Florence Aubenas, Le quai de Ouistreham , l’Olivier, 2010, 270 p, 19€
Dans mon dernier ouvrage[1], je rapportais, l’arrivée de Florence Aubenas, le 13 Juin 2005, en ces termes : « elle répond sur le tarmac de Villa-Coublay aux journalistes venus recueillir ses premières paroles au sortir de sa détention comme otage en Irak pendant 157 jours.
Elle remercie ceux qui ont œuvré pour sa libération puis se tait... Elle n’a rien d’autre à dire, attend les questions qui ne manquent pas, et très vite, apparaît le décalage entre les questionnements et son vécu : elle n’a pas d’interprétations, ni de commentaires à faire sur son expérience : elle va à l’essentiel : elle était là otage, au plus près de la mort et toutes les heures, tous les jours qui passaient, se traversaient dans l’attente d’être libérée ; pas plus, rien d’autre ; du présent remis en jeu à chaque seconde dans l’espoir. Une femme vivante non pas parce qu’elle n’est pas morte, mais parce qu’elle avait cette force de vouloir vivre.»
J’en avais fait état, parce que j’avais été frappée de la justesse de ses positions dans son silence, ne cédant aucunement à la narcissisation ni à la pression de la manipulation des médias. Rien n’a changé ; elle est toujours la même. Grande reporter, journaliste de renom qui s’implique et s’investit.
Et là, elle relate une expérience à laquelle elle s’est livrée, un an durant, dans les bas-fonds de ce quart monde du non emploi et/ou de la recherche d’emploi des sans diplôme, formulation politiquement correcte du bagne !
« … sans que cela soit dit, nous savons que le distributeur n’est pas pour nous, il appartient à ce monde du travail auquel nous n’avons pas accès, celui où l’on décroche son portable quand il sonne et où on ne calcule pas le temps que ça prend d’aller aux toilettes »[2]
Ce monde à part, avec ses codes, sa morale, ses vicissitudes, elle s’y intègre, plongeant dans la grisaille morose de ces fantômes de la détresse, et partageant, jour après jour, cette réalité que nous côtoyons sans vouloir la voir : les sdf du boulot, les exilés de la société, les galériens de l’espoir…
Radiations, réinscriptions, formations, informations, réunions, notations, dépression ; petites combines administratives, trucages des chiffres officiels, gabegie de Pôle Emploi, réductions budgétaires, jeu des statistiques, abattage des dossiers, enjeux de pouvoir et d’incompétences…
L’ironie grinçante de la fatalité… Des CDD de quelques heures pour lesquels l’on s’étripe dans l’hypothétique attente d’un improbable CDI … Un monde qui s’écroule, le tableau de la crise in live.
Un roman grave mais enjoué qui, du fond de l’injustice, voire de la souffrance, sait faire vibrer des notes d’optimisme. Il mérite d’être signalé dans la veine de ces auteurs réalistes, sociologues d’hier et d’aujourd’hui, les Balzac, Zola, Robert Linhart, ou plus récemment, Gérard Mordillât avec « Les vivants et les morts ».
Elle n’a pas eu froid aux yeux, Florence Aubenas, en osant faire, en osant dire, mais c’est une personnalité de mérite et dont la dimension n’est plus à prouver.
Florence Plon
[1] Vivre la perte, l’Harmattan, 2008.
[2] P 232
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