jeudi 18 août 2005
Il y eût, à la suite de cet incident, la première utilisation de la commission de réparation qui n’a pas convaincu nombre de mes collègues. La réparation, faisait office de sanction : A. devait faire un gâteau et le partager avec les jeunes du groupe concerné après échanges, discussion et tentative d’analyse de la situation avec lui-même, d’autres professionnels et moi-même lors de la réunion de cette commission. Cette réparation a fait beaucoup sourire et a alimenté de nombreux quolibets.
Le gâteau était bon, le partage bienvenu et cela a permis :
1- de mettre ensemble des mots sur ce qui s’était passé : mon insistance devant un refus exprimé et la réaction démesurée et inadmissible face à cela ; comme une violence interactive, 2- puis de passer à autre chose
Ce qui demeurait là était cependant bel et bien la confusion entre sanction et réparation : la décision de la commission de réparation faisait sourire quand l’absence de décision de sanction ne lassait pas d’interroger les collègues.
Une telle violence est inacceptable, comment y réfléchir ?
Proposition
:
Concernant la sanction et la réparation, la distinction nécessaire est à penser en deux temps et dans l’après-coup.
- La sanction est la confrontation à la loi et concerne l’institution, lieu « où s’institue la vie ». L’autorité, le représentant de la loi l’énonce. C’est un repère nécessaire de ce qui est autorisé, possible et de ce qui ne l’est pas, étant entendu que les limites à ne pas franchir sont explicites. Sanction à poser qui reconnaît le sujet, de sa capacité à répondre de ses actes.
Ce qui est difficile parfois, c’est d’élaborer la loi et de la faire fonctionner.
- La réparation « c’est la violence recyclée » (M. Vaillant) et elle concerne la démarche éducative. La commission de réparation est une instance qui peut permettre d’élaborer, de symboliser, de verbaliser l’acte posé.
Déplacer cette parole et l’accueillir, proposer une analyse. C’est un moment nécessaire.
Est-ce que la réparation peut être d’en parler seulement ? Ce peut être aussi reconnaître ce qu’autrui a subi et pouvoir en répondre.
« Quand on a pu faire réparation à quelqu’un, il semblerait qu’on supporte mieux d’être soi-même, que celui qui répare paraît mieux tenir le coup ».
M. Vaillant « La réparation »
Les deux démarches, institutionnelle et éducative ne peuvent être dissociées.
En guise de conclusion de travail
:
Réfléchir à la violence que le professionnel peut générer. Y-a-t-il eu des phrases en trop ? ou au contraire a-t-il manqué de mots dès le début de la matinée ? Ou enfin les deux à la fois ?
Se penser disponible ou bien faire un effort pour écouter et cependant rater, bref ne pas entendre.
Savoir que tout échange, toute relation sont transférentiels, qu’un acte de violence est un défaut de symbolisation et que la parole et l’écoute sont des médiations : « le réel de la pulsion n’est traitable que par le symbolique » (J. Rouzel).
C. Eychène, Enseignante
II- Formation violence
La scène que je vais décrire se passe à l'IME, fin septembre 2003. Je suis diplômé depuis juin 2003 seulement, et j'ai été embauché début septembre 2003, j'ai donc trois semaines d'expérience environ quand arrive l'événement suivant:
C'est un matin, je suis donc le seul éducateur sur mon groupe. Tous les jeunes sont déjà attablés autour du petit déjeuner dans la salle à manger, et moi je me trouve quelques instants dans le bureau pour lire un document. Je ne vois donc pas ce qui se passe d'où je suis, mais j'entends une jeune fille Léa et un jeune garçon Léo, se disputer. Immédiatement la jeune fille vient me chercher et me dit à peu près ceci: « Eric vient voir il y a Léo qui a pris tout le chocolat en poudre et il en reste plus pour moi, il veut pas m'en donner. »
Je me précipite alors dans la salle à manger, bien décidé à régler cette histoire. Je suis suivi de près par Léa qui reformule sa plainte devant tout le monde en montrant précisément combien le bol de Léo est rempli de chocolat. Effectivement je dois reconnaître que Léo a bien plus de chocolat qu'il n'en faut, et j'estime donc qu'il pourrait partager sans être lésé. Je m'approche donc de lui et, ayant vérifié que la boîte était vide, je lui demande de bien vouloir donner une partie de son bol à Léa. Je rajoute aussi qu'il n'est pas tout seul ici et qu'il aurait dû demander si quelqu'un en voulait avant de se servir.
Léo a l'air énervé par cela et me dit: « Non je ne donnerais rien, et ça te regarde pas! » Je lui réponds alors en haussant un peu le ton qu'il n'aurait pas apprécié de se retrouver dans la situation inverse et qu'il devrait donc partager son chocolat car il est encore temps. Dans le même temps je me suis déplacé, je suis presque derrière lui, un peu sur le coté prêt à attraper le bol de Léo pour faire moi-même le partage. Je n'ai pas le temps d'esquisser le moindre geste que Léo se lève brusquement en criant: « Lâche-moi! »
Pourtant je ne le tiens pas.
Il se tourne alors vers moi et essaye de me frapper. Je suis très surpris je ne m'attendais pas du tout à cela. Léo continue en étant hors de lui, j'évite la plupart de ses coups et arrive tant bien que mal à lui bloquer ses bras. Je suis obligé cependant de le maintenir un instant ainsi car il n'a pas encore l'air d'être plus calme. Je lui dis de s'arrêter qu'il ne doit pas se rendre compte de ce qu'il fait « frapper un éducateur c'est grave ! »
Jugeant Léo un peu moins agressif, je relâche mon étreinte. Ça y est c'est fini tout s'est passé très vite, et je n'ai pas vu pendant ce temps là, qu'un garçon du groupe est allé avertir les éducateurs d'un autre bâtiment qu'il y avait « une bagarre sur mon groupe ».
Je vois donc arriver un de mes collègues qui me demande si tout va bien, il me propose de rester quelques minutes avec moi, mais ça va. Enfin je suis énervé car je réalise vraiment ce qui vient d'arriver et je ne suis pas très à l'aise. Je préviens Léo que je ne souhaite pas en rester là et que je lui demande de venir avec moi, juste avant de partir en atelier pour faire le point ensemble avec la chef de service. Je ressens le besoin d'être rassuré.
Léo ne veut pas venir, et je n'arrive pas à le dissuader. C'est donc tout seul que je vais raconter mon histoire à la chef de service, qui à mon étonnement trouve positif que Léo ait réagi ainsi. En effet Léo est habituellement très véhément, mais il ne passe jamais à l'acte. Peut-être lui ai-je permis bien malgré moi de prendre un peu plus d'assurance en le poussant à bout. Toujours est-il que j'appréhende la suite, et même si je comprends que par cette transgression, par cet acte violent, Léo a peut-être trouvé le déclic qui va l'aider à changer et à prendre sa place d'adulte, j'espère que cela ne se renouvellera pas !
En repensant à cette histoire avec un peu de recul, je m'aperçois que j'ai fait pas mal d'erreurs dans mon intervention, que je suis arrivé notamment un peu vite pour régler cette histoire tel Zorro sûr de son fait. Ensuite j'aurais très bien pu demander à un autre groupe de nous dépanner en chocolat comme cela peut se faire parfois. En m'interrogeant aussi sur sa phrase « Lâche-moi! » je pensais que j'étais tout simplement trop près de lui et que j'étais entré dans son ''espace vital'' et que je n'avais pas respecté la bonne distance physique. Or il se peut aussi qu'il ait voulu dire « lâche-moi les baskets, tu me saoules ! », car en lui disant non je coupais court à la jouissance qu'allait lui procurer sa décision de ne prendre en considération que ses désirs premiers.
Le soir même de cette altercation Léo est venu spontanément et sincèrement s'excuser, il sait qu'il ne doit pas faire cela. C'est vrai que ce jeune homme qui était plutôt en position de bouc-émissaire sur l'établissement a réussi ici à lâcher toute son agressivité; ce n'était pas une attaque dirigée contre moi personnellement mais peut-être plus contre l'image du père, de son propre père que je pouvais lui renvoyer.
Sachant les difficultés relationnelles et affectives de Léo avec son père, l'hypothèse précédente n'est pas à exclure.
Par la suite, il n' y a pas eu de « clash » de cet ordre là avec Léo, mais des relations difficiles avec de nombreux conflits en rapport avec l'autorité que je représentais.
La scène s’est déroulée dans un I.R. où j’occupais les fonctions d’institutrice spécialisée dans une classe d’adolescents âgés de 13 à 15 ans.
Un après-midi, je décidais de projeter un film et j’amenais mon groupe d’élèves dans la salle réservée à cet effet. Une éducatrice m’accompagnait. Ce déplacement ne s’effectuait jamais sans risques et l’installation était souvent houleuse !
Dans ce groupe, très dynamique, il y avait Thomas, jeune adolescent particulièrement perturbé sur le plan comportemental et relationnel. Il était intelligent malgré un retard scolaire important ; d’un physique agréable, séducteur, il se posait en « caïd » dans l’institution – Institution en tant que « lieu où vit un groupe qui se construit » (le transfert d’après J. Rouzel). Ce jeune Thomas s’opposait systématiquement et transgressait les règles avec un malin plaisir. Il n’avait aucun respect pour le travail des autres, était insolent et provocateur envers les adultes remettant régulièrement en cause leurs paroles. Il rackettait les plus fragiles et, en dehors du regard des adultes, se montrait violent et malsain envers certains jeunes vulnérables.
Il y avait des élèves de l’I.R. qui se soumettaient à ses volontés, par crainte, et semblaient perdre leur identité en sa présence ; il les faisait agir à sa place sans problème. Son attitude frôlait la perversion.
« Le travail éducatif est un métier dangereux où l’on part au front tous les matins…. Le front, c’est la confrontation avec des personnes en grande souffrance psychique et sociale. » (J. Rouzel). Tel était le cas de Thomas. Ce jeune était en souffrance, conscient de ses difficultés relationnelles et scolaires et incapable d’y faire face, impuissant devant la tâche insurmontable que représentaient ces obstacles. La situation d’apprentissage donc de déstabilisation cognitive, engendrait chez lui de l’anxiété de la frustration et des réactions violentes car le contexte familial ne lui avait pas permis de se constituer une sécurité de base suffisante lui permettant de se risquer dans des déstabilisations cognitives.
Je devais représenter un « éduc à tuer », d’ailleurs j’avais droit à des menaces du genre : « si tu le dis à mon père… je te tue et là je serai soulagé ! J’irai en prison mais tu seras morte donc je serai bien….. »
Revenons au fait : tous les élèves s’installent devant la télévision, le film commence, les jeunes sont relativement calmes. Tout d’un coup, pour une raison anodine, Thomas se jette sur son voisin, moins costaud que lui, l’attrape par le cou et le serre très fort comme pour l’étrangler. Nous intervenons immédiatement en lui demandant de lâcher cet élève, il continue à serrer, nous essayons de les séparer de toutes nos forces, nous sommes en colère et en même temps effrayées : mais il ne nous entend pas. Finalement Thomas lâche sa victime en état de choc et s’enfuit en courant. Les élèves témoins de la scène sont visiblement secoués. Nous essayons de les réconforter en dédramatisant la dispute mais un sentiment de colère et d’impuissance nous envahit.
Les responsables de l’établissement sont prévenus aussitôt. Apparemment notre émotion n’est pas partagée…. Je considère que l’acte commis est grave et ne doit pas être banalisé. Je demande une réunion pour en parler. Le lendemain matin, Thomas revient en classe comme si de rien ne s’était passé : aucun sentiment de culpabilité ne l’habite. Je ne peux supporter cette attitude et la banalisation de cet acte. Je considère que ce jeune Thomas va de plus en plus mal et qu’il devient dangereux pour les autres.
Enfin, je suis entendue et il est décidé que ce jeune passera en conseil de discipline et que son cas sera soumis à la commission de réparation : instance qui permet de remettre de la parole et du social là où il a eu transgression et passage à l’acte violent.
La sanction fut la suivante : exécuter des travaux de jardinage le samedi matin sous la surveillance du chef de l’établissement.
Mais voilà, cette sanction-réparation fut en fait, un grand moment de plaisir pour ce jeune homme. C’était presque un honneur pour lui de venir travailler tout seul dans l’établissement et faire son activité préférée. Comme il sut se montrer poli et charmant on lui offrit le petit déjeuner et un cadeau de remerciement. Résultat, Thomas interpréta cette sanction à sa façon : la Loi était de son côté, son acte restait anodin, la preuve ? Il avait fait ce qu’il aimait et le chef de l’établissement l’avait félicité et récompensé !
Sanctionner est un mot à double sens : cela peut signifier « approuver, confirmer par un acte officiel ou au contraire prendre une mesure répressive ».
On peut constater que le choix de la « sanction » dans nos établissements se pose de manière difficile : il paraît tabou ! On doit se poser la question de la compréhension, du lien que le jeune est capable d’établir entre l’acte répréhensible qu’il a commis et la sanction qui en résulte. Il transgresse la loi et « la punition » devient une récompense. Où sont les repères et la cohérence ?
Dans « Le transfert et son maniement dans les pratiques sociales page 12 » Joseph Rouzel écrit : « les éducateurs sont à une place que la société exige de tenir : transmettre des limites. Mais par ailleurs, ces limites elle s’empresse de les détruire. » Sur la même page il évoque une histoire où se pose la transmission des limites et ce cas fait écho à la situation que j’ai exposée. En effet, il dit : « Ce jeune se fatigue à transgresser, sans doute parce que c’est comme pour tout adolescent, la seule façon de repérer son désir à travers une confrontation à la loi, et rien ne répond. Rien ne répond de son acte et donc rien ne lui permet d’en répondre à son tour. Il est dépossédé du sens de son acte. C’est un jeune sans limite ».
Rappeler la Loi fait exister l’autre. La loi n’est pas faite par l’adulte dans la situation mais simplement dite par lui, ce qui est tout autre chose. Sur le fond, ce qui permet de sortir de la crise c’est la référence à une Loi commune qui n’est pas faite par les protagonistes mais à laquelle ils sont soumis conjointement. Donc, la réflexion sur la violence ne peut faire l’économie d’un débat social sur la question de la Loi. L’efficacité d’une sanction se situe au niveau de la parole qui la fonde et non au niveau de la privation matérielle qui la signifie et toute sanction matérielle devrait être posée comme un acte signifiant. Il est donc nécessaire de reprendre l’événement après coup et d’exprimer au jeune ce que l’on a ressenti..
Bien sûr il faut faire la différence entre les passages à l’acte qui relèvent de la pathologie de ceux qui relèvent de la délinquance.
De toute façon, il est indispensable de sanctionner l’acte violent, quelles qu’en soient les motivations profondes car s’il n’y a pas de sanction, le geste n’a pas de sens…. Il existe des pratiques pédagogiques, qui sans prétendre être capables de régler toutes les crises peuvent nous aider à les prévenir et même à les éviter. Je citerai comme exemple, entre autres, les pratiques de la pédagogie institutionnelles où existe une instance nommée « conseil » qui, en amenant les protagonistes à s’exprimer et à écouter, propose au conflit une autre solution que la violence….
P. Bourdieu, sur ce thème, a écrit : « Le travail pédagogique a pour fonction de substituer au corps sauvage et en particulier à l’éros asocial qui demande satisfaction à n’importe quel moment et sur le champ, un corps « habité » c’est à dire temporellement structuré ».
Ce travail passe par l’apprentissage de la parole. Quand l’enfant parle au lieu d’agir, il est sur le chemin d’une maîtrise du monde et de soi-même absolument nécessaire à la vie en commun dans les sociétés humaines.
Est-ce que notre fonctionnement institutionnel, nos pratiques pédagogiques et éducatives donnent toujours aux jeunes les moyens de faire ses apprentissages ?
Au plan des structures, ménage-t-on réellement des lieux de paroles qui permettent aux jeunes de prendre des décisions concernant leur vie ?
En conclusion, comme le pense J. Rouzel :
« L’institution est à fabriquer en permanence, elle est le fruit de chacun, quelle que soit sa place. Les lieux où se fabrique l’institution ce sont ces lieux de paroles et d’activité, formels ou informels, qui permettent à un groupe humain de rester vivant et à ses membres de se supporter les uns les autres ».
Yvette Souchon, Enseignante
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