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Un dragon sur le divan. Chronique d’une psychanalyste en Chine

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Un dragon sur le divan. Chronique d’une psychanalyste en Chine
érès
31/01/2017

Pascale Hassoun, Un dragon sur le divan. Chronique d’une psychanalyste en Chine , Editions érès, 2017.

Mettre un dragon sur le divan, quelle idée !  Le dragon au souffle puissant  en Chine est une représentation mythique des forces de la nature. Ça se dirait un peu chez les grecs anciens : psukè , le souffle vital, qui anime le corps humain. Qu’on l’ait traduit pas « âme » paraîtrait bien incongru pour ces anciens grecs. Mais qu’on l’allonge sur un divan, le dragon chinois ou le souffle grec, cela renvoie à l’invention d’un petit médecin juif de la fin du XIXème siècle, Sigmund Freud, la psychanalyse. Psukè-ana-lusis , ou la dissolution de ce qui encombre le souffle de vie, notamment dans son expression de parole.

Pascale Hassoun, dans un livre comme je les aime, où le psychanalyste n’hésite pas à mouiller sa chemise, allonge le Dragon chinois sur son divan itinérant. 

L’histoire a commencé il y a belle lurette. Il se trouve qu’un jeune homme aux fins fonds de la Chine dans le Sichuan, à Chengdu, Huo Datong, entend parler par des voies obscures, de la psychanalyse. Il a un copain  écrivain à Paris, Dai Sijie, qui l’accueille en 1986.  Il va voir Michel Guibal avec qui il entreprend une psychanalyse, tout en poursuivant des études à Paris VI, jusqu’à un doctorat à l’EHESS. La légende (que m’a confiée l’ami Guy Massat, qui vient de publier une nouvelle traduction du Dao Té Jing  à la lumière de Lacan, L’Harmattan, 2016)  veut qu’il ne parlait comme autre langue que la sienne, qu’un peu d’anglais. Mais le psychanalyste lui demande de parler dans sa langue natale, langue que lui ne parle que fort peu. Le psy va travailler sur les intonations, la musique de l’énonciation, les ponctuations…  Cela me rappelle ce que racontait François Tosquelles à propos de son psychanalyste allemand chez qui il entreprit un travail dès l’âge de 15 ans. Celui-ci fuyant le nazisme ne parlait pas le catalan, dans lequel s’exprimait Tosquelles. Mais comment faites-vous ? s’étonna le père. En peu de temps j’ai appris la moitié du catalan. Tous les deux mots on dit : merda ou ma cagoun déou. Donc il suffit d’entendre ces deux mots et on comprend la moitié du catalan ! Travail sur la musique de la voix, au ras de la pulsion qui provient de cet « écho dans le corps du fait qu’il y a un dire » (Lacan). Sai Sijie a donné quelques années plus tard une version truculente du parcours de Hua Datong   dans un beau roman  Le complexe de Di (Folio Gallimard, 2005). Huo Datong, rentré au pays en 1999, crée à l’Université de Chengdu un centre d’enseignement et de traitement analytiques. En 2002 il met en place une formation universitaire de psychanalyse et de psychologie thérapeutique.

C’est ainsi que Pascale Hassoun, par le biais de Michel Guibal (qui vient malheureusement de nous quitter en mars 2017) se retrouve dans le sillage de Huo Datong. Elle est courageuse. C’est un bon petit soldat de la cause analytique. Tel les jésuites missionnaires,  «  mes bibles freudienne et lacanienne à la main, je suis partie en 2003 évangéliser la Chine avec un enthousiasme certain. » Et elle ajoute,  ce qui donne toute sa perspective à l’ouvrage : « Au moment où j’écris ces lignes, c’est à dire treize ans plus tard, mon regard  est plus nuancé et sans doute plus réaliste ». Que s’est-il passé entre temps ? L’enjeu (l’ange !) de la transmission de la psychanalyse s’est heurté non seulement à la muraille (de Chine !) de la langue, mais surtout aux structures psychosociales de l’Empire du Milieu. Ainsi la structure familiale est articulée sur trois générations : les parents travaillent et confient leur enfant (unique, c’est la loi) aux grands parents ; la question de l’Oedipe chemine par d’autres voies qu’en Occident ; les sentiments d’abandon précoce des enfants sont tenaces ; la place des femmes, dont l’auteur se soucie tout au long de son cheminement, s’avère très difficile etc.  Il lui a fallu se plier à cette réalité toute autre, sans lâcher la main courante de l’éthique de la psychanalyse « … cette discipline… qui vise à déployer l’espace des désirs et leurs conflictualités. » Cette discipline,  elle l’a faite sienne au long d’un travail acharné sur le divan, où comme tout analysant, elle dut frayer avec ses propres dragons. Travail prolongé dans des espaces de transmission comme le Cercle freudien, dont elle fut la cofondatrice. Elle sut aussi mettre à l’épreuve son expérience dans des institutions sociales et médico-sociales pour enfants ou adultes. 

Dans les méandres de ce nouveau monde, Huo Datong va se faire son passeur. La montée en puissance de l’individualisme après la Révolution Culturelle s’accompagne d’une désertification des campagnes, de l’apparition de nouvelles classes  sociales en ville, d’un boum économique sans précédent avec les retombées douloureuses de l’isolement des citoyens et d’une fétichisation de la consommation… Dans un tel contexte, constate l’auteur,  la psychanalyse devient « désirable ». La psychanalyse ou quelque chose qui s’en rapproche, précise-t-elle. De nombreux jeunes chinois appartenant à la classe montante, relativement aisée, sont en souffrance. Ecartelés entre une tradition où le confucianisme et la piété filiale font encore points de repère et un capitalisme qui explose, entre valeurs traditionnelles et valeur marchande, ils ont bien du mal à retrouver le sens de leur vie et de la relation humaine. Il a donc fallu accepter que la discipline analytique, dans sa pratique et sa théorie, trempée dans le bain socioculturel chinois, en ressorte avec des teintes et coloris qui lui sont propres. Il a donc fallu à l’auteur sortir des sentiers battus, aller à l’école de ses jeunes élèves chinois et se laisser enseigner. Et cela pas sans résistance. Le malentendu s’est étalé d’emblée.
 Ses interlocuteurs chinois sont en attente d’une science estampillée occidentale et d’un savoir applicable. La difficulté réside en ce que la psychanalyse n’a rien d’une science au sens propre, mais relève d’une épistémologie de caoutchouc, pour reprendre une allusion de Lacan, où savoir ne pas savoir participe de l’éthique. La psychanalyse ne s’apprend ni dans des livres ni dans des formations,  souligne Freud dans sa préface  de 1925 à l’ouvrage d’August Aichhorn ( Jeunes en souffrance , Champ Social, 2000)  mais « à même son corps ».  Il faut en faire l’épreuve pour soi-même pour la transmettre. En soi elle s’oppose à toute forme de maitrise pragmatique. Lever le malentendu est passé pour Pascale Hassoun par des doutes, des incertitudes, mais aussi des inventions subtiles à travers des rencontres étonnantes  qui l’ont, si j’ose dire, remise d’aplomb « Non sans surprises ni secousse ».

De fil en aiguille on suit le récit passionnant de cette aventure en terre lointaine, qui fait de la psychanalyse un universel du particulier. On reprochait à Freud d’écrire des romans dans ses cas cliniques, il en va de même ici. Et loin du reproche, le style témoigne de l’intensité de la relation humaine où il prend sa source. Alors que tant d’ouvrages paraissent aujourd’hui, pinaillages sans fin et sans souffle de concepts désertés du vif de la clinique. Les exposés vivants de situations et d’enseignements, les supervisions individuelles et collectives, l’animation de groupe de travail, les séances de lecture d’auteurs,  la participation à des colloques, les interventions dans des écoles et des centres spécialisés, les échanges très longs de courriers…  parsèment ce bel ouvrage. On voit combien « la racontouze », chère au cœur de Georges Pérec, cet art  si singulier du récit, a force de théorisation. Détournant le titre d’un ouvrage de Maud Mannoni je prônerai ici une « fiction  comme théorie », tant l’avancée de l’auteur se modifie au fil des ans, se fait élastique et fluide, abandonne les présupposés dogmatiques qui pesaient d’emblée sur l’entreprise, s’ouvre à l’inconnu et l’insu, à l’énigme du transfert… Du coup l’ensemble constitue un véritable récit clinique, - chronique, porte le sous-titre -, au sens où le bon Hippocrate pouvait parler de teknè  klinikè , technique clinique. Cette technique qui anima les premiers médecins grecs, qu’il faut  entendre  au sens du savoir-faire, du tour de main du praticien, à s’incliner (même radical) sur le lit où la souffrance, les vacheries de la vie, ont allongé le malade. La clinique analytique ne se cantonne pas au cabinet sinon jamais Pascale Hassoun n’aurait pu y allonger le dragon chinois. Elle fait flèche de tout bois, se produit, en acte,  dans les interstices inconscients de la rencontre humaine. Remercions ici Pascale Hassoun de renouveler, une fois encore, la geste freudienne, de la dépoussiérer, de lui rendre ce visage ouvert que lui offre l’enthousiasme des commencements qui… n’en finissent pas.

Joseph Rouzel, psychanalyste, formateur, superviseur, écrivain, directeur de l’Institut Européen psychanalyse et travail social (http://www/psychasoc.com)

rouzel@psychasoc.com   

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