes d’encadrement. C’est de cette inscription que traite essentiellement l’analyse institutionnelle qui va suivre. En écrivant ces pages, j’ai eu ainsi un peu le sentiment de relire l’ensemble d’un parcours professionnel, dans un contexte social qui s’est lui-même, en trente ans beaucoup déplacé. Je constate que les questions sur l’identité du travailleur social comme acteur de changement qui étaient les miennes au début des années 80, alors que j’exerçais dans un service public, sont devenues au cours des années 90, avec mon changement d’environnement professionnel et de fonction, des questions sur l’exercice partagé de l’autorité comme vecteur de transformation des organisations, avant d’évoluer, au cours de ces années 2000, vers l’association comme espace institutionnel et politique d’intermédiation et de changement social. Une même question donc, celle du changement social, de ses conditions de réalisation, et de ses liens avec l’action sociale, déclinée à travers des angles de vue différents en fonction des cultures, des fonctions et des périodes considérées. Ainsi les questions que nous portons nous permettent-elles d’avancer, tandis qu’autour de nous nos environnements eux-mêmes ne cessent par leur propre mouvement de renouveler la portée de nos interrogations. Faire « mémoire », c’est donner un peu de perspective et de champ au parcours dans lequel nous sommes engagés en se donnant la chance d’une plus grande intelligibilité des processus avec lesquels nous interagissons.

Ce mémoire reprend les travaux de l’ensemble du cycle de formation à Sciences Po. Il relate également les étapes de mon parcours dans cette formation et des prises de conscience qu’elle m’a permis de faire. L’enseignement théorique du premier semestre, essentiellement consacré à une approche de l’économie sociale et solidaire, constituait une prise de conscience par rapport à un parcours professionnel essentiellement effectué sous le signe d’une approche technique en protection de l’enfance, d’abord dans le cadre de l’administration publique de l’Education Surveillée (aujourd’hui Protection Judiciaire de la Jeunesse) puis dans celui d’une association de Sauvegarde dont on verra dans l’analyse institutionnelle qui va suivre combien, en dépit de certains paradoxes, elle fait partie de ce type d’associations, les « Sauvegardes », elles-mêmes profondément caractérisées par une régulation de type « publique ». Ce décalage constamment ressenti entre formation théorique et terrain m’a fait mesurer l’écart entre les enjeux auxquels je me trouvais confronté dans la conduite d’une organisation professionnelle qu’il s’agissait alors pour moi, avec l’ensemble des acteurs, de mieux gérer, coordonner et recentrer, et ceux dont la formation nous faisait l’éloge et nous présentait l’enjeu en termes de développements associatifs, d’initiatives et de solidarité. Il se trouve que l’association avait connu dans la phase qui avait précédé ma prise de fonction à la direction une période de fort développement dans les domaines de l’insertion qui rejoignaient les champs de l’économie sociale présentés dans le cadre de la formation ; mais elle y avait subi aussi de fortes turbulences, du fait de contraintes salariales trop lourdes et d’une organisation mal préparée pour aborder les changements que supposaient ces nouveaux secteurs d’activité. En outre la dynamique associative, malgré la création de plusieurs associations filiales, n’avait pas véritablement accompagné ce développement d’initiatives dans le champ de l’insertion. Les mêmes administrateurs se retrouvaient dans les différentes filiales qui n’avaient pratiquement pas élargi le cercle des adhérents de la Sauvegarde. Ils s’y usaient parfois au lieu d’y trouver le vivier espéré pour renouveler la dynamique associative. L’initiative relevait par ailleurs presqu’exclusivement de la sphère professionnelle et en particulier de quelques acteurs de direction, avec un faible arrimage au reste de l’organisation. Celui-ci, du coup, était laissé à son propre mouvement de renouvellement technicien peu mobilisateur d’innovation sur toute cette période. Dans la phase de dirigeance que j’entreprenais, la faiblesse des approches gestionnaires, organisationnelles et même politiques dans la mesure où la dynamique associative s’était trouvée davantage dispersée que renforcée par le dispositif en étoile élaboré, l’économie sociale et solidaire apparaissait comme un contresens ou tout au plus comme une belle utopie réservée à de micro-initiatives sociales dont une organisation de la taille de la Sauvegarde 56, avec les contraintes qui étaient les siennes, ne pouvait plus guère s’offrir le luxe. Pourtant ce développement dans le champ de l’insertion, s’il fut quelque peu désordonné, n’était pas sans lien avec les fondements historiques et culturels de l’association. Il préparait aussi sans doute d’autres étapes au cours desquelles celle-ci viendrait refonder son dispositif en lien avec certaines intuitions de l’économie sociale et solidaire. Ce mémoire cherchera à le montrer : au-delà du fait qu’il représenta une sorte d’eldorado pour un entrepreneuriat professionnel bien décidé à résister aux premières tentatives de régulation, de rationalisation et d’instrumentalisation des associations d’action sociale par l’Etat, le champ expérimental de l’insertion fut aussi un terrain d’essai pour des formes nouvelles de contractualisation entre les administrations publiques et les associations. La trop grande liberté avec laquelle l’association de Sauvegarde du Morbihan comprit et interpréta certaines règles du jeu et essaya d’en jouer, mais aussi la manière dont les pouvoirs publics fixèrent approximativement dans un premier temps ces dernières, tout en faisant régulièrement appel à l’association sans prendre en considération ses caractéristiques et ses contraintes, entraînèrent une rupture de l’équilibre alors recherché. Le décalage ressenti lors de ce premier semestre de formation à Sciences Po, début 2007, entre ce qui, d’une part, était enseigné et valorisé, à savoir les fondamentaux de l’économie solidaire, et ce qui, d’autre part, devait constituer désormais l’essentiel de la conduite du changement dans mon organisation, à savoir la réussite d’une transformation organisationnelle susceptible de se traduire par des indicateurs de cohérence, de rigueur budgétaire, et d’évaluation de la qualité largement négligés lors de la phase de forte implication dans le champ de l’insertion, est devenu lors de la rédaction de ce mémoire un axe de lecture privilégié de l’identité même de cette association dans son interrelation avec les pouvoirs publics.

Les cours centrés sur l’anthropologie économique d’Alain Caillé 5 et de Jacques Généreux m’ont permis, les premiers, de faire le lien avec les enjeux de la conduite du changement auxquels je me trouvais confronté. Elles interrogeaient une conception dominante et instrumentale de l’action sociale dont la rationalisation et l’hyper-normalisation constituaient plus que jamais les fondamentaux. La note de lecture sur l’ouvrage de Jacques Généreux, « La Dissociété » 6 , a été pour moi l’occasion d’aborder les fondements anthropologiques de l’économie traditionnelle reposant sur une représentation essentiellement utilitaire et intéressée de l’individu. Or c’est bien cette logique utilitariste que l’on voit essentiellement à l’œuvre en matière d’action sociale, que ce soit en direction des usagers ou des professionnels. Tous les outils développés par les politiques publiques ne visent-ils pas à promouvoir, par un système toujours plus subtil de reconnaissance et de contraintes, des logiques d’action utilitaires et intéressées pour les individus, susceptibles ainsi de les amener à rejoindre le « bien commun » ? Mais qu’en est-il, au-delà de cet intérêt pour soi, de l’intérêt pour l’autre, qu’en est-il des finalités de l’action humaine si seul l’intérêt pour soi devient le vecteur d’un intérêt tout relatif pour l’ensemble ? C’est une visée du bien commun bien réductrice et très peu ambitieuse que celle qui ne considère ce dernier que comme la résultante des actions mobilisées en vue de la défense par chaque individu de son intérêt bien compris ! Où est la solidarité, où est l’engagement volontaire, où prend place le bénévolat, quelle est la part de l’économie non monétaire sur la base d’un tel postulat ? Nul ne peut nier que nous sommes bien engagés, y compris en matière d’action sociale, dans cette voie-là qui privilégie l’intéressement de chacun « pour soi » davantage que son engagement « pour l’autre » ! La mise à la question des associations d’action sociale de manière tout à fait ouverte, que l’on songe aux rapports Langlais ou Morange (2008) 7 , dans leur capacité de gérer efficacement les missions qui leur sont déléguées s’inscrit, avec quelle convergence aujourd’hui, dans cette logique là ! A partir du moment où la logique du don, fondatrice du mouvement associatif, non seulement se trouve relativisée mais, voire même, se trouve carrément écartée dans la conception anthropologique qui sous-tend l’agir humain que ce soit dans le champ économique et politique, mais désormais également dans celui des services, et particulièrement concernant l’action sociale, il n’est pas surprenant de voir totalement relativisés les valeurs, les cadres d’action, et notamment tout ce qui a trait à la circulation du don entre personnes propres au monde associatif 8 . Comment continuer à donner du poids et de l’importance au phénomène associatif avec ses adhérents, ses bénévoles, ses administrateurs, ses usagers, ses partenaires citoyens dans un domaine d’action sociale où, a priori, contrairement à ce qu’on peut observer dans les associations de parents, nul n’a a priori d’intérêt particulier ni immédiat à s’engager et à consacrer du temps aux autres ? Entre temps, la crise du militantisme et la disparition des cadres sociaux, syndicaux, religieux, politiques, où se formaient autrefois les militants de l’économie sociale et solidaire et en particulier des associations œuvrant dans le champ social, est venue un peu donner raison à tous ceux qui pensaient que, seule, la logique utilitaire mise en œuvre dans des cadres normatifs, contractuels et financiers devait être désormais actionnée pour rendre plus efficiente et rationnelle l’action sociale 9 . La note de lecture réalisée à partir de l’ouvrage de Jacques Généreux, La Dissociété, rend compte, au-delà de la synthèse réalisée, d’un premier état de mes réflexions en matière de gouvernance associative que le présent mémoire vient reprendre, enrichir et développer. Finalement, au-delà d’un certain hiatus d’abord observé entre l’initiation à l’économie solidaire et la gestion quotidienne d’une organisation comme la Sauvegarde 56, ce sont bien les enjeux de gouvernance associative, de fondements politiques de l’action, qui sont ressortis au terme de ce parcours comme les véritables défis auxquels se trouvaient confrontées aujourd’hui les associations d’action sociale face aux risques de plus en plus visibles d’instrumentalisation au profit de la seule rationalisation utilitariste et administrative de l’organisation professionnelle. C’est pourquoi ce mémoire vise, au contraire, à rouvrir l’espace démocratique et citoyen en tant que creuset même de l’économie sociale et solidaire, déplaçant l’intérêt des associations comme des pouvoirs publics de la logique purement instrumentale vers celle de l’utilité sociale au sens large qui n’exclut pas la logique du don, mais au contraire la suppose. C’est donc toute une réflexion sur le lien social, et notamment sur l’alternative entre utilitarisme ou au contraire refondation d’un lien interhumain et solidaire, qui se trouve là mobilisée dans l’analyse institutionnelle et historique de cette association particulière qu’est la Sauvegarde 56.

Le diagnostic conduit dans le cadre d’un travail collectif sur le dispositif de la Maison Pour Tous de la dalle d’Argenteuil m’a quant à lui permis de prendre la mesure à la fois de l’unité mais aussi de la diversité des vecteurs mobilisés pour réaliser l’analyse sociologique des organisations. Là où ma formation précédente en psychosociologie de l’intervention m’avait surtout amené à mettre l’accent sur la culture et l’identité des acteurs, à travers les grands systèmes d’organisation qui structuraient leurs logiques inconscientes (bureaucratique, technocratique, charismatique, coopératif…), je mesurais l’intérêt d’une approche multifactorielle, l’analyse institutionnelle, l’analyse des ressources, l’analyse stratégique, l’analyse de l’organisation venant, au fond, ensemble permettre le vrai déploiement de l’analyse identitaire et culturelle. C’est toutefois cette dernière partie du travail collectif, avec laquelle je suis plus spontanément accordé, que je serai amené à rédiger dans le cadre du diagnostic, tout, en sachant que la construction de la méthode et son application ont fait que chaque membre du groupe a vraiment participé à l’ensemble de l’analyse. Il s’est trouvé que cette structure de la Maison pour Tous d’Argenteuil présentait beaucoup de similitudes, en dépit d’organisations très différentes, avec la culture charismatique de la Sauvegarde du Morbihan au regard de laquelle j’avais entrepris ce travail de changement. L’enjeu était, là aussi, de passer d’une organisation fortement identifiée à des personnes, la directrice, l’ancienne présidente, avec des effets de transmission sans transformation venant fragiliser l’ensemble de la structure et finalement faire crise, à une organisation en réseau, davantage consciente de l’axe du changement à mobiliser, avec de vraies délégations de responsabilité et des dispositifs de travail réellement coopératifs. L’occasion, non seulement de vérifier une fois encore la pertinence des éléments psychosociologique dans l’analyse des organisations, mais encore de les mettre à l’épreuve d’une analyse beaucoup plus large à travers laquelle l’histoire, les valeurs, les ressources, les stratégies d’acteurs, les cadres organisationnels viennent donner à la recherche toute sa densité. En ce qui concerne le scénario développé à l’issue de ce diagnostic, qui privilégie l’option d’un « changement de créativité », il articule lui-même les enjeux de la participation des parties-prenantes et la recherche de leur cohésion, enjeux que l’on retrouvera dans la suite du travail comme l’une des clés d’un partenariat renouvelé entre associations et politiques publiques.

Dans le cadre de l’analyse appliquée à la Sauvegarde 56, il ne m’était pas demandé en référence aux consignes de rédaction du mémoire de reprendre l’ensemble des champs développés lors du diagnostic sociologique réalisé pour la Maison Pour Tous d’Argenteuil. C’est donc avant tout un travail d’analyse institutionnelle qui sera présenté, faisant ressortir les grandes étapes du développement de cette association, notamment autour de la problématique d’une gouvernance caractérisée, comme c’est le cas pour l’ensemble des Sauvegardes, par une interrelation étroite avec les politiques publiques. Toutefois, tout au long du développement, et notamment dans la deuxième partie d’analyse et de synthèse, des points d’éclairage issus des différents registres de l’analyse sociologique des organisations, viendront ponctuer la présentation, permettant de faire ressortir en quoi les singularités de cette association, notamment sur les plans identitaires et culturels, peuvent continuer à constituer pour l’avenir ses meilleurs atouts, y compris dans sa relation avec les pouvoirs publics, et permettre ainsi de refonder une certaine ambition associative.

L’ensemble du parcours effectué dans le cadre de l’Exécutive Master de Sciences Po sur les changements associatifs, me ramène donc bien, au final, à l’analyse du changement au sein de l’association que je dirige. L’hypothèse sur laquelle je m’appuierai pour structurer l’analyse institutionnelle que je présente est que la Sauvegarde 56, comme la plupart des associations de ce type, se trouve placée aujourd’hui à un carrefour, mais les pouvoirs publics aussi avec elle. Ou bien elle parvient à refonder, sur la base d’une conception citoyenne et démocratique de son rôle, son projet associatif en l’ancrant dans la société civile, sur les territoires, dans une relation renouvelée à l’usager, et les pouvoirs publics reconnaissent en elle cette utilité sociale promue au-delà de la seule prestation de service, ce que nous appellerons plus loin une régulation conventionnée entre politiques publiques et associations ; ou bien elle n’effectue pas cette refondation, et elle devra s’inscrire durablement dans le cadre d’une régulation de type tutélaire que les différentes tentatives de développement et d’initiatives solidaires dans le champ de l’insertion ne lui auront, en fin de compte, pas permis de quitter vraiment, faute sans doute d’avoir suffisamment considéré l’enjeu de la composante politique propre au champ associatif. A cet égard, s’il fallait que cette seconde alternative soit retenue, on pourrait considérer que le cadre associatif mérite vraiment, en tant que tel, d’être interrogé en matière d’action sociale et médico-sociale comme beaucoup sont tentés de le faire en ce moment, y compris parmi les acteurs associatifs eux-mêmes. Mais, considérant qu’une part d’utopie est nécessaire pour atteindre ce qui ne paraissait pas, d’emblée, aisément possible, ce n’est pas l’hypothèse que nous privilégierons.

La redéfinition de l’encastrement politique des associations d’action sociale et les nouveaux enjeux de la gouvernance associative

Nous allons situer à présent plus précisément les enjeux des transformations engagées, pour l’ensemble des associations d’action sociale. En prenant une certaine distance, parfois volontiers critique par rapport aux évolutions du secteur et des environnements, nous aimerions dégager quelles sont les marges de manœuvre dont dispose aujourd’hui une association pour à la fois assumer son histoire et ses valeurs, sa culture et son identité, et la réengager, à nouveaux frais en quelque sorte, dans un contexte devenu soudain étranger, sinon hostile. Faute, en effet, le plus souvent d’avoir cultivé elles-mêmes les ressources propres à la démocratie associative et à son éthique, les associations d’action sociale se trouvent aujourd’hui submergées par un ensemble de nouvelles logiques régulatrices peu enclines à considérer la part qu’elles pourraient apporter à la mutation du lien social, voire sociétal tellement ce sont tous les grands référents sur lequel celui-ci reposait jusqu’alors qui se trouvent tout à coup bousculés. Aussi les associations sont-elles aujourd’hui le plus souvent à l’épreuve, face à des vents contraires qui tendent à relativiser toute capacité d’initiative citoyenne et à les réduire à une simple logique de prestation de service encadrée par des règles dont les définitions leur échappent.

Comment donc plaider la coopération, la mutualisation, la recherche gratuite de contribution au lien social et à l’élaboration d’un engagement citoyen dans un contexte où s’impose de plus en plus la loi du marché, de la mise en concurrence et en rivalité et l’encadrement des projets dans une logique d’appel d’offre qui semble banaliser toute capacité des acteurs locaux de s’organiser eux-mêmes pour contribuer à l’élaboration de réponses innovantes, territorialement adaptées et donc singulières. Il est vrai que, peu à peu, les associations du secteur social se sont laissé enfermer dans une forme de dépendance exclusive à l’égard des financements publics. Il est loin le temps de l’engagement bénévole et militant sur lequel a reposé la création du secteur. La tentative de la Sauvegarde 56, à travers ses filiales, de réinitier, dans le champ de la production, de l’insertion et de l’économie sociale, une démarche autonome et militante s’est soldée par un échec dans la mesure où le statut associatif, lui-même, méritait peut-être d’être interrogé comme le suggérait déjà Renaud Sainsaulieu 10 , préconisant plutôt pour ce secteur productif l’invention de structures au statut nouveau, de type coopératives, capables de mobiliser autrement l’ensemble des parties prenantes dans l’effort à la fois de production et de mise en concurrence. La dimension relativement protégée de la culture et de l’ « habitus » associatifs, par l’exclusivité des financements publics à laquelle elle était accoutumée, ne lui a pas permis, en tous les cas dans cet exemple, de joindre à l’effort militant l’ « excellence » gestionnaire réclamée pour réussir ce genre de défi. Il n’empêche que, même dégagée de ce challenge cherchant à associer gestion entrepreneuriale et militantisme associatif, dans un contexte où la réflexion sur la démocratie associative elle-même et la coopération n’avait pas été menée à son terme, l’association de Sauvegarde 56, comme toutes les autres associations aujourd’hui, se trouve confrontée à des défis inédits qui en viennent à interroger son essence même et sa raison d’être.

On pourrait résumer la problématique simplement : tels que s’organisent aujourd’hui les nouveaux modes de régulation publique, y a-t-il encore aujourd’hui un intérêt quelconque à mobiliser le fait associatif lui-même ? Que l’on s’en réfère à des organismes de droit privé, qui à l’instar des entreprises, ont souvent fait la preuve de la qualité de leur gestion au regard de la régie administrative directe, est une chose dont les politiques publiques ne manquent pas de se servir amplement par les temps qui courent ; mais en appeler à « la ressource des institutions intermédiaires » 11 que peuvent être les associations dans ces temps de crise et d’interrogation radicale sur ce qui fait encore lien social est une autre affaire ! Le moins que l’on puisse dire est que cet enjeu de l’institution, et de la démocratie qu’elle fonde pour des sujets citoyens, n’est guère à l’ordre du jour dans les nouvelles règles à la fois étroitement gestionnaires, instrumentales et procédurales qui s’imposent à tous les acteurs sociaux et aux associations en particulier. Se dégagerait plutôt la logique utilitariste de l’acteur seulement considéré sous l’angle de son intérêt, qu’il s’agisse de l’usager, du professionnel, voire du bénévole, celui-ci ayant bien assez, au regard de l’idéologie ambiante, de sa bonne conscience pour s’engager. Mais pas du tout celle qui considèrerait l’acteur comme un sujet, capable de coopération et d’engagement, sur le fondement d’un débat démocratique toujours à réinstituer ! Bref ! Un acteur non seulement centré sur son intérêt « pour soi », mais encore sur une capacité de « don » et d’engagement « pour l’autre » 12 , intégrant donc une véritable fonction « politique » de la parole, au sens où cet autre ne serait pas pour lui un individu isolé, une monade uniquement guidée par son propre intérêt, mais un membre à part entière de la communauté humaine qui a besoin pour vivre d’espaces intermédiaires, d’espaces citoyens, d’institutions humanisantes et subjectivantes où se fonde son identité.

Toutefois, l’association, si elle dépend, on l’a vu, étroitement de la régulation publique, possède également, par elle-même, une identité propre : dans quelle mesure et à quelle condition est-elle capable de la mobiliser dans un contexte, il faut le redire, largement défavorable ? C’est la question dont nous aimerions traiter dans cette seconde partie et dans la conclusion de ce mémoire. Nous nous efforcerons d’abord de définir cette nouvelle donne qui s’impose aux associations d’action sociale aujourd’hui. Nous consacrerons alors un nouveau développement aux conséquences qui en résultent pour la Sauvegarde 56 en explorant notamment la voie encore balbutiante d’une régulation de type conventionnée permettant aux acteurs associatifs de véritablement concourir à la co-construction des politiques publiques. Mais si cette visée doit bien guider l’action pragmatique des associations, l’idéal n’étant, nous le savons, pas de mise, nous ouvrirons les réflexions que nous inspirent cette analyse institutionnelle d’une association d’action sociale singulière vers une nouvelle analyse du contexte sociétal dans lesquelles s’opèrent les mutations en cours. Sans lâcher la recherche concrète d’hybridation et d’adaptation entre les logiques publiques et l’organisation professionnelle associative, nous poserons alors l’hypothèse à la fois d’un nouveau paradigme pour l’action sociale mais aussi d’un nouveau fondement pour l’institution en régime démocratique, dégagée de l’accaparement traditionnel de la « place d’ex-ception » qui la fonde. Cette réflexion sur la notion de référence à ce qui peut encore faire « lien social » dans la société postmoderne nous amènera à conclure l’ensemble de notre recherche par un plaidoyer pour une remobilisation militante, consciente et responsable des associations autour de l’éthique démocratique dont elles sont issues : plus que jamais on peut affirmer aujourd’hui, en effet, que la ressource démocratique des associations d’action sociale se trouve entre leurs mains… c'est-à-dire dans leur capacité de réinventer les bases mutualistes, coopératives et solidaires de leur raison d’être. Autrement dit, encore, dans leur capacité de se ressourcer au vaste mouvement de l’économie sociale et solidaire dont elles se sont, depuis trop longtemps, coupées.

C’est à mieux définir les contours de cette refondation associative que nous proposons d’apporter notre contribution en ce qui concerne la Sauvegarde 56. Il s’agit de définir les préalables pour faire en sorte que le destin des associations d’action sociale, loin d’être joué d’avance dans la seule logique de l’isomorphisme administratif et gestionnaire, conserve toute sa force de rebond et de résurgence et surtout son rôle de médiateur, essentiel dans la transformation des souffrances sociales générées aujourd’hui par les approches économistes utilitaristes. Ce travail veut rendre compte de la persistance d’une ambition associative à l’œuvre aujourd’hui et contribuer à son élargissement.

Les pouvoirs publics à la recherche de nouveaux modes de régulation entre gestion technocratique et pilotage territorial

Depuis 2002, nous le disions, la gestion s’est progressivement imposée à tous ceux qui opèrent dans le champ de l’action sociale, et cela de manière multiforme. Quelques grands principes guident l’évolution des politiques publiques :

- S’inscrire dans les évolutions légales relatives à l’organisation des services, au Code du Travail et à la représentativité des syndicats : référence au cadre européen.

- Tenir compte de la situation économique et sociale à l’origine de la rigueur budgétaire et des restrictions de financements.

- Engager la réforme des politiques publiques et la décentralisation administrative.

- Inciter à la concentration du secteur (la DGAS affirme la volonté de voir, non pas les acteurs associatifs, mais les « unités gestionnaires » du social passer de plus de trente mille à cinq mille dans les dix ans qui viennent : slogan ou réalité déjà en marche !?)

- Ouvrir des espaces au développement d’un secteur privé lucratif (personnes âgées et petite enfance).

Des outils sont développés par l’administration dans le cadre de législations successives :

- Création des sièges associatifs et des services gérés en commun, puis des groupements de coopération visant au regroupement des gestions associatives (GCSMS)

- Les appels d’offre (ARS, ANPE, Départements…) et la mise en concurrence systématique des acteurs sur certains champs (insertion, emploi, formation…).

- La logique de réduction des coûts et la généralisation des indicateurs moyens dits de convergence tarifaire.

- Les dotations globales dans le cadre des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens renvoyant les acteurs associatifs à une logique d’arbitrages internes.

- A terme, la fin de l’opposabilité des conventions collectives…

Il y a au fond, on le voit, avant tout un enjeu d’économie au regard duquel la logique du marché, avec laquelle manœuvrent déjà quotidiennement les entreprises semble, de plus en plus ouvertement, une voie tentante pour les pouvoirs publics, y compris dans le domaine social. Dès lors de multiples questions se posent aux associations : comment rester en capacité de se situer comme un prestataire de service reconnu dans un contexte de mise en concurrence généralisée ? Par ailleurs, le contexte de crise économique a des effets forts sur la précarisation des publics : comment adapter globalement l’intervention du secteur à ce contexte ? On peut dire ainsi qu’un des grands enjeux serait de permettre à l’action sociale, et aux associations en particulier, à la fois de répondre aux effets de la crise, avec l’amplification des problématiques sociales, d’inventer les compétences en rapport avec des besoins qui se massifient, d’intégrer la prise en compte d’éléments financiers, déterminants dans le contexte nouveau. Ainsi la réforme de la Convention Collective 66 qui encadre une grande partie du secteur social et médico-social, engagée en 2008 et particulièrement d’actualité à partir du début de l’année 2009, se pose-t-elle également dans ce cadre : elle a été fondée sur une conception relativement objectivée de l’inadaptation et des métiers. Désormais, la complexification des problématiques sociales oblige à inventer de nouvelles réponses, de nouvelles compétences, de nouvelles mobilisations d’acteurs collectifs. Se pose aussi la question de l’avenir des associations dans ce secteur : va-t-on vers une fonctionnarisation ou une réaffirmation du caractère associatif : à quelles conditions cette seconde voie ? Avec quelle place des usagers ? Les associations préserveront-elles une capacité d’initiative ? Comment redéfinir les bases de leur reconnaissance en matière d’intérêt général ? Quelles sont les conditions de leur plus value : statut parapublic, ou bien capacité rénovée d’implication et d’innovation ?

Il existe une véritable indétermination quant à la réponse à toutes ces questions. Le maintien d’un statut parapublic à parité avec le secteur public semble, pour une part, remis en cause. C’est sur ce principe qu’avait été bâtie la Convention (Cf. les similitudes par exemple en termes de congés trimestriels avec le statut des fonctionnaires de la PJJ). Tout se passe aujourd’hui comme si les financeurs publics avaient décidé d’encadrer beaucoup plus la part des missions qu’ils confient à des organismes de droit privé : en la concentrant pour mieux l’administrer et en limitant ses moyens par des enveloppes fermées, obligeant ainsi ces prestataires de service à arbitrer eux-mêmes notamment dans le domaine de la GRH et des salaires. Le risque, dans le cadre des négociations engagées sur la rénovation de la Convention Collective 66, est bien, les salariés ne s’y trompent pas, celui d’un décrochage du secteur associatif par rapport au statut de la fonction publique. Une évolution trop rapide de la convention, simple reflet des nouvelles contraintes administratives, et dans le cadre des logiques d’appels d’offre se renforçant, risque d’exposer en fait totalement le secteur associatif, et cela en ordre dispersé, financeur par financeur, et département par département, à ce décrochage. D’un autre côté, une affirmation renouvelée du secteur associatif supposerait une capacité de peser autrement dans les négociations avec les pouvoirs publics que sur la base de l’émiettement qui le caractérise. Le travail à peine engagé de regroupement des fédérations et de renforcement des représentations reste largement à entreprendre.

On le voit, après avoir tenté de résister vaille que vaille au statut de prestataire de service et à l’enfermement pur et simple dans une logique de régulation de type tutélaire, le secteur associatif impliqué dans la gestion d’équipements sociaux et médico-sociaux est largement en voie de passer à un statut de sujétion, soumis qu’il est aux normes administratives et gestionnaires et à la mise en concurrence. C’est bien par une approche rationalisatrice et gestionnaire, relayée cette fois par tous les acteurs publics, ce qui n’avait pas été le cas dans la phase précédente, la décentralisation étant venue, moins d’une dizaine d’années après la loi de 75, déstabiliser quelque peu l’effort public visant à mieux administrer le secteur de l’action sociale. Mais trente ans plus tard, la logique de l’administration publique est cette fois au point : les textes législatifs s’enchaînent les uns aux autres avec une rigueur imparable. L’heure a bien sonné d’une reprise en main par la puissance publique d’un champ d’action sociale et médico-sociale qui, s’il avait déjà largement été suscité par cette dernière et par ses financements, n’avait pas cependant jusqu’à présent été administré et géré avec l’exigence que nécessite aujourd’hui le nouveau contexte de contraintes économiques, ni avec l’efficacité que permettent les nouveaux outils techniques, gestionnaires et informatiques notamment.

Si la visée de la régulation tutélaire reste la même, on peut dire que l’intégration d’éléments de plus en plus divers dans les outils de gestion publique, référés à d’autres formes de régulation, d’insertion ou concurrentielle, et touchant progressivement l’ensemble des acteurs du champ, nous fait basculer progressivement dans une nouvelle forme de régulation « managériale » que nous qualifierions de technocratique. C’est, en effet, la technique, et l’outil informatique en particulier, qui permettent à l’administration aujourd’hui d’articuler toutes ces formes de régulation dans une visée tutélaire cette fois médiatisée par un montage impressionnant d’outils juridiques et gestionnaires.

Nous ne pouvons pas penser cependant qu’il s’agit là du dernier mot sur l’organisation et le pilotage de l’action sociale. L’ensemble des textes d’orientation, que ce soit en matière de handicap, de protection de l’enfance ou encore de prévention de la délinquance, promeuvent, en effet, une forme de pilotage politique de l’action sociale reposant sur une conception conventionnée de la régulation publique. Toutefois, il y a loin entre l’énoncé des modalités de pilotage posées par les textes et leur mise en œuvre effective. L’approche technocratique et gestionnaire prend d’autant plus le pas sur l’approche en terme de gouvernance et de pilotage participatif et coopératif sur les territoires que les acteurs publics en charge de la mise en œuvre de ces textes se voient souvent, eux-mêmes, enfermés dans une double contrainte entre animation territoriale, pour laquelle ils sont souvent très mal préparés, et impératif de gestion, pour lequel ils se voient, au contraire, dotés d’outils toujours mieux ajustés. C’est donc face à une administration, elle-même en difficulté sur ses modes de gouvernance, et donc tentée de mobiliser avant tout un savoir-faire de type technocratique, le plus souvent contreproductif par rapport aux visées attendues, que le secteur associatif doit mobiliser aujourd’hui ses propres réflexions en matière de gouvernance et de dirigeance.

Les nouveaux enjeux de la gouvernance associative promus par la transformation des politiques publiques

C’est donc dans ce contexte de rationalisation de l’action sociale et de ses logiques d’action qu’émerge depuis les années 2000 une forte remobilisation des associations d’action sociale du côté de leur légitimité associative. Presque toutes se sont lancées dans une démarche de projet associatif. Cela a aussi été le cas, nous l’avons vu, à la Sauvegarde du Morbihan en 2005-2006. Ces associations sont ainsi amenées à s’interroger sur l’implication de l’ensemble des parties-prenantes à leur projet associatif : administrateurs, bénévoles, adhérents, professionnels et usagers. Elles se demandent comment accroître leur audience locale et territoriale, comment recruter de nouveaux adhérents, comment rendre leurs conseils d’administration plus engagés du côté de l’action des professionnels et capables de les relayer par leur parole auprès des élus. Ainsi l’isomorphisme institutionnel des associations ne serait-il peut-être pas inéluctable, contrairement à ce que prévoyait Albert Meister 13 qui estimait que la loi d’airain des associations gestionnaires résidait dans le fait qu’elles finissaient forcément par s’identifier aux fonctionnements bureaucratiques des administrations sur lesquelles elles étaient adossées

La réflexion sur l’organisation de la Sauvegarde 56 et sa dirigeance intègre cette vision d’un renouvellement nécessaire de la gouvernance associative, avec notamment une meilleure circulation entre l’instance politique et l’organisation professionnelle, mais aussi une plus grande mobilisation des acteurs au fait associatif, les professionnels en particulier, mais également les usagers.

Finalement la question de l’organigramme de l’association et de la nouvelle configuration mieux articulée des dirigeants vise notamment à renforcer elle aussi la capacité associative à exercer un véritable rôle politique face au renforcement généralisé du cadre gestionnaire ignorant largement, comme la plupart des récents textes administratifs le prouvent, le fait associatif. Ainsi n’y a-t-il pas nécessairement de hiatus entre une organisation plus cohérente, développant son professionnalisme sur la base d’outils de qualité et d’évaluation, et répondant ainsi mieux aux exigences de l’administration, et la volonté de donner plus de poids à la dimension associative. C’est aussi la transformation du cadre sociopolitique de l’action sociale qui convoque ainsi les associations à une redéfinition de leur propre rôle politique. En effet, tout en renvoyant de manière continue et croissante depuis les lois de décentralisation des pans entiers de l’action sociale aux départements, le législateur a également instauré une nouvelle gouvernance politique de l’action sociale en faisant du Président du Conseil Général le chef de file de l’ensemble des grandes politiques sociales : protection sociale, handicap, personnes âgées, lutte contre les exclusions… Ainsi n’est-ce pas seulement l’administration et la gestion qui est descendue au niveau des départements, mais également la politique d’action sociale nécessitant une remobilisation de la légitimité des acteurs, élus territoriaux bien sûr au premier chef, mais également élus associatifs jusqu’alors essentiellement recrutés sur la base de leur bonne volonté ou de certaines compétences techniques pour gérer au mieux les intérêts et le patrimoine de l’association (notaire, architecte, avocat, par exemple, comme c’était le cas des principaux membres du conseil d’administration de la Sauvegarde lors de la période récente 1995-2004). La phase récente oriente plutôt l’association vers la cooptation d’administrateurs sensibilisés à l’action sociale, anciens professionnels pour beaucoup. Il reste difficile pour elle de mobiliser directement des citoyens simplement intéressés à la cause sociale par leur ancrage local dans la vie de la cité. C’est pourtant l’un des enjeux du renouvellement de la légitimité politique associative qui passera sans doute par une autre implication des destinataires de l’action eux-mêmes, dans le projet même de l’association.

C’est sur le fond de ce nouvel enjeu de gouvernance associative que s’engagent donc les transformations importantes de la dirigeance dans une approche que l’on pourrait qualifier de systémique. La mutation de la figure du cadre que l’on observe, n’est pas étrangère, en effet, à la mutation de la figure de l’administrateur. Les logiques d’action plus collectives recherchées au sein du conseil de direction ne sont pas sans écho du côté de celles visées par le pilotage du conseil d’administration. Au modèle de leader charismatique de l’acteur se substitue la capacité pour celui-ci d’ajuster l’institution à une problématique permanente et globale du changement relevant d’une transformation systémique et affectant l’ensemble de la structure, ses modes coopération, de communication et de référence, sa culture…

Finalement, en se saisissant des aspects procéduraux contenus dans les nouveaux textes de cadrage du secteur social, les associations parviennent, par une relative aisance et souplesse liée à leur statut à réagir aux contextes de changement, à redessiner peu à peu, par leur manière propre de remplir les cadres prescrits, les conditions d’une certaine autonomie. Mais elles s’engagent aussi pleinement dans une nouvelle approche de leur gouvernance susceptible de dépasser le clivage historique entre organisation professionnelle, d’une part, qui a mobilisé l’essentiel de l’initiative au cours de la période 1975-2002 dans les associations d’action sociale de type Sauvegarde, et instance associative, d’autre part, réduite le plus souvent à entériner la dynamique de l’organisation professionnelle. Il s’agit désormais de concevoir une meilleure répartition des pouvoirs et contre-pouvoirs entre une multiplicité d’acteurs partie prenante au projet associatif et de les associer au processus de la décision politique autour de la définition de ce qui relève du bien commun partagé.

L’ambivalence fondamentale du concept de gouvernance

Il ne faut pas négliger toutefois l’ambivalence fondamentale du concept de gouvernance à l’œuvre au sein des associations d’action sociale aujourd’hui. Cela est d’ailleurs vrai, tout autant, pour les principaux acteurs territoriaux que sont devenus les départements. Au regard du renforcement des réglementations dont ils se trouvent chargés de la mise en œuvre, mais aussi au regard de l’interrogation sur leur éventuel rattachement à l’échelon déconcentré de la Région, dont on mesurera à partir de 2010 avec l’entrée en action des Agences Régionales de Santé (ARS) combien ce niveau territorial se trouve renforcé, on peut, en effet, se demander si le nouveau concept de gouvernance territoriale relève vraiment d’une démarche politique décentralisée, participative et citoyenne impliquant la société civile, ou s’il ne s’agit pas plutôt d’une retour déguisé de l’Etat venant instrumentaliser tous les échelons et acteurs intermédiaires par le jeu d’une législation et d’un contrôle inflationnistes. Participation des acteurs certes, mais retour en force de la norme qui légitime toutes les questions qui se posent aujourd’hui sur le concept de gouvernance.

Bien sûr le rôle et la stratégie des associations sera bien différent selon qu’on considère les nouveaux enjeux de la gouvernance comme des enjeux avant tout normatifs ou, au contraire, avant tout participatifs. Or ils relèvent certainement des deux approches ; mais les conséquences se trouvent singulièrement différentes pour les associations, selon qu’on accentue l’approche en termes de contrôle renforcé ou bien celle en termes d’implication renouvelée des acteurs. Effectivement, différentes stratégies associative se dessinent au regard de ces enjeux. Certaines associations, avant tout centrées sur la compréhension des enjeux normatifs et gestionnaires qui s’imposent désormais au champ de l’action sociale, déploient des stratégies d’anticipation afin de leur permettre de se situer au mieux dans le nouveau marché de l’action sociale défini par les nouvelles réglementations publiques. Ce sont des associations qui accélèrent les logiques de regroupement, d’allègement des contraintes conventionnelles, de positionnement dans le cadre des logiques d’appels d’offre, estimant que ce sont avant tout ces dynamiques parallèles au champ de l’entreprise et propres à la régulation concurrentielle qui permettront d’adapter le monde associatif au réalités du contexte dans lequel nous sommes entrés. D’autres associations, au contraire, sans négliger les outils de qualité, d’évaluation, d’organisation plus cohérente et de mutualisation avec d’autres acteurs associatifs privilégient cependant avant tout le maintien d’un ethos associatif où les enjeux de valeurs, d’adhésion, d’implication de l’ensemble des acteurs et des parties prenantes, de travail en réseau, priment sur ceux de l’adaptation à tout prix aux logiques technocratiques et gestionnaires. Se redessinent ainsi les frontières d’une nouvelle forme de positionnement associatif face à la normalisation du champ social et médico-social par l’action publique, qui passe par un renouvellement des enjeux de gouvernance associative sur la base d’approches avant tout démocratique, participative et citoyenne.

Nous ne sommes qu’à l’approche de ce mouvement, mais les formes s’en dessinent déjà assez nettement, le plus souvent d’ailleurs en écho aux anciennes logiques de résistance qui avaient fait prévaloir au sein de certaines Sauvegardes en particulier, mais également d’associations dont les dirigeants étaient membres du Groupement National des Directeurs d’Associations, cette approche « corporatiste entrepreneuriale » dont nous avons parlé pour les années 1980-2000. Des logiques identitaires et culturelles profondes se trouvent donc mobilisés autour de ces nouveaux enjeux de la gouvernance associative

L’enjeu de la co-construction d’une régulation conventionnée entre politiques publiques et associations

Le risque majeur que fait courir aux politiques d’action sociale l’ensemble des outils gestionnaires promus aujourd’hui par les administrations pour réguler les modes de dirigeance associatifs est celui d’une instrumentalisation qui ne tiendrait pas suffisamment compte de la complexité de l’héritage institutionnel des associations à transformer de l’intérieur, ni de la capacité de changement des pilotages publics eux-mêmes. Or, c’est à cet interface que se joue pourtant tout l’enjeu à la fois d’une meilleure dirigeance de l’action sociale intégrant l’ensemble des ressources des acteurs publics et privés et également d’une meilleure gouvernance garante d’une contribution de l’ensemble des « biens communs » portés par les acteurs collectifs que sont les associations dans l’espace politique.

L’instrumentalisation, ou encore l’accentuation de la logique de régulation tutélaire par déplacement technocratique des administrations sans transformation de leur mode de dirigeance verticale, peut simplement consister en une sorte de court-circuit entre une conception individualiste et utilitariste de l’usager-client et le développement d’une rationalisation de l’action fondée sur la mise en concurrence, l’appel d’offre au service de ce bénéficiaire potentiel. C’est, bien sûr, écraser considérablement la conception de l’individu développée dans les associations, avec leurs systèmes de valeurs, leurs professionnels, et leurs méthodes d’intervention. La conception de l’usager-client, si elle est conforme à l’anthropologie sous-jacente à l’économie libérale 14 s’éloigne, en effet, considérablement des conceptions de la personne et du sujet qui fondent l’action sociale. Or ces conceptions sont tout sauf instrumentales. Qu’il s’agisse de la « personne », dans ce qu’elle a « d’inappropriable pour elle-même ou par des tiers » 15 , et dont l’intégrité n’est pas sans lien avec le sujet clinique des professionnels, qu’il s’agisse du sujet de droit constitué comme acteur social par la collectivité par un tout un ensemble de prérogatives d’actions et d’obligations qui fondent sa capacité juridique, qu’il s’agisse enfin du citoyen fondé également en droit à participer à la sphère politique, on est loin, en effet, de ce réductionnisme qui semble guider le plus souvent aujourd’hui les logiques d’action sociale.

Sans la mobilisation de la ressource d’institutions intermédiaires 16 supposant aussi les marges de manœuvre suffisantes pour qu’elles inventent de nouvelles formes de légitimité, comment pourrait se développer une régulation vraiment démocratique de l’action sociale par les politiques publiques ? Le développement d’une régulation conventionnée suppose un véritable processus de co-construction du champ d’activité entre acteurs associatifs et responsables publics. Autant qu’il implique de la part de ces derniers de surmonter la tentation de la seule logique gestionnaire pour ouvrir au contraire des espaces de concertation, d’élaboration et de décision susceptibles de prendre en compte la multiplicité des paramètres mais aussi des acteurs impliqués. Ainsi l’attribution des financements repose-t-elle alors sur des règles définies dans le cadre d’un débat ouvert avec l’ensemble des parties prenantes : le prix n’est dès lors pas le seul critère discriminant mais la dimension d’utilité sociale est également prise en compte, ainsi que la valorisation des réseaux d’acteurs ou encore du projet associatif ou inter-associatif 17 .

Un nouveau paradigme pour l’institution en action sociale

Les associations d’action sociale au défi d’entreprendre !

A quelles conditions les associations d’action sociale peuvent-elles représenter une alternative institutionnelle et politique crédible par rapport à l’affirmation d’une gouvernance publique renforçant très fortement sur elles son emprise administrative et réglementaire ? Y-a-t-il une approche politique de la gouvernance dont l’association pourrait soutenir la visée et qu’elle pourrait incarner ou bien doit-on se résoudre à la seule logique utilitaire, gestionnaire et instrumentale dont la contrainte même se fait de plus en plus lisible et pressante à travers les concentrations recherchées, les regroupements et toujours la rationalisation des moyens ? Cela indépendamment de toute considération de l’histoire même des associations, des mobilisations humaines qui les ont construites et des valeurs qui les ont animées !

Depuis une dizaine d’année deux mouvements parallèles semblent mobiliser l’énergie de ces organisations associatives. L’un s’attache avant tout à la mise en conformité des dispositifs professionnels par rapport à une production de réglementation sans précédent qu’illustre notamment la loi du 2 janvier 2002 mais également tout un ensemble de textes législatifs venant préciser le cadre gestionnaire des associations et leur sujétion à l’appareil public. Dans le même temps, les associations se sont fortement mobilisées dans la conception et l’écriture de leurs projets, comme s’il s’agissait de faire contrepoids à une attention portée par les pouvoirs publics presque exclusivement sur l’encadrement de la prestation de service qu’elles mettaient en œuvre. Non pas que les projets étaient auparavant inexistants, mais il n’avait pas semblé nécessaire de les formaliser, le développement des services dans une période de forte sollicitation suffisant généralement à structurer l’identité associative.

Généralement les projets associatifs ont redonné une assise collective à des dynamiques d’acteurs professionnels et bénévoles exerçant leurs rôles dans des sphères bien souvent étanches les unes par rapport aux autres. Les administrateurs étaient garants auprès des pouvoirs publics d’un développement de l’organisation professionnelle qui s’opérait le plus souvent sans eux. Mais ces projets ont-ils pour autant réinventé les conditions d’une véritable démocratie associative susceptible, face au tout bureaucratique et au tout consumériste, d’offrir une véritable vision renouvelée de la politique sociale de notre pays ?

La grande difficulté à rassembler les réseaux associatifs, à unir les fédérations, à inventer une véritable force citoyenne susceptible de peser sur des orientations technocratiques, sources croissantes de morcellements et d’individualisations sans fin, trahit la faiblesse actuelle et l’absence d’une véritable vision susceptible de relever le défi de l’ambition associative. La faible résistance des cultures associatives face aux logiques d’instrumentalisation, pourtant largement repérées, qui s’imposent à elles manifeste, elle aussi, l’absence d’une base et d’une force démocratiques construites et affirmées ainsi que la trop grande personnalisation des figures historiques sur lesquelles a reposé le déploiement professionnel du secteur.

Toutefois des options semblent peu à peu se dégager aujourd’hui clarifiant les choix stratégiques et idéologiques opérés par les différents acteurs du champ associatif. Au risque de paraître volontairement simplificateur, nous dirons que certains acteurs anticipent d’ores et déjà le modèle abouti d’une administration publique du secteur associatif, estimant que la seule logique est à terme celle de l’isomorphisme, l’association d’action sociale, adossée depuis si longtemps à l’administration, ne pouvant finir que par s’identifier à elle et donc lui ressembler. Dès lors, pensent-ils, autant opter pour une accélération du processus en cherchant à simplifier l’organisation administrative du secteur et en optant pour le regroupement des acteurs dans une optique avant tout technique et gestionnaire susceptible d’adapter au mieux le dispositif à la commande et à l’administration publiques. Les stratégies sont clairement de l’ordre d’un rapprochement avec les opérateurs publics dans un souci de participer à une plus grande fluidité de l’action administrative. La dimension associative est peu valorisée quant elle n’est pas purement et simplement niée dans sa capacité de refonder une alternative face à l’inéluctable gestion bureaucratique du social qu’il s’agit d’accompagner et au besoin de devancer. A l’horizon de ce modèle on voit se profiler de grosses structures départementales, régionales, voire nationales, jouant au sein du secteur associatif le rôle de traducteurs de la commande publique et ayant réduit au minimum leur propre dimension de politique associative.

Même si elles paraissent moins visibles d’autres approches s’affirment par ailleurs, notamment en référence au champ de l’économie sociale et solidaire, considérant que tout n’a pas été fait pour replacer l’association sur ses bases et chercher en quelque sorte à nouveaux frais, dans un contexte inédit, les conditions d’une nouvelle vitalité associative et d’une affirmation de son caractère spécifique non réductible à la logique de l’entreprise ni à celle des services publics.

Plusieurs traits caractérisent ces associations : elles cherchent d’abord à refonder une dimension politique en élargissant leur base d’acteurs et en cherchant à impliquer toutes les partie-prenantes, bénévoles, salariés, usagers, à la conduite du projet. Elles privilégient la construction de réseaux en respectant les identités, les valeurs et les histoires d’acteurs collectifs plutôt que la concentration gestionnaire. Elles considèrent leur rôle au sein de la cité comme débordant très largement la prestation de service qui leur est déléguée. Elles envisagent enfin l’exercice de leur mission comme devant être mieux garanti, y compris dans sa dimension technique et clinique, par un dispositif associatif où l’ensemble des acteurs concourent à l’élaboration d’un cadre d’intervention intégrant non seulement la dimension psychosociale mais aussi politique de l’usager et de sa demande.

Un nouveau paradigme impliquant une nouvelle stratégie de pilotage institutionnel

La conduite du changement dans les associations d’action sociale repose désormais sur un véritable changement du paradigme sur lequel elles ont été fondées. Ce changement présente des risques. Michel Chauvière y voit par exemple celui de la « chalandisation », c'est-à-dire d’une sorte de marchandisation généralisée des services aux personnes 18 . C’est par l’abandon de la dimension instituante des pouvoirs publics et par la déstructuration des champs de qualification des acteurs au profit d’une seule logique instrumentale, rationnelle, gestionnaire et finalement marchande qu’il perçoit avant tout la dégradation de l’action sociale et l’abandon de ses dynamiques solidaires. Sans nous laisser enfermer dans cette hypercritique, nous en percevons pourtant bien les fondements, constatant notamment avec lui que certaines associations, « cédant à ce tropisme et incertaines dans leur statut de « faisant fonction », ont trouvé intérêt à se redéfinir moins comme des institutions fondatrices de la société que comme des organisations productives de certaines prestations. » 19 Or, nous faisons le pari que ce n’est pas là la seule issue pour les associations d’action sociale et nous nous efforçons d’expérimenter, comme cette analyse institutionnelle le montre, avec d’autres responsables du secteur associatif qu’une autre voie est possible ainsi qu’une autre compréhension des enjeux du changement. Car nous pensons qu’il y a un autre point de vue sur les changements en cours, et que la marchandisation n’est pas le dernier mot de l’action sociale. C’est pourquoi il nous importe, en concluant, de développer cet autre point de vue sur le nouveau paradigme de l’action sociale. Et nous faisons l’hypothèse que c’est en favorisant à tous les niveaux, et par tous les acteurs, l’intériorisation de ce nouveau paradigme et de ses conséquences que nous nous donnerons le maximum de chances pour une refondation du « bien commun » associatif, tout en créant les conditions pour que toutes les parties prenantes y participent pleinement. Cela passe nécessairement par une transformation de la gouvernance qui, elle-même, implique une reconfiguration de l’organisation et de l’espace d’action de la dirigeance associative. C’est ce que nous avons tenté d’exposer tout au long de ce mémoire, mais nous voudrions dans cette conclusion éclairer d’un nouveau point de vue, au regard de ce changement de paradigme de l’action sociale, les phases de transformation de la Sauvegarde 56 et tenter de dessiner quelques-unes des perspectives qui s’offrent à elle aujourd’hui.

Nous emprunterons à Robert Lafore les éléments de l’analyse de ce changement de paradigme du travail social. Dans un bref article publié en 2009 20 , il pose l’hypothèse d’une transformation substantielle qui, par touches successives et par législations accélérées, mais aussi, à partir des années 80, par un changement radical du contexte et de la manière dont se posait la question sociale, affecte en profondeur en particulier les métiers du social, la pratique des professionnels mais également les modes de gestion et le cadre des organisations qui les emploient. C’est en tenant compte de cette nouvelle donne que les associations d’action sociale doivent repenser les termes de leur fonction symbolique, politique et technique. Si certains constats sont les mêmes que ceux posés par Michel Chauvière dans ce même numéro de la revue Informations sociales consacré aux dynamiques du travail social, par contre l’analyse institutionnelle des enjeux est radicalement différente. Nous en conserverons l’idée générale que la conduite du changement dans les associations d’action sociale doit aujourd’hui envisager tous les paramètres, et cela de manière systémique et globale, et non pas se contenter d’une seule ligne de lecture critique ou bien d’une seule logique d’intervention, sur la sphère professionnelle, par exemple, ou bien sur celle des instances associatives et de leur dynamique d’adhésion. C’est bien aussi en tenant compte de l’ensemble de ces paramètres que Fabrice Traversaz analyse la reconfiguration de l’espace d’action de la dirigeance associative 21 : les logiques de rationalisation et de décentralisation mises en œuvre par les pouvoirs publics ; l’exigence de qualité de service et de participation de l’usager/client/sujet ; les dynamiques sociales d’élaboration stratégiques et politiques des projets pour transformer un espace public associatif en crise ; les dynamiques sociales de transformation des organisations et des métiers : le tout au service d’une conduite de changement selon une logique de négociation avec les financeurs, de participation aux réseaux, de pilotage favorisant les transversalités techniques et politiques, d’animation managériale à l’appropriation du changement…

Les mutations du travail social

Après avoir rappelé l’ensemble impressionnant des dispositions législatives qui, depuis la fin des années 90 déferlent sur l’action sociale, et le processus est toujours en cours, Robert Lafore se pose la question de la conséquence de ces réformes sur les pratiques des professionnels du travail social. Il constate tout d’abord que « c’est l’ensemble du cadre institutionnel qui se trouve ainsi modifié », que ce soit par le texte très transversal de la Loi de 2002 qui entend rénover l’action sociale, que ce soit par des dispositions affectant des populations spécifiques (enfance, handicap, délinquance…) ou encore par la redistribution des compétences entre les niveaux de l’administration publique. Et il pose l’hypothèse que cette modification du cadre « conduit à une transformation, certes souterraine et rampante, de la substance même des activités. »

Cette modification progressive du cadre de l’action sociale nous permet de relire l’ensemble de l’histoire de la Sauvegarde 56. Lors de sa création, en 1935, comme association charitable sous la présidence d’un magistrat et en présence du Préfet du Morbihan, elle se trouve totalement en phase avec « le modèle assistanciel français, ancré, à l’origine dans une vision familialiste et tutélaire des problèmes sociaux ». La puissance publique trouve alors le relais d’associations charitables pour répondre à « l’indigence » et fournir aux impécunieux une prise en charge avant tout matérielle, même si, on l’a vu, dans le cas de la Société Vannetaise, la substitution aux parents défaillants dans l’éducation de leurs enfants était aussi déjà de mise.

A partir de 1945, c’est une nouvelle vision des problèmes sociaux qui se dessine, créant peu à peu, à partir du champ de l’enfance, « un ensemble institutionnel qui sera consacré comme un « secteur » à part entière par la loi du 30 juin 1975 ». C’est un ensemble cohérent, structuré par un cadre réglementaire et s’appuyant sur les sciences médico-psychologiques qui vise à « identifier des personnes « inadaptées », à les insérer dans un statut protecteur, leur assurant prise en charge matérielle et prestations éducatives et à réparer l’écart constaté avec les normes sociales. » Ce modèle institutionnel crée des identités d’ « inadaptés » selon une logique catégorielle, précisée par les administrations centrales sur un mode avant tout vertical, et débouchant sur le développement de secteurs spécifiques d’activité et bientôt de professions sociales différenciées. La Sauvegarde du Morbihan, depuis sa création en 1952, jusqu’à la loi de 1975, et au-delà, a bien fait reposer le développement de sa professionnalisation sur ce modèle institutionnel et dans le cadre de cette régulation publique. Les professions sociales, avec la figure centrale de l’éducateur spécialisé, y ont construit, « à l’intersection entre un cadre juridico-institutionnel et des personnes considérées comme inadaptées », une identité spécifique reposant sur la relation d’aide et revendiquée comme relativement autonome par rapport à l’organisation qui les employait. Comme pour toutes les associations à cette époque, l’écart entre l’espace public associatif et la sphère professionnelle s’est creusé.

A partir de 1980, le « cadre institutionnel de l’action sociale qui a secrété ces professions sociales est à nouveau entré en mutation particulièrement en ce qui concerne la conception des personnes à prendre en charge et donc des rapports à engager avec elles ». C’est l’idée d’ « insertion » qui va présider désormais aux nouvelles logiques de l’action sociale. Plutôt que d’ « inadaptation » on parlera d’ « exclusion ». On a vu, pour la Sauvegarde du Morbihan, ce que ce changement de représentations avait impliqué en termes de logiques d’action mais également de régulation publique. Et cependant, il ne semble pas que toutes les conséquences en aient été d’emblée tirées en ce qui concerne les modes de prise en charge dans le champ de l’enfance et particulièrement des internats éducatifs. Un certain clivage restait de mise d’ailleurs, et n’est pas encore à ce jour partout dépassé, entre les prises en charge traditionnelles de l’internat et les nouvelles formes nobles d’accompagnement en milieu ouvert. C’est à cette période que l’association s’est « lancée » dans l’insertion sur un mode hyper-entreprenant, sans pour autant prendre la mesure de ce que ce nouveau paradigme impliquait, y compris pour les actions conduites auprès des publics traditionnels dans les internats éducatifs ou dans le service de Placement Familial, par exemple. La crise économique qui a affecté l’association sur le mode de gestion de ses activités d’insertion s’est alors doublée d’une crise consistant en un défaut de prise en compte de ce nouveau paradigme de l’insertion dans le champ de la protection de l’enfance. Le modèle restait vertical et sectoriel, fondé par ailleurs sur une sorte de morale de l’adaptation et d’idéal de l’intervention éducative. Il n’appréhendait pas suffisamment la logique de parcours individuel vers lequel la dynamique de l’insertion déplaçait l’intervention, ni la nécessaire adaptation des espaces et des lieux physiques de production de l’acte éducatif et surtout des logiques coopératives et intersubjectives à mobiliser.

Cette nouvelle conception de l’insertion révolutionne donc l’action sociale. On y voit se dessiner déjà la notion de parcours individualisé des personnes. « Plutôt que d’arraisonner leur situation en les dotant d’un statut protecteur et en les confiant à des organisations spécialisées, l’idée qui s’impose progressivement est de les engager dans une dynamique leur permettant de rejoindre les normes et les capacités requises par le fonctionnement social. » Les lieux institutionnels sont forcément interrogés. La crise des internats éducatifs retirés à la campagne et les violences qui sont alors la forme d’expression subjective des adolescents en souffrance avec leurs familles sont à lire dans ce contexte. Rejoindre le « droit commun » devient la norme. Toute la question du droit des usagers est aussi à lire à l’éclairage de ce nouveau paradigme de l’insertion qui structure désormais le nouveau cadre institutionnel de l’action sociale. L’ensemble des interventions sont « au service des parcours que doivent suivre les personnes, soit pour se maintenir dans la norme, soit pour la rejoindre ».

Cette mutation remet en cause la dissymétrie entre professionnels de l’action sociale et « usagers ». Elle impose une logique de transparence dans un cadre toujours plus contractuel et égalitaire. Les enjeux psychopédagogiques qui ont fondé la professionnalité se déplacent vers « une économie d’obligations et de droits qui manipule des aspects concrets et matériels tout autant que cognitifs » et débouche sur une logique de résultat. L’accent mis sur l’importance de l’évaluation résulte également de ce déplacement du cadre institutionnel de l’action sociale. Enfin, les travailleurs sociaux se trouvent plus fortement référés à leurs organismes employeurs dans la mesure où « le monopole dont bénéficiaient les travailleurs sociaux dans la gestion de l’interface institution-individu disparaît car, dans l’insertion, c’est l’ensemble des organisations concernées qui s’engagent. »

Il nous paraissait important, en conclusion de ce travail, d’insister sur ce paramètre du déplacement de la posture des professions sociales dans la mesure où nous ne l’avons évoqué que par incidence dans notre étude, à propos par exemple de la réforme de la Convention Collective, alors qu’il s’agit en fait d’un phénomène structurel qui détermine une part essentielle des enjeux de la mutation en cours de l’action sociale. La transformation de l’organisation professionnelle de la Sauvegarde 56 sur laquelle nous avons insisté s’inscrit dans l’accompagnement de ce changement des postures des professions sociales qu’il s’agit de relier désormais dans des dispositifs signifiants au regard des parcours des personnes, et donc d’amener à quitter les approches segmentées, sectorielles et verticales sur lesquelles elles avaient été fondées.

La gouvernance de l’action sociale

Ce passage de la logique de prise en charge de personnes inadaptées à la logique de l’insertion va aussi entraîner des mutations profondes dans les formes de gestion des organisations et entraîner là encore un changement de paradigme. C’est ici qu’émerge la notion de « gouvernance » empruntée au « new management public » . En fait, on peut dire que face à la crainte d’un renforcement de l’administration de l’action sociale perceptible aujourd’hui dans l’ensemble des professions sociales et chez leurs responsables, c’est le dispositif antérieur, issu de la Loi de 1975, vertical et sectoriel comme nous l’avons dit, enfermant établissements et logiques professionnels dans des normes étroitement contrôlées par l’administration centrale, qui était, il faut le souligner, quant à lui totalement administré. Certes, il n’était pas aussi outillé que celui qui se dessine aujourd’hui : il laissait des marges de manœuvre, nous l’avons vu pour la Sauvegarde du Morbihan, et il reposait, comme le souligne Michel Chauvière 22 , sur une forte capacité instituante des politiques publiques à l’époque. Mais cependant on peut dire que la régulation tutélaire a pleinement joué son rôle tout au long de ces années de constitution de l’action sociale, de ses établissements et services, de ses professions, et de l’identification de ses publics. Le passage à la dynamique plus globale de l’insertion oblige à inventer des dispositifs larges qui vont se trouver naturellement en phase avec une régulation moins administrée et donc moins tutélaire mais davantage conventionnée de l’action sociale. Nous avons toutefois, au cours de nos développements, insisté sur le risque de l’inflation technocratique qui pouvait affecter les administrations, sans transformation de leur modèle tutélaire et compromettre ainsi leur passage à une culture de la régulation conventionnée. Nous y reviendrons. Ainsi la substitution, tentée actuellement, de la culture de la performance à celle de l’auto-évaluation pourtant promue par l’ANESM 23 viendrait bien marquer l’échec de l’invention d’une véritable régulation conventionnée. Autre risque, celui du passage pur et simple à la régulation concurrentielle, calquée sur la logique marchande qui impacte par ailleurs également les politiques publiques pour une part importante de leur activité. La marchandisation des services en Europe en est le principal enjeu. C’est le risque de « chalandisation » décrit par Michel Chauvière. On le voit, le devenir des associations sociales n’est pas écrit, et ce devenir dépendra, pour une grande part, de leur capacité à percevoir elles-mêmes les enjeux de la mutation de l’action sociale en cours et à en tirer les conséquences à l’intérieur même de leur organisation et dans leurs dynamiques de gouvernance et de réseaux.

Désormais la cohérence institutionnelle n’est plus donnée par des normes, des réglementations, des habilitations spécifiques, des qualifications établies une fois pour toutes. Elle est à construire en permanence par des processus de mise en débat autour de la question du sens des pratiques sociales centrée sur le devenir et l’accompagnement du parcours des personnes. Aucune forme d’action sociale ne peut plus se dire définitivement instituée par la logique qui l’a fondée. Au contraire, le sens de chaque action est à refonder à nouveaux frais, dans une mise en tension entre tous les acteurs qui y concourent, et en particulier, au premier chef, en tenant compte des personnes qui en sont les bénéficiaires. En termes d’organisation, la logique qui prévaut n’est donc plus celle de l’établissement ou du service, mais bien plutôt celle de l’ensemble des logiques d’actions qui concourent à un même dispositif, le pôle de protection de l’enfance, par exemple, ou le pôle d’insertion des adultes pour ce qui concerne la Sauvegarde 56 ; ces dispositifs doivent être eux-mêmes appréhendés en référence au projet associatif et à ses différentes parties prenantes, mais également aux autres dispositifs associatifs qui concourent, sur un même territoire, à un schéma d’orientation globale de l’action sociale. Ainsi, le Président du Conseil Général, en tant que chef de file des politiques de protection de l’enfance, de la vieillesse, du handicap, et désormais de l’insertion, doit-il veiller à ce que l’ensemble des dispositifs intervenant sur son territoire le font en bonne intelligence et dans le sens, en particulier, du parcours d’insertion des bénéficiaires. Les Contrats Pluriannuels d’Objectifs et de Moyens, avec tous les risques de réduction gestionnaire qu’ils comportent, sont les outils privilégiés de cette forme nouvelle de pilotage fondée sur la recherche d’une sorte d’engrènement vertueux des différentes dynamiques de gouvernance mises en œuvre, à l’échelle d’une association, au niveau inter-associatif, et au niveau enfin du pilotage public. Bien sûr, il s’agit là d’une manière assez idéale d’envisager les mutations de l’action sociale et ses conséquences sur le plan des organisations et des formes de régulation. Rien ne se passe aussi simplement, notamment parce qu’on l’a vu plusieurs formes de régulation restent à l’œuvre du côté des pouvoirs publics, tutélaire, technocratique, concurrentielle, et plusieurs modes de gouvernance du côté des acteurs associatif, para-public, gestionnaire, segmenté et rivalitaire… Il n’empêche qu’il nous semble que c’est dans cette direction de la recherche d’une dynamique coopérative tant en interne avec toutes les parties prenantes, qu’en externe avec les autres partenaires associatifs et les pouvoirs publics que le secteur associatif pourra continuer à jouer pleinement son rôle de contributeur à l’invention d’une action sociale pertinente et solidaire.

Depuis plusieurs années, la Sauvegarde 56 est engagée dans cette voie de l’invention d’une nouvelle forme de gouvernance et de dirigeance. Elle a placé au cœur de sa transformation la recherche d’un modèle d’organisation coopérative 24 et celui-ci a un impact fort sur ses environnements. En ce qui concerne le pôle protection de l’enfance, c’est tout le développement d’un travail de réseau construit en étroite collaboration avec les autres associations de protection de l’enfance qu’il a permis. En ce qui concerne le pôle d’insertion des adultes, c’est la demande de coopération étroite d’une association lorientaise œuvrant, elle aussi, dans le champ de la lutte contre les exclusions, mais c’est aussi la recherche de partenariat avec une autre association importante du département sur ce champ, et l’ouverture également d’une dynamique coopérative avec les associations caritatives et humanitaires intervenant également auprès des personnes en situation d’exclusion. Ainsi, la visée du changement proposé en 2002 qui consistait avant tout à permettre à une association en crise sur les plans gestionnaires et éducatifs de transformer des modes de fonctionnement qui ne permettaient plus de faire face avec efficience aux nouveaux enjeux de l’action sociale, a-t-elle une portée qui va bien au-delà d’une seule perspective adaptative. En fait, elle répond, elle aussi, au changement de paradigme exigé par les nouvelles logiques de l’action sociale. Elle est en interaction permanente avec les transformations du contexte. D’une certaine manière elle les précède dans la mesure où elle met en œuvre un projet et une vision du changement social et non pas d’abord des directives. En ce sens, elle est préparée à une culture de la régulation conventionnée et guette les signaux forts de son adoption par les responsables publics.

Ce sont les professionnels qui sont sans doute les plus exposés à ce changement de paradigme touchant à la fois à leur mode d’intervention et à leur relation instituée avec leurs bénéficiaires ainsi qu’aux modes nouveaux d’organisation et de gouvernance dans lesquels ils interviennent. C’est la raison pour laquelle l’organisation par pôles de compétence au sein des organisations ne doit en aucun cas revêtir un caractère avant tout normatif qui relaierait des règles tutélaires, mais être tout entier ordonné à l’accompagnement de la mutation des postures professionnelles attendues par ce nouveau contexte. Celles-ci doivent sortir de la logique de l’auto-référencement, et de l’autonomie revendiquée sur une base de compétences à priori non partageables. Ces nouveaux cadres organisationnels doivent aussi inventer leurs nouveaux modes de dirigeance et de management qui soient au service d’une réinvention des modes d’intervention auprès des bénéficiaires. Le déplacement des modèles éducatifs en direction des jeunes pris en charge dans les internats, et dont les comportements ont de plus en plus violemment interpellé l’institution, ont ainsi servi de trame en quelque sorte à une transformation progressive de l’ensemble de l’institution, toujours reliée à une réflexion et à une analyse de la clinique de l’intervention. Actions recherches en interne et en partenariat se sont succédées, notamment dans le cadre d’une action transversale avec l’UNASEA Bretagne impliquant professionnels et administrateurs de plusieurs associations de la région sur la question des adolescents difficiles. L’appel à des tiers, en position de formateur ou de superviseur, a toujours également été la clef de l’accompagnement du changement des formes de dirigeance, les formations type ARIP-Transition ou SciencePo constituant, elles aussi, des éléments clés dans ce déplacement des modèles.

La nouvelle question de la gouvernance conduira les associations à réinventer leur lien avec les bénéficiaires des actions conduites par les professionnels. Il y a une sorte d’enjeu de « désappropriation » des usagers par les seuls professionnels qui est sous-tendu par le déplacement du paradigme de l’action sociale que nous avons évoqué. Nous l’avons dit, cette question sera certainement au centre du nouveau projet associatif de la Sauvegarde 56. C’est ce qui en fera aussi un projet davantage politique. Des expérimentations sont d’ores et déjà tentées pour décloisonner ou « déstratifier » les parties prenantes du projet associatif qui, pour certaines d’entre elles ne se rencontrent jamais, et ouvrir, au contraire, entre elles des formes de circulation inédites. Mais il sera nécessaire d’aller plus loin et de faire en sorte que les professionnels acceptent que le sens de l’action sociale ne saurait plus se laisser désormais enfermer dans les seules références techniques déployées lorsqu’ils pouvaient encore revendiquer une certaine autonomie de leur action et de leur spécificité dans le cadre du colloque singulier avec l’usager. Désormais l’action sociale relève avant tout d’un enjeu politique, environnemental, global. Nul ne peut penser la conduire à l’abri des regards. Il est au contraire nécessaire d’inventer les dispositifs et les lieux ouverts de débat et de parole sur lesquels sa légitimité doit être fondée. Commission éthique, conseil de la vie associative, plaçant les usagers au cœur de l’association renouvèleront le sens de l’engagement de tous au service du projet.

Ce parcours d’analyse institutionnelle d’une association d’action sociale, la Sauvegarde 56, nous fait bien entrevoir qu’elle ne saurait se réduire à la seule sphère de l’organisation sociotechnique dans laquelle pourtant nombre de professionnels situent encore aujourd’hui essentiellement leur action. C’est au titre de leur engagement professionnel dans une association qui, elle-même, est engagée dans un processus de dialogue et de débat avec d’autres instances associatives ou publiques, qu’ils doivent désormais être en mesure de répondre de leur action auprès des usagers d’un territoire ou d’un département. Cette responsabilité, ils ne peuvent en rendre compte d’eux-mêmes, mais en référence au « bien commun » qui constitue le patrimoine de l’association qui les emploie, ce dernier relevant lui-même du bien public et des politiques de solidarité auxquelles il contribue et avec lesquelles il est constitutivement lié. C’est en référence à ce patrimoine commun que l’on peut parler de la véritable force d’une association comme la Sauvegarde 56 qui en fait une institution qui dure et dont les formes instituées sont sans cesse réinterrogées par le mouvement de la vie sociale qui est tout simplement celui des échanges interhumains. Il y aurait beaucoup à dire ici à nouveau sur l’analyse d’Alain Caillé et sur la dynamique du don pour tenter un dépassement de l’impasse de la Dissociété si bien décrite par Jacques Généreux et sur laquelle nous avons ouvert ce mémoire. Mais il suffit ici de se sentir reliés à tout cet ensemble d’acteurs professionnels et bénévoles qui ont mis leur compétence et leur temps, parfois leurs moyens, au service des « autres » pour mesurer ce que peut être ce bien commun, accumulé tel un patrimoine, dans la durée d’une histoire. « Un patrimoine, écrit Bernard Perret 25 , peut être caractérisé par le fait que sa valeur pour un individu ou une collectivité n’est entièrement réductible ni à sa valeur monétaire, ni aux valeurs d’usage dont il permet la production. Un patrimoine est conservé, éventuellement enrichi, pour être transmis sans perte ni dégradation aux générations suivantes… La notion de patrimoine peut être rapprochée de celles de corps et de monde. Ce qu’ont en commun les corps et les mondes (au sens physique, social ou métaphorique) c’est que nous leur sommes liés de manière constitutive, c'est-à-dire avec une intensité et dans une durée que nous ne maîtrisons pas. Dit d’une autre manière, nous ne pouvons ou ne voulons pas en disposer à des fins sans rapport avec leur nature propre. » Retrouver le sens du « bien commun » « pour les autres » est sans aucun doute le rendez-vous politique majeur auquel nos démocraties modernes sont aujourd’hui convoquées et avec elles, chaque organisation et chaque association héritière de tout un patrimoine d’action sociale et solidaire.

De nouvelles règles institutionnelles

Les travaux de Jean-Pierre Lebrun, en particulier son dernier ouvrage sur la clinique institutionnelle 26 , auxquels nous nous sommes déjà référés dans le cadre de la note de lecture consacrée à l’ouvrage de Jacques Généreux 27 caractérisent particulièrement bien à nos yeux les enjeux de la gouvernance et de la dirigeance pour les associations d’action sociale aujourd’hui. Ancrés dans un modèle anthropologique psychanalytique d’inspiration lacanienne, ils renouvellent la lecture du basculement des sociétés dans la modernité et la postmodernité, tels que nous venons de les évoquer quant à nous sur la base d’une lecture sociologique, en soulignant le risque d’un fonctionnement « sans limites » 28 , sans différence des places et des générations, fondé sur le refus en particulier de « la place d’ex-ception » garante symbolique de la loi du langage qui nous structure en tant qu’être humain, « parlêtre » disait Jacques Lacan. Il est important d’entendre d’emblée cette notion « d’ex-ception » fondant la différence des places comme la nécessité logique pour qu’un ensemble humain, une institution, soient constitués, structurés, qu’une place soit exceptée de l’ensemble considéré, ne fasse pas nombre mais différence, « ex-ception ». Or cette nécessité logique, dit Jean-Pierre Lebrun, à la suite de Jacques Lacan, est de plus en plus difficile à tenir et à assumer, dans une conception moderne du lien social où c’est l’ensemble des individus non plus totalisables entre eux qui font structure d’un monde devenu « sans limites ». Ainsi, pour faire court, le réseau succède-t-il à la pyramide, ou encore la procédure sans cesse renégociée, redébattue et toujours susceptible d’ajustements, à la loi le plus souvent non écrite et incarnée par un seul ; mais avec le risque cependant de passer de cette place d’exception substantielle, avec toutes ses dérives, devenues à vrai dire inconciliables avec la revendication d’autonomie de l’acteur propre à la modernité, à son éviction pure et simple, avec, cette fois-ci, les risques de confusion et de chaos qui en résultent, « la perversion ordinaire » 29 que décrit Jean-Pierre Lebrun dans un précédent ouvrage. Sans bien sûr pouvoir déployer ici toutes les conséquences de cette analyse, disons qu’elle permet de situer très exactement le carrefour logique devant lequel, comme beaucoup d’institutions, se trouvent aujourd’hui situées les associations d’action sociale et l’ensemble de leurs acteurs. C’est à essayer de dépasser cette impasse logique entre une place d’exception substantielle, mais dont les fondements non démocratiques sont devenus insupportables, et une différence des places annulée par la logique du tout individuel et du tout négociable, n’offrant plus jamais de consistance à la décision, à l’autorité et à la structure, que Jean-Pierre Lebrun va développer son analyse de la clinique institutionnelle. Or il nous semble que, même s’il récuse la notion de gouvernance qu’il assimile à la gestion de ce monde sans limites ayant d’ores et déjà fait le deuil de la place « d’exception » dont la nécessité est pourtant de structure pour les êtres parlants que nous sommes, réservant ses développements à la notion de dirigeance, toutefois trop conçue à nos yeux en référence à la conception de l’institution-établissement, sans suffisamment faire sa place aux environnements dans lesquels évoluent ces institutions aujourd’hui, nous pouvons tirer des éléments théoriques de son analyse, qui se réfère également aux travaux de Marcel Gauchet sur la démocratie, et des points de vue éclairants sur le renouvellement des conceptions de gouvernance et de dirigeance pour nos associations.

La « place d’exception », telle qu’elle était incarnée jusqu’à présent au point où l’unité de l’institution pouvait se confondre avec la personne qui occupait cette place, n’est plus tenable. Cela ne veut pas dire pour autant que tous les liens transférentiels soient rompus. Des restes de nostalgie demeurent. Mais la crise que nous avons rapportée pour la Sauvegarde 56 touche, pour une bonne part, à la manière dont cette place était occupée et qui s’est révélée, à partir d’un certain moment, notamment du fait du changement de culture administrative, littéralement impossible à tenir : par exemple, le fait de continuer à taire indéfiniment la gravité des conséquences financières de certains choix stratégiques de l’association, la principale fonction de cette attitude, nous l’avons vu, pouvant être alors analysée comme la recherche d’une alternative, précisément face à l’affirmation des contraintes administratives et gestionnaires, tout en contribuant, pour partie, à soutenir l’occupation singulière de la place d’exception ; impossible également de ne pas infléchir les modes de réponses éducatives des internats vers des dispositifs donnant plus de latitudes aux parcours individuels des jeunes, ce qui suppose la prise en compte de l’analyse des équipes éducatives et de leur demande d’infléchir les projets tout en cessant de ne mesurer l’échec qu’à l’aune de leur prétendue incapacité substantielle à tenir leur place, en référence bien sûr à la conception de l’autorité incarnée par la personne occupant dans l’association la place « d’ exception ». Or celle-ci, précisément, ne saurait plus prétendre incarner à elle seule les grandes orientations stratégiques de l’organisation. Elle doit composer avec les réalités gestionnaires rappelées par les instances de tutelles, avec la réalité des usagers qui viennent bousculer des modes d’autorité qui leur font violence, avec la réalité des acteurs de l’organisation qui perçoivent plus ou moins clairement qu’une transformation de la manière d’occuper la place d’exception est devenue nécessaire pour inscrire l’association dans les nouvelles définitions du lien social.

C’est en quelque sorte le dénouement décrit par Blaise Ollivier 30 , au sortir d’un travail personnel ou institutionnel d’analyse, que rendrait aujourd’hui socialement possible et nécessaire la revendication d’autonomie des sujets : « Si, à travers des comportements, des représentations, des gestes capables de constituer une nouvelle expérience, le sujet, ainsi éveillé, rencontre la symbolisation d’un Autre, originaire, qui au lieu d’imposer son monopole d’antériorité, de légitimité et de pouvoir, montre son plaisir à perdre ce monopole pour le partager, en faveur de celui qui dépendait de lui, en sorte de lui faire sa place dans celle jusqu’ici réservée à qui peut décider de l’action et dire le sens et la valeur, ce sujet devient le témoin, puis l’acteur d’une réinvention de l’autre. » 31 Or tout laisse penser que si les conditions de cet accès pourraient sans doute être réunies aujourd’hui, en ce qui concerne la conscience et la culture de l’acteur et au regard de l’effondrement des grands référents, notamment religieux, qui posaient l’exigence de l’Autre en dehors du sujet, ce n’est pas du tout à la rencontre et à la symbolisation d’un Autre originaire auxquelles se trouvent conviés les individus confrontés aux règles et aux procédures qui fondent le nouveau cadre technocratique dans lequel ils évoluent, reconstituant, en quelque sorte, les nœuds qui attachaient étroitement dans l’exercice traditionnel et substantiel de la place d’exception « l’idéal constitutif du moi, au surmoi dur, méprisant, arbitraire, tyrannique 32 . » Ce que Jacqueline Légaut pour sa part reformule dans un petit ouvrage didactique, « La psychanalyse l’air de rien » 33 : « la normalisation quadrille les diverses possibilités qu’offre une situation professionnelle donnée en fonction d’une réalité comptable qui n’envisage la réalité que sous l’angle quantitatif et non qualitatif. Cette tyrannie de la norme fait des ravages partout où elle rencontre des acteurs disposés à la mettre en œuvre sans discuter pour avoir la paix… Mais je ne connais pas une seule personne qui ne soit à un moment ou à un autre tentée de renoncer à ce qui lui est essentiel, que ce soit par lassitude ou pour ne surtout pas mécontenter autrui, c'est-à-dire en définitive cet Autre. » 34 Autrement dit, c’est un boulevard subjectif qui s’ouvre à toute la logique de pseudo subjectivation et d’implication des acteurs initiée par les politiques publiques, sur fond d’impasse totale de la question de la parole et de l’institution du sujet, et donc des dispositifs institutionnels qui la mettent en œuvre, et de généralisation de normes abstraites imposées comme nouvelles figures de l’Autre qui fait sa loi.

Face aux deux risques qui consistent, l’un à rendre impossible toute nouvelle occupation de la « place d’exception », l’autre à tenter une vaine restauration, Jean-Pierre Lebrun plaide pour la recherche d’une troisième voie : celle qui consiste à faire vivre, contre vents et marées cette place, parce qu’elle est structurelle pour l’humain, toujours précédé par le langage qui le fonde, mais sur un mode en quelque sorte précaire, à réinventer sans cesse à nouveaux frais, toujours à faire advenir dans une sorte de recherche d’accord des parties prenantes auxquelles pourtant elle ne se résout pas. Place donc toujours impossible, comme celle de gouverner et de diriger, ainsi que l’avait déjà posé Freud, mais cependant dont la responsabilité reste entière et nécessaire si l’on ne veut pas plonger dans la perversion ordinaire d’un monde sans limites géré par la seule procédure et la seule règle technocratique : celles d’un gouvernement sans auteur. Ressusciter la « place d’exception » dans un monde qui s’acharne à la détruire en y substituant des mécanismes scientifiques, juridiques et techniques, sans auteur et sans parole, voilà au fond les nouveaux enjeux de la dirigeance et de la gouvernance - même si, une fois encore, l’auteur assimile ce dernier terme à la recherche des formes post-modernes et néo-libérales de pilotage qui cherchent fondamentalement à faire l’économie de la « place d’exception » - que dessine Jean-Pierre Lebrun en excluant, bien entendu, le fait d’y retourner sur le mode d’une appropriation singulière de l’Un. C’est donc par la mobilisation de la pluralité des paroles et des acteurs qu’il convient de rendre possible l’exercice de la place d’exception, le projet collectif devant être en quelque sorte l’assise autorisant et légitimant la possibilité toujours relative et sujette à débat de l’occupation de cette place et de l’exercice de la fonction qui en découle. C’est en la faisant malgré tout exister et tenir, par des dispositifs garants de la circulation de la parole de tous et des règles du langage qui supposent précisément cette différence des places, que l’on peut se revendiquer d’un monde qui reste structuré par l’humain et que l’on se préserve de basculer dans un monde sans « auteur » où seule la règle technocratique et la procédure prévalent. « Ces lois de la parole, écrit encore Jacqueline Légaut, consistent en l’ensemble des interdits qui permettent de prendre en compte l’existence d’autrui comme ayant droit de cité au même titre que moi, ce qui comme chacun le sait ne va pas de soi. Seule cette prise en compte rend la parole possible. » 35 C’est à ce saut du quantitatif au qualitatif, ou encore de la norme abstraite à la parole humaine qui fait Loi, que sont convoquées les démocraties modernes et toutes les institutions intermédiaires qui y concourent, sans l’appui des grands référents extérieurs qui en avaient pendant des siècles, et encore jusqu’à une période récente, constitué le socle.

On mesure, à cet égard, tout le rôle original que les associations d’action sociale peuvent avoir à jouer par rapport au basculement du lien social que nous avons évoqué. Là où les pouvoirs publics ne peuvent plus, eux-mêmes, se revendiquer d’une place d’exception fondée sur une autorité extérieure allant de soi, mais doivent eux aussi entrer dans le débat public pour y négocier en quelque sorte leur légitimité, faute d’une culture de projet collectif et hantés qu’ils sont, au contraire, par celle de la règle écrite, on comprend qu’ils soient tentés de basculer dans un mode de fonctionnement faisant de la procédure technocratique la nouvelle butée qui s’impose à tous, là même où, le plus souvent, l’énoncé des lois, la Réforme de la Protection de l’Enfance, par exemple, visent pourtant l’organisation du débat et de la participation de tous les citoyens. C’est qu’il y a décalage entre la norme visée et la règle promue. Les associations d’action sociale, pour le domaine qui les concerne, ne peuvent-elles pas être ces institutions intermédiaires 36 permettant, au fond, aux administrations et aux politiques publiques d’atteindre les visées normatives qu’elles promeuvent dans la recherche de projets politiques susceptibles de mobiliser l’adhésion de l’ensemble des citoyens. Par leur capacité de mettre elles-mêmes en avant leur projet collectif, à condition qu’elles s’en donnent bien sûr les moyens, mobilisant aussi bien leurs bénévoles élus, leurs professionnels que leurs usagers, elles rappellent combien les protocoles et les cadres concrets de l’action doivent être au service du projet politique et des personnes, et non pas le projet au service de la procédure et de la gestion.

L’évolution de l’organisation associative que nous avons présentée tout au long de cette analyse institutionnelle accompagne au fond ce changement de paradigme du lien social et des règles institutionnelles qui le rendent encore possible. Le modèle coopératif que nous avons proposé tente, en lien avec les travaux de l’ARIP 37 et ceux de Jean-Pierre Lebrun, et en cohérence avec les analyses sur la gouvernance associative de Jean-Louis Laville 38 , de refonder, à partir du projet collectif associatif, une possibilité légitime d’occuper « la place d’exception » qui ne soit ni assujettie purement et simplement au règne la procédure technocratique, ni tentée de restaurer, pour son compte, ou son imaginaire, ou son intuition, aussi juste soit-elle, l’occupation de cette place. Nous allons voir d’ailleurs, qu’à nos yeux, occuper cette place aujourd’hui, quel qu’elle soit, c’est accepter de se laisser traverser par la nécessité logique qui la caractérise, et donc par le manque, l’inachèvement, l’imperfection de structure, dans la référence à l’Autre, plutôt que prétendre se l’approprier de quelque manière que ce soit. Et c’est là que Jean-Pierre Lebrun ne tire pas, selon nous, toutes les conséquences de son analyse clinique pour les nouvelles figures de l’institution en pleine recomposition dans le monde des organisations aujourd’hui et plus particulièrement des associations d’action sociale. Tellement centré sur la nécessité logique de la place d’exception pour une institution donnée, avec le modèle disions-nous omniprésent du service ou de l’établissement, il ne donne aucune place dans son analyse à l’évolution des articulations des institutions entre elles, comme des places d’exception entre elles. Or c’est là, nous semble-t-il que se joue l’essentiel de la recherche nouvelle et incertaine d’une complémentarité entre l’Un et l’Autre, là où hier seul l’Un prévalait et où l’Autre était dénié, et où, aujourd’hui, seul l’Autre, d’une certaine manière, triomphe tandis que le règne de l’Un a pris fin. Or il est vital pour les êtres humains qui veulent tirer toutes les conséquences de leur dimension de sujet d’articuler l’Un et l’Autre. Et cela ne peut se faire, à nos yeux, que par l’articulation entre elles des « places d’exception », leur relativisation en quelque sorte, au sens de leur « mise en relation », ou encore leur « altérisation » par le fait qu’elles sont soumises à la reconnaissance de tous les autres qui se réfèrent à elles mais encore à la butée pour elles-mêmes des autres places d’exception qui permettent, par leur dialogue, de reconstituer non pas un monde continu et sans limites sur lequel régnerait seul « l’ordre de fer » de la procédure uniformisante, mais un monde discontinu et cependant consistant car référé à l’échange interhumain et à l’énonciation d’une parole faisant structure et loi.

Quelques repères éthiques pour orienter l’action

Disons, pour conclure que quelques critères clés nous ont paru devoir guider cette évolution : tout d’abord la nécessité de dire, d’énoncer, à temps et à contre-temps, le possible et l’impossible, les limites du réel : Jean-Pierre Lebrun fait ici référence à la belle figure éthique de Pierre Mendès-France qui, « dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, estime à l’encontre du Général de Gaulle qu’il faut dire la vérité sur l’état de l’économie du pays, position qui l’amène à lui adresser le 18 janvier 1945 sa lettre de démission en lui assénant cette vérité incontournable que « distribuer de l’argent à tout le monde sans en reprendre à personne , c’est entretenir un mirage » 39 .

C’est ensuite instaurer des dispositifs collectifs de travail auxquels l’exercice de l’autorité, qu’il s’agisse de gestion des ressources humaines, de choix et d’orientations stratégiques, sera en permanence référé à l’autre sans y être toutefois, bien entendu, réduit ou enfermé. L’arbitrage reste toujours possible et nécessaire mais devra en permanence se montrer en capacité de rendre compte de ses arguments en faveur de la recherche d’équité, de justice et de vérité. Ces dispositifs supposent qu’ils ne soient pas contournés. Les décisions ne sauraient plus se jouer en dehors. Elles y délivrent au contraire leurs cheminements en même temps que leurs méthodes. Dès lors, il y a des transactions illégitimes qui doivent être dévoilées si elles contournent les espaces légitimes de parole identifiés. L’autorité de l’un ne peut plus se prévaloir d’une relation équivalente avec tous les sujets qui lui seraient individuellement soumis, mais doit instaurer les dispositifs de délégation dont elle ne saurait se montrer garante tout en tentant de les subvertir ou de les contourner. La place d’exception suppose de reconnaître toutes les autres places d’exception qui lui sont référées et doit se montrer tout aussi soumise qu’elles à la Loi (C'est-à-dire aux Lois de la parole). Ces dispositifs délégués sont les fondements de l’organisation coopérative que nous avons décrite où les cercles de coopérations de l’encadrement, direction générale, pôles de compétences, garantissent une mobilisation de tous les acteurs dans l’élaboration et la conduite du projet.

Cet enjeu de l’organisation par pôles de compétence, référés à une mission et ordonnés à une logique de coopération entre tous les acteurs, en interne, et avec tous les partenaires, en externe repose, au final, sur une conception globale de la « clinique » institutionnelle. C'est-à-dire qu’elle fait véritablement de l’ensemble de l’institution associative et de toutes ses composantes, politique, professionnelle, citoyenne, un ensemble de dispositifs complexes, reliés, référés et coopératifs au service de la clinique du sujet et de la personne, que le jargon socio-administratif a décidé, une bonne fois pour toutes, de qualifier d’ « usager ». C’est donc, si l’on veut, une « clinique de l’usager » que sert avant tout la structuration collégiale et démocratique de l’organisation associative. Celle-ci n’est pas autoréférée, ni enfermée dans une relation seulement technicienne à l’ « usager », mais se trouve largement ouverte sur la composante sociale et politique de l’association, via notamment l’instance collégiale de la direction générale 40 . C’est là finalement ce qui donne tout son sens à la refondation de l’association sur une base coopérative. L’enjeu de la dirigeance coopérative se trouve référé à un projet associatif mobilisant toutes les parties prenantes. Mais encore est-il nécessaire d’instituer les dispositifs intermédiaires pour rendre viables ces articulations ! Bien sûr, la référence aux politiques publiques, dans une logique de régulation conventionnée qui reste largement à promouvoir 41 , nous y avons suffisamment insisté tout au long de ce mémoire, reste également une visée essentielle de la structure coopérative de l’institution intermédiaire qu’est l’association d’action sociale.

Mais cette logique de la référence interne doit également être à l’œuvre à l’extérieur de l’organisation. C’est ici que nous retrouvons deux postures foncièrement distinctes des associations d’action sociale. Les unes, s’en remettant à « l’ordre de fer » d’une logique administrative, technocratique et gestionnaire « sans auteur », dénient la dimension instituante du réseau et au contraire assument, voire précipitent, sur un mode rivalitaire et concurrentiel son atomisation et son morcellement : quitte à ce que ce soit par mitage des réseaux que se constituent alors de vastes ensembles gestionnaires administrés. D’autres associations, conscientes de l’enjeu interne de la relativisation et de l’altérisation de la place d’exception, mais aussi de sa persistance, privilégient l’émergence d’ensembles interinstitutionnels signifiants, tant pour l’ensemble des leurs acteurs professionnels et bénévoles que pour les politiques publiques territoriales dont il nous faut toutefois distinguer deux tendances à l’oeuvre actuellement. D’une part la tendance, dirions-nous, néo-Etatique, sans Etat, c'est-à-dire diluée sous l’ordre de la procédure technocratique sans auteur et qui semble devoir s’imposer à tous ; et d’autre part la tendance, encore ambiguë, à favoriser l’émergence de véritables pilotages locaux des politiques publiques et désignant des chefs de file de l’action territoriale, quitte à les mettre d’emblée en concurrence comme c’est le cas entre les maires et les présidents des Conseils généraux pour les lois de prévention de la délinquance et de protection de l’enfance, votées le même jour, le 5 mars 2007. Bien sûr, ces deux logiques, parfois portées par des acteurs administratifs différents, mais parfois par les mêmes, entrent différemment en phase avec les grands types de postures associatives que nous venons d’évoquer. Il y a interaction entre les modèles, des modes de gestion publique faisant le jeu de formes de gouvernance associative et réciproquement. Nous soulignerons, en conclusion, que c’est dans le discernement de ces jeux entre gestions et gouvernances publiques et associatives que se joue l’avenir des politiques sociales de notre pays et qu’aucun acteur ne peut se dire dénué de responsabilité à cet égard.

Insistons également sur la prégnance de l’instance Président-Directeur où se noue la gouvernance associative : celle-ci ne disparaît pas mais change de fonction. Elle devient, elle-même, un espace de coopération au service de la régulation de toutes les autres instances, associatives, professionnelles ou transversales. Elle est garante de l’application des mêmes règles que celles qui prévalent pour l’organisation professionnelle. Elle fait de l’exercice de la place d’exception un exercice d’analyse soumis lui-même au respect des Lois de la parole et de la différence des places. Elle est surtout garante de l’engagement de toutes les parties prenantes à la mise en œuvre du projet, étant particulièrement vigilante à ce qu’aucune transaction ne soit exclusive des autres, en particulier celle qui a longtemps situé le professionnel en position de surplomb par rapport à l’usager, sans autre tiers que le tiers du collectif professionnel.

Administrations publiques et associations d’action sociale face au défi technocratique

L’articulation des questions de la science et de la technique, de l’autorité et de l’institution avec celle du lien social introduite par Jean-Pierre Lebrun, en particulier dans son premier ouvrage important, un monde sans limites 42 , nous paraissent être une clé décisive pour comprendre ce qui s’est emparé du travail social depuis vingt ans. Finalement, ici comme ailleurs, une sorte de mutation que Charles Melman qualifie d’anthropologique 43 , se déploie où, y compris dans ces domaines que l’on pouvait croire les plus préservés de la relation humaine, la rationalité technique impose de plus en plus sa référence exclusive, au point de devenir la norme ultime des organisations. Elle en vient, au bout du compte, à occuper la seule place d’exception qui vaille encore et qui s’impose à tous, sur un mode où elle a de moins en moins de compte à rendre aux Lois de la parole et donc aux sujets qui ploient sous son joug. Ainsi aux grands référents transcendantaux sur lesquels s’adossaient les formes traditionnelles de l’autorité, avec leurs dérives toujours possibles en termes d’abus de pouvoir, se serait substituée, de manière toujours plus efficiente, une mécanique autonome, purement instrumentale, émancipée de la question des fins et de la délibération humaine. Un monde sans limite, où la parole finirait par se réduire, en fin de compte, à un enchaînement logique de signes, de codes, de procédures, et aux outils qui le véhiculent, dans un ordre prescrit ne s’ouvrant jamais sur l’inconnu et sur l’insu de la rencontre interhumaine autour de laquelle bat pourtant le cœur de l’action sociale. « Nous voyons bien, écrit Jean-Pierre Lebrun, comment le discours de la science est venu discréditer la réponse séculaire qui prétendait que l’autorité se tenait de Dieu ; à partir de l’irruption des Lumières, c’est d’abord une place vide qui a été substituée à celle que Dieu occupait, et c’est ensuite le savoir qui a occupé les lieux ; désormais l’autorité tient de ce savoir, de ceux que l’on appelle les experts… Tout se passe dès lors comme si l’ordre social marqué par le développement de la science et amplifié par ses succès se présentait comme une configuration artefactuelle qui prendrait la place de l’ordre qui nous définit comme êtres de parole ; il y aurait désormais comme une constellation en trompe-l’œil – comme un tableau de décor de théâtre – qui serait venu se glisser entre le sujet contemporain et l’arrière-plan de l’ordre symbolique qui le spécifie comme parlant. » 44

Nous voudrions conclure ce chapitre en insistant sur ce point : la transformation des institutions publiques avec leurs administrations en organisations vouées à la seule gestion instrumentale et à la « performance » technique, fut-ce dans les champs dédiés aux services à la personne, n’est pas neutre pour les humains que nous sommes, soumis à ses règles. Si les institutions publiques, elles-mêmes, dont les modèles fondés sur le souci de l’équité et de l’égalité de traitement pour tous, gardiennes de valeurs essentielles pour la démocratie, se transforment en pur et simples instruments techniques et gestionnaires rivalisant dans l’effort de normalisation des comportements et des initiatives, cherchant à réduire, y compris, avec les meilleurs intentions, le monde vécu des acteurs à une conformité aux codes, aux conduites et aux pratiques prescrites, quand ce n’est pas à la seule logique de la convergence tarifaire, il y a fort à craindre que les associations, dont le modèle institutionnel se trouvait déjà largement informé par l’ordre constitutionnel public 45 , en viennent à perdre, elles-mêmes, leur capacité de transformation, d’initiative et de changement qui avait toujours, jusqu’à présent, été perçue et utilisée comme une ressource pour l’adaptation même et le renouvellement des politiques publiques. Dès lors qu’une ligne à haute tension technocratique a pris le relais de toutes les petites unités autrefois transformatrices d’énergie selon les modalités les plus originales et les plus inventives, on ne peut plus guère s’attendre, en effet, qu’à la mise en œuvre d’un processus de modélisation uniformisante et répétitive. N’est-ce pas déjà ce que constate Jean-Louis Laville, lorsqu’il observe que « nombre de dirigeants associatifs participent d’un mouvement plus général dans la société que l’on peut désigner comme managérialisme, qui consiste à étendre le management à de nouveaux domaines de la vie sociale. Le managérialisme, poursuit Laville, constitue un « système de description, d’explication et d’interprétation du monde à partir des catégories de la gestion » (Chanlat 1998) et peut se caractériser par la place accordée à la notion de performance, par l’importance de la rationalité instrumentale et par la mise en avant des concepts d’auditabilité et de responsabilité selon P. Avare et S. Sponem (2008) » 46

Le piège risque donc de se refermer tant sur les acteurs publics que sur les acteurs associatifs. C’est pourquoi, et l’ensemble de ce travail s’y emploie, il nous paraît essentiel de continuer à militer pour une approche avant tout sociale, c'est-à-dire humaine, et non managériale au sens où la définit Laville, c'est-à-dire instrumentale, de la gestion qui s’impose comme un « effet de la rationalisation du monde contemporain ». Car le « managérialisme » impose à celle-ci une place centrale telle qu’il la délie finalement de sa référence à la compréhension interhumaine. Il l’autonomise en quelque sorte. Au risque, dans le domaine qui nous intéresse, de mettre l’action sociale au service de la gestion et non l’inverse. Or, souligne Jean-Louis Laville, « la légitimité des associations déborde la rationalité instrumentale. La rationalité axiologique est mobilisée à travers des biens communs qui ne sont pas uniquement des intérêts communs. » 47 Et ce ne sont pas des valeurs incantatoires qui peuvent traduire la réalité et la légitimité de ces « biens communs », mais bien plutôt des pratiques concrètes de coopération, de débat démocratique, au service d’une action inventive et créatrice, de formation dialogique des intelligences par la circulation et le partage de la pensée et des formes d’engagement. Bref ! Une mise en commun des ressources subjectives des acteurs. « On doit à J. Habermas 48 , écrit encore Jean-Louis Laville, d’avoir insisté sur la légitimité résultant de ce processus de formation des volontés par la délibération et sur le rôle que peuvent jouer à cet égard les pratiques associatives porteuses d’engagements publics, ce qui rompt avec une conception « atomiste » du social où les individus sont censés être détenteurs de valeurs et d’intérêts ; il a souligné avec d’autres que ces valeurs et intérêts ne peuvent se délimiter que dans l’échange intersubjectif non borné par des considérations stratégiques mais ouvert à l’intercompréhension. Cet apport est décisif pour la conceptualisation de la dimension publique des associations. Grâce à cet éclairage, il apparaît nettement que le managérialisme entretient une dérive associative qu’une démarche scientifique peut étudier mais non cautionner. » 49

La tentation est pourtant grande pour un certain nombre d’acteurs associatifs de se vivre avant tout sur le modèle de l’entreprise, d’y trouver en quelque sorte leur dernier espace de légitimité. Or cette tentation ne peut que les conduire à accélérer le processus d’isomorphisme les assimilant peu à peu aux administrations publiques sur lesquelles elles sont adossées. Ces dernières, d’ailleurs, endossent elles-mêmes le plus souvent, par dessus l’uniforme bureaucratique sur lequel elles s’étaient construites dans la recherche de réponses homogènes, et donc équitables, et sans même prendre le soin de s’en débarrasser, le costume managérial qu’elles cherchent désormais à imposer comme la référence incontournable en matière de « gouvernance » publique. Or se rendent-elles compte, à moins qu’il ne s’agisse d’une stratégie de désubjectivation délibérée, que cette superposition masque en fait une profonde rupture de sens tant pour les agents que pour les « usagers » destinataires ? C’est le moment, plus que jamais, pour les associations, et c’est bien là l’une de leurs ressources propres, sur laquelle même elles sont fondées, de mobiliser toute leur créativité en matière d’implication des parties prenantes dans la mesure où « la mobilisation des groupes d’acteurs différenciés est un garde-fou par rapport aux injonctions technocratiques. » 50

Abdelaâli Laoukili, psychosociologue formateur à l’ARIP 51 , insiste lui aussi, tant en ce qui concerne les collectivités territoriales que les associations, sur la nécessité de mobiliser des espaces de coopérations réels de nature à réintroduire l’élaboration partagée des buts et des finalités dans une logique délibérative. 52 C’est à partir de différentes interventions psychosociologiques conduites notamment dans des administrations publiques et des collectivités locales qu’il dresse le tableau préoccupant des logiques à l’œuvre dans ces organisations imposant aux acteurs un modèle managérial technocratique sans tenir compte le moins du monde des réalités essentielles de leurs structures sous-jacentes 53 le plus souvent de type charismatiques ou bureaucratiques. Or cette structure est constituée de l’ensemble des valeurs et des modes de fonctionnement intériorisés par les individus qui composent cette organisation. On ne change pas de structure en changeant simplement d’organigramme ou de procédures. On se contente alors de soumettre les acteurs à de très fortes tensions où c’est tout simplement le sens, non seulement de leur investissement, mais encore de leur action, qui finit par se brouiller totalement. Or, « l’une des caractéristiques du management dans sa vision technocratique est de faire comme si les problèmes étaient seulement en extériorité ou que l’on pourrait tout « objectiver » et tout rationaliser et qu’il suffirait aux acteurs d’appliquer la bonne méthode pour y arriver » 54 . Or précisément, les problèmes de l’action sociale ne se posent surtout pas en extériorité mais bien, d’emblée, pour chaque situation concrète donnée, dans cette incertitude des buts que l’on va poursuivre et du chemin que l’on va emprunter pour y arriver. Cette incertitude, ou cette indécidabilité disait Barel, des buts en action sociale n’a fait que s’amplifier au cours des dernières décennies. N’est-ce pas ainsi à vouloir continuer à imposer un modèle pédagogique à des jeunes dont les souffrances venaient interroger le prétendu savoir des équipes éducatives que beaucoup d’entre elles se sont cassées les dents au cours des années 80 et 90 ? 55 Il a fallu inventer, se déplacer, quitter souvent les murs de l’internat pour des parcours plus incertains, où seule la parole échangée entre adultes et jeunes, dans le cadre d’une délibération toujours relancée sur le sens de la souffrance manifestée faisait point d’arrimage à un social, devenu, sans ce travail, radicalement étrange et angoissant. C’est cette option qui est foncièrement mise à mal par le « technocrate » (celui qui a une vision technique du problème) « dans sa volonté de maîtrise et de contrôle du réel dont la vision ne s’accommode pas facilement avec les nécessités d’engager une délibération avec les autres acteurs, foncièrement incertaine et « consommatrice » de temps. Le contrôle de l’incertitude et le contrôle des coûts se trouvent ainsi, et de manière inconsciente, comme des impératifs majeurs aux yeux de notre technocrate, pas toujours si libre ni si innovant pour concevoir des dispositifs d’élaboration et de mise en œuvre des décisions adaptés aux enjeux et aux contraintes de la situation.» 56

C’est ensemble que les pouvoirs publics, les collectivités locales, les associations ont, à des places différentes, à assumer une lourde responsabilité en ce qui concerne le sens de l’action sociale aujourd’hui. Règne en effet un double message, une injonction paradoxale dont il faudra bien sortir un jour, et sans doute pas par l’issue que nous indique le nouvel idéal de maîtrise technocratique. D’une part, nous l’avons vu avec les analyses de Robert Lafore, il y a basculement du côté des modalités de construction de la réponse et de l’intervention, d’une logique de catégorisation des publics et des équipements à une logique de parcours individualisé et d’accompagnement qui pourrait laisser supposer l’émergence d’un véritable nouveau paradigme de l’insertion en matière d’action sociale. Et d’un autre côté, on assiste à la prégnance croissante de normes, dites de performance, qui viennent occulter toutes les zones d’incertitudes, de non savoir, d’insu sur lesquelles se fondent, par la parole échangée et l’effort d’intercompréhension des sujets en présence, la qualité même de toute intervention éducative ou sociale. C’est encore Jürgen Habermas qui plaide pour une communication d’intercompréhension qui ne soit pas purement et simplement supplantée par une communication de type stratégique dans le cadre de laquelle la logique des systèmes recouvrirait celle du monde vécu. Pour ce dernier, « le dépassement de cette ambivalence ne peut se faire qu’au travers d’un accord commun sur deux choses : l’importance du problème à traiter, c'est-à-dire les valeurs et buts poursuivis, et la visée démocratique (le mode de participation de tous les acteurs). » 57

Nul ne peut méconnaître la plainte, et parfois la souffrance, d’un grand nombre de travailleurs sociaux aujourd’hui confrontés à cette injonction paradoxale d’ « accompagner », avec tout ce que cette notion suppose de « co-production » ou encore de « co-construction » entre la personne aidée et l’aidant, sur le fond encore une fois d’un non-savoir essentiel, dans un contexte où la prestation de service est, quant à elle, de plus en plus souvent prescrite et définie en amont, dans le cadre de cahiers des charges faisant l’objet d’approches avant tout techniques et gestionnaires, et évaluée en aval selon des logiques quantitatives et normatives. « Les travailleurs sociaux, écrit Jean-Pierre Lebrun, sont désormais obligés de supporter, en fait, ce sur quoi notre modalité de lien social fait l’impasse. Qui pourtant mieux qu’eux – au-delà du concret de leurs interventions – pourrait prendre la mesure de ce qu’un problème social ne peut prétendre trouver une solution qu’en étant d’abord reconnu comme étant l’affaire d’un sujet ? » 58 Mais le sujet semble de moins en moins à l’ordre du jour ! Comment alors prétendre à l’efficience en matière d’action sociale sans arrimer étroitement les institutions à ces espaces de délibération par nature incertains, « non tracés et non-traçables » 59 , où s’affronte le négatif, le contradictoire et l’irréductible de toute situation humaine en souffrance ? C’est bien cette question de l’efficacité même de l’approche managériale et procédurale en matière d’action sociale qui doit finalement être posée et qui devra, tôt ou tard, se trouver, comme le souligne Abdelaâli Laoukili « au centre des réflexions sur l’évaluation des politiques publiques. » 60

Pour une refondation des institutions intermédiaires en action sociale/

La ressource des associations d’action sociale est entre leurs mains !

Les associations d’action sociale se trouvent aujourd’hui à la croisée des chemins. La montée en force des processus de rationalisation gestionnaire et de marchandisation, leur mise en concurrence, les convoquent à aller plus loin qu’une simple remise en cause des modèles d’organisation et d’autorité traditionnelles sur lesquels elles étaient fondées. Elles doivent contribuer à l’invention d’une autre modalité du lien social où la technique et l’économie ne viennent pas, purement et simplement, supplanter un mode dépassé de structuration devenu irrecevable par l’ensemble des acteurs. Encore faut-il considérer quels sont les vrais besoins de ces acteurs afin qu’ils continuent à s’engager pleinement au sein des organisations. A cet égard, les questions qui se posent aux associations ne sont pas différentes de celles qui se posent aux entreprises ou aux services publics. Mais encore faut-il que les ressources spécifiques dont celles-ci disposent pour y répondre soient mises au jour.

Jean-Louis Laville, dans l’ouvrage récent codirigé avec Christian Hoarau sur la gouvernance des associations 61 souligne les limites d’un pur et simple alignement de l’association sur la logique de l’entreprise. Mais il insiste également sur les déficits de démocratie au sein des instances associatives susceptibles de compromettre gravement et durablement la relance de leur initiative en matière de gouvernance. Il pointe là, comme il le reprend d’ailleurs dans un article plus récent 62 , certaines dérives ou fonctionnements autarciques dans lesquels des associations ont pu se laisser enfermer : « les cas de « cliques » qui ont privatisé de fait des espaces collectifs en tirant leur pouvoir du faible nombre de participants impliqués dans la vie associative sont trop fréquents pour être ignorés. » 63 Mais le risque principal qui se profile aujourd’hui est celui de l’assimilation à « un service public à moindre frais dans un contexte de sous-dotation endémique » avec un personnel qui « moins protégé statutairement que dans le service public, constitue la seule variable d’ajustement lorsque les conventions globales signées avec les tutelles ne permettent pas de couvrir l’intégralité des charges. » 64 Il est certain que la mobilisation des salariés de la Convention Collective 66 tout au long de l’année 2009, dans le cadre des organisations syndicales ou non, constitue à la fois une prise de conscience de ce risque majeur par les intéressés eux-mêmes, mais aussi une alerte pour l’ensemble des responsables publics ou associatifs sur le fait qu’on ne transforme des logiques d’action dans un dynamique porteuse de sens et de progrès sans prendre en considération les acteurs eux-mêmes qui s’y engagent quotidiennement.

Au-delà de ce risque d’un « sous-service public » toujours plus accordé à la pénétration des logiques du management d’entreprise, Jean-Louis Laville met l’accent sur les capacités d’innovation du secteur associatif, à la fois selon la logique conventionnée de négociation avec les tutelles mais également selon celle beaucoup plus proche de l’entreprise de l’exploration de nouveaux marchés. Toutefois c’est dans son aptitude à devenir « entrepreneur institutionnel et à introduire des questions inédites au sein de l’espace public » 65 que l’association garde la plus grande marge de manœuvre et de renouvellement : « quand l’association théorise et construit des coalitions en combinant activités économiques et politiques, il existe une innovation institutionnelle qui s’inscrit dans le cadre démocratique. » 66 L’association d’action sociale, comme nous l’avons vu pour l’exemple de la Sauvegarde 56, vit dans une interdépendance étroite avec les pouvoirs publics. Il s’agit là d’un fait à assumer pleinement. Mais il ne prive pas l’association d’une capacité d’action, d’innovation ni même d’une capacité de contribution au « renouvellement de l’action publique par une interdépendance assumée entre action associative et régulation publique. » 67 C’est vers ce mode de régulation négociée et conventionnée que s’orientait, on l’a vu, la Sauvegarde 56. Mais il ne suffit pas de définir ce cap pour l’atteindre à coup sûr. Car les pièges sont nombreux sur la route. Ils tiennent à la difficulté des pouvoirs publics eux-mêmes d’initier de véritable modes de pilotages coopératifs et démocratiques sur les territoires, associant l’ensemble des acteurs, se contentant le plus souvent de reconduire des réflexes et habitudes bureaucratiques aujourd’hui renforcés par les nouveaux outils de contrôles informatiques. Mais ils tiennent aussi à la difficulté d’un certain nombre d’associations de soutenir elles-mêmes une exigence de réinvention démocratique au sein même de leur organisation comme dans les relations qu’elles établissent avec leurs partenaires. La contamination de la logique concurrentielle et marchande pointe à l’horizon de ce déficit de conception du lien social dont les associations d’action sociale, plus que toutes autres organisations professionnelles, devraient pourtant, eu égard à leur mission, être les précurseurs. C’est à la continuité entre projet social et conduites démocratiques au sein des organisations associatives que nous consacrerons les dernières pages de ce travail. C’est au prix de cet effort réflexif concernant la mobilisation de toutes leurs ressources internes mais aussi la qualité des réseaux dans lesquels elles s’engagent qu’elles pourront peut-être éviter les risques de la « banalisation brouillant les séparations avec l’entreprise privée ou le service public et attester d’une réactivité par rapport aux changements sociaux qui lui assure une pertinence durable. » 68

Grâce aux travaux de Jean-Pierre Lebrun, nous avons déjà insisté sur l’enjeu d’un renouvellement de l’approche institutionnelle des organisations. Cela vaut d’ailleurs, nous l’avons souligné, dans un contexte sociétal de relativisation de la différence des places pour l’ensemble des institutions, qu’elles soient politiques, familiales, sociales ou professionnelles. Nous avons montré que cette relativisation peut devenir une chance et correspondre à une progression de l’idéal démocratique à condition qu’elle n’équivaille pas à une dissolution pure et simple de cette différence au profit, par exemple, d’une soumission généralisée à la seule logique gestionnaire et procédurale. L’institution garde cet avantage sur l’organisation, qui, elle, peut se réduire à un pur mécanisme technocratique, qu’elle vise avant tout à faire vivre et œuvrer ensemble des sujets humains référés aux lois de la parole. Au-delà des travaux de l’ARIP dont nous avons souligné l’importance dans notre parcours professionnel lors de l’introduction 69 , nous aimerions reprendre en conclusion, pour ce qui concerne l’association, l’enjeu permanent de l’articulation entre institutionnalisation et subjectivation, tels que Renaud Sainsaulieu et Blaise Ollivier l’ont mis en valeur dans leurs travaux communs 70 . Si Renaud Sainsaulieu est le fondateur de ce cycle de formation sur les changements associatifs à Sciences Po, nous avons surtout eu l’occasion de rencontrer, avant son décès en septembre 2007, Blaise Ollivier avec lequel il a étroitement collaboré. Nous avons fait sa connaissance en 2003, suite à l’annulation d’une conférence au GNDA du fait de sa maladie, et sommes intervenus en 2005, à sa demande, dans le cadre d’un séminaire de l’association Confrontations 71 qu’il présidait alors sur les changements que nous avions déjà introduits à l’époque dans la conduite de la Sauvegarde 56. L’un et l’autre, de manière anticipée par rapport aux réflexions aiguisées de Jean-Pierre Lebrun sur la clinique de l’institution, ont cherché à mettre en évidence, en articulant les ressources de la sociologie, de la psychosociologie et de la psychanalyse, les conditions à la fois d’une démocratisation du monde de l’entreprise mais aussi d’une contribution à un renouvellement du lien social. Les questions qui se posent pour l’entreprise sont d’autant plus pertinentes lorsqu’il s’agit de l’association dont c’est l’objet même de travailler en permanence à réinventer, dans des contextes toujours évolutifs, le lien social.

La question de la démocratie est en effet centrale pour les associations d’action sociale aujourd’hui : qu’il s’agisse d’inventer des modes de mobilisations davantage démocratiques de tous les acteurs parties prenantes dans le cadre du projet associatif, ou bien qu’il s’agisse de nouer d’authentiques liens de partenariats avec d’autres acteurs associatifs dans le cadre d’un effort de rééquilibrage de la régulation publique, ouvrant davantage d’espace à la co-construction des logiques d’action. Mais cette question de la démocratie est aussi centrale au regard de la conception même du social et des interventions à promouvoir pour réarrimer des sujets en souffrance 72 à leur pleine dimension de citoyen. C’est toute la conception de l’action sociale, mais aussi au sens large de l’éducation, qui doit être réorientée dans une perspective où le contenant de l’action compte autant que le contenu, c'est-à-dire où l’institution vivante est garante de la réinscription de sujets désocialisés et désaffiliés dans des processus qui visent à recomposer les liens entre appartenances primaires et secondaires 73 voire à les élaborer là où elles ont totalement fait défaut. L’enjeu démocratique est aujourd’hui de réinventer, par-delà des modèles d’autorité dépassés, des formes de légitimité où les acteurs reconnus dans leurs capacités et leurs subjectivités acceptent de s’inscrire dans des processus collectifs garantis par des règles et par une symbolisation acceptable de la différence des places structurant le social et notamment l’éducation qui y donne accès 74 . Cela suppose de la part des professionnels et des organisations la mise en œuvre de compétences nouvelles, articulant implication subjective, dispositifs garantissant la parole de tous, espaces de débat, lisibilité par la transcription des éléments constitutifs du bien commun… Cela suppose aussi une certaine relativisation de toutes les places, de toutes les identités parfois fortement ancrées dans une logique de surplomb ou d’exception au nom d’un savoir, d’un pouvoir réel ou supposé, pour entrer dans un processus de mise en relation autour de logiques de projets plus larges, autour de missions ou de territoires, remettant en question les cloisonnements identitaires ou disciplinaires ainsi que les crispations corporatistes.

Dans l’ouvrage collectif co-dirigé par Christian Hoarau et Jean-Louis Laville 75 , Joseph Haeringer et Samuel Sponem ouvrent eux aussi des perspectives à ce travail de démocratisation des associations qui suppose notamment de dépasser les logiques de contrôle rationnel et coercitif pour engager un contrôle de type culturel où « les organisations sont vues comme des lieux de valeurs partagées et d’implication morale dans lesquels la cohésion et la loyauté prennent une importance majeure. » 76 La coopération, on l’a vu, était peu compatible avec des conceptions de l’autorité fondées sur le charisme et l’ « exception », sans souci de lisibilité partagée. Mais elle ne l’est pas davantage avec celles qui les supplantent sans transformation et qui vont privilégier les moyens plus que la fin, la visée gestionnaire plus que la dynamique identitaire et culturelle. Pour échapper à cette alternative, l’objectif premier reste d’inscrire la responsabilité au cœur de l’engagement personnel et collectif, dans une démarche d’appropriation des valeurs par le débat. Ces valeurs qui prévalent en termes de loyauté, de cohésion et d’engagement collectif, ce sont précisément celles qui vont être au fondement de la recomposition démocratique des dynamiques interassociatives. On peut d’ailleurs faire l’hypothèse qu’il y aura une corrélation très étroite entre les logiques de solidarité externes et de mutualisation dans le cadre des réseaux et la manière dont à l’interne sont élaborés sur un mode coopératif les cohésions et les projets démocratiques. C’est sans doute là l’une des principales pierres d’achoppement pour une influence renouvelée des associations dans les processus démocratiques sur les territoires, en région et même au niveau national. La dispersion des forces et surtout l’acceptation des logiques concurrentielles dans une visée purement marchande et gestionnaire mettent à mal les fondements mêmes et les valeurs de la cohésion du fait associatif. Réinventer la solidarité dans le contexte d’une régulation publique tendant à privilégier les contrôles coercitifs voire à les utiliser pour affaiblir ou fragiliser certaines organisations associatives ou certaines alliances ne va pas de soi. C’est pourquoi, là encore, la responsabilité de l’action publique est première pour accompagner le mouvement de démocratisation des associations et leur recomposition dans une dynamique qui serve l’intérêt commun au sens large et non le seul encadrement des charges et des coûts. Mais ce n’est pas là la voie privilégiée aujourd’hui. Le temps est à l’épreuve de l’organisation associative.

Tout l’enjeu de la dirigeance dans les associations d’action sociale est d’articuler des logiques a priori contradictoires, celle de l’adhésion au projet associatif et celle de la contrainte gestionnaire normative. Entre injonction des tutelles et dynamique d’adhésion des acteurs, la tension est forte. Des choix de management purement gestionnaires peuvent donner la primauté à une forme renouvelée de régulation tutélaire où la logique administrative et bureaucratique prescrit en définitive, de la manière la pus étroite possible, les règles et les critères du management. Ce n’est pas là bien sûr, pour les associations, l’espace où elles peuvent jouer la chance de devenir un nouvel acteur institutionnel travaillant, dans une interaction permanente avec les pouvoirs publics, à une réinvention des cadres démocratiques et à une implication citoyennes de toutes les parties prenantes, y compris des usagers. Dans cette tension entre tutelle gestionnaire et logique de sens et de projet, Joseph Haeringer et Samuel Sponem privilégient un modèle politique de l’autorité du dirigeant fondé sur « sa capacité à traduire la pluralité des positions en un accord issu d’un processus participatif et constitutif d’un bien commun » 77 . C’est bien sur cette conception citoyenne de la solidarité que doit se fonder l’accord entre toutes les parties prenantes de l’association comme entre les acteurs associatifs engagés dans des pratiques de réseaux. Il est nécessaire, et je dirai même vital, que les associations manifestent aujourd’hui un certain écart, une certaine affirmation de leur potentiel démocratique afin d’enrichir le processus qui convoque les politiques publiques à redéfinir voire à réinventer le cadre des actions de solidarités pour des citoyens toujours plus désaffiliés et isolés. S’il est un déficit dont les associations d’action sociale peuvent par-dessus tout s’emparer aujourd’hui pour orienter leurs projets et leurs actions, c’est bien celui du lien social et de la solidarité que les économies marchandes détruisent méthodiquement en faisant de l’individu un consommateur seulement guidé par la logique de son intérêt 78 . Tout leur effort doit être d’inventer des cadres d’action, à l’interne comme à l’externe, qui donnent du poids à ce projet politique qui doit aussi trouver forme dans une organisation et un mode de fonctionnement donnant leur place à tous les acteurs et les mettant en relation intersubjective les uns avec les autres, même si c’est au prix de certaines dynamiques conflictuelles. L’autorité dirigeante doit trouver là le terrain privilégié de son engagement, l’autorité politique de l’association étant elle garante, au nom du projet, du bien commun élaboré à partir de la pluralité des engagements. « La bonne gouvernance, soulignent Joseph Haeringer et Samuel Sponem, impliquerait que les associations se constituent en espaces de débats, définissent des procédures de décisions dans des temps et des lieux appropriés pour soutenir l’engagement des parties prenantes dans leurs différences respectives. » 79

Finalement la gouvernance et la dirigeance associatives reposent, on l’a vu tout au long de ce mémoire, sur une tension entre deux logiques irréductibles l’une à l’autre et qui ont à trouver entre elles les meilleures synergies, les pouvoirs publics ayant eu, de tout temps, tendance à privilégier la logique professionnelle sur la logique associative et citoyenne. C’est bien par la porte de la professionnalisation qu’ils sont parvenus en effet à exercer cette mainmise croissante sur des organisations qui initialement s’étaient construites sur la carence de l’action publique. Robert Lafore, dans une contribution à un ouvrage où il retrace l’évolution de cette régulation publique du secteur associatif voit lui aussi, au-delà « des derniers avatars de la régulation de l’action sociale que sont les instruments du new management appliqués au services publics et à la production d’utilités collectives », de larges capacités de réappropriation et de marges de manœuvre laissées au secteur associatif pour « produire lui-même le sens et les modèles légitimes de son action » 80 . A lui donc de s’en saisir, et de ne pas se laisser purement et simplement instrumentaliser par des logiques administratives auxquelles il manque le plus souvent la capacité d’entraînement citoyen, promotrice du fait démocratique. Les associations, doivent retrouver aujourd’hui cette tension structurante entre initiative citoyenne, fondatrice de l’association, et pertinence des interventions professionnelles. « Si hier, concluent Joseph Haeringer et Samuel Sponem, l’innovation comme capacité d’explorer de nouvelles réponses aux besoins, était l’un des enjeux majeurs pour les associations, il y a aujourd’hui un déplacement sur l’exploration de formes de démocratie… La question associative, celle d’inscrire les formes de coopération dans un registre démocratique, constitue un enjeu majeur puisqu’il s’agit de traduire dans des dispositifs pertinents les principes et les valeurs de liberté et d’égalité. Celui-ci relève aussi d’une compréhension plus institutionnelle de ces fonctionnements que ne le laissent entendre certaines approches organisationnelles. » 81

Finalement, l’enjeu principal face auquel se trouvent aujourd’hui convoquées les associations d’action sociale est un enjeu de valeurs, mais de valeurs vécues, traduites dans des cadres communs d’action et des règles reconnues et partagées. C’est tout l’intérêt de l’ouvrage collectif rédigé sous la direction de Blaise Ollivier et de Renaud Sainsaulieu, reprenant dix années de débat ouvert sur l’entreprise dans la société démocratique 82 , de nous faire toucher du doigt les conditions pour qu’une entreprise s’engage véritablement dans un processus démocratique et contribue ainsi à l’élaboration d’un lien social davantage citoyen. Impossible bien sûr, de résumer ici la richesse de cet ouvrage qui s’appuie pour partie sur les derniers ouvrages, également très éclairants pour notre sujet, de chacun des auteurs 83 . Mais nous pouvons reprendre cependant quelques axes qui tiennent autant à notre pratique et à nos convictions personnelles qu’aux intuitions centrales de ces chercheurs qui ont arpenté pendant des décennies le monde des organisations et de leurs acteurs et y ont confronté de manière incessante l’élaboration toujours en chantier de leurs conceptions théoriques. C’est finalement sur une conception anthropologique de l’être humain, foncièrement différente de celle décrite par Jacques Généreux au fondement de l’économisme 84 , que repose leur vision du rôle de contribution au processus démocratique des organisations professionnelles. L’un, Renaud Sainsaulieu, privilégie une conception sociologique de l’acteur qui va cependant chercher dans la philosophie personnaliste d’Emmanuel Mounier 85 la dimension inépuisable de la ressource de la personne bien éloignée de la conception utilitariste qui prévaut aujourd’hui. L’autre, psychanalyste et sociologue, privilégie quant à lui la notion de sujet divisé, toujours manquant du fait même qu’il est un être de langage, mais toujours aussi capable d’une parole nouvelle et créatrice capable de contribuer de manière décisive à l’œuvre commune, à condition précisément d’assumer ce manque. Or c’est précisément tout sentiment de dette à l’égard d’une perte originaire que cherche à masquer et camoufler la logique postmoderne de consommation de l’objet, d’une part, et d’hyper-rationalisation de la relation interhumaine, d’autre part. Ce serait, au contraire, à mobiliser la ressource irréductible des acteurs, considérés comme sujets de leur parole, et donc capable de créer du neuf sur la base d’une identité d’emblée constituée sur le fondement de la relation à l’autre, que la société postmoderne pourrait envisager un dépassement de ses dérives et du relatif chaos dans lequel elle plonge bon nombre de nos contemporains. C’est aussi à la conclusion qu’arrive Alain Caillé, à la suite des travaux de Marcel Mauss, sur laquelle repose le mouvement anti-utilitariste en science sociales (MAUSS) qu’il a fondé. Ce n’est pas à réduire de manière utilitariste les individus à la seule logique de leur intérêt, en référant leur reconnaissance ou leur sanction à la seule sphère de la consommation, qu’on peut se donner, en effet, collectivement la chance de transformer les impasses toujours plus criantes auxquelles nous sommes confrontés. Les associations d’action sociales emploient des travailleurs sociaux dont la mission tient toujours plus de l’impossible dans un tel contexte où seule la conception utilitariste de l’individu semble publiquement prescrite tandis qu’il leur faut tenter de relier à une société qui les exclut toujours davantage des personnes en souffrance, en errance, en désaffiliation et en déliaison 86 . Et cela ne concerne pas que les enfants et les adolescents mais l’ensemble du public adulte s’adressant également aujourd’hui aux services sociaux. L’enjeu est donc fondamental de faire des associations d’action sociale, mais dirions-nous aussi dans l’idéal des services publics chargés de la restauration des liens solidaires interhumains, des organisations qui mettent au cœur de leur projet et de leurs modes d’action la question du sujet et de l’engagement dans sa parole de chaque acteur, qu’il soit professionnel, bénévole, usager… Faire vivre la démocratie suppose l’invention d’institutions éducatrices, apprenantes et responsabilisantes, à la hauteur des défis que nous avons à relever. Il ne doit pas y avoir d’écart entre la visée sociale de nos organisations et l’invention permanente de cadres d’actions répondant aux exigences d’humanisation que nous avons à honorer, par delà les dérives réductrices de l’humain que nous connaissons. Penser l’acteur à la fois comme personne riche de son potentiel d’engagement et de don 87 et comme sujet fondé dans sa parole qui à la fois le différencie et le fait appartenir et agir dans la communauté humaine, constitue une référence anthropologique, un pilier, capable de résister aux pires errements, en tous les cas de discerner, chaque fois qu’elle est mise en péril, la conception fondamentale de l’être humain sur laquelle se fonde le lien social et solidaire et finalement la société démocratique.

Renaud Sainsaulieu discerne un enjeu essentiel de « reliance » pour les associations rattrapées par les logiques de marché et de gestion où elles risquent de « perdre leur âme » 88 . Et il définit précisément deux axes d’ouverture pour ce secteur qui « a toujours constitué le révélateur efficace des insuffisances récurrentes d’une conception technique et rationnelle de la modernité » 89 . C’est d’ailleurs d’un engagement personnel dont parle Renaud Sainsaulieu quand il souligne que « s’engager dans l’activité associative, c’est, d’une certaine façon, adopter une position d’alternative critique, de réflexivité, par rapport à l’état des structures officielles et d’encadrement des citoyens. » 90 Voilà bien défini le programme d’orientation de l’association : il ne s’agit pas pour elle de se soumettre au modèle dominant au point de finir par lui ressembler mais bien de mobiliser ses propres ressources pour venir critiquer et subvertir au besoin les modèles d’encadrement réduisant les capacités démocratiques. C’est bien à ce carrefour que se trouvent les associations d’action sociale aujourd’hui : se soumettre et disparaître en tant qu’organisations capables de promouvoir de l’innovation sociale, se contentant de reproduire des logiques d’action étroitement encadrées par les lois du marché et de la gestion publique. Ou bien, refonder leur idéal démocratique de manière originale et convaincante pour leurs acteurs, pour leurs citoyens mais aussi pour la société qui les missionne et les pouvoirs publics qui en sont les relais. C’est pourquoi, sur l’axe culturel, mobilisant toutes les ressources démocratiques de l’associatif, Renaud Sainsaulieu prédit, un intense renforcement des logiques communicationnelles et participatives au sein des organisation, une représentativité de toutes les parties prenantes dans les instances associatives, un renouvellement de l’activité réflexive et du débat mobilisant de manière interactive tous les acteurs : « Avec une telle organisation démocratique, conclut-il, l’association se distingue nettement des structures juridiques et commerciales d’organisation classiques, elle rend compte publiquement de ses orientations, résultats et responsables ; elle est admise pour son effet d’innovation sociale, démocratique et solidaire. L’association trouve précisément ici sa légitimité dans l’expérience créative, responsable et partagée de ses fonctionnements collectifs. » 91 Le second axe d’ouverture et de renouvellement des associations d’action sociale consiste pour Renaud Sainsaulieu à inventer, dans le champ de l’économie solidaire, « prenant appui sur les trois ressources de l’économie solidaire définie par Jean-Louis Laville, les subventions, le service marchand, le bénévolat, un nouveau statut pour l’entreprise sociale, à but non lucratif et à responsabilité spécifique » 92 . On voit, en effet, dans l’exemple de la Sauvegarde 56 combien le mélange des genres a pu être préjudiciable à une claire vision des enjeux à la fois de démocratie associative et de réalisme économique. C’est pourquoi l’idée d’inventer, sur un mode expérimental, et selon le modèle des coopératives, un nouveau cadre d’action démocratique pour des entreprises sociales clairement situées dans le champ de l’économie solidaire et se différenciant des associations dont le cœur de l’action reste avant tout le travail du lien social et non celui de la production, nous paraît être une piste de réflexion à méditer à laquelle l’histoire récente de notre association tendrait à donner raison. Ainsi, au cœur des sociétés en mouvement, l’association est-elle en mesure d’apporter sa ressource, en tant qu’institution intermédiaire « à condition de renouveler la qualité démocratique de ses fonctionnements collectifs et ainsi de manifester publiquement la valeur institutionnelle et opératoire de son engagement. » 93

L’analyse critique des nouveaux modes de gouvernance publiques fondés sur l’encadrement procédural et gestionnaire, la normalisation et la désubjectivation commence à être de plus en plus étayée. Les souffrances au travail en sont certainement le symptôme le plus lisible. Outre les travaux de Jean-Pierre Lebrun, la récente contribution de la revue de psychosociologie Connexions, Management et contrôle social 94 , vient établir un bilan opportun de cette dégradation généralisée des relations au travail et des logiques institutionnelles d’action. Tout se passe comme si la pseudo-mobilisation subjective des acteurs, visant à les faire adhérer de manière active aux processus encadrant de manière toujours plus étroite et contraintes leur action, se retournait en fait contre une véritable dynamique de subjectivation. Les souffrances au travail, les démobilisations, les plaintes récurrentes sont là pour en attester. C’est la raison pour laquelle, sans bien sûr pouvoir faire l’impasse sur les logiques marchandes et instrumentales qui pénètrent de manière toujours plus agressives leur champ, les associations d’action sociale ont à repenser leur visée humanisante et subjectivante dont la ressource ne saurait être que dans le fait politique lui-même. C’est en tant que parties prenantes d’un projet de nature politique, qui vient interroger les dérives de l’économisme ambiant, que les associations peuvent redevenir les interlocutrices des pouvoirs publics qu’elles ont été : non plus essentiellement en multipliant la création de nouvelles structures et de nouveaux services dont les administrations viennent d’ailleurs, estimant sans doute que l’essentiel a été fait à cet égard, de fixer, sous leur pilotage, les nouvelles règles de création et d’attribution, non pas en se contentant de gérer et de concentrer les moyens, dans une logique de prestataire de service public, mais en repensant radicalement leur utilité sociale sur un mode avant tout politique de contribution à l’effort de repenser la démocratie et la responsabilité de chacun dans l’élaboration du lien social. C’est un enjeu politique, mais aussi avant tout éducatif et culturel auquel se trouvent convoquées les associations d’actions sociale. Elles ont à le relever, d’abord pour leur propre compte, en inventant des modalités de coopérations entre toutes les parties prenantes à leur projet. Mais aussi en inventant des formes de mutualisation qui les aident à repenser ensemble les conditions de leur renouvellement politique et démocratique. Cela suppose sans doute de dépasser les cadres traditionnels d’appartenance et de fédération inter-associatives, qui n’ont pas toujours pu éviter les logiques corporatistes de confrontation et de division du champ, pour inventer des dynamiques de réflexion et d’action militantes, transcendant en quelque sorte toute une acculturation du secteur aux seules règles de la nouvelle gouvernance publique issues directement de la Corporate Governance 95 . Par une dynamique active de recherche-action articulée aux lieux de la recherche universitaire ou clinique, l’urgence est de rassembler des praticiens, qu’elle que soient leurs fonctions dans les associations, qui auront à conscientiser d’autres acteurs qui auront eux-mêmes à refonder, au-delà de la seule logique de l’intérêt de l’association pour elle-même et pour ceux qui la dirigent ou la gouvernent, l’essence même de l’éthos associatif qui est dynamique de création collective par l’autre et pour l’autre.

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Renaud Sainsaulieu, op. cit.

Cf. supra le commentaire de l’ouvrage de Jacques Généreux, La Dissociété , op. cit.

Albert Meister , Vers une sociologie des associations , Paris, Editions Ouvrières, 1972.

Cf. note de lecture consacrée à l’ouvrage de Jacques Généreux, La Dissociété, Op. cit.

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Ibid. p. 131

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Fabrice Traversaz, « Gouvernance et changement des associations gestionnaires », op. cit.

Michel Chauvière, Op. cit.

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Voir en annexe les extraits du rapport d’activité communiqué lors de l’Assemblée Générale en juin 2009.

Bernard Perret, « De la valeur des structures sociales, capital ou patrimoine », in Bevort A. et Lallement M. (dir.) Le Capital social, performance, équité, et réciprocité , Paris, La découverte-MAUSS, 2006

Jean-Pierre Lebrun, Clinique de l’institution, Ce que peut la psychanalyse pour la vie collective , Toulouse, Erès, 2008.

Cf. Supra

Jean-Pierre Lebrun, Un monde sans limite. Essai pour une clinique psychanalytique du social, Toulouse, Erès, 1997.

Jean-Pierre Lebrun, La perversion ordinaire, vivre ensemble sans autrui , Paris, Denoël, 2007.

Blaise Ollivier, L’acteur et le sujet, Vers un nouvel acteur économique, Paris, Desclée de Brouwer, 1995.

Ibid. p. 279.

Idem.

Jacqueline Légaut, La psychanalyse l’air de rien, Toulouse, Erès, 2007.

Ibid. p. 37 et 40.

Jacqueline Légaut, op. cit. p. 7.

Renaud Sainsaulieu, Des sociétés en mouvement, La ressource des institutions intermédiaires , Paris, Desclée de Brouwer, 2001.

Jean-Claude Rouchy Monique Soula Desroches, Institution et changement, Op. cit.

Cf. notamment le dernier ouvrage de Jean-Louis Laville, La gouvernance des associations, Economie, sociologie, gestion, sous la direction de Christian Hoarau et Jean-Louis Laville, Toulouse, Erès, 2008.

Jean-Pierre Lebrun, Op. cit. pp. 244-245.

Cf. Supra et « organigramme-cible », en annexe

Matthieu Hély, « De la tutelle au partenariat : entreprises associatives et régulation conventionnée », Iresco, Toulouse, 16-17 septembre 2004, document Internet. Hélène Trouvé, « Les structures associatives : des acteurs intermédiaires dans l’action sociale ? », Matisse CNRS-UMR 8595, Paris I, document Internet.

.Jean-Pierre Lebrun, Un monde sans limite, Essai pour une clinique psychanalytique du social, Erès, Toulouse, 2004

Charles Melman, L’Homme sans gravité, Editions Denoël, Paris, 2002

Jean-Pierre Lebrun, Un monde sans limite , Op. cit. p. 109 et 114.

Michel Adam, L’association, Image de la société, L’Harmattan, Paris, 2005.

Jean-Louis Laville, Management et régulation dans les associations, in Connexions N°91, Management et contrôle social, Erès, 2009, p. 154.

Ibid. p. 158

J. Habermas, L’espace public, Paris, Payot, traduction française, 1993, p. I-XXXI

Jean-Louis Laville, Ibid. p. 158.

Ibid. p. 160.

Cf. Introduction générale : Abdelaâli Laoukili fut l’un de nos formateurs dans le cadre du cycle de formation à la psychosociologie clinique de l’ARIP.

Abdelaâli Laoukili, « Les collectivités territoriales à l’épreuve du management », in Connexions N°91, Management et contrôle social, Erès, 2009

Jean-Claude Rouchy, » Un conception psychanalytique des structures et de leur évolution », in Institution et changement, Op. cit. pp. 15-45 ; Eugène Enriquez, « Structures d’organisation et contrôle social », Connexions N° 41, Toulouse, Erès.

Ibid. p. 111

Cf. Supra. C’est sur la base de cette expérience qu’une action de formation recherche en lien avec l’ARIP et Transition est en cours avec les associations de l’UNASEA Bretagne sur cette question précisément de se laisser travailler par le non savoir au cœur de toute rencontre authentique, et donc de la rencontre éducative comme de l’action sociale en général.

Abdelaâli Laoukili, Ibid. p 108.

Ibid. p. 109

Jean-Pierre Lebrun, La perversion ordinaire, Vivre ensemble sans autrui , Editions Denoël, Paris, 2007, p. 177.

Jean-Michel Abry, « Le social et le médico-social à l’épreuve de sa déshumanisation », Connexions N° 91, Management et contrôle social, p. 172.

Ibid. p. 115.

Christian Hoarau, Jean-Louis Laville, La gouvernance des associations, Economie, sociologie, gestion, Erès, Toulouse, 2008.

Jean-Louis Laville, « Management et régulation dans les associations », in Connexions, Management et contrôle social, N°91, Erès, juillet 2009, p. 160

Ibid. p. 266

Ibid. p. 267

Idem.

Idem.

Ibid. p. 268

Jean-Claude Rouchy, Monique Soula Desroches, Institution et changement, Processus psychique et organisation, Ed. Erès, Coll. Transition, Ramonville Saint-Agne, 2004.

Blaise Ollivier…

Jean Lavoué, « Face aux demandes d’évaluation du travail social, comment garantir la place de l’humain ? L’évaluation qualitative au service du projet associatif et du changement, » Colloque Penser l’humain aujourd’hui, Confrontations, Paris, 14-15 janvier 2005.

Sous la direction de Jean Lavoué, S ouffrances familiales, souffrances sociales, Nouveaux contextes de la relation d’aide : quelles pratiques, quelles méthodes ? Actes du colloque organisé à Lorient par l’UNASEA Bretagne le 19 novembre 2002.

Jean-Claude Rouchy, Le groupe, espace analytique. Clinique et théorie, Toulouse, érès, Collection « Transition », 1998.

Jean-Pierre Lebrun, La perversion ordinaire, op. cit.

La gouvernace des associations, op. cit.

Joseph Haeringer, Samuel Sponem, « Régulation dirigeante et gouvernance associative », in la gouvernance des associations, Economie, sociologie, gestion , sous la direction de Christian Hoarau et Jean-Louis Laville, Erés, Toulouse, 2008, p. 233.

Ibid. p. 239.

Cf. Introduction

Joseph Haeringer, Samuel Sponem, op. cit. p. 243.

Robert Lafore, « Entre pouvoirs publics, associations et marché : l’ingénierie juridique dans l’action sociale », in Qui gouverne le social? Sous la direction de Michel Borgetto et Michel Chauvière, Ed. Dalloz, Paris, 2008, p. 44.

Joseph Haeringer, Samuel Sponem, op. cit. p. 244.

Sous la direction de Blaise Ollivier et Renaud Sainsaulieu, L’entreprise en débat dans la société démocratique, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris, 2001.

Blaise Ollivier, L’acteur et le sujet, Vers un nouvel acteur économique, Ed. Desclée de Brouwer, Paris, 1995. Renaud Sainsaulieu , Des sociétés en mouvement, La ressource des institutions intermédiaires, Ed. Desclée de Brouwer, Paris, 2001.

Jacques Généreux, La Dissociété, op. cit.

Renaud Sainsaulieu, L’entreprise en débat, op. cit, p. 205.

Jean-Pierre Lebrun, La perversion ordinaire, op. cit. p. 177.

Alain Caillé, Op. cit.

Renaud Sainsaulieu, op. cit p. 158.

Ibid. p. 160.

Ibid. p. 161

Ibid. p. 163.

Idem.

Ibid. p. 164.

Op. cit.

Dany-Robert Dufour, « La gouvernance comme nouvelle forme de contrôle social », in Connexions N° 91, op.cit, p. 42.

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