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Une violence bien ordinaire

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Fanny Rouzel

mardi 20 novembre 2007

Rennes, le 10 octobre 2007

Par Fanny Rouzel, aide medico psychologique, dans le cadre d’analyses de pratique professionnelle d’auxiliaire de vie près de personnes âgées à domicile, à Rennes, dans une association mandataire.

Je travaille comme auxiliaire de vie auprès de personnes âgées. Dans mes textes précédents : bougrement quotidien et corps à corps, donner du temps au temps, je parlais de ce qui me fait violence dans ma prise de contact avec le corps de l’autre pour le porter à bout de bras jusqu’à l’aube de la vie. J’ai choisi de mettre mon expérience en mots pour qu’ils fassent échos à tous ces mots qui me manquent au grée des jours qui s’égrènent dans le silence de la chambre où la fin de l’histoire s’arrêtera avec celle de ce vieux qui s’en va. Pour tenter de redonner la parole à ce métier du silence et de l’ombre, voire de l’abnégation.

Je viens aborder ce jour la sexualité et la manifestation de la violence chez la personne âgée. Je travaille avec des êtres humains et bien que je conçoive ce qui me semble être dans l’ordre des choses : être âgé ne veut pas dire être asexué, je suis souvent confrontée à ce problème, comment se dégager de ce qui fait que l’on devient sujet ou objet de pulsion et de désir ?

J’accompagne un monsieur depuis plusieurs années. Il a toujours fait preuve à mon égard d’une certaine affection bienveillante jusqu’à ce qu’il se mette progressivement à manifester des pulsions sexuelles, exprimées non seulement dans le langage mais dans les gestes qu’il avait à mon intention et celui de mes collègues, de l’entourage : mains baladeuses, caresses soutenues, langage grossier, propos obscènes, en dehors de toute pathologie mentale ou neurologique ? .

Cela s’est manifesté de façon de plus en plus intempestive. Pour verbaliser, aucun problème les choses étaient exprimées tout de go, les vulgarités allaient bon train.

Peut-être est-ce une personne dont la sexualité fut refoulée et avec l’âge, la retenue n’existe plus. Notre intervention, faite de douceur et d’écoute personnalisée favorise aussi le lâcher prise, l’amollissement de la retenue. C’est en quelque sorte l’homme âgé qui acquière une toute puissance sur son aide à domicile. L’accomplissement d’actes de la vie quotidienne tels que la toilette intime n’est pas sans favoriser ce comportement, même si les gestes sont exécutés sans ambiguïté. Au fil des semaines, j’ai pris conscience qu’il en tirait bien de la satisfaction, que j’allais dans le sens de ce qui lui procurait du plaisir, je l’avais bercé et conforté dans sa toute puissance de mâle.

Mes gestes qui pour moi avaient valeur de fonction soignante qui se définit comme cette capacité à donner, le comblaient de satisfaction et se substituaient petit à petit à leur objectif primaire : prendre soin. J’ai été confrontée plusieurs fois à ce type de situation dans la prise en charge des messieurs, dont un qui souffrait de cécité totale, mais il n’avait pas perdu le sens du toucher, en clair, il n’était pas manchot. Un autre était totalement grabataire, victime d’un accident vasculaire cérébral, totalement aphasique, mais le geste prompt et leste à nous pincer les fesses.

Dans ce cas, c’est nous qui sommes instrumentalisées, réduites à l’état d’objet de satisfaction. En cas de réticences, les remarques accompagnent les gestes « t’es payée pour cela » J’ai même entendu : « tu es tout juste bonne à écarter les cuisses ». On remet une fois en place puis une autre et puis la main est vivement repoussée, avant que ça ne devienne excessivement pénible au point d’y aller à reculons. Il y a le risque ensuite d’être soi-même moins attentive. Je comprends parfois la maltraitance de certaines soignantes dans des cas aussi précis et loin de l’excuser, je pense qu’elle fait partie d’un mécanisme de défense, inconscient et sourd, qui, s’il n’est pas verbalisé, peut entraîner de nombreux dérapages. On parle aisément du manque de respect des jeunes générations à l’égard des aînés, et rarement de l’inverse, nécessairement, il doit y avoir réciprocité.

J’ai déjà précisé lors de mes précédents écrits que nous travaillons seules, pour une association mandataire, sans réunion d’équipe, sans échanges avec les collègues. Formées, certes, nous le sommes (CAFAD, DEAVS, AMP…) au cours de ma formation d’aide médico psychologique, j’ai survolé un module sur la sexualité chez la personne handicapée.

J’ai travaillé avec de jeunes handicapés moteurs : IMC, invalides moteurs cérébraux, que nous étions amenés à aider pour accomplir l’acte sexuel avec leur partenaire. Cette démarche était discutée en équipe, mûrement réfléchie et pratiquée avec la plus stricte discrétion et pudeur. Nous les portions dans leur lit et les accompagnions pour réaliser leur désir. Je trouvais cela juste et dans l’ordre du normal. Rien de plus terrible que d’avoir des désirs sans parvenir à les réaliser, l’aide d’une tierce personne pour ceux qui étaient privés de toute mobilité s’inscrivait dans la logique. Le contexte était bien différent de celui que j’évoque avec vous.

En clair, puisque les questions de maltraitance sont tant à l’ordre du jour à l’égard des personnes âgées, parlons aussi de celles dont sont victimes toutes ces petites mains qui les prennent en charge et là, je ne lis jamais rien, je n’entends pas d’émission sur ce sujet. Il ne s’agit pas de diaboliser le grand âge mais de dire ce que nous vivons au quotidien, dans l’isolement et l’oubli de tous. Car on imagine mal l’auxiliaire de vie engager des poursuites contre son employeur, celui qui la nourrit, pour harcèlement sexuel et moral aussi.

Bien sûr cet état de fait est favorisé et se produit souvent chez des gens qu’il faut porter à bras le corps, pour les déplacer, les laver, les habiller et même si nous disposons d’un lève malade, il faut tout de même glisser les harnais, donc manipuler le corps d’un côté et de l’autre. et il est impossible d’échapper à la prise de contact.

Je reconnais, même si j’ai failli parfois la passer sous silence, que la sexualité chez la personne âgée est dans l’ordre des choses, l’ignorer serait lui interdire l’accès à l’humain. Mais de fait il ne saurait être question que je devienne objet de leur désir, de leur violence aussi.

La sexualité chez la personne âgée n’est jamais abordée dans les manuels de cour, ou sur la pointe des pieds en ce qui concerne les handicapés. On pense qu’à 83 ans, 90ans toute manifestation sexuelle est éteinte, ou que ce ne sont que des scories d’une sexualité ensevelie. J’ai très peu recueilli de témoignages de soignants qui opèrent auprès de la gente féminine. Il faut dire que notre profession est féminisée à 99%, mais je me souviens d’un aide-soignant qui me disait que lorsqu’il faisait une toilette à une grand-mère elle lui disait d’insister car c’était »bon »

De fait, j’ai mis du temps à en parler avec l’entourage proche de ce Monsieur. Comment aller raconter à la fille que son père a un comportement irrespectueux.

Un peu d’éclairage

Comme d’habitude et peut-être pour éclairer la lanterne de mes collègues, ces fourmis travailleuses qui œuvrent silencieusement je suggérerais l’usage de quelques outils.

La non acceptation d’emblée : je me suis opposée vivement à ce monsieur le jour où il m’a fait basculer sur son lit prétextant que c’était pour éviter lui-même de tomber. J’ai remis du cadre et exigé du respect, sinon, c’était terminé. Il ne faut pas hésiter à alerter l’entourage, la famille et ne pas tourner cela en dérision comme je l’ai vu faire par les nombreuses stagiaires que j’ai accompagnées : « ce n’est pas grave, il est vieux ».

L’âge n’excuse rien, ni le non respect, ni la prise de pouvoir de celui qui nous à placé sous son autorité, sous prétexte qu’il existe entre nous un lien de subordination. Cela s’appelle du harcèlement sexuel au même titre qu’il est défini dans le code du travail et pénal. En ce qui concerne Mr X, j’ai repoussé ses gestes et mesuré les miens, l’incitant à accomplir tout seul une partie de sa toilette intime, j’en ai référé à l’IDE qui passe pour la distribution de médicaments, j’ai exigé qu’il s’en accommode.

A sa décharge, il ne s’est jamais montré violent physiquement, mais l’insistance de ses gestes de ses propos, m’agressaient, tournant et retournant inlassablement en boucle, rompant de façon définitive toute forme de communication cohérente.

Dès le début, j’ai resitué le cadre de mon intervention, les limites aussi, mais ce monsieur s’est mis à simuler, la chute, le malaise, à geindre et se plaindre et m’agripper au passage pour me faire réagir. J’ai dit non et induit une telle frustration chez lui, qu’il me bombardait ensuite de messages culpabilisant dans le but de me mettre dans l’embarras : que j’étais payée pour lui laver les fesses, lui torcher sa merde, lui éviter de tomber.

Ce qui m’échappait c’est le motif de cette attitude car je le connaissais depuis 3 ans déjà quand ces faits se sont produits. Testait-il mes limites ou bien était-ce la révélation d’une pathologie latente ? D’après le médecin, ses gestes étaient conscients. Je ne répondrai ni à l’aspect psychologique, ni à l’aspect clinique de cette situation. Je suis dans le témoignage de pratique professionnelle, comme d’habitude. Son médecin traitant lui a passé un savon monumental et lui a prescrit un traitement pour le calmer. Depuis, c’est nickel, plus de débordements. Car nous étions en droit de se demander si cela était irréversible.

J’ai travaillé chez une dame de 85 ans, présentant un syndrome dépressif. Cette dame n’était pas sortie de son appartement depuis 9 ans. Elle errait en robe de chambre toute la journée, hirsute, sale comme un peigne, méchante comme une teigne. Aucune institution n’acceptait de s’embarrasser d’elle. J’arrivais dans l’appartement, elle poussait des hurlements de bêtes féroces, mais cohérente dans ses propos, du style : « qu’est-ce que tu viens me faire chier, tu ne vas pas rester longtemps, comme les autres, tu ne tiendras pas, je te foutrai dehors. »

Elle refusait que je franchisse le pas de sa chambre, n’ayant accès qu’à la cuisine et la salle à manger où je lui servais son repas quotidien, toujours la même chose : une escalope et une boite de petits pois qu’elle me contraignait à aller chercher à près d’un Km de là. Un jour, elle m’a balancé l’escalope dans la figure en hurlant que ma viande était dégueulasse.

Elle avait usé et laissé sur le carreau des dizaines d’aides à domicile avant moi. Le boucher me racontait que les jeunes surtout venaient pleurer à chaudes larmes dans son officine. Son fils refusait désormais de lui rendre visite et de la prendre en charge. J’étais donc livrée à moi-même avec cette folle, car le mot est celui qui convient, une espèce de tatie Danielle, avec en plus un caractère de dangerosité dans le comportement. J’ai de l’expérience, y compris auprès de publics présentant des troubles mentaux et j’étais curieuse de voir comment les choses évolueraient, mais je souhaitais aussi le faire pour toutes les autres qui sont passées avant et qu’elle avait tant maltraitées. Je me croyais plus forte. Aussi, je lui ai tenu tête et persévéré Un jour elle a saisi une paire de ciseaux et l’a levée dans ma direction, comme une furie, et s’est jetée sur moi. Il s’en est fallu de peu, j’ai attrapé son bras et l’ai plaquée contre le mur. Les ciseaux sont allés se planter dans le plâtre…Sincèrement, elle voulait me tuer. C’est la dernière fois que je l’ai vue, j’ai appelé les services de police et elle a été hospitalisée d’office. Je ne me souviens pas avoir eu peur, peut-être dans le feu de l’action, était-ce un vain mot.

Ainsi, parfois, nous pourrions bénéficier d’une prime de risques… déjà soyons reconnus pour le caractère de pénibilité que la fonction implique et ce ne sera pas si mal..

Je l’ai dit, dans ce milieu, pas de confessionnal, la porte de sortie est celle du paillasson et de la serrure que tu refermes à double tours, derrière toi.

Je sais qu’on ne sait jamais rien, que rien n’est jamais acquis, qu’il faut continuellement se remettre en question. Je me souviens seulement que cette altercation m’a rappelée pourquoi j’avais fait le choix de travailler chez les personnes âgées.

Peut-être est- il temps de le dire, de l’écrire. Et si je peux….

J’ai moi-même été victime de violences physiques et d’abus sexuel. J’étais en formation pour 3 ans, j’ai tout arrêté, j’étais brisée, hachurée, fragmentée. J’ai décidé de me mettre à l’abri en travaillant chez les personnes âgées et surtout pour me reconstituer. Pourquoi le dire aujourd’hui ? Mais aussi pourquoi placer là cet état de fait, alors que les choses semblent être toutes à leur place, avec une histoire qui pourrait déranger. A cette époque, je n’ai rien dit, rien formulé. Il me faut ce jour, encore et toujours, réinstaurer la parole et lui donner corps dans ce qu’il y a de plus accompli.

Comme à l’accoutumée, tout cela est exprimé surtout pour témoigner de mon expérience mais aussi de celle des autres. Agrée tutrice de stage et membre du jury d’examens, je reçois toute l’année de nombreuses stagiaires. Beaucoup, parmi celles qui sont orientées dans ce métier sont des écorchées vives ou des laissées-pour-compte : Rmistes, en rupture scolaire, familiale ou sociale, mais aussi économique elles n’ont pas choisi cette voie : on leur l’a imposée. De là à dire que c’est une voie de garage, je vous laisse seuls juges. Certaines sont très diplômées, dans des secteurs complètement sinistrés, au chômage de longue durée. Beaucoup ont connu la violence et des situations très difficiles : élevant seules des enfants qu’il faut entretenir. De plus en plus sont issues de pays d’Afrique du nord, du tiers monde, des Comores. Elles sont entrées dans la vie active en effectuant du ménage industriel ou chez les particuliers.

Au début, j’ai crû qu’en travaillant au domicile de vieux, je serais protégée pour toujours des aléas de la violence et de la maltraitance, c’est ce que j’ai espéré. Mais la vie n’est pas tendre et te ramène sur ton chemin là où tu n’as pas voulu t’arrêter pour ne pas voir une triste réalité. J’étais sans doute persuadée que je n’aurais rien à craindre de leur diminution, de leur fragilité.

Ce sentiment s’est souvent avéré être un leurre. Et j’en ai eu vite marre d’entendre le leitmotiv sur le respect que nous devons aux aînés. Et les vieux, alors, n’ont-ils pas l’exigence de respecter nos droits et leurs devoirs? Dès le début, ils nous tutoient. On met cela sur le compte de leur génération, la différence de l’âge mais c’est souvent pour nous utiliser et nous soumettre de façon tout à fait objective.

Parfois, j’ai pu observer que dans notre métier, le respect le plus élémentaire n’est pas toujours de mise. Souvent, dès le départ, les règles de politesse basiques ne sont pas toujours présentes, tel que le souhait du bonjour et du bonsoir. Parfois ce sont des ordres d’exécution qui fusent dans tous les sens.

J‘en conviens, chez des gens qui n’ont jamais bénéficié de service à la personne, ce n’est pas toujours facile d’accepter l’aide d’une étrangère, souvent imposée par la famille, ou recommandée par les travailleurs sociaux, le médecin. C’est vrai que c’est une intrusion dans la vie privée d’autrui, dans son chez soi souvent le plus intime, surtout quand il s’agit de prendre en charge le soin corporel. Mais, les étapes se franchissent pas à pas, il ne s’agit pas pour nous de se jeter immédiatement dans la bataille, si bataille il y a d’ailleurs, mais d’apprivoiser la personne, le temps de la mise en confiance.

Je reconnais cependant que dans certains établissements, dans certains gros dispositifs d’aide comme ceux des communes : le rythme imposé aux auxiliaires de vie est tel qu’il est impossible de respecter ces étapes. J’ai travaillé dans une grosse fédération où mon planning d’intervention n’était jamais respecté, j’étais appelée, dans tous les sens géographiques pour des durées très courtes : souvent 1H, sans trop bien savoir chez qui j’allais ni pour quoi y faire. Le temps d’arriver, d’échanger quelques mots, pour comprendre le sens de la démarche et d’exécuter les tâches à accomplir, et voilà, le temps avait filé, la personne demeurait là, toute pantois, sans demander son reste et nous le notre car il nous fallait courir ailleurs, il y avait toujours une suivante.

C’est encore plus probant dans les services de soins à domicile ou l’essentiel du travail est d’accomplir des soins d’hygiène et de confort : lever, toilette, soins de nursing, habillage Change du linge de nuit. Pour moi, mais je n’engage que ma personne, c’est de l’abatage : quand on n’a pas plus de ¼ d’H, maximum 20mn, pour tout faire.

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Bien souvent il n’y a pas de suivi de clientèle, on change tout le temps de lieu et de personne alors comment faire dans ces conditions un travail cohérent, dans le respect de l’individu. On comprend qu’une malade d’Alzheimer qui se fait trimbaler de cette façon et manipuler dès petro minet, soit opposante, voire même violente.

Puisqu’il est question de prise en charge de malades d’Alzheimer, dans l’évolution de cette maladie, il y a aussi de forts épisodes de violences incontrôlés et incontrôlables, car la force de la personne se trouve décuplée. J’ai déjà été bloquée par une malade, les bras tordus, maintenue, dans l’impossibilité de me dégager. J’attendais, que ça se dissipe, que la crise passe et que l’ange repasse, car je sais qu’il y a rarement passage à l’acte, mais sans bouée de sauvetage, je n’en menais pas large.

Je viens de m’exprimer longuement de ce qui est violence.

Mais il y a aussi ce qui nous fait violence

Accompagner des heures durant dans la plus extrême des solitudes celui qui s’en va si doucement que l’on perd la notion du temps, sans perdre pied : le tien, celui de l’autre, jusqu’à ce que la mort nous sépare. Ceci, cela, peu importe est d’une extrême violence qui nous saute à la figure, nous prend dans un étau et nous laisse démunie, sans autre issue de secours que de passer à autre chose, à quelqu’un d’autre.

J’aimerais, sans doute un rêve, que l’on nous accorde ce temps du deuil où toute cette présence accumulée au jour le jour, soit non pas comptabilisée mais prise en compte comme serait en droit de le faire la mémoire du temps : composée de milliers de gestes de tendresses,

de commisération, d’écoute et parfois d’absolu abandon de soi, de mansuétude, qui mises au bout les uns des autres forment un tout immense qui malheureusement ne s’inscrit jamais dans la mémoire du temps. Il s’appellerait reconnaissance ? Moi, je le reconnaîtrais

J’ai accompagné une dame qui souffrait de Parkinson, d’Alzheimer et d’un accident vasculaire cérébral. Je me rendais chez cette personne, totalement aphasique, grabataire, pour toute la journée, le temps que son mari puisse un peu souffler et se retrouver dans sa vie sociale. Il n’y avait rien à faire hormis le fait de lui donner son repas mouliné à la cuillère. Elle présentait une attitude de repli sur soi : position fœtale, pieds en équin, absence totale de réactions aux stimuli, ne soyons pas cruel, mais disons les choses comme elles étaient : une vie végétative. Même si pleine de bonnes intentions à priori, je pensais lui consacrer mon temps en lui offrant le maximum de mes possibilités, disponibilités : langage verbal ou pas, émission de la musique, massages. Au bout de plusieurs mois, je reconnais, que je n’avais qu’un souhait : qu’on en finisse, elle et moi. Il ne s’agissait plus d’une relation humainement définissable mais d’accompagner un entre deux où jamais je ne pourrais entrer dans ce tunnel.

Me faisait violence cette absence de vie, de mots, ce silence innommable ou rien ne transparaissait jamais. C’est dur à dire et vous en conviendrez, mais j’avais hâte qu’elle meure, qu’elle me libère de mon engagement. Comme elle faisait fréquemment des fausses routes, elle a été hospitalisée pour infection pulmonaire et j’ai demandé à son mari de rompre le contrat, pour me libérer.

Me fait violence, pour ne pas dire nous au risque de généraliser, toutes ces situations d’urgence où il faut gérer au mieux les gestes à accomplir. Appeler les secours qui se font attendre une éternité parce que votre client à 85 ans et qu’il y a plus urgent que votre urgence à vous : 27 de tension, vomissements, maux de tête, 2 fois déjà SOS médecin est passé, sans nécessité d’hospitalisation. Je fais quoi, j’attends que le cerveau pète, je me casse ou je casse la baraque. Une journée, ça a duré, il était à bout. J’ai simulé 1 scénario avec l’aide de mon client, de celui que j’aide « Vous vous laissez tomber sur le sol et je ne vous relève pas et là, j’appelle pour dire que vous êtes par terre et que je suis dans l’incapacité de vous relever, vu mes petits bras, ma morphologie fragile. « Fais-le ma fille, a t-il dit, parce que sinon ils me laisseront mourir et toi tu souffres tellement pour moi, soulage-toi, moi ma vie n’a plus d’importance » Ils sont venus, ils étaient tous là : pompiers, Samu, réa, masque à oxygène et ils l’ont emporté. J’ai pensé à ma vie qui défilait aussi, je ne veux pas mourir non plus dans des circonstances aussi atroces.

Violence face à un système de protection sociale qui traîne lamentablement ses vieux. Pourquoi pas dire aussi : une bonne canicule et ça en fait 3000 de moins. Un vieux ça coûte et ça n’a pas vraiment un caractère de rentabilité. J’ai conscience que mes propos sont chocs, mais je suis là, anonymement ou presque pour le dire : notre société bien pensante, au demeurant, ne fait qu’occulter le problème du vieillissement. C’est comme la sexualité : un sujet tabou. Personne ne pense que demain, plus de la moitié de la population sera concernée. La vieillesse fait peur, la mort fait peur et à nous, nous fait violence parce qu’elle est omniprésente dans notre métier, elle conditionne nos actes et nous contraint de composer avec. De grâce, cessons les hypocrisies, regardons enfin les choses en face, demain c’est moi qui serait là, c’est vous, grabataires ou non, mais de plus en plus vieux. Regardez-moi en face, j’ai donné la vie, je l’ai perpétuée, j’ai accompli mon travail d’humain, reconnaissez-moi en tant que tel. C’est mon leitmotiv, sûrement pas le dernier.

Je vous laisse pour ce jour

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« Passons puisque tout passe je me retournerai souvent, les souvenirs sont cor de chasse dont meurt le bruit parmi le vent ». Je n’aime pas particulièrement Lamartine. C’est de ces vers, vice et versa, où la simplicité est de mise que je tirerai ma conclusion.

En un autre temps, je reviendrai écrire un autre épisode, en ce lieu et place pour dire la vie de la petite main qui va qui vient. Il y a longtemps déjà que j’ai décidé de déterrer les choses enfouies, d’en faire un bouclier du présent pour que plus jamais conscience m’oblige à dire que cela ne saurait avoir existé.

Mais loin de moi l’idée des généralités, cette expérience, cette narration du vécu, sont les miennes. N’oublions pas, pour beaucoup, nous sommes le rayon de soleil qui pénètre dans la pièce assombrie, nous sommes l’espoir du lendemain et l’amour qui n’est plus. Certains m’appellent ma fille, je suis en quelque sorte une partie de ce lien symbiotique qui les réunit encore à la vie. Je serai là peut-être quand le fil ténu va se rompre et je ne regrette rien, car ce métier je l’aime et si j’écris, c’est bien pour le réhabiliter pour le faire sortir de l’ombre, avec un morceau de soleil pour réchauffer l’eau froide. Pour toutes celles qui s’apprêtent à entrer dans ce sacerdoce, y viennent en connaissance de cause. Voyez comme l’arbre a fait des racines, il a grandi et respire les hauteurs étoilées !!! Merci de votre attention.

A bientôt. Fanny Rouzel

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