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Transfert et institution. De l’actualité de la psychothérapie institutionnelle.

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Fabien Rouger

samedi 06 juillet 2019

Transfert et institution

De l’actualité de la psychothérapie institutionnelle 

 

 Quelle place pour la psychanalyse dans les établissements médico-sociaux ? La question peut se poser si l’on s’en tient aux nombreuses critiques médiatiques, relayées par les réseaux sociaux, qu’elle essuie ces dernières années : elle n’aurait aucun fondement scientifique, contrairement aux thérapies cognitivo-comportementales et n’aurait pour effet que de culpabiliser les mères tout en laissant les personnes concernées livrées à elles-mêmes. L’objet ici n’est pas de trancher sur les causes organiques, génétiques et environnementales de tel ou tel «trouble», ni de dédouaner la psychanalyse et les psychanalystes de leur responsabilité dans les critiques qui sont émises à leur encontre. Au-delà de ces débats douloureux et passionnés, il s’agira plutôt de rappeler que la psychanalyse est tout à fait pertinente pour traiter les angoisses présentes en institutions de soin et d’éducation à partir d’une de ses découvertes fondamentales et de ses conséquences : le transfert. 

Les personnes que nous accueillons (celles qui ont la chance de trouver une place dans nos établissements, après des années de galère pour beaucoup) sont de plus en plus considérées exclusivement du point de vue de leur handicap (sensoriel, psychique, mental…), c’est-à-dire du côté de ce qui leur fait défaut et qui doit être compensé pour pouvoir être inclus dans une société démocratique, mise en devoir de devenir elle-même inclusive. Dès lors se rejoignent deux démarches : l’une de rééducation, ou tout du moins d’éducation spécifique fondée sur des critères « scientifiques » 1 (dans une logique d’éducation tout au long de la vie, comme il existe un droit, voire une nécessité à la formation tout au long de la vie pour rester compétitif sur le  marché de l’emploi en maintenant et développant ses  compétences ) et l’autre, politique sur l’adaptation de la réalité sociale elle-même qui doit faire une place à la différence, s’adapter, voire la valoriser. Il y a ainsi production d’un savoir officiel technocrate (à travers par exemple les recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de Santé) qui entend constituer la marche à suivre pour quiconque prend en charge telle ou telle catégorie de personnes en situation de handicap par exemple. Dès lors le risque est grand au nom de cette objectivité à tout prix et d’une  neutralité axiologique 2 quelque peu instrumentalisée, de verser dans une forme de scientisme aveugle, un objectivisme forcené plutôt qu’une objectivité pertinente. Pour illustrer plus concrètement un des aspects du débat autour de cette question de l’objectivité dans les sciences humaines, je prendrai tout d’abord appui sur les travaux toujours actuels de Paul Fustier. Dans  Les corridors du quotidien , il montre, à partir de nombreuses interventions réalisées dans des établissements sociaux et médico-sociaux et d’une reprise des travaux de Donald W. Winnicott, comment la relation des éducateurs aux jeunes qu’ils prennent en charge s’organise à partir d’une  théorie spontanée  du manque à combler. Cette représentation s’appuie sur l’idée qu’il y aurait un manque, un déficit de l’enfant carencé et que si le  plein  venait alors remplir ce  vide  l’enfant pourrait changer. Selon Fustier ce point de vue s’institue à partir de la réactivation d’un rapport archaïque aux soins du nourrisson. Il n’y a pas dans ces théories spontanées d’approche scientifique et c’est pourtant généralement à partir de cette position éducative que va être revendiquée une certaine objectivité, une certaine « scientificité ». Fustier écrit à ce propos qu’« à une période donnée de son histoire, une société (ou une microculture) propose à ses membres un certain nombre de théories et d’idéologies qui sont disponibles sur le marché des idées. Toutes les fois que ces informations, en provenance de l’extérieur, entrent en résonance, ou font écho, avec un organisateur présent dans l’infrastructure, l’institution produit des  théories spontanées 3  ». L’enfant est ainsi souvent décrit comme ayant exclusivement besoin d’amour, d’attention, de cadre, de retrouver l’estime de soi, d’apprentissages spécifiques… autant de choses que l’on va s’efforcer de lui donner. Fustier montre les écueils d’une telle intervention basée sur une seule théorie des besoins. Car c’est bien plutôt en remettant en question ces évidences (étymologiquement « ce qui saute aux yeux ») pour questionner la position subjective de chacun dans une relation transférentielle, ou plus précisément selon Fustier dans ce type d’institution, dans une relation d’objet par étayage, que l’on parvient à un dispositif  en creux  qui permet aux personnes concernées de se construire. C’est donc une démarche clinique d’analyse des positions subjectives qui conduit à retrouver une réflexion scientifique, là où une posture qui se voulait objective ne s’appuyait en fait que sur les représentations des intervenants. Mais qu’en est-il plus spécifiquement concernant les personnes psychotiques ou les personnes autistes, des personnes ayant des troubles envahissants du développement comme les définit l’Organisation Mondiale de la Santé ? Ne s’agit-il pas de mettre en place malgré tout, préalablement même, des apprentissages conduisant à un minimum de compétences sociales et cognitives avant d’envisager toute thérapeutique ? La relation d’objet par étayage, ou tout autre forme de transfert, semble en effet de prime abord impossible étant donné un rapport à l’autre et au monde environnant très perturbé. 

 Quand Freud met à jour le transfert, il découvre le ressort de toute thérapeutique psychique pour les patients qui viennent le solliciter par rapport aux différents symptômes dont ils souffrent. Il franchit parallèlement un pas de plus, éthique, en mettant de côté l’hypnose et la suggestion telles que pratiquées à l’époque, constatant que de nombreux symptômes se trouvent tout aussi bien atténués, se transforment, voire disparaissent durablement quand ils ont été interprétés par le psychanalyste, dans un lien intersubjectif de parole. Des éléments refoulés, inconscients (d’origine infantile mais aussi « hors-temps ») s’actualisent dans la relation à l’analyste et sont alors susceptibles de se transformer. 

 Qu’en est-il pour les sujets psychotiques ? Freud a tout d’abord pensé que la psychanalyse ne pouvait rien pour eux du fait d’une absence supposée de transfert. En 1904 il écrit : « La cure psychanalytique ne s’adresse pas aux malades souffrant de psychose » 4 , puis en 1906 « Si le paranoïaque est incurable par la psychothérapie, c’est qu’il a régressé à l’auto-érotisme ; il n’y a donc pas de transfert » 5 . Cependant il va progressivement changer d’avis et revenir sur son jugement en déclarant que la psychanalyse a sa place dans le traitement des psychoses à certaines conditions. « La psychanalyse est efficace pour les névroses, pour certaines psychoses, pour certaines modifications du caractère, pour certaines formes de clivage de la conscience (schizophrénie) et pour certains fonctionnements organiques » 6 . Il précisera : « Il ne serait pas du tout impossible que ces contre-indications cessassent d’exister si l’on modifiait la méthode de façon adéquate et qu’ainsi puisse être constituée une psychothérapie des psychoses  7 ». Ainsi pour y parvenir il faudrait d’une part tenir compte du mode de relation particulier du psychotique à l’objet, et d’autre part reconnaitre le délire comme une tentative de guérison, à défaut d’être un symptôme à proprement parler, c’est-à-dire un symptôme déchiffrable dont la traduction permet la transformation.

 Ce qui caractérise la psychose n’est pas le refoulement, contrairement à la névrose, mais la forclusion, à savoir que l’angoisse de castration revient dans le réel. Ce n’est pas le rapport au fantasme du névrosé qui règle la vie du psychotique mais un rapport à une réalité changeante, jamais assurée, souvent persécutrice. L’existence de l’autre, le semblable ne va pas de soi, du fait d’un rapport non distancié à l’Autre, l’altérité elle-même. Le psychotique est « hors discours » au niveau subjectif. Cependant il se dépose malgré tout quelque-chose dans un certain lien : le lien institutionnel, entendu comme la parole prise dans un discours, qui règle les formes du lien social. Jacques Lacan en a distingué quatre : discours du maitre, discours de l’université, discours de l’hystérique et discours du psychanalyste, auxquels il ajoutera ultérieurement le discours du capitaliste. Colette Soler rappelle que « Lacan inclut la psychose dans ce qu’il a appelé la fonction et le champ de la parole et du langage. Il y pose que le rapport au signifiant, le fait du langage, est ce qui fait unité de la névrose et de la psychose. Ce qui fait leur unité et aussi leur différence 8  ». La différence notable c’est que là où l’inconscient se dérobe dans la névrose, n’apparaissant qu’au travers de formations déchiffrables (symptômes, rêves, actes manqués…), il apparait à « ciel ouvert » dans la psychose.

 Comme l’ont bien décrit les psychanalystes anglosaxons, la psychose se manifeste par une lutte constante face à des angoisses de morcellement, d’éclatement et d’intrusion. Face à ses angoisses les mécanismes de défense relèvent principalement du clivage et de la projection. L’Autre est vécu comme potentiellement tout-puissant. L’accès au symbolique est en échec, rien n’est jamais vraiment assuré, les mots et les choses sont peu distincts (les métaphores, le second degré, les expressions laissent perplexes). On peut comprendre que les soignants peuvent alors être désemparés dans leur quête d’un sens commun pour agir collectivement dans une démarche thérapeutique.

 La question de l’autisme est quelque peu différente. De nos jour l’autisme, qui fait souvent l’objet d’une prise en charge spécifique dans les établissements aussi bien en termes de lieu d’accueil que de pédagogie utilisée, se caractérise officiellement (Haute Autorité de Santé) comme étant un trouble neuro-développemental affectant trois domaines : les interactions sociales, la communication et l’imagination (le DSM 5 regroupe désormais le déficit de communication et d’interaction sociale - dyade autistique donc plutôt que de triade…).

 D’un point de vue psychanalytique, pour reprendre le titre d’un livre d’ Henri Rey-Flaud 9 l’autiste semble s’être arrêté au seuil du langage, dans un monde de sensations dans lequel toute parole peut prendre l’allure d’une effraction mortelle. Pour les sujets qui ont pu témoigner de ce qu’ils vivent (Temple Grandin, Donna Williams, Daniel Tammet…), penser en images semble être la seule possibilité d’habiter le monde langagier.

Cliniquement (ici entendu comme une clinique du regard), les comportements de ces jeunes se caractérisent par la solitude et la recherche d’immuabilité : ils donnent à voir de nombreuses stéréotypies, une importante intolérance aux changements, une surcharge sensorielle rapide. C’est que les sujets autistes se retirent du monde, dans une forme de repli, mettant en œuvre des stratégies désespérées pour tenir l’autre et le monde à distance, pour ne pas être confrontés à des angoisses d’anéantissement massives. Ainsi, selon Jacques Hochmann « l’appareil mental de l’enfant autiste peut être envisagé comme une machine dont tout le fonctionnement est tendu vers un seul but : la destruction de la pensée, celle du sujet autiste comme celle de ses interlocuteurs 10  ». S’ensuit souvent pour les accompagnants, s’ils sont livrés à eux-mêmes, une oscillation entre la mise en œuvre de nombreuses activités pour solliciter l’attention, et des moments d’abattement, de vécu de « vide », de perte de sens. La prise en charge a ainsi parfois uniquement lieu sur un versant cognitif, voire comportemental, sur un mode défensif, au risque de ressembler à une forme de « dressage », et de décourager nombres de professionnels quand les résultats ne sont pas au rendez-vous, induisant un turn-over important des soignants.

 Au-delà de la question éthique, il y a aussi une question pragmatique qui peut se poser, qu’obtient-on en réalité ? A se fixer exclusivement sur les compétences, voire le repérage des particularités sensorielles, même dans le détail, sans reprise clinique de la relation (ici clinique de la parole) il y a un risque d’engluement, d’assèchement du sens, d’identification projective pathologique…Combien d’équipes s’épuisent ainsi dans la recension des compétences et des capacités, répétant infiniment les mêmes types d’exercices, face au peu de progrès notables et à la violence qui s’exprime. A l’opposé, l’autre écueil semble être comme l’écrit Jean-Claude Maleval à propos des prises en charges psychanalytiques, « l’appui sur le contre transfert » comme unique ligne de conduite pouvant mener à « un envahissement de la cure par les fantasmes du thérapeute  11  ». Pour ne pas tomber de Charybde en Scylla il y a lieu de traiter la question à un niveau institutionnel. Tout comme nous indiquions plus haut que le rapport au signifiant était ce qui faisait l’unité et la différence de la névrose et de la psychose, permettant ainsi son abord intersubjectif, nous pouvons, à la suite de Frances Tustin 12 , poser que des angoisses archaïques à la base de l’autisme se retrouvent à l’occasion chez tout un chacun. Cela peut être un point d’appui. 

 En plus des différentes médiations thérapeutiques existantes et des traitements médicamenteux parfois nécessaires, la psychothérapie institutionnelle, issue de la psychanalyse, repose sur l’idée que l’on peut aider les sujets psychotiques et les sujets autistes à traiter leurs angoisses pour trouver une place parmi les autres dans un rapport pacifié à la réalité à partir de l’analyse des formes de transferts spécifiques qui leur sont liés, afin, selon les mots de Pierre Delion d’« articuler toutes les dimensions nécessaires à cette transformation de la souffrance en autre chose qui fasse moins souffrir, voire qui puisse aboutir à faire éprouver du plaisir dans la relation avec l’autre 13  ».

 Pour cela il s’agit dans un premier temps de mettre à jour la distinction qui existe entre établissement et institution, proche du modèle conscient/inconscient. D’un côté il y a la hiérarchie, les organigrammes, les statuts et fonctions de chacun, la formation professionnelle reçue… De l’autre les relations intersubjectives sous-jacentes qui constituent, à la manière de l’inconscient rencontré dans la cure-type, une « autre scène ». A ne penser le thérapeutique que du côté de l’établissement, sur un mode fonctionnel, on oublie qu’une grande partie des relations par l’intermédiaire desquelles ce fonctionnel va agir est soumise à la subjectivité de chacun. Il est par exemple frappant de constater à cet égard qu’au lendemain d’une réunion « institutionnelle » de fonctionnement dans un établissement de soin il est parfois difficile de trouver deux personnes ayant entendu exactement la même chose sur un même point d’ordre du jour (pour ne pas dire parfois ayant entendu l’inverse !). C’est que comme le note Didier Anzieu reprenant les travaux de Wilfred R. Bion : « le comportement d’un groupe s’effectue à deux niveaux, celui de la tâche commune et celui des émotions communes. Le premier niveau est rationnel et conscient (…), le second niveau, est caractérisé par la prédominance des processus psychiques primaires 14  ».

 De plus c’est presque désormais un lieu commun de souligner qu’au contact de personnes en souffrance psychique les équipes se mettent à leur ressembler pour un observateur extérieur. La dynamique institutionnelle peut même venir redoubler les pathologies ou les difficultés des personnes accueillies. Jean-Pierre Pinel affirme ainsi que « la déliaison pathologique procède d’une forme de résonnance négative entre la pathologie centrale des patients accueillis et les failles latentes de la structure institutionnelle, les manifestations de cette résonnance négative se révélant dans une désorganisation du cadre institutionnel homologue à celle des patients accueillis 15  ». Paul Claude Racamier souligne également à partir du travail de Schwarz et Stanton que « la question qu’on se pose avec passion au sujet d’un malade donné est proposée, sans qu’il en ait conscience, par le malade lui-même ; le conflit caché qui le concerne rencontre très exactement le conflit inconscient qui l’anime 16  ». C’est que poursuit l’auteur « le malade rencontre autour de lui, comme un miroir, l’image de son propre déchirement intérieur ». 17 Malgré cette idée désormais familière à de nombreux secteurs de soin et d’éducation il n’est pas rare de constater que des établissements qui accueillent des personnes psychotiques, œuvrant pour une meilleure différenciation en viennent en toute bonne foi à reproduire paradoxalement une forme de clivage. Des lieux spécifiquement dédiés à l’autisme peuvent de la même manière devenir très fermés sur eux-mêmes. Comme dans une analyse individuelle il ne s’agit pas de rester au niveau du discours rationnel, manifeste, mais il est fondamental parallèlement de travailler à partir du contenu latent, inconscient.

 Dès lors quelle que soit la pertinence des instances de coordination il convient de ne pas être dupe de leurs limites. Malgré les apparences l’essentiel du travail n’est pas à ce niveau fonctionnel mais plutôt en tenant compte du fait qu’il y a du symptôme dans l’organisation même des soins. Comme le rappelle Paul Fustier concernant l’éducation spécialisée, « le travail éducatif n’est pas d’ interprétation mais avant tout de  nomination  (d’affects, d’émois, de représentations ou d’angoisses partagées) ». De la même manière dans le soin psychique en général, ce n’est qu’après ce temps de nomination que d’éventuelles interprétations, ayant valeur thérapeutique, sont possibles.

 Face aux phénomènes transférentiels spécifiques à la psychose et à l’autisme (identifications projectives, clivage, évitement du contact, délires plus ou moins structurés…) les équipes peuvent, comme nous l’avons évoqué plus haut, perdre petit à petit le sens de leur action et se retrouver à tenter d’ordonner tout ça sur un mode prescriptif, voire parfois « punitif ». Or plus il y a d’injonctions à se conformer à un modèle de comportement attendu plus cela semble échouer. C’est que pour le psychotique, les injonctions éducatives et soignantes sont très vite persécutrices, venant matérialiser un Autre tout puissant, et pour l’autiste un Autre intrusif dont il faut se préserver. Dès lors comment faire ? D’autant que l’on entend souvent les intervenants, comme pris dans un cercle vicieux témoigner eux-mêmes dans les réunions de vécus proche de la psychose ou de l’autisme dans leur relation aux patients : ils peuvent se sentir « intrusés », avoir le sentiment de se faire « bouffer », avoir l’impression d’être « entrainés » dans le délire… 

 Au niveau institutionnel plus global des phénomènes de clivages entre les différentes composantes de l’établissement peuvent apparaitre (équipes de jour, équipes d’internat, services généraux, services administratifs, cadres fonctionnels et hiérarchiques…). De même il n’est pas rare de constater un repli sur soi de l’établissement ou des équipes, s’appuyant sur un mode de pensée unique à partir d’une position d’ unanimitié (une unanimité de surface traversée par de puissants conflits souterrains). Tout extérieur (autre établissement, service, intervenant) est alors renvoyé à un statut incompétent sur un mode mégalomaniaque, ou dangereux, voire persécuteur (représentation du personnel, syndicats, autorités de tutelle…) sur un mode paranoïde. Cette dynamique entropiques’accompagne alors de la volonté de maitriser tous les espaces dans la logique fonctionnelle rationnelle et consciente de la tâche commune à accomplir (soigner, éduquer…). Si cette penten’est pas interrogée, elle peut même conduire à des conflits récurrents, non plus seulement entre certains professionnels mais entre les différents niveaux de l’établissement, instituant une forme de souffrance généralisée quand bien même comme J-P. Pinel le dit fort justement « il convient de rappeler que l’institution ne souffre pas, seules les personnes souffrent de leurs liens à l’institution 18  ». Ainsi la souffrance ne sera pas forcément visible, exprimée verbalement, mais aura des effets mortifères sur les personnes accueillies et les soignants. 

 Face à ces phénomènes la psychothérapie institutionnelle, à partir des enseignements de la psychanalyse, propose de se recentrer sur la question du transfert pour en tirer les conséquences quant à l’organisation des soins. Dès lors le travail institutionnel de soin (l’éducatif ne se réduisant pas au pédagogique mais ayant une dimension de soin dans ces établissements dès l’instant où l’on s’intéresse à l’organisation psychique) va être de prendre acte d’une forme de « constellation transférentielle ». Pour venir en aide à ces personnes il s’agira de mettre en œuvre une triade thérapeutique constituée d’une fonction  phorique (« être porté ») efficiente, qui grâce à la fonction  sémaphorique (de recueil des signes) permettra l’accès à une forme de fonction  métaphorique qui fait justement défaut. En effet comme le souligne Pierre Delion « proposer des cadres, c’est la fonction phorique ; accueillir dans son esprit les expériences partagées de l’angoisse archaïque de l’enfant autiste et devenir le porteur des signes de sa souffrance, c’est la fonction sémaphorique ; partager entre collègues des expériences vécues avec cet enfant, c’est la fonction métaphorique ». 19

 Dans la pratique cela va poser la question de la position à adopter par rapport aux modes d’expression des sujets autistes ou psychotiques. Jean Oury nous montre la voie quand il affirme : « Je suis un croyant, je suis d’une naïveté absolue, je crois tout ce qu’on me dit ; mais par contre je ne suis jamais convaincu ! Alors, quand je rencontre un type délirant, pour que ça marche, j’y crois ; et il croit que j’y crois ; et à ce moment-là, il me parle. Comme le dit Maldiney, c’est se mettre dans le paysage de l’autre. Il est alors convaincu de ce qu’il dit, mais moi, pas du tout ! C’est faire la distinction analytique, introduire le « moins un » par ce biais-là. 20  ». En effet il semble qu’il y ait deux pièges à éviter dans la rencontre avec la psychose : « délirer avec » ou ramener systématiquement le sujet à la « réalité ».

 Il s’agit, plus encore quand on accueille des personnes psychotiques ou autistes, à partir de la résonnance de leurs angoisses en chacun des soignants, de créer des espaces où celle-ci va pouvoir s’élaborer pour en réguler les effets délétères. A travers des réunions cliniques bien sûr, où l’on s’attache à mieux comprendre le sens de tel ou tel symptôme des personnes accueillies, mais aussi grâce à la mise en place de réunions dites souvent de « supervision » ou « d’analyse des pratiques » où va se faire jour une logique inconsciente sous-jacente dans les échanges qui y seront tenus. C’est là que la psychanalyse a toute sa place en tant qu’elle est la discipline qui interroge les dynamiques transférentielles. Il y a des conditions cependant : une certaine neutralité bienveillante (terme qui n’est plus trop en vogue…), l’instauration d’un cadre adéquat, la possibilité d’une forme d’analyse institutionnelle régulière, et… l’ouverture sur l’extérieur !

Fabien Rouger , Educateur Spécialisé, Formateur

 

 

1 De grade A, B, C ou D dans les  Recommandations de bonnes pratiques  de la Haute Autorité de Santé,depuis septembre 2009

2 Weber M., Le savant et le politique, 10/18, 1963

3 Fustier P.,  Les corridors du quotidien , Dunod, 2008

4 Cité par Delion P., in  Soigner la personne psychotique , Dunod, 2005

5 Ibid, 

6 Ibid

7 Ibid

8 Soler C.,  L’inconscient à ciel ouvert de la psychose , Presses Universitaires du Mirail, 2002

9 Rey-Flaud H.,  L’enfant qui s’est arrêté au seuil du langage , Champs Essais, 2010

10 Hochmann J.,  La consolation, Odile Jacob, 1994

11 Maleval J-C.,  L’autiste et sa voix , Seuil, 2009

12 Tustin F., Le trou noir de la psyché, Seuil, 1989

13 Delion P.  Créativité et inventivité en institution , Eres, 2014

14 Anzieu D.,  Le groupe et l’inconscient , Dunod, 1999

15 Pinel J-P.,  La déliaison pathologique des liens institutionnels in  Souffrance et psychopathologie des liens institutionnels , Dunod 2005

16 Racamier P-C., Le psychanalyste sans divan, Payot, 1970

17 Ibid, 

18 Pinel J-P.,  La déliaison pathologique des liens institutionnels in  Souffrance et psychopathologie des liens institutionnels , Dunod 2005

19 Delion P.,  Du vivant et de l’existant , in  Institutions Revue de Psychothérapie Institutionnelle n°36, mars 2005

20 Oury J.,  Intervention , in  Actes des Rencontres de Saint Alban,  2003

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