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L’IMPORTANCE DU CADRE EN PÉDAGOGIE

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Pierre RICCO

mercredi 25 janvier 2023

L’IMPORTANCE DU CADRE EN PÉDAGOGIE

 

 

 

Pierre  Ricco’  *

 

 

Cette définition de l’art picturale : des formes qui se tiennent ensemble en créant un rythme spatial dans un cadre donné , peut convenir aussi à l’art pédagogique.

 Ici nous parlerons à partir d’une pratique de pédagogie en éducation spécialisée, en formation pour adultes et en travail social communautaire.

Le cadre en pédagogie est constitué par : l’espace, le temps et l’intention ( nous sommes là pour quoi ? ) qui prendra forme par le langage parlant dans sa dimension de surprise et donc créatrice comme avènement de réalité nouvelle.

Donner du cadre, c’est créer les conditions pour partager une expérience significative entre le pédagogue et un jeune ou un adulte, ou des groupes d’habitants en quête de sens pour acquérir la liberté de choisir leur devenir dans ce qui est à-venir.

 La pédagogie, ne crée rien mais fait exister ce qui demande à être. Elle donne corps à des voix qui souvent au départ ne sont que murmurées, même à travers des vociférations, cris et menaces.

Ces murmures ne peuvent être entendues que dans un espace protégé, par ce que connu et reconnu comme autorisant un quelque chose pour exister. Espace comme une éclaircie qui ouvre une clairière dans laquelle le murmure devient parole et le désir peut surgir, ce désir d’existence.

Il faut pour toute expérience pédagogique penser comment la manière  dont notre spatialisation dépend de la structure de notre existence, mais aussi penser l’aménagement matériel de l’espace surtout pour les pédagogies de séjours comme les lieux de vie pour éduquer à habiter le monde.

IL n’y a pas d’éducation possible sans expérience partagée. Créer le cadre pédagogique, c’est le pouvoir instaurer cette nécessité de l’expérience partagée impliquant chacun pour une lecture du sens de ce qui advient.

Délimiter géographiquement l’espace d’une intervention pédagogique donne assurance aux intervenants, pour une observation plus ciblée, pour conserver un dynamisme s’auto-alimentant comme dans un tableau. J’ai remarqué cette hypothèse opératoire aussi en travail social communautaire sur les quartiers ou dans les centre-villes. Commencer par délimiter l’espace. Notre intervention se déroulera de telle rue à telle rue.

J’ai connu ce que l’on appelait alors un centre de rééducation pour quatre vingt adolescents « difficiles » vivant et apprenant, en vue de CAP des métiers du bâtiment, dans le même espace la nuit et le jour.

 Des éducateurs techniques de grande qualité et des éducateurs pas très formés aux sciences humaines, mais très sportifs et partageant volontiers l’expérience du sport ensemble, avec l’idée de compétition, de force et de discipline plutôt que le travail du sens des relations. Espace éducatif en filiation napoléonienne hérité des casernes et des lycées et basé sur la discipline. L’autre espace institutionnel traditionnel était lui issu des monastères et était basé non sur la discipline, mais sur l’obéissance.

 Donc ici un espace où l’ordre régnait et l’expression des symptômes empêchée. Par contre « en sortie » avec les éducateurs, par exemple une journée au ski, des vols avaient lieu dans des chalets, ou vestiaires etc.

Comment transformer cet espace pour qu’il soit le lieu de l’expression des symptômes afin qu’ils soient pris en considération pour les nommer ?

Nous nous sommes appuyés sur les grands pédagogues des pédagogies actives en partageant avec eux les bases de la pédagogie humaniste, c’est à dire : La liberté, le rythme et la sécurité affective.

Les éducateurs se formant aux sciences humaines ont progressivement abandonné le plaisir de la discipline pour le plaisir du travail du sens.

En fait, nous avons choisi de changer le lieu de l’érotisme, et là, nous avons vécu une période assez difficile. Les jeunes ayant compris que l’espace où ils vivaient devenait éducatif, c’est à dire que les éducateurs acceptaient de donner du sens à leurs symptômes, ne se sont pas privés de scènes de violence, de dégradation des bâtiments etc.

Il a fallu que l’espace éducatif s’agrandisse, c’est à dire que les cuisiniers, les lingères, le personnel administratif et surtout les membres du conseil d’administration comprennent et s’engagent dans ce mouvement nouveau. C’est à dire créer une « gestalt » s’alimentant des observations et ressentis des uns et des autres depuis la fonction de chacun, pour réagir ensemble dans le travail du sens.

Une gestalt devenant gestaltung, c’est à dire une forme en mouvement auto-alimentée comme dans une oeuvre d’art. Travailler ainsi c’est un bonheur à être pour chacun des acteurs de la gestalt, personne accueillant comme personne accueillie.

C’est ce travail du sens donné aux faits survenant dans un espace limité qui nous sécurisait, dynamisait en créant des réponses nouvelles pour une autre organisation de l’espace de vie pour les jeunes, pour toute la communauté éducative et faire leçon au monde.

 De ce gros centre d’éducation spécialisée il a été possible d’aller vivre dans des espaces de vie comme une villa ou un appartement.  Peu à peu une autre pédagogie allant vers une pédagogie institutionnelle s’est  instaurée. Pédagogie pouvant aller jusqu’à l’usage de jeux de rôle et ceci d’une manière très maitrisée.

Ici, il peut s’agir de l’espace où aura lieu la scène, c’est à dire où le jeune s’autorisera à rejouer une scène de sa vie antérieure (scène répétitive) souvent en relation transférentielle avec l’adulte, voire avec un autre jeune pour qu’elle devienne une (scène résolutive) par la charge émotive, le dire, l’accueil de ce dire, l’attitude éducative de l’éducateur acteur de cet instant. Vraiment éducative si l’espace institutionnel sait accueillir l’émotion authentique de l’éducateur acteur de la scène. Espace sachant accueillir l’expérience. La parole n’est opérante éducativement que si elle se transforme dans l’espace défini et reconnu comme éducatif.

 

L’espace appelle l’action et avant l’action, l’imaginaire travaille…L’espace saisi par l’imagination ne peut rester indifférent…..il est vécu……….IL concentre de l’être à l’intérieur des limites qui protègent. G. Bachelard, la dialectique de la durée.

 

Le pédagogue pour agir doit habiter l’espace en éducateur, c’est à dire avec son corps propre (corps vécu) déjà réceptif, ouvert et sensible à ce qui l’entoure, à ce qu’il perçoit comme devant une oeuvre d’art. Un laisser venir des choses de l’extérieur pour faire surgir en soi des choses de l’intérieur.

Cette manière d’être dans l’espace c’est être là avec le souci, ainsi elle donne le « la » de l’ouverture. Cette manière d’être spatiale délivre la spatialité des autres. En fait une attitude humble, patiente et disponible comme un être en avant de soi, c’est à dire, présent. C’est déjà exister. Exister, c’est aussi combiner l’espace et la temporalité.

Un espace éducatif est un espace qui se combine avec le temps pour instaurer un rythme.

Le rythme contrairement à la cadence, instaure humainement des temps de repos pour rebondir. Un déploiement rythmique est fait de ses temps de présence et de ses temps de pensée. C’est la présence authentique de l’éducateur qui accompagne ces temps, qui fait éclater la compréhension pour le présent, présent comme instant de décision, et donc comme instant de liberté.

Beaucoup des jeunes confiés à l’aide sociale ou à la protection judiciaire de la jeunesse sont en dysharmonie avec le rythme du monde. Ils ont été malmenés au temps de l’étayage. La sécurité nécessaire au nourrisson est donnée par le rythme qui reconnait le possible de l’enfant et qui reconnait les avancées psychomotrices et relationnelles pour aller dans le monde. Et cela requiert pour S. Resnik des parents combinés structurants par implication rythmique. Lorsque cette parentalité a fait défaut, aucun rythme n’habite l’enfant car il n’est à la portée d’aucun enfant de trouver son propre rythme s’il baigne dès l’enfance dans l’angoisse.

Ce jeune qui nous est confié n’est donc à priori que peu accessible à l’éducation que nous proposons à cause d’une certaine dysrythmie entre une corporéité, le sentir et le temps. Cette situation ne peut se transformer en situation éducative qu’avec la transformation des deux parties. Ainsi, c’est à l’éducateur de prendre le risque de la transformation par son implication rythmique dans une expérience partagée du temps et de l’espace, qui en sécurisant le jeune par son être avec, l’autorisera à se tenir debout pour aller fièrement dans le monde. J’ai été témoin de cela.

Le troisième aspect du cadre pédagogique est l’intention, nous sommes là pour quoi faire ? Pour beaucoup d’adolescents en général et  pour ceux en particulier qui nous sont confiés, être ici, cela ne veut rien dire. La lecture du réel qui à conduit cet enfant, cet adolescent à être ici avec nous est à travailler dès son accueil pour espérer passer d’une logique du réel à une logique d’un possible réel.

La spatialité avec laquelle nous l’accueillons doit lui indiquer que nous le reconnaissons dans son expérience et dans son aspiration à être accueilli après les rudesses du monde, et nous respectons sa peur d’être accaparé par les nouveaux accueillants que nous sommes.

Notre spatialité est ouverture, éclaircie pour que chaque accueilli s’autorise à essayer de comprendre pourquoi et comment il est ici avec nous. C’est notre implication rythmique qui lui indiquera que nous avons compris. Pas de beaux discours, être là avec le souci et seulement cela. C’est ce que j’appelle la sécurité affective faisant partie du triptyque de la pédagogie humaniste avec la liberté et le rythme, Faisant ainsi la preuve en ouvrant dans un voir de compréhension . Henri Maldiney.

Le vouloir de cette démarche de compréhension n’est pas constante chez le jeune, mais la détermination et l’inconditionnalité de l’éducateur doivent l’être. Elle ne peut être accompagnée qu’avec tendresse et réciprocité dans les échanges vers une séparation. En d’autres termes, vers le renoncement à la mère pour acquérir la capacité à se dresser au péril de l’espace, être lui et pouvoir inaugurer une vie affective avec une personne de son choix.

La pédagogie dit M. Merlau-Ponty, (est) la description de l’image que l’adulte se fait de l’enfant . Et le Docteur G. Amado d’ajouter : elle découle de leur rapport qui est, non pas seulement de connaissance, mais d’existence. Et, je continue d’y ajouter : c’est un pouvoir instaurer entre les deux, la nécessité de l’expérience.

 

Chambéry. Janvier 2023.

*   auteur de : Pour une pédagogie existentielle aux éditions Chronique Sociale , Lyon. 2021.

 

 

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