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Sur l'ouvrage de Sherif Toubal, Les étoiles ne mentent pas. Parcours d’un français musulman.

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Joseph Rouzel

mardi 14 mai 2024

Sherif Toubal, Les étoiles ne mentent pas. Parcours d’un français musulman , Les Éditions du Puits de Roulle, 2023.

En arrière-fond de cet ouvrage, autant touchant que remarquable, je vois poindre les travaux de Philippe Lejeune sur  Le Pacte autobiographique , de Gérard Genette sur la narratologie , de Paul Ricoeur sur Temps et récit  etc. Le retour récent à ce que l’écrivain, Georges Pérec saluait du joyeux néologisme de « racontouze » est bon signe. Dans un monde trafiqué par les algorithmes tous azimuts, ce retour d’un humain increvable, sous la forme de « raconter des histoires » renoue avec l’immémorial de la transmission d’humain à humain, loin du monde des machines.

« Je sais maintenant que je vais écrire. Il vient un temps où l’arbre doit porter ses fruits. Chaque hiver se clôt par un printemps, il me faut témoigner.  » En cela l’ouvrage de Sherif Toubal revêt un caractère emblématique et signe un mode de résistance à ce que Marx désignait comme « réification » de l’humain.

L’essentiel tient sur la couverture : dans un paysage de Camargue, entre les étangs, à gauche un cheval blanc, à droite deux flamants rose, sur un chemin de terre, dessinés de dos, cheminent, à l’avant plan une femme portant le voile, et plus loin marchant vers la mer où croise un voilier blanc, un homme coiffé d’un béret. Les deux personnages tiennent dans leur dos leur main droite. Ils avancent en pays étrange et étranger.  L’auteur y déroule le fil de sa vie.

Cheminement semé d’obstacles d’un jeune musulman né en terre de France de parents transplantés de l’autre bord de la Méditerranée. Passage (pas sage !) d’une culture à une autre sans rien renier de l’origine transmise par les parents et les ancêtres. A priori, un grand écart ! Cette élaboration d’après-coup dissèque au scalpel d’un récit vif et sans concession les racines (radicales !) d’un racisme ordinaire que tout jeune l’auteur encaisse sans comprendre. Catégorisé « Arabe » et « musulman » il prend en pleine face les effets de la ségrégation, culturelle, sociale, scolaire. Relégué dans la voie de garage des classes d’enseignement professionnel il lui faudra acquérir de haute lutte le droit à un culture qui appartient à tous, jusqu’à un doctorat dont la matière vive s’enracine dans sa propre histoire.

Sans déflorer la richesse et la vivacité du propos dans lequel j’invite le lecteur à plonger, je retiendrai deux éléments de discussion.  D’abord le rapport à la sexualité et plus particulièrement aux femmes. Certains pans de la tradition musulmane prônent une forme de peur panique du féminin, dont les jeunes gens ont bien du mal à se dépêtrer. Je précise : certains pans. La présence d’Aïcha aux côtés du Prophète dans la tradition originelle de l’islam, témoigne, il me semble, d’une prise en compte de la condition féminine autrement ouverte que celle qui s’est répandue récemment, pour le plus grand malheur des femmes et des hommes. La femme « n’existe » pas », précise Lacan, au sens où il n’y a pas d’universalité qui la recouvre. Mais des femmes, elles, existent bel et bien. La tradition musulmane, déviée des origines, fait un mauvais sort à La Femme, sous laquelle on voit poindre La Mère, pour la museler.  La Mère, lieu de la reproduction de la vie, qu’il s’agirait de maîtriser, trône alors dans une toute puissance fictive. Et les femmes comme les hommes dans leurs relations, en pâtissent et en souffrent, frappés d’une inhibition presque maladive face à la puissance de vie et d’invention qui s’exprime dans la sexualité. Où a-t-on enfoui les magnifiques poèmes érotiques ( Ghazels ) jaillis sous les Ummayades de Damas ? Certains jeunes, tel l’auteur, devant ce mur dressé de honte et d’inhibition se tournent, pensant s’en protéger, vers ce qu’il y a de plus extrême dans leur religion.  C’est pratique : les injonctions que véhicule une forme rigide de l’islam permettent d’avoir réponse à toutes les questions qui se posent dans la vie quotidienne : comment parler, manger, se vêtir, entrer en relation, que croire et ne pas croire etc.  Bref, on fabrique des aliénés !  Et Sherif n’y coupe pas, il se réfugie dans les bras bienpensants de ce rigorisme, endort ses questions sur le sens de la vie, distrait ses désirs... Il veut camper dans le camp des « bons musulmans ». Il fera le pèlerinage de la Mecque.  

Et, dans la foulée, et c’est le deuxième élément qui ouvre à discussion, se déchire l’horizon : tout de la religion ne peut pas obturer les questions fondamentales qui se posent au jeune homme. Qu’est-ce que le vivre ensemble ?  Peut-on s’abriter dans une prétendue identité qui nierait celle des autres ? Il faut un certain courage pour remonter la pente, oser porter la critique sur les éléments totalitaires de l’islam, sans en renier les fondements. La rencontre avec la psychanalyse amènera l’auteur à reprendre à nouveaux frais ces questions essentielles. La psychanalyse ne conduit-elle pas, comme l’affirma un jour Serge Leclaire, à « apprendre à parler en son propre nom ». Ce que Winnicott exprimait à sa façon dans la « capacité à être seul…parmi les autres ». En cela la pratique analytique se révèle une école, si ce n’est de liberté, qui n’est jamais que relative, tout au moins de libération. Même si d’aucuns, de cette « atroce liberté », comme le soulignait le poète René Crevel, n’en veulent pas, au point de se réfugier dans les bras de maîtres à penser et à danser, pour jouir, y compris dans des formes abâtardies de la psychanalyse, d’une nouvelle aliénation, dont la matrice fonctionne toujours sur un fond dévié du religieux.

Le parcours de Sherif Toubal, que je laisse au lecteur le loisir de découvrir, se dessine comme exemplaire, en ce qu’il le mène de la forme la plus rigide du religieux à une souplesse d’âme et de pensée qui s’incarne dans cette grande avancée datée de 1905 dans notre tradition républicaine : la Laïcité. Véritable transformation qu’il met aussi en acte dans son engagement d’éducateur. La Laïcité comme seule forme politique préservant les croyances de tout un chacun et ouvrant des espaces de rencontre à une citoyenneté dégagée des totalitarismes, quels qu’ils soient. Après un doctorat en psychanalyse, Shérif Toubal, devenu formateur de travailleurs sociaux, est responsable pédagogique du seul DU Laïcité et médiation . Il vient se cosigner avec le philosophe Jean-Bernard Paturet l’ouvrage Marianne sur le divan. Laïcité et psychanalyse . (L’Harmattan, 2024) «  Psychanalyse et Laïcité,  précisent les deux auteurs, se rejoignent en un point nodal : la liberté puisque l’État et la loi instaurent des espaces de liberté pour chacun de croire ou non, de l’exprimer. La psychanalyse permet d’accéder à une liberté intérieure non encombrée du discours de l’autre tout en le pensant comme alter ego.  »

Joseph Rouzel

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