Prostitué
David von Grafenberg
Paris ed Anne Carrière Paris 2007
208 p
17€
Il a dix neuf ans, il se prostitue !
Il appartient à cette génération à laquelle tout fut promis, cette génération exaltée à l’idée du tout-possible, et dont il dira : « Cette génération à qui l’infini des possibles proposé n’a permis que l’indéfinition de soi ».
Indolence et confusion qui amènent quelques uns à se faire faucher par la vie.
Un témoignage terrible mais d’une simplicité angoissante : comment en vient-on là ?
Sur les fondements de l’inversion, certes : un viol à treize ans, perpétré par une amie de sa grand mère qui fait, du gouffre entre générations, un lit de l’inceste mettant l’écœurement aux commandes.
Un jeune garçon chétif, timide, inhibé, adolescent fragile, dans cette capacité à n’être que ce que l’autre attend. Incompréhension des mécanismes qui font fonctionner les relations et le monde ; il n’est pas armé, grandit seul, contraint par l’indifférence de parents secs et intraitables, étouffés par l’auto considération de leur réussite sociale.
Et ce, sur fond de bourgeoisie parisienne politiquement normée, des vacances sur la Côte Basque, aux photos de la grand-mère qui le projettent dans du mannequinât d’enfants, en relation avec son penchant pour la mode. Malheureusement soumis à un regard intrusif qui ne le constitue pas, hormis comme objet de jouissance d’un Autre ravageant, scellant un futur en décomposition.
Les difficultés de la puberté affrontées seul, dans le silence abyssal parental, vont lui octroyer la solitude pour partenaire : « ma perplexité face à l’incompréhension et à la difficulté d’être moi »
Il s’invente un frère imaginaire, à la protection duquel il aspire, et qui viendrait le soulager de cet isolement paniquant. Il lui attribue ce statut de double salvateur, dont la fréquentation s’imprègne d’une teinte incestueuse.
Les dés sont jetés pour l’avenir. Il continuera, dans cette même voie, avec des partenaires, souvent âgés, qui entretiendront cette solitude comme une évidence récurrente.
L’immonde et la honte abrogent, de fait, toute velléité sentimentale…
Se sachant exclu de la relation amoureuse, il met alors en place une mise en série de rencontres d’une nuit, dans une quête effrénée, qui le rapproche immanquablement un peu plus, à chaque aventure, de cette évidence qu’il ne peut y accéder.
Se sachant démuni d’un je, et d’une assise de sujet, il cherche des réponses qu’il n’a pas, qu’il n’obtient pas, malgré ses multiples expériences, dont il fait la démonstration qu’elles ne lui construiront pas un savoir.
Personne pour lui montrer à se comprendre ou à se diriger. Mais l’aurait-il pu davantage dans un autre environnement ? C’est toute la question ! Question de la détermination et du choix du sujet, qui intéresse particulièrement les psychanalystes : l’engagement dans une structure plutôt que dans une autre … en fonction de ce que l’on peut ou plutôt, de ce que l’on ne peut pas, pour le dire plus précisément…
Un témoignage ni froid, ni neutre, mais pourtant marqué du sceau glacial d’un sujet exilé du fantasme, alors que s’y vérifie pourtant une plongée dans ces bas-fonds où les perversions viennent impunément se concrétiser, en échange de paiement. Dans la chaleur, la moiteur des corps, à l’aune du sordide, se joue la tragédie de la détresse de ceux qui payent pour la perdition en contradiction avec leurs vies formatées et officiellement correctes. Débordements d’agressivité de ces hommes anonymes, qui font payer, en retour, à leurs victimes consentantes, la honte de leurs penchants.
Valse des clients où se démontre, à chaque nouvelle expérience, qu’il ne fait que se confronter à une multiplication d’énigmes, tant sur les autres que sur lui : une voie qui peut bien mener au suicide…
Une interrogation sans fin qui ne trouve aucune explication apaisante…
Un cheminement du désespoir à la prostitution vécue comme une dévotion, forme de mission ou d’étayage, pour garder une raison d’exister.
Imprudence, inconséquence, insolence, indécence, déviance, déchéance, déliquescence... Il repère ces mots clés de son parcours sans pouvoir y remédier.
Avec, comme relais, du côté de la jouissance, l’omni présence de cette peur au ventre, une « peur excitante, vibrante », qui se double d’un sentiment de toute puissance, de domination, de maîtrise, dont il constate, à ses dépends, et très vite, que le sexe, dans cette option, est une bombe à retardement qui détruit un sujet …
La toute puissance de l’argent, qui donne une fausse confiance en soi…
La notion du pouvoir sur l’autre dans la rencontre de dépendance…
Et au bout du compte : la dépression latente, le manque à vivre et à désirer, le vide dans une confrontation sans merci, sous la houlette des proxénètes.
Des partenaires qui ne veulent rien de l’autre, hormis leur satisfaction : pas d’échange, pas de relation, « lorsque les projecteurs s’enclenchaient, je disparaissais au profit de celui que l’on convoitait »
L’errance au sein de ces milieux interlopes où tristesse et désespoir font pâle figure devant la brutalité de la réalité. Quelques amitiés avec une camarade et un ami d’enfance avec lesquels il a des rapports dénués de sens, si ce n’est d’une indéniable solidarité dans leur dérive.
Et, en arrière fond, peu ou pas d’instinct de survie, peu ou pas de notion de la mort. Un désert de pulsions, de désirs, d’envie de travailler, de se réaliser, au profit d’une passivité, et d’un ennui incommensurables. Désarrimage de l’être où retentissent parfois, les échos du gouffre… de la psychose.
Un laisser faire, un se laisser faire qui ne sont pas sans faire résonner la forclusion de l’inconscient.
Un roman certes émouvant, bien que sans aucun pathos, car tout y est énoncé avec distance et recul ; et qui nous confronte à ce que certains sujets peuvent affronter de leur vie dans une vacuité vertigineuse, et dévastatrice.
Mais un premier roman étonnant et courageux, à ne pas mettre entre toutes les mains !
Florence Plon
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