« Les corridors du quotidien » s’est rapidement imposé comme un classique auprès des éducateurs. Paul Fustier a su déplier le banal, la vie ordinaire et se constituer un objet d’étude original. Sa question centrale est la manière dont les personnes amenées à fréquenter une institution d’hébergement, utilisent le dispositif institutionnel pour le mettre au service de leur problématique subjective.
Paul Fustier distingue ce qui ce joue de spécifique dans le contexte d’un accueil en institution pour la personne. Il précise notamment le rôle de l’éducateur en tant qu’émanation, personnification du dispositif institutionnel. Pour lui, la principale sécrétion du dispositif est le don. Dès lors, se pose pour le professionnel la question de « faire avec » de tenir compte de cet inévitable espoir de la personne prise en charge que l’institution vienne combler ses manques.
Ce genre de réalité peut entraîner diverses attitudes professionnelles. Il y a ceux qui s’y croient et les autres. L’institution est, elle aussi façonnée par la manière dont elle traite cette question. La hiérarchie, les conflits toutes les instances institutionnelles sont pénétrées par cette question : devons nous occuper cette place de « donateur universel », celui qui vient combler les carences dont les enfants souffrent tant au quotidien ?
Paul Fustier propose une réponse ambiguë : oui et non. Non pas qu’il soit normand, mais qu’il lui semble que cette position est la seule tenable. Du restes, il développe, au fil des pages, un concept inédit : celui du paradoxe. La force structurante d’une posture énigmatique qui ne répond pas à la question de l’enfant. Oui, l’institution donne, des couvertures, de la confiture... oui, c’est bien l’éducateur qui fournit ces bonnes choses, mais non, ce n’est pas de « sa poche ».
Bien plus qu’un traité de la bonne manière d’éduquer, ce livre ouvre à la pensée complexe. C’est son inusable intérêt. De même que la couverture le suggère, c’est là le thème principal et le plus novateur de ce livre. L’éducation ne se résume pas à un livre de recettes comme nous le laisse entendre nombre de traités destinés à rassurer les parents. Eduquer est affaire complexe, au sens structural. C’est un processus dynamique où chacun doit faire son chemin, l’éduquant, comme l’éducateur !
Cesser de penser en blanc ou noir et s’ouvrir à l’énigme, toujours posée, jamais résolue, engage à penser différemment l’institution, ses rouages et la fonction de l’éducateur. Accepter les projections des enfants (ou des adultes) sans être dupé par elle retourne la question à l’envoyeur qui peut alors en faire son affaire.
Actuellement, ce type d’ouvrage mérite un coup de projecteur. En effet, CER, CEF, « sauvageons » qui dérangeaient il y a encore peu les villes (et dont l’espèce s’est éteinte apparemment) toutes ces entités créées par les « spin doctors » de nos politiques orientent nos débats. Nous sommes imprégnés de la sémantique binarisante des médias actuels et il a lieu de se demander si le manque d’écrits publiques d’éducateurs ne se nourrit pas de la défaillance du dictionnaire.
Paul Fustier, de manière claire, pédagogique propose là un modèle original et complet qui mérite d’être discuté, questionné. Lors de sa parution (1993) les questions qui secouaient la communauté des éducateurs professionnels, étaient différentes de celles qui nous animent en 2004. La décentralisation, le resserrement de l’évaluation sur des critères d’efficacité comptable, le glissement progressif des éducateurs spécialisés vers des tâches de supervision et d’AMP vers l’accompagnement du quotidien... L’époque actuelle éclaire différemment cet ouvrage que nous devons, de toute urgence, relire.
- Jean-Marie Vauchez, éducateur.
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