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Transfert

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Dominique Fabre

jeudi 19 octobre 2006

Ce texte est celui d’une intervention faite dans le cadre des enseignements du Cardo de l’Ecole de Psychanalyse Sigmund Freud. Le public devant lequel il fut présenté et auquel il s’adressait était principalement composé de non analyste.

Petit préambule pour en expliquer le style oral de sa rédaction

TRANSFERT

Le transfert auquel nous allons nous intéresser aujourd’hui sera le transfert dans la psychanalyse.

Cette phrase en introduction mérite déjà que nous nous arrêtions. Que nous nous arrêtions sur ce petit mot cette préposition, position initiale, «dans». Le transfert dans la psychanalyse. C’est une préposition, pas si anodine que ça. Elle me permettra, à ne point passer trop vite dessus, à vous introduire à ce que je veux nous amener à entendre aujourd’hui.

Ce «dans», que vient-il dire ou interroger :

Si le transfert est «dans la psychanalyse» cela veut-il dire qu’il soit aussi ailleurs, en dehors ?

S’il est «dans la psychanalyse» il n’est pas «de la psychanalyse», le transfert n’est-il donc pas une construction de la psychanalyse ?

Si ce «dans» vient dire qu’il est au cœur de la psychanalyse, a entendre comme au cœur de l’expérience, de la cure, mais aussi au cœur de son invention faite par Freud Nous essaierons alors de repérer et définir ce qui se nomme particulièrement transfert dans la psychanalyse, et la place qu’il occupe dans la technique psychanalytique

Sigmund Freud, père de la psychanalyse a-t-il été aussi l’inventeur du transfert ? La réponse est oui, à la seule condition que nous nous déprenions de cet imaginaire commun qui fait de l’inventeur un créateur. C’est l’archéologie, dont Freud était passionné en ce qui concerne l’Egypte, qui me permettra d’éclairer cette notion de l’invention Freudienne.

L’inventeur, dans le domaine de l’archéologie est le titre qui est donné à celui qui fait la découverte d’un objet du passé, d’un trésor. Cet objet n’est pas une création puisqu’il préexistait à la découverte. Nous pourrions dès lors qualifié cet objet comme non-su, la découverte de l’inventeur étant de l’amener dans le champ du savoir.

Si le transfert préexistait à la psychanalyse, qu’était-il ? Cette idée d’un avant la psychanalyse je l’aborderais d’un, hors de la psychanalyse, pour mieux y revenir.

Nous pourrions convenir que le transfert concerne tout ce qui est de l’ordre de la relation d’un sujet à l’autre, ««le transfert» s’établit spontanément dans toutes les relations humaines» (Cinq leçons sur la psychanalyse, S. Freud, Payot p. 62). Cela veut-il dire que par exemple en ce moment nous sommes en train de vivre une expérience de transfert… Oui ! Vous vous êtes déplacé pour venir assister à une intervention concernant le «transfert ». Chacun est là en tant que sujet dans une démarche individuelle et singulière. Vos attentes sont diverses, elles peuvent aller de la quête d’un savoir sur le transfert, de la nécessité d’une vérification du savoir où des idées que vous vous faites sur le transfert, certains peuvent même être là pour vérifier qu’effectivement tout ce que disent ces «psy » c’est bien loin de la réalité, c’est même peut être un ami qui vous a traîné ici. Vous êtes donc là pour confronter votre démarche au matériel qui vous sera livré par l’intervenant, moi en l'ocurence. Le mode et la raison de votre démarche tel que j’en ai évoqué quelques exemples induisent dors et déjà que vous prêtiez une place particulière à l’intervenant, pas à sa personne pas à son nom, mais sur ce qu’il représente d’un possible savoir sur un des concepts fondamentaux de la psychanalyse. Je parle de vous, mais sachez que je ne suis pas absent de cette affaire. Pour qu’il y ait du transfert il en faut au moins deux. C’est parce que j’ai accepté de me prêter à cet exercice de vous entretenir du transfert que je suis ici. Je me suis supposé un auditoire, avec des attentes et des questions qui m’ont permis de rédiger ce texte. Vous étiez là avant même d’y être ou de le savoir .

Pour me dégager de cette question d’un transfert avant ou hors de la relation psychanalytique je prendrais appui sur Lacan dans son séminaire XI «les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse » en faisant une longue citation. « Ce concept (le transfert) est déterminé par la fonction qu’il a dans une praxis. Ce concept dirige la façon de traiter les patients. Inversement, la façon de traiter commande le concept. Il peut sembler que c’est là, dès l’abord, trancher d’une question de savoir si le transfert est, ou non, lié à la pratique analytique, s’il en est un produit, voire un artefact… De toute façon, ce n’est pas trancher la question que d’amener ainsi son abord. Si même nous devons considérer le transfert comme un produit de la situation analytique, nous pouvons dire que cette situation ne saurait créer de toute pièce le phénomène, et que, pour le produire, il faut qu’il y ait, en dehors d’elle, des possibilités déjà présentes auxquelles elle donnera leur composition, peut-être unique… Simplement, l’analyse, à les découvrir, permettra de leur donner un modèle expérimental, qui ne sera pas différent du modèle que nous appellerons naturel. De sorte que faire émerger le transfert dans l’analyse, où il trouve ses fondements structuraux, peut fort bien être la seule façon d’introduire l’universalité de l’application de concept. ». Pour paraphraser Lacan c’est le repérage et l’élaboration du concept de transfert dans la pratique et la technique analytique qui nous permet et nous autorise de le concevoir comme préexistant à la psychanalyse, fonctionnant et à l’œuvre hors du cadre de la psychanalyse

Ce faisant par quel processus, quelle chicane Freud est-il passé pour arriver à repérer un tel fonctionnement et l’établir comme l’une des bases, l’un des concepts fondamentaux de la psychanalyse. En 1888 Freud qui est alors installé depuis un an et demi en son cabinet du 7 Rathausstrasse à Vienne en tant que médecin spécialisé en neuropathologie n’est pas satisfait par les résultats des méthodes les plus répandues alors, électrothérapie, massages, hydrothérapie. Il décide de se former à une nouvelle technique l’hypnose qui commençait alors à se populariser et se rend à Nancy chez Hippolyte Bernheilm. Ce traitement consistait à mettre le malade sous hypnose afin de lui suggérer que son symptôme n’existe pas. Il trouve que les résultats sont peu concluants, Freud faisait le reproche à cette technique de laisser de coté et en souffrance les sujet résistant à la suggestion. C’est à nouveau de ses échecs thérapeutiques répétés que Freud décide d’utiliser la méthode dite «cathartique » de son ami Breuer. La différence avec l’hypnose est de taille même si elle en utilise à ses débuts encore l’artifice. La méthode cathartique permet, dans ses débuts sous hypnose, au sujet d’évoquer et même de revivre les événements traumatiques auxquels ces affects sont liés et d’abréagir, d’objectiver par la parole l’événement traumatique afin de le libérer des affects qui le rendaient pathogène. Freud laissera rapidement tomber l’hypnose pour se contenter de suggérer, de convaincre le malade de sa capacité à ce remémorer la scène traumatique, pour finalement ne même plus recourir à la suggestion laissant libre cours à la parole et aux associations du malade. Nous sommes donc passé d’une technique déniant toute expression du sujet au travers de ses symptômes - et ne nous moquons pas trop vite de tels procédés qui peuvent nous paraître archaïques car ils sont encore d’actualité dans nombre de psychothérapies dites comportementalistes, à prendre comme satire de telles dérives le sketch du comique Dany Boon «je vais bien tout vas bien » - à une méthode consistant à poser comme axiome «dite ce qui ne vas pas, vous verrez, çà ira mieux après », je puis parier sans prendre trop de risques que bon nombre d’entre nous ici présent l’ont pensé ou proposé au moins une fois dans leur vie, pour en arriver à l’écoute du dire du malade sans contrainte, sans suggestion, ne se fiant qu’aux libres associations du malade (dire librement tout ce qui lui vient à l’esprit sans retenue), et que l’on peut qualifier de technique psychanalytique

J’ai fais un tel détour dans l’histoire pour que vous ayez les bases les marques nécessaires à cette découverte du transfert faite par Freud. C’est des propos du patient ou remises en actes sous hypnose de scène traumatiques, sans liens directs apparents avec les symptômes du malade, rencontrés lors des séances d’hypnose qu’est née la méthode cathartique. L’avancée majeure sera donc d’attribuer un sens une valeur à ces monstrations dont les symptômes sont les effets et mode d’expression apparent alors que la méthode de l’hypnose déniait l’existence même du symptôme et par-là même renforçait le refoulement qui en était l’origine. L’avancé n’est pas tant du coté de la méthode que de la position du médecin. Dans l’hypnose le médecin est tout puissant, il fait injonction au malade de cesser d’être malade se refusant à entendre ou prendre en considération ce que celui ci est en train de dire. Les reproches que les médecins utilisant cette méthode adressaient à leurs patients résistants (ceux qui résistaient à l’hypnose et à la suggestion), posaient les limites de cette technique, qui firent que Freud s’oriente vers Breuer et sa méthode cathartique. Avec la méthode cathartique le médecin n’occupe plus cette place de toute puissance puisqu’il se contente de suggérer, inciter aider le malade à ce remémorer la scène traumatique. Mais le médecin s’il ne se veut plus tout puissant se tient hors de la situation thérapeutique, il se veut absent, retranché dans sa fonction de soins.

En fait, Breuer a très peu pratiquer la méthode cathartique, il ne l’aurait même mise en œuvre selon certains biographe qu’une seule fois et ce dans le cas d’Anna O., de son vrai nom Bertha Pappenheim. Au cour du traitement, Anna O qui présentait des traits hystériques graves marqués par une forte symptomatologie, se mis à déclarer sa flamme et son amour à Breuer de la manière la plus violente et crue qu’il soit. Breuer, affolé et ne sachant que faire de ce violent élan amoureux ne trouva comme protection que d’interrompre brutalement le traitement. C’est de l’étude du traitement d’Anna O, et plus particulièrement de son interruption que Freud découvrit la notion de transfert. Nous sommes alors en 1895 avec l’écriture en collaboration avec Breuer des « Etudes sur l’hystérie ».

Voilà peut être un bien long préambule sans que je vous aie encore donné plus d’explications ou ébauché une définition du transfert. C’est que la chose n’est pas aussi aisée qu’il y parait.

Nous allons partir de ce qui communément se suppose à propos du transfert dans une cure analytique. Se sont bien évidemment des clichés que je ne tenterai pas de modérer :

Le transfert se serait prendre l’analyste pour son papa, sa maman

Le transfert se serait revivre des situations passées.

Le transfert se serait aussi être dans un amour aveugle pour l’analyste.

Le transfert se serait une dépendance une soumission absolue à l’analyste.

Ce sont là des constructions imaginaires concernant le fonctionnement du transfert. Cela veut-il dire quelles soient complètement fausses ou erronées. Non et ce serait un tort que de ne point prêter d’attention à ces productions imaginaires. N’est ce pas là, enfin de compte, le propre de toute construction imaginaire que d’énoncer un bout de vérité de telle manière qu’il ne puisse faire savoir, mieux encore de telle manière qu’il fasse barrage à un savoir possible sur ce même bout de vérité là énoncée

Afin d’aborder plus précisément ce concept du transfert dans la théorie psychanalytique je m’appuierai sur la praxis, sur le déroulement d’une cure, car c’est bien de la praxis que s’élabore la théorie et non l’inverse. Nous l’avons vu dans la citation de Lacan que je vous ai fait.

Nous avons un sujet dont les symptômes sont suffisamment dérangeants pour qu’il aille s’en remettre à un autre, l’analyste pour ce qui nous concerne. Jusque là rien de particulier, il en est de même lorsque nous allons chez le dentiste, je prends l’analogie avec le dentiste car on y est amené soit parce que l’on souffre soit pour avoir un plus beau sourire, être mieux, plaire.

Nous ne pouvons dès lors aborder le transfert en psychanalyse si nous ne définissons pas un tant soit peu la demande qui y est portée, et son origine. Si les types de demandes de satisfaction ou plaintes dues à l’insatisfaction, ce qui est peu ou prou la même chose, son si nombreuses dans leurs formes, que nous ne puissions en répondre de manière exhaustive, elles ont toutes comme fondement une interrogation de la libido, qui en Latin veut dire envie désir. Rappelons ici que la libido est selon la définition qui en est faite dans le «vocabulaire de la psychanalyse » de Laplance et Pontalis, «une énergie postulée par Freud comme substrat des transformations de pulsion sexuelle quant à l’objet (déplacement des investissements), quant au but (sublimation par exemple), quant à la source de l’excitation sexuelle (diversité des zones érogènes). ». Le sujet arrive avec un désir une envie jusqu’alors insatisfaite, attendant que du travail avec l’analyste il tire satisfaction de sa plainte ou soulagement de ses peines. Ce n’est en vérité bien évidemment pas de ce qu’il demande dont il aura à répondre dans son analyse, si non il l’aurait déjà, mais de ce qui origine la demande.

C’est de cette demande autre, d’une demande qui ne se sait pas, faite à l’Autre analyste que s’origine le transfert. Dans un texte de 1912 «la Dynamique du transfert » tiré de «la technique psychanalytique » Freud en fait ainsi la démonstration. « N’oublions pas que tout individu, de par l’action concomitante d’une prédisposition naturelle et des faits survenus dans son enfance, possède une manière d’être personnelle, déterminée, de vivre sa vie amoureuse, c’est à dire que sa façon d’aimer est soumise à certaines conditions, qu’il y satisfait certaines pulsions et qu’il pose certains buts. On obtient ainsi une sorte de cliché (quelquefois plusieurs), cliché qui, au cours de l’existence, se répète plusieurs fois, se reproduit quand les circonstances extérieures et la nature des objets aimés accessibles le permettent et peuvent, dans une certaine mesure, être modifiés par des impressions ultérieures. L’expérience montre que, parmi les émois qui déterminent la vie amoureuse, une partie seulement parvient à son plein développement psychique ; cette partie, tournée vers la réalité, forme un des éléments de la personnalité consciente qui en peut disposer. Une autre partie de ces émois libidinaux a subi un arrêt de développement, se trouve maintenue éloignée de la personnalité consciente comme de la réalité et peut soit ne s’épanouir qu’en fantasmes, soit rester tout à fait enfouie dans l’inconscient. Tout individu auquel la réalité n’apporte pas la satisfaction entière de son besoin d’amour se tourne inévitablement, avec un certain espoir libidinal vers tout nouveau personnage qui entre dans sa vie et il est dès lors plus que probable que les deux parts de sa libido, celle qui est capable d’accéder au conscient et celle qui demeure inconsciente, vont jouer leur rôle dans cette attitude. Il est ainsi tout à fait normal et compréhensible de voir l’investissement libidinal en état d’attente et tout prêt, comme il l’est chez ceux qui ne sont qu’imparfaitement satisfaits, à se porter sur la personne du médecin. Ainsi que nous le prévoyons, cet investissement va s’attacher à des prototypes, conformément à l’un des clichés déjà présents chez le sujet en question. Ou encore le patient intègre le médecin dans l’une des «séries psychiques » qu’il a déjà établies dans son psychisme. ». Je m’excuse d’une aussi longue citation mais elle est si riche que je ne pouvais me permettre de la tronquer.

La cause de l’établissement du transfert est repérée comme issu des deux registres du conscient et de l’inconscient en tant que recherche de satisfaction de la part libidinale insatisfaite mais aussi de ce qui en a été refoulé, sur la personne du médecin. Lacan sur les bases énoncées par Freud mais avec des outils conceptuels que Freud n’avait pas encore à disposition avancera un peu plus loin cette réflexion. Lacan repère que tout sujet est manquant, que pour chacun de nous est inscrite dans notre discours la perte structurale d’un objet. Cet objet il le nommera l’objet petit a. Cet objet perdu est ce qui nous fait demander enfant où sont passé les vaches de la voie lactée, nous fait demander adolescent pourquoi on est né, et pour ce qui est des adultes vous devez bien avoir quelques exemples. S’il est moteur du discours il est aussi cause du désir ; cause qui est, aussi bien interrogation de la raison, qu’énigme de son objet. Cet objet premier, mythique, perdu à jamais que le sujet ne peut connaître, l’analysant, celui qui rencontre un analyste suppose que l’analyste lui en a un savoir. On dit que l’analyste est en position de «sujet supposé savoir », soit qu’il soit supposé posséder cet objet, soit comme je l’ai déjà dit qu’il soit supposé savoir l’objet manquant de l’analysant, soit qu’il incarne lui-même cet objet manquant. Dans la relation transférentielle l’analyste sera assigné à ses trois formes de représentation de l’objet au cours du travail de la cure.

Je crois que nous pouvons ainsi entendre un peu mieux ce en quoi le sujet est aimanté à l’analyste dans cette relation transférentielle. Je me permets de vous pointer le witz le mot d’esprit amené par cet «aimanté », laissant supposer que c’est d’amour dont il est effectivement question. De même avons-nous une explication et trouvons-nous là les fondements de l’imaginaire social assimilant la relation analytique à une aliénation de l’analysant à l’analyste, et dénonçant les dérives amoureuses. Comme je le disais au début de mon intervention l’imaginaire puise ses sources de traits de réel, aussi faut il dénoncer les dérives possibles de pratiques qui n’ont d’analytique que le ramage, et dont j’accuserai les praticiens d’incompétence si ce n’est de charlataneries ; être très prudent quant à la fonction du transfert dans l’aréopage des psychothérapies dites d’inspiration psychanalytique ; que dire encore de l’utilisation perverse faite par quelques gourous de cette mécanique du transfert, il en va ainsi dans toutes les sectes, si ce n’est à comprendre les raisons qui poussent certains à s’y abandonner et entendre un peu mieux l’aveuglement dont ils font montre même devant les exigences les plus folles.

Nous l’avons vu c’est de l’analyse de l‘interruption d’une relation thérapeutique ayant pour cause l’amour déclaré d’une patiente pour le médecin (Anna O. – Breuer), que Freud découvrit ce qu’il nommait alors un «transfert amoureux ».

C’est de sa propre pratique, à ne point se soustraire à cette dynamique, que Freud put établir le transfert comme une des bases de la technique analytique. Bien des questions se posent. Pourquoi, lui aussi n’a-t-il pas pris ses jambes à son coup ? Pourquoi ne s’est il pas défilé ? Etait il un génie ou un savant fou pour se livrer à de telles expériences ?

Je crois surtout qu’il ne reculait devant aucunes découvertes, et qu’il osait remettre en question les savoir constitué, même les siens. Je vous renverrai à un texte de 1914 «contribution a l’histoire du mouvement psychanalytique », où dans le premier chapitre - alors qu’il soutient ce pourquoi il endosse et assume la paternité de la psychanalyse – il fait la remarque que tous ses maîtres et prédécesseur, Breuer Charcot Chrobak, savaient «l’origine sexuelle des forces impulsives de la névrose » qu’ils lui avaient transmis sans le savoir cette conception tout en la contestant. La «folie » de Freud aura été une éthique médicale telle qu’il ne s’est point soustrait à la découverte au risque d’être contesté par ses pairs.

C’est de reconnaître comme vrai «l’origine sexuelle des forces impulsives de la névrose » qu’il put penser que ces démonstrations amoureuses qui se faisaient jours au cours du traitement n’étaient pas pour ses beaux yeux, qu’il y avait erreur sur la personne. Ainsi, l’objet de ces propos (pensez à ce que je vous aie dit de l’avancée Lacanienne à propos de l’objet) n’étaient ils pas la personne du Dr Freud mais un autre, qu’il représentait.

J’ai évoqué une de ces affirmations courantes concernant le transfert. « Dans la cure on prend l’analyste pour son père ou sa mère ».

A suivre la logique de ce que nous avons amené jusqu’ici nous entendrons le pourquoi d’un tel axiome. Afin de m’aider dans cette démonstration, j’introduirai une des autres inventions Freudienne l’Œdipe. Je vous en fait ici un rapide tableau qui n’est à prendre que pour ce qui nous intéresse, il mériterait une intervention complète, et plus encore. Le complexe d’Œdipe est le désir sexuel de l’enfant pour le parent du sexe opposé et le désir de mort pour le parent du même sexe ; il prend aussi une forme inversée soit le désir sexuel pour le parent du même sexe et le désir de mort pour le parent du sexe opposé.

De telles pulsions sexuelles ne pouvant trouver d’issue sont partiellement refoulées. Bien que refoulées et enfuies dans l’inconscient elles n’en sont pas moins présentes, ce qui revient à dire, pour être plus précis, que le sujet n’a pas cédé sur son désir sexuel et cherche toujours ce même objet d’amour refoulé (le père la mère). « Il résultera du refoulement de cette pulsion sexuelle un «cliché ». Au cours de sa vie sexuelle et amoureuse le sujet vient interroger cet objet d’amour refoulé selon le même cliché, chaque fois que les circonstances extérieures et la nature des objets aimés accessibles le permettent… » (Ibid.), c’est le cas de la cure, nous en avons déjà évoqué des raisons.

La question ne sera plus alors de s’interroger sur l’émergence de l’imago du père ou de la mère en la personne de l’analyste, car à suivre notre logique c’est là le propre de toute relation amoureuse, inconsciemment s’entend, mais de s’interroger sur le processus par lequel une telle pulsion peut venir se rejouer dans ce cadre de la cure.

C’est à s’interroger sur la mise en acte, la répétition dans la cure de cette pulsion sexuelle enfantine que nous pourrons essayer d’éclairer cette autre idée préconçue à propos de la cure et qui veut que dans une cure analytique on revive des situations passées.

Je vais encore, prenant le risque que vous doutiez de mon intégrité mentale , repartir du départ, du trauma initial, de ce premier objet de refoulement, qui est ? ? ? ? Oui Œdipe !

Enfin l’Œdipe j’ai bien envie de vous en éclairer un peu plus. Vous vous rappelez, je vous ai parler de Lacan et de son Objet petit a. L’infant qui veut sa maman ou son papa, que croyez-vous qu’il veuille ? Ce qu’il veut, c’est ce qu’il croit que son papa ou sa maman ont. Ce qu’il veut c’est cet Objet a par lui à jamais perdu et qu’il suppose au lieu de l’Autre, qui le fait désirable, sexuellement. En terme Freudien cela donne le retour du refoulé, toute motion pulsionnelle n’ayant trouvé d’issue dans la réalité et ayant été refoulé réapparaît sous une forme modifiée

De cette base, le sujet n’aura de cesse au cours de son existence que de reposer la même question, soit interroger le désir de cet objet perdu même s’il opère comme pour mieux brouiller les pistes un certain nombre de déplacements quant à l’objet, en terme de visée apparente du désir. Il le fera des manières les plus diverses, dans sa quête d’un partenaire, dans sa vie professionnelle et sociale, ( les clichés de l’homme rêvant d’une grosse voiture, ou de la femme en attente du prince charmant ont la peau dure, et ce n’est pas pour rien ). C’est dans « Au-delà du principe de plaisir » (in Essaie de psychanalyse, Payot) que Freud en 1920 fait cette observation que bien que l’on puisse attendre de l’homme qu’il ait comme visé son bonheur, on constate qu’il répète toujours les mêmes conditions d’échec. J’en ai un exemple, le fils de mon garagiste, il prépare ce qui doit être l’équivalent d’un DESS de mécanique. Il a une voiture magnifique à laquelle il apporte sans arrêt de nouvelles modifications pour la rendre encore plus belle et unique, les jeunes appellent ça le tunning. Il est maniaque, et ce de manière pathologique, on ne peut pas s’appuyer contre la carrosserie de sa voiture, «ça la raye et ça fait des bosses » ; et bien voyez vous, je ne peux tenir le compte du nombre d’accidents et d’accrochages qu’il a eu avec et qui l’ont obligé à toujours encore recommencer.

Dans ce même texte Freud fait le constat qu’en 25 ans (ce texte est de 1920, les « Etudes sur l’hystérie » datent de 1895) les buts de la psychanalyse ont bien changé. Elle était au départ un art de l’interprétation, deviner l’inconscient du patient et le lui communiquer au bon moment ; l’étape suivante fut de faire confirmer par le patient à l’aide de ses souvenirs la construction de l’analyste. Il découlait toutefois de cette méthode de fortes résistances de la part du patient. L’analyste du alors repérer ces résistances et inciter le patient à les abandonner selon la technique de suggestion qui opère alors comme «transfert ». Mais le patient ne peut se souvenir de tout ce qui a été refoulé et doute donc toujours de la construction qui lui est donné par l’analyste. Il est bien plus enclin à «répéter le refoulé comme expérience prévue dans le présent au lieu de ce le remémorer comme fragment du passé » (Ibid. p. 57). C’est autour de cette nouvelle donne que Freud en 1914 dans « Remémoration, Répétition et Perlaboration » (in «la technique psychanalytique » PUF) décrira ce en quoi à ce stade du traitement la névrose antérieure est remplacée par une névrose de transfert.

Dans le cadre de la cure, je crois vous l’avoir maintenant assez asséné, vient s’interroger la pulsion sexuelle infantile incestueuse, au travers du refoulement qui en découle. C’est d’une fausse lecture des découvertes Freudienne qui supposerait que l’on puisse revenir, revivre le trauma initial pour se le ré approprier ou le réparer que sont nés le re-birth, le cri primal, les psychodrames et autres dérives expérimentales. Au mieux elles ne font que renforcer ou créer une autre forme de refoulement, au pire elles rendent fou.

Ce que Freud propose de ce terme de névrose de transfert, est le repérage de ce que l’analysant dans le transfert qu’il établit à l’analyste mais aussi au cadre de l’analyse, et aux règles de l’analyse, répète du trauma. Je vais prendre un exemple pour mieux vous faire entendre ceci. Un analysant arrive toujours en retard à ses séances. L’analyste lui en fait retour selon diverses formes, par ses interventions « Ah ! Vous voilà. Vous vous faites bien attendre… », par le cadre qu’il maintient, à considérer que l’heure de la séance est passé et de le renvoyer au prochain rendez-vous, séance réglée, que sais-je. C’est de l’interrogation de ce comportement névrotique autour de la cure, Freud parle d’un «domaine intermédiaire entre la maladie et la vie réelle », que l’analyste pourra pousser l’analysant vers plus de remémoration et moins de répétition. Il se pourra, dans l’exemple ici donné, qu’autour de cette question des retards viennent s’interroger les difficultés que les parents de l’analysant auraient eues pour le concevoir «tu t’es bien fait attendre ! ».

Juste avant de conclure, je vous mettrai encore en garde de cette trop rapide couverture imaginaire. Entendez bien que «remplacer sa névrose ordinaire par une névrose de transfert » (ibid. P113) et du même ordre que remplacer un pneu sur sa voiture, je suis décidément dans la mécanique aujourd’hui . Il était usé, crevé, un autre vient prendre sa place, pour autant il en occupera la même fonction et c’est ce qui est important.

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