Yannick Haenel, Jan Karski, Folio, Paris, 2009, Prix Interallié, 194 p, 5,7 €.
(à lire, à relire et à diffuser)
La conclusion du livre, reprenant la vie atypique et le combat exemplaire de Jan Karski, est sévère : il n’y a pas eu de vainqueurs en 45 ! Seulement des nations qui savaient depuis 42, et ont laissé faire. Et ce, parce que la conscience du monde n’existait déjà plus. Hiroshima et Nagasaki n’ont été que des points d’orgue venant vérifier cette hypothèse.
La résistance du ghetto de Varsovie a été un carnage inutile : les jeux étaient déjà faits ; elle était vouée à l’échec parce que les grands en avaient ainsi décidé : il n’apporteraient pas l’aide escomptée. Et pas davantage aux juifs qu’on aurait pu sauver tant il était possible de bombarder les rails d’accès aux camps et les installations allemandes d’où se tramait la Shoah.
Dès 43, la Pologne était mise aux enchères et les juifs vendus aux Nazis, les accords avec Staline ayant muselé toute action des Alliés en la matière.
Le fond de l’Histoire est toujours économique et tissé de conflits d’intérêts majeurs qui piétinent l’humain sans vergogne.
Il aurait été envisageable de faire émigrer les populations juives ou de leur créer un état, comme cela s’est fait par la suite, avec les difficultés, certes, que l’on sait… Mais à cette époque de guerre mondiale, aucun état ne souhaitait les recevoir, ni leur ouvrir une terre d’asile. Cela coûtait cher en temps, en négociations et financements, et surtout, personne ne voulait croire, personne ne voulait savoir, personne ne voulait admettre ce qui se passait : l’Holocauste. Et les conservateurs étaient trop majoritaires au Congrès américain pour que le gouvernement puisse agir autrement.
L’humanité entière est responsable de ces crimes, et pas seulement les Nazis.
C’est ce que démontre cet ouvrage puissant, poignant et hallucinant où sont dévoilées, en cette période de négationnisme et de laxisme devant le courage et les responsabilités, les vérités qui dérangent.
Tout le monde savait ; on a juste laissé faire en toute lucidité, dans le non dit et le déni total. Ce mensonge organisé s’est développé en toute impunité, les leaders ayant été informés. Personne n’a osé arrêter Hitler dans son sombre processus d’extermination.
« Tout le monde sait qu’une partie du monde massacre l’autre et pourtant, il est impossible de le faire entendre ». Cet adage a encore de l’avenir…
Qui pourrait en effet reconnaître que l’homme porte en lui les germes de la haine, du massacre et de l’horreur et qu’il se veut un loup pour l’homme ?
Freud l’annonce dès 29, et cet homme, Jan Karski, résistant polonais, témoin de la vie dans le ghetto et de l’extermination dans les camps, est envoyé en 43, comme émissaire auprès des gouvernement alliés, pour donner l’alarme. Son combat pour faire partager ses informations aux grandes puissances alliées sera un échec. Roosevelt l’écoute à la Maison Blanche en sommeillant.
Il est écouté mais pas entendu dans sa dénonciation de l’infamie. Il écrit un livre dès 44, « Story of a secret state », lequel aura un franc succès, ô paradoxe, dès sa sortie, où il partage les hommes entre ceux qui donnent la mort, et ceux qui assistent à la mise à mort. L’accusation est drastique.
Un des rares à l’entendre sera Szmul Zygielbojm, membre du Conseil National polonais, représentant du Bund à Londres, lequel choisira de se suicider, stigmatisant ainsi la finitude de l’espoir !
Au final, Roosevelt et Churchill, à la question d’Hitler sur « que faire des juifs ? » ont eu la même réponse : s’en débarrasser ; Hitler dans le réel, et les politiques, dans le silence.
Karski s’enferme alors dans le mutisme, comme tous les rescapés. Beaucoup sont partis avec leur secret et leur douleur. Ils ont enseveli leur savoir sur les hommes, pour ne pas déranger les hommes. Il ne reprendra la parole qu’en 79, avec peine, lors du film de Claude Lanzmann, film futuriste, dont il assure qu’il ne pourra être compris que lorsque le voile des compromissions se lèvera.
Après 50 ans, les survivants reprennent cette parole dont on les a privés.
« On peut redonner vie à la parole par la parole » (parole hassidique).
Florence Plon
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