dimanche 10 septembre 2006
APPRIVOISER LE SILENCE DANS L’ACCOMPAGNEMENT D’UNE PERSONNE SOUFFRANT DE TROUBLES PSYCHOTIQUES
« Comprendre la psychose, ce n’est pas se faire expliquer la psychose, ni se faire enseigner une conduite à tenir, ce n’est pas démontrer un supposé mécanisme ni apprendre des statistiques la forme de cette étrangeté. C’est comprendre un peu mieux les diverses formes de transfert, contre-transfert, ce qui dans la psychose se passe, est passible (transpassible ?), ce qu’est cet autre, autre pris dans cette expérience humaine, la psychose. » 1
INTRODUCTION
Accompagner M. Mister, ne pas le toucher avec les mains et respecter ses longs silences lorsqu’ils se chargent d’une émotion difficilement perceptible !
Je me souviens d’un moment passé à regarder la TV. Nous étions assis côte à côte. Il semblait que par le silence un échange subtil se faisait . Le contenu devenait peu important mais j’avais l’impression qu’un profond respect alimentait le lien en cours de construction. Le dialogue était intérieur. La distance entre les deux fauteuils sur lesquels nous étions assis et le bruit de la TV devenait une sorte de tiers qui contribuait à une contenance nourricière du lien.
Voilà la situation qui est à l’origine de ce nouveau travail.
Mon précédent dossier traite d’une réflexion sur l’ambiguïté de la relation avec une personne psychotique dont on perçoit une souffrance avec laquelle il est compliqué d’entendre comment elle résonne chez soi. Echo silencieux d’une pensée ou d’un désir de mieux émettre les signes d’une forme de non-langage. Non-langage qu’il n’est peut-être pas si nécessaire de comprendre ou de se représenter, mais plutôt d’accueillir tel quel.
Qu’es-ce que cet écho silencieux ? Aborder cette question de la relation au résidant psychotique en tentant d’ écouter ce silence me confronte à nouveau à des manques théoriques ainsi que des limites psychoaffectives qu’il me faudra encore certainement explorer, expérimenter et pourquoi ne pas reculer.
Pour cela, nous aborderons des données théoriques, l’anamnèse de M. M. Mister, ainsi que des moments cliniques de sa vie quotidienne au Foyer dans lesquels nous tâcherons de pointer les effets du silence dans la relation.
Il s'agit également de mieux identifier le contenu et le sens de mon silence ; ses origines, ses peurs associées, le temps de l'accompagnement qui se vie aux confins des principes de plaisirs et de réalités. Je suis donc amené petit à petit à clarifier ce qui se « joue » (Winnicott) dans le transfert et surtout dans mon contre-transfert. Notamment lorsque parfois, son délire induit chez moi un contre-transfert inquiétant qui me renvoi à mes propres noyaux psychotiques.
Ce travail nous conduit dans les coins silencieux de la psyché, à l’image des spéléologues, qui, à la recherche d’espaces obscures, avancent progressivement vers des lieux non explorés. Espaces inquiétants de premier abord, mais qui, grâce à une lumière extérieure ou intérieure et à la foi de ceux qui osent s’y aventurer avec toutes les précautions que la vie exige, nous révèlent parfois des trésors.
I- PROBLEMATIQUE
Comment demeurer dans une proximité relationnelle suffisamment constructive, sachant qu’elle peut être vécue de manière très intrusive ou rejetante, dans le cadre d'un moi fragmenté d'une personne schizoparanoïde?
En quoi le silence est une modalité de communication qui peut faire liant dans la relation, favorisant l’échange et l’éclosion du sujet. Ou à l’inverse, il peut être un frein, voir un danger, un obstacle à la relation, chez le résidant comme chez l’éducateur?
Comment en tant que professionnel visant un processus de différenciation, voir d’individuation pouvons-nous « utiliser » le silence dans une démarche d’accompagnement d’une personne qui présente des troubles psychotiques ?
Il serait bien oser de ma part de répondre à ces questions avec toute la justesse qu’elles méritent. Cependant, nous tenterons d’approcher au moins quelques éléments de réponses.
Pour mettre en perspective cette problématique je propose :
1. Quelques hypothèses
2. Définir le cadre théorique.
3. Décrire comment, dans certaines scènes de la vie quotidienne d’un résidant nommé M. Mister et au travers de son anamnèse, le silence influence la relation d’accompagnement.
4. Tenter une analyse de la dynamique relationnelle à partir des scènes de la vie quotidienne de M. Mister, y compris les entretiens.
II- HYPOTHESE
Je remarque en effet, que plus je m’accorde le temps d’entendre, en faisant silence , pour sortir d’une sorte de pression intérieure ou extérieure qui m’impose de comprendre ou de trouver des solutions, plus les horizons de l’accompagnement s’élargissent, et finalement je vois naître le sujet chez le résidant.
Je note en effet, que faire silence démontre une action , une sorte de volonté qui invite à créer un espace intérieur. Espace qui ouvre, qui convoque l’autre à entrer en soi .
C’est très différent de se taire qui plutôt laisse entendre un bruit à l'intérieur, un volume son à baisser d’une façon un peu contraignante.
Le silence peut donc permettre d'ouvrir un espace psychique demeuré confiné derrière des défenses qui le protège de ses angoisses primitives. A l'inverse, il peut provoquer s'il est mal apprivoisé dans la relation transférentielle et surtout contre-transférentielle lorsqu'il s'agit d'un patient psychotique, un envahissement préjudiciable pour l’équilibre psychique.
Le point de vue que je viens de décrire ici est situé depuis la relation. Nous pourrions prendre un focus plus large comme celui du mandat éducatif du Foyer, donc de l’institution. C'est-à-dire : comment dans ce champs de l’éducation, la relation peut être prise en compte et quels sont les éléments intersubjectifs, interrelationnels qui favorisent la rencontre dans le champ socio-institutionnel, et notamment la place des lieux de médiation ? Nous en resterons cependant à une évocation contextuelle sans approfondir la question des effets spécifiques à la pratique éducative, pour nous en tenir à une clinique de la relation.
III- CADRE THEORIQUE
Ces notions de temps d’accompagnement, de respect de la distance physique ou psychique me renvoient à des concepts qui vont me permettre d’éclairer ce qui se passe (ou se transfert) au cœur de cette relation.
A partir de plusieurs auteurs :
D. Anzieu ; H. Searles ; W. Bion ; S. Freud ; D. W. Winnicott …J. Rouzel ; D. Roulot ; J. Schaeffer ; L. Grimaud.
Nous évoquerons ou définirons les concepts suivants :
Névrose et psychose, transfert et contre-transfert et espace intermédiaire ou encore enveloppe psychique.
Le processus principal de la névrose est le refoulement de désirs sexuels (le plus souvent œdipiens) dans l'inconscient, refoulement qui échoue et dont l'échec va s'exprimer sous la forme d'un symptôme (phobie, somatisation, obsession...). La notion de réalité est conservée.
Ø Danielle Roulot écrit :
« Il y a dans la névrose une tentative de fuite de la réalité qui va consister à remplacer la réalité indésirable par une réalité plus conforme au désir. La possibilité en est donnée par l’existence d’un « monde fantasmatique ». Or, ce monde fantasmatique joue le même rôle dans la psychose : « il représente le magasin où sont pris la matière et les modèles pour la construction de la nouvelle réalité. Mais le nouveau monde extérieur fantasmatique de la psychose veut se mettre à la place de la réalité extérieure ». C’est-à-dire que dans la névrose, on peut dire simplement que le sujet se détourne de la réalité, « il n’en veut rien savoir », dit Freud. Mais la réalité extérieure, même quand elle est submergée par la réalité psychique, ce qui arrive dans des états oniroïdes, crépusculaires, etc., n’est pas pour autant détruite.
Dans la psychose au contraire, la réalité extérieure est détruite, et c’est la réalité psychique qui vient se mettre « à la place » de la réalité extérieure. Je dirais plutôt, en ce qui me concerne, qu’il y a indistinction entre « réalité psychique » et « réalité extérieure » ; c’est ce qui se passe, par exemple, dans les phénomènes d’interprétation délirante ; si l’on étudie d’un peu plus près ce qui est en question à ce moment-là, on s’aperçoit que le contenu de l’interprétation délirante est en fait un contenu de pensée du sujet, mais nié en tant que tel.
Simplement, le contenu de pensée se trouve là, flottant, au niveau des objets de la « réalité extérieure...Laplanche et Pontalis, dans leur petit livre qui porte un titre énorme : Fantasme originaire, fantasme des origines, origines du fantasme, résument bien, je crois, la pensée de Freud en disant que « l’origine du fantasme est intégrée dans la structure même du fantasme originaire ». Comment Freud définit-il le fantasme originaire ? Il considère qu’il constitue une sorte de schème antérieur au sujet, que celui-ci doit nécessairement rencontrer… À tel point que Freud va jusqu’à le considérer comme un « patrimoine philo génétique ». Il dit : « Nous avons souvent l’occasion d’observer que le schéma triomphe de l’expérience individuelle. Ce sont justement ces cas-là qui sont propres à nous montrer l’indépendante existence du schéma...
Trois grands fantasmes originaires :
1 Le fantasme de la séduction, c’est le mythe de l’origine de la sexualité.
2 Le fantasme de la castration, c’est le mythe de l’origine de la différence des sexes.
3 Le fantasme de la scène primitive, c’est le mythe de l’origine de l’individu.
Cette dimension purement formelle de la scène primitive va constituer la matrice de toute « scène », c’est-à-dire que c’est, littéralement, sur cette base purement formelle – mise en place d’une scène comme « cadre » – que va se développer le fantasme comme scénario qui s’y déroule. La réalité psychique dont parle Freud va donc se jouer sur cette scène. Elle a « lieu » (au sens propre : elle a un lieu) sur cette scène, et elle va pouvoir rester distincte de la réalité extérieure. Autrement dit, c’est cette scène qui garantit la non-confusion de la réalité psychique et de la réalité extérieure.
Dans la psychose au contraire, un déni (c'est-à-dire la pure et simple annihilation de la représentation de la sphère psychique, à l’inverse du refoulement où elle devient simplement consciente) porte sur toute une partie de la réalité. Le psychotique a à faire au sentiment ou à l’angoisse de morcellement du corps et non comme, dans la névrose, à une simple angoisse de castration » 2 .
Il est aussi, comme l'a si bien décrit Searles : « au prise avec des hallucinations (auditives ou visuelles) horribles qui lui font « confondre » ou mélanger la réalité avec son imaginaire » 3 .
Ses mécanismes de défenses telles la projection, l'identification projective ou le clivage lui permettent bien souvent de supporter sa relation au monde.
Comme il le souligne : « l'instabilité symbiotique des frontières du moi rend impossible de savoir si la colère ou la dépression, par exemple, que l'on est en train d'éprouver sont les « siennes » propres, ou si l'on est en train d'éprouver violemment un sentiment du patient contre lequel il réussit à se défendre inconsciemment (comme par projection) » 4 .
Searles défini un processus du développement du moi dans la thérapie qu'il décline par les catégories suivantes : « symbiose pathologique, autisme, symbiose thérapeutique et individuation. » Ce que le patient aura à parcourir de ces différentes étapes dépendra du niveau de développement du moi qu'il a déjà atteint au moment où commence le traitement.
En ce qui nous concerne, il semble que certains moments vécus dans le silence avec le résidant ressemble à ce retrait dans l'autisme dans lequel une sorte d' « empathie » se crée (moment partager devant la TV). Ce que Winnicott nomme le « good enough holding environment » 5 .
Ø Jacqueline Schaeffer définit le transfert comme :
« Une manière de répéter des relations infantiles vécues ou désirées sur des personnes qui ne sont plus celles qui en ont été l’objet à l’origine. Il s’agit donc d’une fausse liaison, d’un leurre, d’un proton pseudos, comme dit Freud, d’un passé non révolu qui surgit dans l’actuel.
Nous croyons savoir, mais nous ne savons pas. Car le transfert est inconscient. Il existe dans la vie quotidienne, sans qu’on le perçoive. On ne le connaît que par l’interprétation de ce qui en surgit à travers les rêves, les symptômes, les actes manqués, et le dévoilement par l’analyste de ce qui est vécu dans la cure analytique. Donc toujours à travers le filtre de ce que nous appelons le préconscient, le lieu où se nouent les mots et les choses.
Du côté de l’analyste, on parle du contre-transfert. Soit celui-ci répond en écho au transfert du patient, soit il trahit la réaction d’une partie insuffisamment analysée de l’analyste. Car l’analyse n’est jamais achevée, on n’en a jamais terminé avec l’inconscient, ni avec le ça.
En fait, le psychisme est mû par une énergie, la motion pulsionnelle, la poussée constante de la pulsion, laquelle ne s’arrête jamais, sauf quand elle subit des opérations défensives du moi, lequel édifie des digues plus ou moins fonctionnelles, souvent désastreuses. Cette poussée pulsionnelle n’est jamais satisfaite, c’est pourquoi elle continue de pousser. « La pulsion est une excitation pour le psychisme », écrit Freud, en 1915 [1 http://www.spp.asso.fr/Main/ConferencesEnLigne/index.htm] … (elle) n’agit jamais comme une force d’impact momentanée, mais toujours comme une force constante », et, en 1933 [ http://www.spp.asso.fr/Main/ConferencesEnLigne/index.htm2] , après l’instauration de la deuxième topique et du ça, il persiste : « une force constante.. (à laquelle) l’individu ne peut pas se soustraire par la fuite… C’est de cette poussée qu’elle tient son nom de pulsion ».
La poussée constante est ce qui différencie la pulsion du besoin, lequel est périodique et peut, à la différence de la pulsion, obtenir satisfaction et satiété. Elle est également ce qui spécifie la sexualité humaine par rapport à la sexualité animale instinctuelle, périodique, soumise au rut et à l’œstrus.
Cette poussée constante pulsionnelle, c’est elle qui va animer le transfert de l’analysant, et le contre-transfert de l’analyste » 6 .
Ø Joseph Rouzel écrit dans un article:
« L’étymologie du mot « transfert » nous fait remonter jusqu’à une racine indo-européenne : « bher » qui se décline en – pher, en grec, donnant naissance à pherein, porter, phoros, porteur, et à métaphorein (d’où est issu notre métaphore) : qui porte au-delà…En latin c’est la filiation du verbe ferre, porter, supporter, qui nous amène à trans-ferre : porter à travers, transporter…
Dans l’acte éducatif il s’agit d’une intervention au plus près de la personne, faite d’observations et de dialogues, et irréductible au simple accompagnement social. Elle implique légitimement des pratiques d’interprétation des événements et comportements.
S’il existe bien une spécificité du travail social, elle réside dans cette capacité très développée d’entrer dans un lien assez intime avec un autre humain stigmatisé, ségrégué par les représentations sociales (schizophrène) et en souffrance… Cependant il ne suffit pas dans les métiers du social d’entrer en relation, encore faut-il faire quelque chose de ce lien particulier. « La psychanalyse en nous transmettant le concept de transfert et de son maniement va nous permettre de franchir un pas de plus. Savoir y faire avec le transfert, voilà la perspective incontournable pour soutenir une position clinique.»
La rencontre dans le transfert et la dynamique de la parole enclenchée est facteurs de transformation !
Sur le plan clinique, Freud précise que de son point de vue tout éducateur, tout travailleur social, devrait avoir une formation analytique. « Dans le cas contraire, affirme Freud sans équivoque, l’objet de ses efforts, l’enfant (entendons, l’infantile, l’enfant-roi, l’enfant merveilleux, le fond increvable de jouissance présent chez tout sujet) restera une énigme inaccessible » (dossier 1). Il ne dit pas que l’approche analytique permet de réduire l’énigme, ni l’opacité du sujet, elle en permet l’accès, notamment dans le transfert » 7 .
Certes, mais le transfert avec une personne psychotique n’est-il pas plus complexe ? Comment s’y prendre, en tant qu’accompagnant, pour discerner les contenus du transfert ? Il me semble parfois, que malgré certaines connaissances sur le sujet, je me trouve très démuni. C’est pourquoi j’investis dans ce dossier le « thème » du transfert.
Ce qui est fondamental selon moi, dans l’approche transférentielle, c’est qu’elle scelle toute rencontre humaine et évite de stigmatiser le sujet humain dans un discours médico-social ou psychopathologique.
Le travail auquel sont soumises les représentations inconscientes dans le transfert relève de plusieurs mécanismes ou processus principaux :
1 la condensation : des images concentrent une série de représentations.
2 le déplacement : une représentation est associée à une autre qui lui est contiguë. Soit on prend la partie pour le tout : une voile à l’horizon, pour un bateau ; soit on prend le contenant pour le contenu : boire un verre etc.
3 actualisation du passé
4 déplacement sur la personne de l’analyste. A ce déplacement de représentations projetées sur la personne de l’éducateur est adjoint un
5 déplacement d’affect d’une représentation à une autre
C’est ainsi qu’une représentation anodine, banale, peut déclencher des motions affectives intenses.
C’est dans le travail d’élaboration, de parole avec ses pairs, de transmissions faites au jour le jour… qu’apparaissent les coordonnées du transfert. Travail d’élaboration dont
6 l’association libre participe de la libération des vannes du refoulé. Le fait de parler – ce n’est pas spécifique à l’analyse – ça fait du bien.
Rouzel reprend les propos de Lacan en 1960 Lacan lorsque celui-ci, partant du Banquet de Platon, produit une définition on ne peut plus simple : « Le transfert, c’est de l’amour qui s’adresse au savoir »…« Chaque fois qu’un homme parle à un autre d’une façon authentique et pleine, il y a, au sens propre, transfert, transfert symbolique » Séminaire I, p.127 … L’éducateur doit se soigner de sa propension à vouloir le bien d’autrui. Il doit se maintenir comme pur objet d’illusion, sans se prendre pour cette illusion et sans la briser trop tôt. A partir de là il s’agit d’accompagner la personne selon les circonstances dans cette création que constitue le symptôme et de la soutenir dans ses tentatives d’arrimer sa création subjective à des manières de faire et de vivre socialement acceptables. C’est là que s’ouvre le champ des médiations éducatives, champ spécifique des éducateurs, champ d’exploration, champ ouvert pour qu’un sujet envisage un déplacement, de son symptôme, sans le gommer, un déplacement vers des objets, des manières de vivre, qui lui laissent une place dans l’espace social. Une place où il puisse se vivre comme un parmi d’autres. Dans ces médiations, quelles qu’elles soient, à caractère ludique, culturel, sportif, scolaires, professionnels etc., peu importe, l’important est que chaque sujet puisse explorer ses potentialités et se faire reconnaître à travers elles. Ce qu’on attend d’un éducateur c’est qu’il accompagne un sujet dans cette exploration où il apprend à faire dans l’espace social avec son symptôme ». 8
C’est donc dans la recherche de cette authenticité dans la relation, fruit également d’un travail contre-transférentiel, que la parole va faire son œuvre de destitution du supposé savoir à l’éducateur, construisant ainsi dans le même temps, un savoir du sujet sur le réel. A condition que l’éducateur soit lui-même destitué de sa propre illusion de savoir à la place d’autrui.
Nous pourrions aussi rajouter à ces objets; les théories ou le thème de ce travail qui intervient ici comme tiers dans la relation.
Ø Lin Grimaud écrit :
« Winnicott précise que se sentir réel est encore plus important que se sentir exister , et que nombre de ses patients sont en difficulté de ce point de vue. Il pense que le transfert analytique a un rôle à jouer dans l’ancrage du sujet dans son propre corps. Que le maniement des images est une activité humaine qui participe de la constitution de l’espace intermédiaire où se joue à la fois l’identité du sujet et son intégration sociale. Dans le silence, le monde des images, voir des pensées et des actes semble contraster avec la parole…
…En psychanalyse la recherche théorico clinique du thérapeute sert l’élaboration d’un matériel intermédiaire qui va permettre au patient de se sentir soutenu psychiquement pour entrer en contact avec son intériorité…Faire du sens commun avec de l’expérience privée, telle serait la fonction du transfert qui permet au sujet de s’affranchir de son enveloppe autistique primaire pour intégrer un lien d’appartenance socialisé. Il s’agit de comprendre ensemble, d’organiser notre monde intermédiaire, de confronter nos expériences.» 9
Or, comment organiser un monde intermédiaire (Winnicott) lorsque la relation est constamment soumise à des forces centripètes qui tendent à enfermer la personne souffrant de psychose dans un monde non différentiable où la pensée s’amenuise jusqu’à ne plus configurer aucune réalité subjective et objective ? Maintenir l’espace intermédiaire de l’éducateur grâce au silence qui fonctionne comme un bain nourricier dans lequel les images, les représentations, les sensations, les affects, les liaisons de pensée, sont conservées est une sorte de recours nécessaire mais pas toujours suffisant à la relation.
IV - ANAMNESE et SCENES DE LA VIE QUOTIDIENNE DE M. MISTER
M. Mister est né au Cameroun en 1981 (26 ans) où il a vécu avec sa mère, sa grand-mère ainsi que sa sœur cadette de 3 ans plus jeune. Il a eu des contacts discontinus avec son père. Le remariage de sa mère amène la famille à s’installer d’abord à Bienne, puis à Neuchâtel.
M. Mister termine sa scolarité obligatoire en 1998 (17 ans) date à laquelle sa mère et son beau-père retournent au Cameroun, alors que M. Mister reste à Neuchâtel dans un foyer pour jeunes apprentis et commence sa formation de menuisier. Il quitte ce foyer après une année pour des raisons financières et s’installe dans un autre, moins cher. Alors qu’il passe avec succès sa première année d’apprentissage, des difficultés de santé psychique l’amène à une première hospitalisation d’un mois.
Sa mère, qui entre temps s’est installée à Fribourg, l’envoie au Cameroun auprès de sa grand-mère. Là-bas, M. Mister passe également quelques temps avec son père. Divers comportements inadéquats inquiètent la famille tout au long de ce séjour qui dure finalement 2 ans. M. Mister ne peut plus rester avec sa grand-mère. Sa mère vient alors le rechercher pour le ramener avec elle en Suisse. Elle s’installe à Genève avec ses deux enfants après le décès du beau-père en juillet 2002.
M. Mister se replie de plus en plus sur lui-même. Il est hospitalisé début septembre 2002. En décembre, la mère décide qu’un retour à domicile ne lui est pas possible.
En juin 2003, il intègre le Foyer des Pâquis jusqu’en avril 2004 où il est à nouveau hospitalisé suite à une décompensation psychotique. Dans ce contexte, il est l’auteur d’un acte de violence envers un infirmier qui porte plainte. Le 8 février 2005 la chambre d’accusation conduit à un non-lieu et ordonne le traitement ambulatoire en vertu de l’art. 43 Code Pénal (obligation de soins).
Le CSP (Conseil de Surveillance Psychiatrique), qui surveille la bonne exécution de la mesure, a rencontré M. Mister le 6 juin 05 et demande la poursuite du traitement et des soins en cours.
Son traitement médicamenteux (neuroleptiques) est géré par l’équipe. Il se montre compliant et vient le prendre à l’heure dite. Une fois par mois, il se rend au Centre de consultation des Pâquis pour une injection retard de neuroleptique et tous le 15 jours pour une consultation avec son psychiatre.
Depuis le début de son séjour, il participe à toutes les activités du foyer (annexe1) et s’y rend à l’heure. Il se montre très réservé et ne communique verbalement que très peu même s’il investit les activités. Nous avons constaté qu’il aime participer au groupe sport. Durant le groupe expression, il nous a dévoilé une sorte de passion pour le dessin, activité solitaire.
Concernant sa tâche cuisine, nous pouvons dire qu’il s’y applique avec plaisir mais une aide de l’éducateur semble encore nécessaire pour contrôler sa dispersion.
De manière générale, M. Mister est très distant et peu bavard . Cependant, nous constatons qu’il a su créer des relations privilégiées avec d’autres résidants hommes du foyer. De temps en temps, il sort avec eux pour aller jouer à la salle de jeux du quartier.
M. Mister respecte, de manière stricte, l’ensemble des activités prévues par son planning individuel (annexe2). Il a une attitude réservée . Cependant par sa gestuelle il témoigne qu’il est sensible à tout ce qui se passe autour de lui. Lors d’un camp sur la Côte d’Azur M. Mister est très impressionné par l’immensité aquatique. A la surprise générale et sur sa propre initiative nous le voyons cependant nager quelques brasses dans un lac sauvage de l’arrière pays. La beauté du paysage et la chaleur semblent l’inspirer pour effectuer cette expérience.
Ainsi, dans notre relation avec M. Mister nous cherchons à lui ouvrir des espaces afin que de son propre chef il puisse nous surprendre de cette façon .
M. Mister apprécie les activités non formalisées par son programme. Par exemple, il aime les parties de baby-foot effectuées régulièrement avec ses référents et pendant lesquels il exprime beaucoup de plaisir. Il aime aussi les sorties à vélo le week-end, mais avec moins d’enthousiasme car elles le font parfois trop souffrir. Inévitablement il pense alors à son passé sportif qui semblait très prometteur (carrière de jeune footballeur professionnel) et où les efforts, d’après lui, étaient faciles. Cette comparaison provoque parfois de la tristesse ou encore de la révolte. D’après lui ce sont les médicaments et la psychiatrie qui lui ont enlevé cette énergie qu’il avait !
Le séjour de M. Mister se déroule sans trop d’embûches. Son état psychique reste stable. Il est ponctué par une période de pré-décompensation dans laquelle nous constatons une élévation de sa tension intérieure aux cours des relations avec certains résidants. Dans ce contexte, il demande alors une hospitalisation pour prévenir un passage à l’acte hétéro-agressif envers un résidant qui l’importunait par des comportements sexuels désinhibés.
Il explique d’ailleurs lors d’un entretien qu’il se sent encore aujourd’hui comme souillé physiquement par ce qu’il a vu. Il me reproche de ne pas avoir su le protéger de ces contaminations. Mais plus encore, je n’aurais pas voulu le protéger.
Cette courte hospitalisation (9 jours) a permis à M. Mister une mise à l’abri et une diminution de sa tension. Nous avons pu, à ce sujet, le féliciter car il a montré un discernement sur ses limites et une bonne utilisation de l’hôpital.
Nous voyons ici combien l’art.43 peut lui servir de cadre contenant. Limite externe, rappel de la loi réel et symbolique insuffisamment introjecté certes, mais utile toutefois pour prévenir parfois une désorganisation psychique aux conséquences violentes et destructives.
Le contact avec M. Mister est difficile. Comme mentionné plus haut, il est distant et réservé. Il se montre très vite persécuté lorsque nous lui posons des questions le concernant. Durant les entretiens, nous avons pu remarquer qu’il accepte mal les remarques que nous pouvons lui faire. Cependant, il respecte les consignes que les membres de l’équipe lui transmettent lorsqu’il en comprend le sens. Plus le temps passe, plus les repères au foyer, comme les liens avec ses référents semblent comme se sédimenter, et plus l’ouverture aux autres s’agrandit sensiblement.
Ainsi une ébauche de deuil sur ses limites tente de donner vie à une lente prise de conscience sur la nécessité d’une aide dans sa vie.
M. Mister est ponctuel et respectueux de son planning, il attend de notre part que nous le soyons aussi et il n’hésite pas à nous signaler nos moindres écarts. Il est très sensible à nos remarques et se sent très vite méprisé s’il nous arrive de hausser le ton de la voix ou d’entrer dans sa chambre sans se donner la peine d’attendre devant la porte. A notre décharge l’attente est parfois très longue. Il est très sensible par rapport au toucher des personnes qui l’entourent. Par exemple il refuse simplement de nous serrer la main. Toute une gymnastique est nécessaire pour lui donner ses médicaments car il ne faut surtout pas le toucher. Par contre avec la médiation d’une activité sportive qui se termine, il accepte avec le sourire, et sans crainte, une poignée de main chaleureuse. Un ballon de foot a disparu dans sa chambre et il s’imagine d’emblée que nous avons fouillé sa chambre et volé une partie de ses affaires.
M. Mister a passablement investi sa chambre il a accroché plusieurs posters autour de son lit. Il range bien ses affaires malgré le peu de place dont il dispose. Il soigne son look, son style est en adéquation avec son âge. Son hygiène personnelle est satisfaisante.
Sa chambre, demeure plutôt bien rangée et correcte sur le plan de l’hygiène.
Il se rend une fois par mois chez son assistant social au Centre d’Action Sociale et de Santé des Pâquis, celui-ci lui remet son argent de poche et l’argent des habits. Pour les repas il reçoit la somme hebdomadaire de son AS qu’il nous remet, puis le foyer lui restitue 15 frs par jour.
M. Mister semble gérer sans difficulté dommageable l’argent de poche dont il dispose.
Il revendique régulièrement la possibilité de s’installer dans un studio. Nous pensons pouvoir concrétiser ce désir dans un futur proche. Dans ce projet M. Mister est confronté à un principe de réalité. Ce qui lui donne l’occasion de gérer une certaine frustration. En effet, les studios du Foyer sont occupés pour l’instant.
M. Mister vient d’accepter depuis peu de temps de prendre seul ses repas de midi. Il semble avoir encore besoin d’une grande proximité vis-à-vis du foyer. Parfois, il s’installe devant la télévision pour jouer à sa console de jeux ou regarder un programme. Il apprécie énormément la musique et l’écoute durant la plupart de ses moments libres. Nous pouvons également l’entendre chanter de temps en temps.
En entretien M. Mister témoigne d’une certaine appréhension par rapport à des activités extérieures (occupationnelles ou de travail) surtout quand celles-ci pourraient se concrétiser assez vite. Un moment donné il exprime le souhait de reprendre une activité professionnelle. Il vit alors mal notre proposition de faire une évaluation au Centre d’intégration professionnelle. Il veut directement être engagé au service d’un patron. Cependant, après lui avoir expliqué le sens d’une intégration progressive avec soutien de professionnels qualifiés, il rectifie l’appréciation de ses capacités. Il pense que s’il était en état de travailler il ne serait pas là. Il a très peur de ne pas répondre aux exigences. Devoir se lever tôt le matin alors qu’il fait froid l’hiver lui semble être un défi impossible.
La vie au Foyer avec les groupes auxquels il essaye de prendre part de manière respectueuse lui suffit pour l’instant. Dès lors, nous constatons qu’il est important de respecter son rythme et que nous n’avons aucune raison de le bousculer davantage.
Pour provoquer un « déclic » d’ouverture sur l’extérieur nous pensons plus judicieux de lui proposer des occupations de loisir, plus acceptable pour lui, car à la signification moins oppressante par rapport à un projet professionnel. C’est dans ce sens que nous lui avons proposé de prendre part à l’activité football dans une association à caractère éducatif. Il a non seulement adhéré à l’idée mais il effectue maintenant des entraînements avec ce groupe.
Il a éprouvé du plaisir et il souhaite continuer cette activité.
Progressivement, avec l’aide de l’éducateur de cette association il a rejoint l’équipe réserve d’un club de la ville !
M. Mister nous parle très peu de sa famille, qu’Il voit régulièrement mais brièvement à l’extérieur. Cela constitue pour lui un jardin secret que nous tenons à respecter . Récemment il nous a parlé de la possibilité de réaliser un séjour au Cameroun. Il a cependant renoncé de sa propre initiative. Il ne se sentait vraisemblablement pas prêt pour un tel projet. Nous percevons là une sorte d’ambivalence craintive sur laquelle il conserve une attitude silencieuse.
Ce silence est l’un des traits de personnalité qui caractérise M. Mister. Tout comme d’ailleurs son accompagnement.
Une scène rapportée une collègue:
« Il vient chercher ses médicaments au bureau des éducateurs, et au moment où il arrive je vais chercher le traitement dans la pharmacie sans rien dire . Il m’adresse alors la parole et me dit quelque chose comme : « avec vous je n’ai pas besoin de dire toutes les politesses d’usage, vous savait très bien ce dont j’ai besoin sans que je doive le dire. Merci pour cela. » Il avait l’air sincèrement content .»
Le respect de ce silence a permis à ce moment précis, de vivre le sentiment d’être reconnu par lui comme une personne respectueuse de ses besoins ; ne pas parler, sa présence se suffit à elle-même.
Lorsque je lui demande s’il a toujours été silencieux, après les précautions d’usage (ses défenses paranoïdes) qu’il met en place, il me demande si je peux être méchant ou me mettre en colère…. ??? Il dit : « laisser faire le silence il apprend beaucoup de chose ! »
Comme si le silence permet de s’élever au-dessus de l’autre et installe une distance protectrice . Nous notons ici également une sorte de tentative de collusion narcissique de par une inversion du rôle. Je deviens celui qui reçoit la parole du sage éducateur ! Le silence est personnifié et semble investi comme un tiers mystérieux que nous partagerions sans en connaître son contenu.
Un entretien :
M. Mister évoque dans un discours délirant, des moments de son enfance ; vers 4-5 ans il joue avec une poupée. Il la berce devant moi, contre son cœur…silence… Je lui demande comment s’appelle cette poupée ? Il me prête des pensées de connaissances sur lui-même : vous le savez…silence. Il me répond : « Marquise ». « Une poupée noble, » lui dit-je. « Noble ?!... » Tous cela dans une atmosphère dans laquelle il se forme une sorte d’enveloppe qui nous contient tous les deux. Le silence ressemble à un espace, un interstice qui permet l’échange des contenus psychiques ; les pensées, les images-souvenirs. A qui s’adresse M. Mister dans cet entretien ? Quelle est sa demande ? Difficile de répondre : Il me semble toutefois que je suis en mesure d’accueillir dans une certaine tranquillité, les éléments que le silence permet de produire .
A ce propos, M. Mister me dit qu’il est au foyer pour mieux me connaître. Une sorte d’inversion de rôle, de nouveau. Sorte de défense dissociative à la limite de la dépersonnalisation.
Je me souviens alors, que quelques jours avant cet entretien je me disais que je connaissais peu de chose sur sa vie d’enfant, peu de représentation, et voilà qu’il me parle d’un souvenir d’enfance. Pour cela j’ai respecté les temps de silences tout en les interrompant de temps en temps pour leur donner plus d’efficience. En structurant le temps de parole de M. Mister, donc la psyché, et grâce à ma « fonction » de mère atmosphère, le délire est accueilli et le silence fait son œuvre de remémoration. Je lui permets alors d’associer des pensées.
Un entretien :
M. Mister présente un discours très délirants où se mêlent angoisses et menaces. Son attitude de toute-puissance évoque en sa personne un maître des lieux qui domine toutes les situations du Foyer des Pâquis. Il serait au foyer pour connaître les autres et comprendre ce qu’il a faire. Il se souvient qu’un ancien résidant l’a souillé de ses pourritures et que nous n’avons rien fait. Comme si ne pouvions plus le protéger. Il me prête des intentions de quelqu’un qui comme lui sait tout ce qui se passe ici. Recherche d’une connivence filiale peut-être ?! Me considère-t-il de manière transférentielle, comme son père ? Lorsque j’essaie de faire de courtes incursions dans la réalité, évoquant une future occupation de travail par exemple, il se tend et se sent très persécuté. Il est vrai que pendant cet entretien mon silence oscille et vacille entre la tentation de l’aider à se recentrer sur la réalité et accepter sa vérité délirante . Toutefois, lorsqu’il quitte l’entretien il retrouve une certaine sérénité.
Une scène :
Il serait intéressant ici d’interroger la contre attitude de l’éducateur. Or elle ne peut se faire car, comme je l’ai dit dans un précédent dossier (L’institution et la psychose ; une relation nécessaire et suffisante,(2005)), les orientations institutionnelles sont insuffisamment favorables à la prise en compte de la dynamique transférentielle. Cependant, suite à cet évènement je décide de rencontrer M. Mister.
Entretien :
L’atmosphère silencieuse « ma non troppo », contraste avec la situation de la veille et favorise l’accueil de la réalité psychique exprimée de la manière suivante : M. Mister évoque qu’il est au foyer chez lui ainsi que les résidants et le personnel. Il se voit comme « dominant » l’ensemble du territoire géographique et humain du foyer : « Je suis là pour vous connaître, vous le savez très bien et pour apprendre le métier d’éducateur que je connais déjà (injonction paradoxale) » dit-il.
Dans cet échange j’entrevoie le désir de M. Mister de lutter contre une sorte de déréalisation qui le menace. Il me semble alors primordial de garder le lien à la réalité. D’accueillir son délire, tout en percevant après recul et réflexion, la force de son identification projective qui tente de me mettre dans la situation fusionnelle au cœur de laquelle, lui et moi, serions au centre de la connaissance d’un savoir tout-puissant impartageable avec l’extérieur (symbiose thérapeutique-Searles).
On peut dire ici que le silence nous conduit aux confins de deux mondes dans lesquels les mots ont parfois du mal à supporter un langage fait d’angoisse. Que la substance de l’être est main-tenue par ce que M. Mister convient d’appeler pendant l’entretien l’ « honnêteté » (honnêt'tété).
V- ANALYSE
L’analyse de ce travail tentera de mettre en évidence la place du silence dans la relation entre M. Mister et l’éducateur. Pour cela, j’ai choisi de relever et de classer les données de la situation à partir du cadre théorique, de l’anamnèse et des diverses situations d’entretien ou autres qui se trouve rassemblées en annexe 3, même s’ils sont parfois insuffisamment discriminatoire, selon les items suivants :
Le silence finalement peut permettre ici de mieux percevoir et d’éprouver les conditions de vie intérieure. Chez M. M. Mister il est difficile d'entendre la souffrance en tant qu'éducateur. Parfois, il ne reste que le silence de l'impuissance que l'on tente de partager ensemble. Tantôt, c'est la haine destructive qui réagit à ce sentiment dépressiogène. Tantôt le combat s'installe dans cette relation symbiotique qui cherche une sorte de stabilité pour offrir au résidant la continuité d'une mère suffisamment bonne.
Le travail de Searles résonne profondément avec ma pratique car il prend en considération avec insistance le fait que, si je puis dire, nous sommes avec le patient psychotique dans la même « galère ». En effet, s'il est vrai que notre travail consiste à tenter d'aider le patient à « colmater » les discontinuités psychiques qu'il subit en agissant sur ses défenses grâce entre autre, à nos capacités de contenances, cela ne peut se faire que si l'éducateur, comme le dit Searles : « se met, à accepter de plus en plus librement le fait que le patient joue le rôle de barrière maternelle pour lui, l'analyste. Je conçois les choses ainsi: dans la mesure où l'analyste devient capable, sans gêne pour lui et en toute liberté, de s'immerger dans le patient autistique qui devient son univers (celui de l'analyste), le patient peut alors utiliser l'analyste comme modèle de ces besoins de dépendance primitifs, et il peut échanger petit à petit son ancien univers autistique contre l'univers consistant en, et personnifié par, l'analyste. » 10
Dans cette logique, Searles affirme que : le « fonctionnement autistique du patient lui sert d'écran maternel dans son propre fonctionnement du moi, l'analyste réagit comme la mère au moi fragmenté dont le moi, pour fonctionner, a exigé que le patient reste fixé au stade de l'autisme, fondement de l'existence précaire de la mère. Ce que l'analyste apporte ici de nouveau au patient, c'est qu'à la différence de la mère réelle il a un moi suffisamment bien intégré pour oser savoir combien est important pour lui ce patient, ce patient autistique qui au début, ne peut avoir avec lui de relation significative qu'en tant qu'écran maternel pour les composantes les moins intégrées de l'analyste lesquelles sont à la base du transfert du patient sur lui en tant que mère au moi fragmenté. » 11
Le discernement de ces faits m'aide à vivre la patience nécessaire à la construction d'un lien avec le résidant. Dans cette compréhension du développement du lien naît en moi une sorte de gratitude envers le résidant, ici, M. Mister. Disons un contre-transfert maternel. Je prends conscience que nous faisons chemin ensemble, d’une certaine manière, silencieusement.
S’il est vrai qu’avec M. Mister le silence se voile souvent entre nous d’une enveloppe psychique opaque, il laisse cependant entrevoir un monde obscur que le temps nous invite à éclairer progressivement par la création de nouvelles représentations. Nouvelles représentations dont il faut chaque fois vérifier si je puis dire, qu’elles soient supportables par un moi morcelé avant de lui restituer une interprétation.
Un peu comme si ce silence faisait fonction de voile protecteur entre sa psyché et la mienne. M. Mister se drape dans sa dignité. Se camoufle dans une grande toge comme s’il devenait intouchable, difficile à atteindre.
L’apprivoisement du silence nous impose ici beaucoup de délicatesse et de discernement dans la relation transférentielle et contre-transférentielle.
Je me suis surpris parfois, alors que M. Mister profère sur ma personne des paroles cassantes, à continuer l’entretien sans éprouver de douleurs particulières, mais plutôt de rester à l’écoute tout en laissant agir ma rêverie (Bion) pour tenter de distinguer dans cette force du silence la nature de cette attaque narcissique. Comme si à ce moment là, je lui laisse la possibilité de s’adresser à l’Autre. J’ai comme l’impression de faire un « pas psychique de côté ». J’ai noté ainsi que l’agressivité était comme amortie, ce qui permettait à l’entretien de continuer. Cela contribue me semble-t-il, pour M. Mister, à la restauration d’une fonction alpha (Bion).
Le silence ici offre une sorte de « lubrifiant » au transfert. Il aide le résidant à s’impliquer, pas toujours consciemment, dans une relation plus proximale tout en éprouvant une solitude. Il expérimente quelques instants sa solitude ontologique dans une paradoxale présence de l’autre (sa capacité à être seul (Winnicott)).
Le silence constitue donc un moyen privilégié d’appeler du tiers dans la relation transférentielle et favorise également la capacité de rêverie utile à l’élaboration du contenu transférentiel et contre-transférentielle à la fois.
C’est comme si le silence rappelle l’ombre du père qui apparaît autour la relation mère-enfant pour œuvrer dans la coupure originelle. Chez M. Mister cet ombre peut parfois être perçu comme une intrusion menaçante qui viendrait défaire l’unisson narcissique (Racamier) qui s’instaure notamment grâce aux identifications projectives sur ma personne. Silence qui se fait alors l’écho d’une incomplétude insupportable et dont M. Mister tente de se défendre en développant un délire dont le thème est souvent celui d’un être transcendant qui connaît le mystère des évènements du monde.
Nous pouvons tenter de résumer les choses ainsi :
Le recours au tiers grâce au silence facilitateur (de la capacité de rêverie entre autre) ou empêcheur (intrusion persécutrice), vise donc à rappeler, formellement ou non, à l’éducateur et au sujet avec qui il est en relation, que leur incomplétude est structurelle et qu’aucun des deux ne peut donner à l’autre ce qui lui manque fondamentalement, fût-ce dans une relation très étroite.
Il est vrai, comme je l’ai dit plus haut, que pendant les moments de silence avec M. Mister, qui sont aussi des moments de rêverie ou d’inquiétudes, il m’arrive fréquemment de faire appel aux théories.
Par exemple, lors d’un entretien, je m’imagine comment aurait pu être M. Mister vers l’âge de 8-10 ans dans les rue du Cameroun avec les petits copains de son âge lorsqu’il jouait au foot. Peut-être cette pensée est-elle celle d’un contenu contre-transférentiel dont un certain trauma est encore enfoui plus ou moins consciemment en moi ?
Je l’imagine timide et silencieux n’osant jamais se proposer comme leader de l’équipe mais l’espérant de toutes ses forces. Je fais alors le lien avec le concept de la mère atmosphère qui ici, dans l’entretien, permet à M. Mister de recevoir du bon lait lorsqu’il se sent valorisé comme une personne dont le passé l’origine au moins dans ma psyché.
Aussi, le trauma n’appartient-il jamais au seul traumatisé. Le sujet affecté du trauma affecte son environnement (l’éducateur).
Son silence qui souvent signifie socialement l’absence d’une possibilité de dialogue avec lui, nous laisse parfois aux prises avec l’étrangeté de l’être et nous convoque en tant qu’éducateur, en lieu et place d’un trauma intrapsychique profond.
CONCLUSION
On a vu dans ce travail l’importance de la problématique silence avec M. Mister. Et celle de l’implication du transfert et du contre-transfert.
L’investissement contre-transférentiel de l’éducateur est d’autant majoré par une difficulté chez M. M. Mister à transférer. Ce qui contribue parfois, à une sorte de fusion des enveloppes psychiques (Anzieu) pour n’en former qu’une qui vient réduire l’espace intermédiaire et le rend moins efficient au jeu de la relation.
L’accueil du silence peut servir de tiers si le délire ne vient pas trop envahir la pensée de M. Mister, ni les représentations ou les fantasmes de l’éducateur. Lorsque ces mêmes fantasmes ne s’imprègnent pas d’un sentiment inconscient de toute-puissance.
Dans cette relation avec M. Mister j’ai été amené à apprivoiser, voir « exploiter » le silence, lorsque j’ai su écouter la souffrance même si je n’en comprenais pas toujours le sens.
Ce travail m’a permit de garder un investissement affectif et de conserver une suffisante capacité de rêverie même lorsque parfois la violence du passage à l’acte menaçait.
Cependant, malgré cet apprivoisement relatif du silence, la relation avec M. Mister demeure entamée par un délire de persécution persistant et qui résiste bien souvent à l’action bonifiante du silence. Celui-ci ne rempli pas toujours un rôle de pare-excitation suffisant.
Je crois toutefois que M. Mister m’a donné de mieux discerner sa souffrance car il a su me toucher. A l’instant où j’écris ces lignes il est hospitalisé pour une nouvelle décompensation et j’avoue que cela m’attriste beaucoup. Son silence résonne en moi comme une absence très présente.
Ai-je toujours, bien entendu M. Mister? Je peux dire toutefois que par son silence, le miens ou le notre, nous avons tenté de communiquer en cherchant à éprouver, en ce qui me concerne le plaisir de découvrir du nouveau en moi et dans l’autre.
Bibliographie
Ø Grimaud L. (2005), art., « Le transfert comme matrice figurative » www.psychasoc.com/textes.php
Ø Petit D. et Pallone J. (1999), art., « Comprendre la psychose : implications institutionnelles » www.carnetpsy.com
Ø Roulot D. (1988) , art., « Greffe de transfert, bouture de fantasme » www.cliniquedelaborde.com/
Ø Rouzel J. (2003), art., « Le transfert et son maniement dans les pratiques sociales » www.psychasoc.com
Ø Rouzel J. (2006), art., « L’acte éducatif, un engagement dans nos pratique professionnelles » www.psychasoc.com.
Ø Searles H. (1979), « Le contre-transfert », Paris, Gallimard, 1981
Ø Schaeffer J. (2006), art., « Transfert et contre-transfert ; Différence des sexes et des générations dans le transfert et le contre-transfert » www.spp.asso.fr/Main/ConferencesEnLigne/index.htm
1 Petit D. et Pallone J. (1999),art., « Comprendre la psychose : implications institutionnelles » www.carnetpsy.com
2 Roulot D. (1988) , art., « Greffe de transfert, bouture de fantasme » www.cliniquedelaborde.com/
3 Searles H. (1979), « Le contre-transfert », Paris, Gallimard, 1981
4 Searles H. op. cité., p27-28
5 Searles H. op. cité., p35
6 Schaeffer J. (2006), art., « Transfert et contre-transfert ; Différence des sexes et des générations dans le transfert et le contre-transfert » www.spp.asso.fr/Main/ConferencesEnLigne/index.htm
7 Rouzel J. (2003), art. « Le transfert et son maniement dans les pratiques sociales » www.psychasoc.com
8 Rouzel J. (2006), art., « L’acte éducatif, un engagement dans nos pratique professionnelles » www.psychasoc.com.
9 Grimaud L. (2005), art., « Le transfert comme matrice figurative » www.psychasoc.com/textes.php
10 Searles H. op. cité., p38
11 Searles H. op. cité., p39
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