lundi 17 décembre 2018
Quels Avenirs pour nos métiers ?
Que va devenir le métier d'éducateur-trice spécialisé.e ?
Les dispositifs et les choix politiques ne vont-ils pas mettre un coup de frein énorme à la disponibilité psychique de l'éducateur-trice, qui ne pensera non plus aux maux des personnes accompagnées, mais bel et bien à faire attention au fait qu'il soit un sage petit élève qui rentrera dans la case qui lui est imposée. Aller dans se sens, c'est je crois, aller tout droit vers la disparition du sujet humain.
Le métier d'éducateur-trice spécialisé.e n'est pas une vocation naïve. Il l'est au début, oui ; au moment où s'opère à la fois la réflexion clinique, les premiers liens et la rencontre avec le sujet humain. Ce métier devient métier, car il quitte la vocation pour la politique. Le métier d'éducateur-trice est à mon sens un choix politique ; Et il me parait nécessaire de le clamer, et non plus de se défiler. Ce métier est au cœur de la cité, il bat et il est bien vivant.
Si l'éthique nous rassemble, nous professionnel.le.s, notre savoir être nous différencie. Nous sommes chacun.e.s uniques et nous sommes à mon sens « des irremplaçables 1 » (formule utilisée par Cynthia FLEURY en titre de son ouvrage). En prenant conscience de notre singularité, nous accueillons sensiblement l'Autre dans toute sa complexité et son authenticité. La singularité ne nous isole pas, au contraire ; elle penche et va directement à la rencontre de l'Autre, et elle fait monde. Sans singularité, le travail d'équipe ne correspondrait à rien. Je crois que c’est justement ce croisement des singularités qui fait un travail d'équipe. Transformer l'individualisme en individuation, et faire sur cette base, une ouverture vers l'Autre. Il en va de même pour les institutions. A l'heure des fusions, à l'aire du guide des bonnes pratiques professionnelles, où se trouve la différence, l'altérité ? Le monde du contrôle prend le pas sur tout, il englobe, il fait disparaitre le choix. Un monde sans choix, sans imprévus, c'est un monde sclérosé et donc mort. Et des institutions mortes, il y en a. Le problème, c'est qu'il y a des enfants dedans.
Les professionnel.les qui travaillent avec le langage, sont aujourd'hui contraint.es au silence. Ils et elles subissent les choix institutionnels, les horaires, les effectifs réduits, le jugement de collègues qui n'y arrivent pas non plus. S’il y a un chemin salvateur, un chemin de résistance direct, c'est bien le pas de coté. Car de nombreuses questions se posent dans le contexte actuel :
Comment se soutenir et tenir debout ? Comment continuer à travailler avec l’Autre qui demande à être accompagné ? Comment faire avec sur le terrain ? Faut-il faire avec sur le terrain ? Faut-il s’arrêter de travailler ? Comment détourner les injonctions d'une institution ? Comment se défaire des cases ? Sur quoi devons nous être intransigeant, et ainsi le refuser ? Comment transmettre du sens à nos pratiques ?
Aujourd’hui il s’emblerait que si nous voulons continuer à travailler avec les plus démuni.e.s, nous devons malheureusement bricoler. Mais à la condition de ne pas s’arrêter de penser. Il est temps de ne plus se défendre mais bien de penser à comment élever nos métiers.
Ne plus défendre, mais élever nos métiers :
Je crois qu'il y a deux chemins qui ne cessent de se croiser. Ce qui fait de nous des professionnels en force, c'est bien notre clinique. Et notre clinique, c'est la prise en compte de notre singularité, de nos symptômes, de nos projections, et du bordel incroyable qu'est le transfert. Pour que nos métiers survivent à cette crise, il est à mon sens nécessaire, que les professionnel.l.es de terrain fassent un travail sur leurs êtres. Combien de professionnel.les en burn out ? Combien de professionnel.les abandonnent dans la souffrance leurs métiers ? Travailler sur soi, c’est reprendre de l’oxygène. C'est donc pour moi le premier axe de résistance. Nous devons élaborer, c'est indispensable. Comment faire ce métier, si le ou la professionnel.le n'est pas au claire avec ses embûches, ses limites, ses symptômes ; avec le phénomène de transfert, avec sa place, sa vie privée et son intimité. Alors que les institutions aujourd’hui dépossèdent l'être et le poussent dans une mécanique rouillée; un travail sur soi peut permettre de se réapproprier, d'être un peu plus au clair sur sa place afin d'aller vers et ainsi accueillir plus sereinement l'Autre dans toute sa complexité. Travailler sur l’être c’est aussi comprendre que l’Autre est précieux ; c’est entendre ce qu’est réellement la relation éducative, le lien humain. Etre au clair et le risque serait qu’émerge le désir. Le désir de mieux rencontrer l’Autre et de partager. Le désir ouvre aux possibles, et c’est peut être bien cela qui peut venir déranger le politique.
Il y a un deuxième axe de résistance, intimement lié au premier et tout aussi important: celui de l'engagement collectif. Je parlais de désir de rencontrer l’Autre. Le-la professionnel.le et sa singularité n'est, à mon sens, rien sans la présence d'Autres singuliers. Cet engagement rejoint bien un axe politique: celui de penser collectivement l'avenir et de le préparer. Je crois qu'il est plus que nécessaire de faire émerger le désir de se retrouver. L'engagement dans le collectif est absolument passionnant. Il vient mettre au travail, il vient nourrir un peu plus la pensée, il permet de ne pas se sentir trop seul dans un combat, une lutte. Ce qui est tout aussi passionnant dans la démarche collective, c'est le travail d'élaboration qu'il y a à mener. En effet, il faudra être toujours vigilant à ce qu'une singularité ne prenne pas le pas sur le collectif et que le collectif ne fasse pas disparaitre les singularités. Ce combat est profondément humain, éthique et il sera sans cesse à mettre en question. Car cette lutte, qui en vient à toucher le corps, est sur le terrain du vivant, elle perdurera après notre mort, et heureusement. N'oublions pas que nous sommes que de passage. Cette lutte pour l'humain est ainsi à mon sens un combat aussi singulier que collectif. Alors participons à élever nos métiers, faisons le pour nous mais aussi et surtout pour celles et ceux que nous accompagnons.
Mathieu Flores-Garcia
Pour le collectif Avenir Educs
1 Cynthia FLEURY, « Les irremplaçables », Edition Gallimard, 2015.
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