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Tact et sensibilité - Raison et jugement

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Maurice Castello

vendredi 03 mars 2006

« MODUS OPERANDI »

« Ce sont de vains et maladroits conseils que je t’adresse. Personne ne saurait les suivre. Mais je ne voulais pas autre chose qu’écrire à propos de cet art un poème dont la chaleur montera à tes joues.

Il s’agissait de t’enflammer, non de t’enseigner. »

GENET Jean : « Le funambule »

Montaigne s’inspirant de Platon, qui parlait du Rhapsode dans l’Ion nous rapporte cet adage plein de bon sens : « Nous sommes tous les interprètes d’une interprétation » L’italien, dans sa langue aux consonances parfois bien surprenantes, nous dit : « Traduttore, traditore ». Ce qui laisse entendre littéralement, que traduire, c’est trahir.

Admettons d’emblée, comme une pétition de principe en quelque sorte : qu’ exposer un thème sous un quelconque intitulé, surtout lorsqu’il s’inscrit sous une telle ambitieuse formulation, que conséquemment, cette audacieuse prétention s’expose beaucoup à la controverse de propos séditieux.

C’est ainsi que, coiffée et affublée :

- Tact et sensibilité - Raison et jugement – « Modus opérandi » -

La réflexion menée dans ce corpus d’idées, réflexion se rapportant à définir un objet notionnel plutôt délicat, est comme le fond apparent d’un palimpseste saugrenu, qui s’annonce chaque fois avec le cortège d’histoires de ses épiphanies : celles de ces formulations hâtives, parfois trop hardies, de ses ruminations velléitaires qui remettent sans cesse notre appréciation en question, parfois aussi celles des enthousiasmes mais aussi des douleurs de son engendrement, enfin celles des trouvailles de mots précipitateurs de sens, des intuitions porteuses d’illuminations parfois fulgurantes, mais aussi dans les conjectures infructueuses, ces manifestations multiples sont comme le témoin irrécusable de l’équilibre instable d’une pensée en gésine laborieuse.

Voyons un peu de quoi il retourne dans la mouture d’un tel exposé .

En effet :

Si nous songeons à tout ce qui de fait, se résume, se renoue et se tient, dans l’histoire de la pensée occidentale : depuis ce « surgissement de la Raison » dans l’Antiquité grecque, précédé lui-même, par l’aube pâle d’une mythologie anthropologique, jusqu’à ce « rugissement du sensible » à notre époque post-moderne ; cette bi-polarité semble bien se jouer entre le cœur, siège des sentiments, et Raison. Rousseau disait : « L’homme a sa raison pour lui mais il est entièrement guidé par le sentiment. » Postulons pour l’ambivalence de ce double axiome : sur ce qui se prétend, soit révélé à notre conscience - et ainsi donc se fait prévaloir comme réalité tangible au cœur de notre sensitivité - ou l’inverse : soit subir, à notre insu même, l’asservissement du moi, dans ce procès passif de nos sens. C’est ainsi que la justesse d’appréciation des faits exprimés dans l’essence même de cet entendement, nous apparaît ainsi comme la saisie, sous la fulgurance de l’évidence première, dans un éclair ; comme l’empreinte et la marque d’une sentimentalité caractérisée par l’actualité de nos affects ; ce qui notons-le, nous tient, sous l’effet et l’augure de cette providence, par trop bien campés, assurés et résolus, dans l’assise tangible de notre raison. Ainsi notre raison pour son confort semble bien souvent avaliser à la légère l’état de nos perceptions. C’est là le phénomène du « métis » ruse de l’esprit chez les Grecs et le constat de la « mauvaise foi », dont nous parle Sartre.

CONTROVERSE :

Qui de l’Essence ou de l’Existence ?

Ne pourrait-on pas ainsi dire : que le grand courant de notre spiritualité se partage comme sur une ligne de crête, entre les deux versants de cette Philosophie - celle d'une Essence divine, de l’Idée, platonicienne en quelque sorte, ou celle contraire, de la toute prééminence d’une Existence, quant à elle, totalement programmée par le manifeste de notre sensibilité omnisciente ?

Ainsi, une petite citation nous donne en spectacle l’image du dilemme qui transparaît et se dessine sous cette allusion.

« Découvrir, et mieux dessiller son regard pour discerner et voir est comme un péché à trois faces, comme le miroir de la prostituée. Dans l’un apparaît la vérité, dans l’autre le doute et dans le troisième la certitude de l’erreur ». Cet aphorisme d’esprit cartésien traduit très bien le réalisme versatile de toutes nos vérités si protéiformes.

Parlons de l’œuvre en question :

Cette critique qui constitue le gros œuvre de tout un monde de questionnements potentiels sur « l’humaine condition » dans ses états natures, nous donne accès, lecteurs attentifs et scrupuleux, à une prodigieuse constellation de sens. Dans cette soudaine émergence en trompe l’œil, perceptions a minima , qui toutes - de constat presque unanime, s’enracinent dans l’intime et ainsi de fait, dans l’ultime, conscience de notre être.

L’ouvrage dont il est question ici, a pour sujet « Les Antigones ».

Certes, de cette œuvre, on ne compte plus les interprétations qui sur un mode pluriel ont donné lieu à des spectacles très divers sur les scènes européennes parmi les plus prestigieuses, depuis la deuxième moitié du XVIIIe siècle.

C’est ainsi que chorégraphies, ballets, musique, théâtre et même arts plastiques, ont tour à tour illustré ce chef d’œuvre d’excellence, en reprenant la trame que constituait ce concept mythique, dans cette prodigieuse imagination idéaliste et romantique qui éleva Sophocle dès le Ve siècle avant J.C. au premier rang des tragiques grecs. Le critique philologue anglais, George Steiner nous fait sous le grand angle d’une approche érudite, une esquisse et une analyse - oh combien subtiles et fines – de toutes ces interprétations et reprises, de ce qui s’avérait être comme le talisman de la pensée européenne. Il reprend et commente les principaux interprètes-auteurs qui ont tenté chacun dans leur style, avec plus ou moins de bonheur et de panache, de restituer l’essence et l’esprit, le génie de « l’Antigone » de Sophocle.

Une remarque s’impose pourtant : « ce que parler veut dire ».

Par ailleurs ne constatons-nous pas que ce phénomène propre de l’entendement, dans ses avatars implicites, est aussi manifeste autant chez le scripteur, chez le lecteur, que chez le locuteur comme chez l’auditeur ? Car quoi que l’on dise : on peut très bien de fait : écouter sans entendre et entendre ….par ailleurs … dans le décours de ses spéculations, dans les préjugés mêmes d’une sensiblerie exacerbée…. sans écouter vraiment ce qui se dit. Pourtant pris dans de bonnes dispositions de civilité, l’interpellé est en effet lui même, dans l’abord et le réflexe de sa prestance, tout aussi avide de s’impliquer dans l’interactivité d’une appréhension vivante et prégnante.

NOS DISPOSITIONS NATURELLES FACE AU SPECTACLE DE LA TRAGEDIE GRECQUE.

Ainsi dirons-nous n’y a t’il pas dans cette confrontation avec l’œuvre, et comme en germe, dans le foyer et le pôle magnétique, au cœur même de ce tropisme de la dramaturgie grecque, cette approche, « ce presque rien », cette chose qui étanche tant soit peu, la soif irrépressible, celle coutumière d’une aporie affligeante, et qui lors, dans cette incidence, nous procure ainsi comme l’exutoire d’un soulagement cathartique, l’assoupissement d’un besoin vital ? de fait cette règle qui nous est infligée, par le diktat de notre raison impérieuse dans sa bien fatale nécessité, est expressément prescrite par la nature même de notre esprit : celle d’une atavique pulsion épistémophilique, cette curiosité native qui de cesse nous assaille pour mieux circonvenir à circonscrire une actualité qui de cesse nous déborde dans notre fragile conscience.

Aussi, n’y a t’il pas là, dans la tragédie antique, cette congruence d’essence idoine, cette nourriture spirituelle qui apaise notre désir métaphysique, celui d’un infini de tous les possibles ? En effet l’homme, dans sa quête éperdue, dans l’économie et la gestation de son être, demeure en souffrance perpétuelle ; de ce fait n’espère t’il pas désespérément, en vain parfois, d’en dégager la forme d’une syntaxe heureuse, « cum grano salis » , former en quelque sorte, le vœu pieux « d’une moisson future aux sillons » celle plus simplement d’un espoir providentiel, le transfigurant dans l’aura d’une quiète harmonie intime ?

A noter tout de même, que la présomption de ce suc diffus qui en trace subtile, se prétend comme celée dans cette réflexion, peut bien paraître ambitieuse, abusive par trop hyperbolique . Notamment, chez ceux qui lecteurs éphémères, lisent pour s’assoupir dans le sommeil, ou ceux qui instables, se contentent de dépoussiérer les pages en feuilletant incessamment un magazine ou livre.

Mais, tout comme Mallarmé qui « creusait le vers » pour mieux arraisonner dans le sens caché, l’indice sous-jacent, explorons de cesse, le souffle épique de ces subtiles connivences , cherchons dans l’incidence même de cette profuse dialectique, l’aspect séminal de certaines formulations qui mettent notre conscience en gestation. L’interprétation, quand bien même il ne s’agirait que de la prompte émergence d’une pensée ingénue, dans l’immanence, celle divine d’une intentionnalité de confort, dans cet appel et ce défi que nous lance notre inconscient, ce qui bien trop souvent hélas, reste piégé par une sensibilité formatée trop souvent à la diable.

Car les maux appellent les mots, et lorsqu’il nous faut alors penser, pour panser, quand bien même il ne s’agirait lors, que du surgissement de vaines alarmes torpides qui pourtant m’engloutissent, et m’assujettissent à leur merci, comme fasciné que je suis par leur extravagance sidérante.

Derechef ne peut-on dire, que c’est un lieu commun de constater que : « Les modes de conscience qui m’appartiennent ne sont pas toujours hélas des modes de conscience que j’ai de moi-même. Comme disait Maine de Biran « Perceptions obscures impulsions aveugles ». Et « Charbonnier n’est pas toujours maître chez lui » dirait Freud.

Je ne doute pas qu’un lecteur attentif soit en mesure de repérer l’intuition féconde des interférences et des résonances qui nous déportent et nous impliquent dans notre entendement, car le manifeste du réalisme de tout processus communicationnel de relation clonique, est parfois si désarmant, si aberrant qu’il nous déconcerte. Aussi dans la guise de cette prouesse, opiniâtre et têtue, partons en quête incessante de « L ‘équation de l’objet trouvé » comme dirait A.Breton. Car c’est bien en statuant sur l’inconnue, dans une approche formelle, qu’en mathématique nous débouchons de facto , sur une solution.

Les ANTIGONES

GEORGE STEINER

« Dans les domaines auxquels nous avons affaire, la connaissance ne se présente qu’en éclair. Le texte est le roulement bien tardif du tonnerre ».

« Comprendre » un texte écrit en grec ancien, « comprendre » n’importe quel texte, dans n’importe quelle langue, d’une densité formelle et conceptuelle aussi haute que celle de l’ Antigone de Sophocle, c’est osciller entre le pôle de l’immédiat et celui de l’inaccessible.

Ainsi donc, de prime abord, la sensibilité baroque et néo-classique avait situé le cœur du « miracle grec » dans l’épopée homérique, dans la capacité inaltérable d’Homère à enseigner au citoyen l’art de la guerre et celui de l’ordre domestique. Le XIXe siècle identifia l’essence de l’hellénisme à la tragédie athénienne, identification motivée par bien autre chose que par des tendances esthétiques ou didactiques.

Depuis la Révolution française, tous les grands systèmes philosophiques sont des systèmes tragiques. Depuis 1789, il n’y a plus d’amitié entre l’individu et l’histoire politique, « une effroyable beauté est née, ou comme c’est plus souvent le cas une effroyable laideur, pour les articuler l’une et l’autre, la tragédie de Sophocle n’avait pas son pareil ». D’ailleurs un fait d’une actualité bien avérée, prouve la justesse de cette citation. C’est ainsi qu’étudiant à l’Université protestante de Tübingen, alors que l’armée napoléonienne toute proche, déferlait la campagne environnante au soir de la bataille de Iéna, Hegel qui traduisait à cette même époque « Œdipe à colone » de Sophocle, dans cette incidence et conjonction du tragique, ce jeune étudiant prodige, eut la lumineuse idée de concevoir comment le moteur inexorable de l’histoire engendrait une nouvelle approche de la philosophie celle d’une humanité en marche qui soulevait le monde européen tout entier.

De 1790 à 1905 environ, les poètes, les philosophes et les érudits européens s’accordaient largement à penser que l’ Antigone de Sophocle n’était pas seulement la plus grande des tragédies grecques mais que, de toutes les œuvres d’art produites par l’esprit humain, c’était aussi celle qui s’approchait le plus de la perfection. Cette thèse-là s’inscrivait à l’intérieur d’une autre, plus générale : l’ Athènes du Ve siècle avait formulé la prééminence de l’homme et lui avait offert un terrain. Ses réalisations philosophiques, poétiques et politiques avaient marqué le zénith de son génie séculier. Cette suprématie était un lieu commun pour Kant comme pour Schelley, comme pour Nietzsche.

Il est depuis, bien connu que toute l’histoire de la pensée et de la sensibilité du XIXe siècle tire sa force essentielle d’une réflexion sur l’hellénisme, d’un effort à la fois analytique et mimétique pour saisir les sources de la réussite attique et pour éclairer sa fragilité politique.

L’idéalisme allemand, les mouvements romantiques, l’historiographie marxienne et la mythographie freudienne de l’esprit, avec les racines qu’elle plonge chez Rousseau et chez Kant, sont, à des points cardinaux, d’actives méditations sur Athènes. C’était le XIXe siècle qui parlait par la bouche d’Ernest Renan quand il mettait par écrit la révélation sensible qu’il reçut lors de sa première visite à l’Acropole, en 1861 : « Le miracle grec, une chose qui n’a existé qu’une fois, qui ne s’était jamais vue, qui ne se verra plus, mais dont l’effet durera éternellement, je veux dire un type de beauté éternelle, sans nulle tache locale ou nationale - « Dis moi où est Athènes » demandait Hölderlin dans son hymne célèbre. Elle est cachée dans l’homme moderne, lui répond Renan, et « le monde ne sera sauvé qu’en revenant à toi, en répudiant ses attaches barbares ».

Philosopher après Rousseau et Kant, former de façon normative, conceptuelle, la condition humaine du point de vue psychologique, social et historique, c’est penser de façon « tragique ». Ne peut-on interpréter en extrapolant le signe manifeste de cette déchéance, en disant que : Tous ces aspects métaphorisent le caractère conflictuel de son expérience, le corps de l’homme nu qui s’origine dans cette rémanence, ce stigmate d’une tare, celui du postulat théologique de la chute. Les métaphores sont diverses :

Chez Fichte et Hegel, c’est le concept de l’aliénation de soi ; chez Marx, c’est le scénario de l’asservissement économique ; chez Schopenhauer, c’est le diagnostic de la soumission du comportement humain à une volonté coercitive ; chez Nietzsche, c’est l ‘analyse de la décadence ; chez Freud, c’est le récit de l’apparition de la névrose et de l’insatisfaction après le crime oedipien original ; chez Heidegger, c’est l’ontologie de la perte de la vérité primitive de l’être.

Les causes de cet exil de cette scission entre le sujet et le monde, peuvent être discutées. L’ensemble des spéculations idéalistes offre des variations plus ou moins explicites sur le thème de la perte de l’état nature de l’homme, postulée par Rousseau. Perte de la communion sensorielle qui est l’innocence de l’intellect. Selon Hegel l’exil de soi semble inhérent à la vie de la conscience, aux capacités du moi humain à penser « hors de » et « contre » lui-même, à percevoir sur un mode adversatif. Le grand courant tragique du sentiment d’exil se trouve résumé dans l’image heideggerrienne de l’homme « étranger dans la maison de l’être ». « C’est à nous-mêmes que nous sommes étrangers » disait Hegel.

AVERTISSEMENT AUX LECTEURS

Si nous lisons bien, si nous nous rendons intellectuellement réceptif au texte, si nous disciplinons notre sensibilité pour la rendre scrupuleusement attentive, si, en dernière analyse, nous faisons de notre lecture un exercice de confiance morale, risquant notre sensibilité en concordance avec celle du poète ( même si c’est à un niveau plus modeste, dérivé ), cette oscillation trouvera des points de stabilité. Elle finira par s’arrêter, plus ou moins consciemment, sur un sentiment général des formes de sens.

Elle intégrera les détails locaux au paysage, aux conventions « toniques » de l’œuvre prise dans son ensemble.

Mais un tel arrêt est toujours provisoire. C’est un équilibre tendu, momentané, entre des stades de perception établie et les incertitudes créatives, voire les erreurs radicales, qui entraînent une révision, une « nouvelle façon de voir » au sens littéral du terme.

Lorsqu’elle s’applique à un texte de l’ordre d’ Antigone , la « compréhension » est, nous l’avons vu, dynamique tant historiquement qu’actuellement. C’est un processus d’accord et de désaccord entre l’autorité cumulative et sélective de l’opinion reçue et le défi que leur lance les hypothèses individuelles.

La lecture n’est jamais statique. Le sens est toujours mobile, il se déploie (bien que le terme se « déployer » soit trop doux, trop programmatique) dans l’espace sémantique arpenté, comme nous l’avons vu par les grammairiens et les critiques, les acteurs et les metteurs en scène, ainsi que la musique et les arts plastiques dans la mesure où ils accompagnent ou illustrent la pièce. A mesure que les générations se succèdent , le climat politique et social général pèsent sur toutes les fibres de l’interprétation. Un critique maître lecteur anglais, formule ainsi le phénomène.

Nous sommes reliés au texte par un « pont-levis de communication ». L’implication est facile à visualiser. Ce genre de pont peut se lever. Si c’est le cas, le texte devient muet.

Mais pouvons-nous espérer franchir le pont-levis qui mène à l’Antigone de Sophocle, si l ‘on ne connaît pas le grec ancien ?

Cette question me semble plus douloureuse techniquement et psychologiquement qu’on ne le reconnaît en général. J’ai consacré une grande partie de mon travail et de ma vie personnelle à étudier et à exposer l’histoire, la poétique et les aspects philosophico-linguistiques de la traduction. Le traducteur est le facteur de la pensée et des sentiments humains. A tous les carrefours temporels et spatiaux, les flux énergétiques de la civilisation sont véhiculés par la traduction, par le processus d’échange mimétique, adaptateur et métaphorique du discours et des codes.

Sans la traduction nos actes spirituels et formels ne tarderaient pas à devenir inertes. Aucun polyglotte, si loin que s’étendent ses antennes linguistiques, ne peut avoir accès à plus qu’une fraction minuscule des langues dans lesquelles ont été pensés ressentis et exprimés les thèmes fondamentaux et les variations dynamiques qui constituent la culture.

Etablissez la plus grossière, la plus limitative des listes de lecture de base, mettez y Homère et l’Ecriture, Dante et les penseurs religieux orientaux , Shakespeare et Goethe, Flaubert et Tolstoï, et cet ABC de la conscience ne vaudra que par la traduction. La traduction est bien ce pont-levis que les hommes franchissent depuis Babel pour pénétrer dans ce que Heidegger à appeler « la maison de leur être »

Cela va sans dire.

PHILOSOPHIE DU LANGAGE

De même que le truisme selon lequel il n’est pas une seule traduction qui fasse totalement justice à son original, et que les plus grandes traductions elles-mêmes ont de ces fêlures où l’émetteur et le destinataire s’accrochent. Cette indication essentielle s’enracine dans le génie même du langage qui constitue le substrat basique d’une philosophie, de la Philosophie première.

Et de fait, la meilleure façon de définir le génie du langage la singularité formelle et existentielle de tout acte de parole, c’est de dire qu’aucune traduction ne sera jamais totale, que nul ne peut transporter d’une langue dans une autre l’intégralité des implications du ton, des connotations, des inflexions mimétiques et du contexte implicite qu’intériorisent et annoncent les significations dans la signification. Il y aura de la perte ou de l’élision. Il y aura de l’adjonction, du fait de la tendance irrépressible à paraphraser. Il y aura des changements d’échelle subtils mais décisifs.

On aura transposé les « schémas clefs » et les cadences profondes qui échappent à l’analyse et qui font que chaque langage, les habitudes de parole de chaque individu, sont un « dialecte », une singularité plus ou moins circonscrite dans le spectre de la communication.

La parole, émise ou non, est aussi liée au pouls de l’être humain, constitue autant le contexte vivant de l’existence humaine normale, que la respiration elle-même. Aucun homme ne peut reproduire exactement ou remplacer la respiration d’un autre. Peut-être faut-il voir là, la raison pour laquelle « le souffle qui inspire qui nous jette dans l’être » et « le verbe », sont inextricablement liés dans les spéculations théologiques et métaphysiques de la personne humaine.

Cela aussi va sans dire.

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DE NOS JOURS ?

La richesse du questionnement de Sophocle s’impose à nous aujourd’hui avec urgence. On ne peut pas manquer de reconnaître l’attraction que le collectif exerce sur nos sociétés fragmentées. Au-delà de l’érosion de la religiosité officielle, au-delà du mot de passe de « l’aliénation », on voit naître des contre-courants d’existence communautaire. L’intimité, qui est le noyau de l’ego, subit maintenant la pression de la nostalgie de la symbiose des utopistes, des mystiques et des partisans de la thérapie de groupe. Les « communautés », les thérapies de rencontre, de contact corporel et d’hallucination partagée sont artificielles d’une certaine façon, mais elles manifestent aussi une volonté authentiquement atavique de se tailler un chemin hors de la prison du moi.

Note personnelle :

Je soulèverais au passage le voile d’une actualité criante de vérités sur ces remarques judicieuses. Celle du spectacle sidérant des « Raves-party ». Ce cri immonde et déchirant de ces humanoïdes en délire, retranchés et à l’écart pour mieux se perdre dans le désert de la nature, proie privilégiée du sacrilège : du percing, de la drogue, des orgies et de la transe psychédélique comme ces possédés de la « Danse de Saint Guy » cette chorée diabolique, sous le tonnerre et les feux ardents, dans la voltige et le vertige déferlants, de décibels en furie.

Dans la tentative d’Antigone d’étreindre la « tête chérie d’Ismène », de la mêler à son être, nous reconnaissons, comme les dessins où Henry Moore a montré l’entassement des corps anonymes recherchant les uns auprès des autres chaleur et force plurielles dans les abris anti-bombes, toute l’immensité d’un besoin. Nombreux sont ceux qui pensent qu’en proclamant la souveraineté de l’individu, la Renaissance, la méthode cartésienne et le personnalisme puritain et libéral ont laissé l’homme nu. Le grand art et la musique plus que tous les autres, peuvent déclencher en chacun d’entre nous ces oscillations entre la conscience de soi d’un côté et, de l’autre, la perception souterraine de la négation ou du dépassement du « Je ». Des sentiments collectifs primitifs semblent jaillir de la source des rêves et nous envahir (pour floue qu’elle soit , l’interprétation de Jung de la nature chorique de l’art et des mythes celle des archétypes de l’inconscient collectif : ce monde des rêves, des alchimistes, « ces images anciennes qui appartiennent au trésor commun de l’humanité » est infiniment plus convaincante que celle de Freud qui avec Œdipe et le meurtre du père renverse à la verticale le sens horizontal que le rêve transversal de notre humanité avait conquis depuis les mythes antiques. )

La tragédie dans son essence

et

Le Discours Philosophique

Le discours philosophique sous-tend ou articule une théorie de l’effet tragique et ainsi naturellement, c’est vers les tragédies qu’il se tourne, presque instinctivement, pour chercher des illustrations significatives.

La tragédie grecque « rend hommage à la liberté humaine dans la mesure où elle autorise ses héros à lutter contre la puissance infiniment supérieure du destin » - Le « fatum » est une puissance invisible, hors de portée des forces naturelles.

Mais la défaite de l’homme bien que fatale cristallise sa liberté, cette nécessité d’agir tout en restant lucide, d’agir en « opposition » qui détermine la substance du soi.

Voyons plus particulièrement dans Antigone les termes de ce recours au sujet philosophique.

Tout d’abord :

Dans la constellation des sept tragédies de Sophocle qui nous sont parvenues, c’est traditionnellement Antigone qui est considérée comme l’étoile la plus brillante.

Une intrigue comme celle d’Antigone de Sophocle tourne autour du conflit de l’héroïne entre ce qu’elle doit au corps de son frère – considéré comme traître et banni par le roi Créon de Thèbes, qui veut livrer la dépouille de Polynice aux oiseaux de proie, et à la voracité des carnassiers prédateurs – et ce qu’elle doit aux lois de son pays.

Le conflit mis en scène par Sophocle était d’une actualité permanente. Il illustrait la contradiction entre la conscience individuelle et le bien public, contradiction dont la nature et la gravité étaient inséparables de l’historicité et de la condition sociale de l’homme.

Dans cette irruption du politique dans le privé, la lutte entre les tendances élémentaires (de l’être) et les lois établies, lutte au cours de laquelle l’homme conquiert progressivement et douloureusement l’harmonie entre sa vie sociale et ses besoins intérieurs.

Abordons le(s) concept(s) de l’intrigue proprement dite d’Antigone .

L’acteur masqué qui incarne Antigone s’adresse à l’acteur masqué qui incarne Ismène.

« O tête de ma propre sœur Ismène qui m’appartient aussi »

Le terme employé, en langage Attique que nous traduisons par « commun »

Qui se décline même à notre époque en une réverbération de sens – général, ordinaire etc.) est déjà un terme séminal de l’histoire du langage, de la pensée et de l’institution religieuse, de l’anthropologie. Une ambiguïté féconde l’habite. Elle traduit là aussi la consanguinité, la parenté, qui rappelons-le est trouble, elle vise le scandale sans pareil et la sanctification des liens de parenté des descendants d’Œdipe. En effet, Antigone et Ismène sont les filles d’Œdipe et de Jocaste. Elles sont en même temps les petites filles de Jocaste. Elles sont également les sœurs du fils de Laïos. Ce triple lien donne à leur qualité de sœurs une solidité sans égale. « O la plus sororale des âmes » paraphrasait Goethe. Ce nœud obscur les relie aux monstruosités inévitables des origines humaines (qui d’autre que leurs sœurs Caïn et Abel pouvaient-ils épouser ?).

A la syntaxe duelle ( qui était d’un usage commun en langage Attique, dés lors que le discours concernait deux personnes - impossible outil linguistique à notre époque), qui dans la forme et l’exhortation, est ce défi que lui lançait Antigone, alors qu’Ismène à son égard, usait effrontément d’une syntaxe égotique, à la première personne, usant du possessif, cette forme expressive plus moderne de nos jours. Ce faisant elle voulait bien montrer qu’elle se désolidarisait absolument de la cause de sa sœur et s’en remettait aux lois de la cité et à la volonté de Créon son roi.

Ainsi en filigrane ténu et pénétrant l’échange verbal, d’inspiration et de tonalité épiques joue le drame de la solitude intérieure, de l’ipséïté prisonnière de son moi, et du soi mal loti, dans la désolation d’une altérité qui se dérobe et se récuse, péremptoire. En cela un critique célèbre anglais dira parlant d’Antigone :

« Sainte païenne fille de Dieu avant que Dieu ne fût connu, fleur du Paradis après que ses portes s’étaient refermées….idolâtre et pourtant chrétienne , tu franchis seule dans l’esprit du martyre les gouffres béants de la tombe, au mépris des espérances terrestres, de peur qu’ un désespoir éternel n'envahisse la tombe de ton frère ».

MESSAGE AUTOUR D’UN CONCEPT

La Philologie ou la philosophie – linguistique

D’après une Proposition de lecture de la tragédie grecque.

CHEZ SOPHOCLE

M O M O

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