mercredi 26 novembre 2003
Il y aurait peut-être intérêt, en matière de voile, qui agite tant les esprits en ces temps obscurs, à faire un pas de coté. Laissons à l’écart l’aspect prétendument religieux de l’affaire. Laissons également tomber l’aspect ostentatoire vestimentaire. Laissons filer l’aspect législatif embourbé en : « faut-il ou non interdire ? » Ces entrées fonctionnent comme écrans et empêchements à penser.
Qu’est-ce qui reste ? Une question : qu’est ce que cache le voile ? Qu’est-ce qu’il s’agit de voir et de montrer en même temps, pour celles qui en sont les actrices, et qui se dissimule dans un mouvement de cache-cache ? Un évidence tombe sous le sens : ce voile ne concerne que des femmes. A ma connaissance aucun jeune homme ne s’est présenté à l’école voilé. Ça devrait nous mettre la puce à l’oreille. Il y aurait donc dans le corps féminin quelque chose qui ne peut se montrer que voilé ? Alors sous le voile : vois-le. Mais quoi ? Continent noir nous dit Freud. Jouissance féminine, nous précise Lacan. Gorgone enjôleuse, pointe la mythologie grecque. Sorcière, hurlent les inquisiteurs de tous temps et de tous poils. Rappel horrifié du corps maternel interdit et donc désiré, confirment les psy. Qu’est ce qui fait si peur dans le corps des femmes pour qu’on le dissimule sous des burkas, des chiffons, des fichus, des oripeaux qui ne font que masquer ce qui ne devrait pas être vu. Alain Souchon, qui n’a pas froid aux yeux, avec son compère Laurent Voulzy a osé une réponse, enfin plutôt une question : qu’est-ce que se cache sous les jupes des filles ? C’est un bon point de départ pour réfléchir. Evidemment la réponse est à la foi simple à formuler et complexe à penser : rien. Autrement dit, on fait l’hypothèse avec Freud, mais aussi des siècles de représentation sociale du masculin et du féminin, qu’il n’y a qu’un « outil » de discrimination entre hommes et femmes : le phallus, pénis érigé à l’état de symbole. Ce qui fausse le jeu, c’est qu’on détermine alors, de façon très imaginaire (c’est bien lié à l’image), deux catégories d’humains : ceux qui l’ont et celles qui ne l’ont pas. Ça semble donner l’avantage à ceux qui en sont pourvus. Ils s’estiment alors posséder une petite différence, sous forme d’un plus. Monsieur plus en quelque sorte. Une prime de la nature. D’où sans doute un combat sans fin contre ces incarnatrices de l’en moins. Menace de castration, susurre Freud dans sa barbe. Au fond les hommes, comme les femmes savent qu’ils sont castrés, non pas qu’on leur ai coupé les couilles ou arraché les ovaires, mais parce que l’entrée dans la culture et le langage les a constitués comme manquants. De ça ils n’en veulent rien savoir. L’anatomie féminine présentant dans sa constitution, dans sa « fente », le rappel de ce manque fondateur, les hommes vont la voiler, pour rouler leur caisse. C’est un tour de prestidigitation à l’envers. On constate qu’il n’y a rien dans le chapeau et que donc, mesdames et messieurs, soyez bien attentifs, rien n’en sort. Les femmes, pas dupes, entendent alors mettre en scène ce « petit rien ». Ça emberlificote sérieusement le prestidigitateur dont le prestige en prend un coup. Le pot-aux-roses risque d’être … dévoilé, sous le voile. Vous me direz, il y a du mieux, hier on les brûlait. Aujourd’hui, elles se voilent.
Comment en sortir, si ce n’est en traversant l’imaginaire de la différence anatomique des sexes, pour déboucher sur l’appareillage symbolique du corps humain dans l’ordre de la sexuation. La sexuation relève d’un choix du sujet et répond à la question : dans quelle catégorie vais-je ranger mon corps ? Cette question ne trouve sa réponse que dans l’ordre de la parole et du langage. On appelle ça, surtout au moment de l’adolescence, une recherche d’identité sexuelle. Du coup la question du voile réveille ce que soulevaient les hystériques à la fin du XIXè, et qui ont enseigné à Freud les prémisses de la psychanalyse : là où les femmes ne sont pas entendues, dans l’espace familial et social, elles vont se faire voir, soit dans des manifestation physiques (« conversion hystérique », précise Freud); soit dans des comportements et des habillages. Comment passer du voir au dire ? Du voile au : vois-le, parlons-en, et au-delà du voile, parlons-nous?
La réponse ne serait pas alors de légiférer, voire de rejeter de l’Ecole, comme le furent récemment deux jeunes filles prises dans cette revendication de se faire reconnaître, mais d’intégrer au sein de l’Ecole, ce qu’il en est de la différence homme/femme. 1 Je partage l’avis de Gabriel Cohn-Bendit, instituteur de son état, que c’est en accueillant ces jeunes filles à l’Ecole que le débat démocratique, avec les camarades et les professeurs, peut faire avancer la question. Il faut croire qu’elle dérange sacrément pour qu’on ne cesse de refouler dans le marais de la religion et du communautarisme, celles qui s’en font les porte-voile.
1 Le prochain colloque de Cultures en mouvement, à Cannes du 7 au 10 juillet 2004 portera justement sur ce thème : « Femmes/hommes. L’invention des possibles ». Cultures en mouvement. BP 155. – 06603 Antibes Cedex.
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