dimanche 11 janvier 2004
Accompagnement social d’un adolescent
Le premier contact est difficile, Florian parle peu et ne donne rien à voir de sa vraie personnalité. Il aura fallu trois mois pour arriver à faire vivre un entretien. Face à ce diagnostic, les membres de l’atelier de prévention décident de prolonger l’intervention de l’éducateur de polyvalence, de six mois. Florian évoque son regret de ne plus voir son père (hormis les vacances d’été). Il dit ne pas se sentir bien avec sa famille recomposée. Il ne s’entend pas avec son beau-père et ne comprend pas le remariage de sa mère. Jalonnée de repas pris en commun et d’inévitables « Mac Do » du mercredi après-midi, notre relation éducative se construira peu à peu, avec comme toile de fond cette rupture paternelle que Florian refuse.
Réinscrit en septembre dans un collège, Florian se fait vite remarquer. « Catalogué » comme chef de bande et comme élève perturbateur, l’équipe éducative de l’établissement ne le « lâche » plus. Florian me confie un jour, ne plus supporter d’être accusé à chaque nouveau méfait. Il reconnaît que son comportement n’est pas toujours le bon mais dit ne pas comprendre pourquoi il est le bouc émissaire.
Quant à son travail scolaire, il ne s’y intéresse pas et néglige ses devoirs. L’intérêt ? Rien ne l’intéresse !... Je lui fais des propositions d’activités pour qu’il se défoule. Mais rien ne l’accroche vraiment et quand une pointe d’envie surgit, sa mère énonce des impossibilités de transport ou financières.
Florian se retrouve à naviguer entre un lieu d’apprentissage qu’il rejette et un univers familial qui le rejette !... Il dira même ne pas avoir sa place. Quelle proposition lui soumettre ? J’opte pour une aide psychologique qu’il rejette bien sûr !... Par le passé il a essayé mais cela ne lui a rien apporté.
A cette période, les tensions familiales, augmentent. Avec l’accord de ses parents, nous décidons de préparer un projet de départ en camp pour les vacances de Pâques. Dans cette dynamique, Florian émet un souhait. Son choix se porte sur un camp « sport mécanique » (son père est chauffeur routier et répare souvent son véhicule lui-même).
Une semaine avant le départ, Florian passe à l’acte. Accompagné de deux de ses camarades de collège, ils attouchent une jeune fille de leur classe à la sortie des cours. La mère de cette adolescente porte plainte sur conseil du proviseur et une procédure judiciaire est ouverte. Florian comme le reste du groupe est entendu par la brigade des mineurs, qui transmet l’affaire au substitut du procureur. Le lendemain, Florian est mis à pied définitivement de son collège. Je le reçois en entretien à mon bureau l’après-midi même. Il affiche son sourire d’enfant sage !... Il ne semble pas inquiet et ne mesure pas la gravité de son acte. Il dit qu’il a seulement tenu les mains de la jeune fille et qu’il ne lui a mis que deux ou trois gifles pour la faire taire.
J’insiste sur la gravité des faits, sur la suite éventuelle sur le plan judiciaire, mais Florian ne réagit pas plus. Sa mère et son beau-père, que je visite le lendemain, ne sont pas plus inquiets que lui : «On verra bien ! On lui avait dit de se tenir tranquille ! ».
Lorsque j’évoque avec eux la sanction parentale, ils me répondent qu’ils ont décidé qu’il n’irait pas au camp de Pâques. Même si je conçois la réaction parentale comme une punition évidente, je la trouve dénuée de sens. A aucun moment les parents n’ont dialogué avec Florian, n’ont essayé de comprendre son geste et de lui en expliquer la gravité. La sanction est venue couper court à une possible compréhension de l’acte ! Comment Florian peut-il essayer d’analyser son geste, en comprendre les effets, l’incidence sur son avenir, dans un vide parental aussi important ?
Le traitement judiciaire ne fera que renforcer ce manque. Le délit s’est produit en avril et Florian rencontrera le juge pour enfants le 23 octobre ! J’ai revu Florian plusieurs fois dans les semaines qui ont suivi son audition à la Brigade des Mineurs. Je lui ai expliqué que les limites de mon intervention étaient atteintes, et que je me devais de transmettre un rapport au juge pour enfants dans le but de demander une Aide Educative en Milieu Ouvert. Florian avec son sourire habituel, m’a simplement demandé pourquoi ce ne pouvait être moi qui l’exerce !
Peut-être m’indiquait-il simplement qu’il avait trouvé quelqu’un qui l’écoutait et qui essayait de le comprendre. Il ne pouvait pas réfléchir seul sur son acte et sur ses conséquences. A la maison, il est seul aussi !
Mon rapport transmis, j’ai collaboré encore avec cette famille et le Rectorat pour rescolariser Florian. Au mois de mai, il intégrait un autre collège, plus proche de son domicile. Sa scolarisation a duré quatre jours !… Renvoyé pour menaces de faire pénétrer des individus extérieurs au collège, Florian s’est exprimé simplement : « On m’attendait. Ils voulaient ma peau, ils savaient qui j’étais, en fait… ils ne voulaient pas de moi ! » Sa mère est également dans le discours de l’évidence : « Comment voulez-vous qu’ils l’acceptent ?… C’est pas possible ! Je ne crois pas qu’ils voulaient de lui !... » Cette fois-ci, l’acharnement d’un suivi éducatif paraît déplacé !
Mais je ne peux pas le lâcher comme cela (sans doute je ne le veux pas ! ). Florian a gagné. A force, le sourire qui illumine son visage m’a converti ! … Il est vrai que je me suis attaché à ce jeune. Mon accompagnement, fait de rencontres ponctuelles, m’a fait découvrir Florian de jour en jour. Je refuse de croire que tout est perdu même si les nombreuses démarches, les rencontres passées à le motiver ou à le « bousculer », n’ont rien donné. Ce jeune peut réussir, je le sens, il m’est insupportable d’imaginer qu’il va dériver jusqu’à couler ! … La rencontre a été tellement dure à construire. Florian au départ, n’adhérait pas à l’accompagnement. Je lui ai laissé la porte ouverte jusqu’à ce qu’il entre (dans la relation), qu’il se libère et qu’on évoque ce père qui lui manque tant. Le mal de père, c’est la maladie de Florian !… Ayant la chance d’être père moi-même et ayant eu une grande complicité avec mon propre père, je m’autorise à croire que la blessure de Florian est douloureuse.
Avec Florian, nous avons eu parfois des rencontres difficiles. La succession d’échecs était le produit de ses actes. Je devais le mettre face à ses responsabilités sans lui tourner le dos et le laisser se débrouiller seul. Jamais il n’a loupé un de nos rendez-vous, il était même en avance à chaque fois.
Je pense lui avoir apporté écoute, soutien et reconnaissance dont il manquait tant. Même si cette reconnaissance passait en priorité par une demande de rappel à loi par l’autorité judiciaire. J’ai tenté de joindre son père qui vit à Bourges. Mes démarches sont restées sans résultats. Je souhaitais voir une amorce de contact reprendre entre eux. Mais les liens de sang ne peuvent vivre si les acteurs concernés n’en ressentent pas le besoin. Mon rôle de courroie de transmission, ne peut durer éternellement, l’après accompagnement éducatif repose sur la volonté de ce père à éduquer son fils. Pour l’heure, peut-être peut-on faire encore quelque chose. Alors je me dis que si Florian ne veut plus du scolaire pourquoi ne pas essayer l’apprentissage professionnel ?
En collaboration avec les services de prévention spécialisée de quartier (l’A.G.A.S.E.F.) et la maison de quartier, j’inscrit au cours de l’été, Florian dans un « chantier cuisine ». Quatre semaines de travail que Florian prend au sérieux. Durant cette période, j’irais le voir en pleine action.
Florian est satisfait de ce petit boulot et a très vite fait l’unanimité de l’équipe encadrante. Souriant quand il sert ou lorsqu’il débarrasse les tables, il se sent reconnu et apprécié. La presse désireuse de faire un article, sur les activités de cette maison de quartier, mettra Florian à l’honneur dans un portrait intitulé : « Le Sourire de Midi ! ». Lors d’une absence, il sera très surpris que le personnel s’inquiète pour lui. Il dira même « Je compte tant que ça pour vous ? ». Parallèlement, la proposition d’intégrer une Maison Familiale Rurale de la région lui est faite, afin de reprendre une scolarité. L’inscription porterait sur une 4ème professionnelle et ce dès la rentrée de septembre 2003. Florian et ses parents acceptent.
Novembre 2003
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