jeudi 16 août 2007
En amour un silence vaut mieux qu'un langage ;
il est bon d'être interdit ;
il y a une éloquence de silence
qui pénètre plus que la langue ne saurait faire,
(Blaise Pascal,
Discours sur les passions de l'amour (1652))
Ce soir, dans la grande maison, tout est silence. Je m’assied sur l’escalier, je pose mon trousseau de clefs et j’écoute. Tiens un petit grattement, je ne l’avais jamais entendu. C’est sans doute le petit loir qui a dévoré des fruits sur le groupe 1. L’escalier se réchauffe au soleil couchant, son bois grince un peu et finit de se remettre en place dans un petit claquement sec. L’odeur de cire fraîche remplis le hall d’entrée et remplace les habituelles et délicates fragrances de mousse humide et de terre venant de l’immense placard à chaussure. Les enfants y laissaient leurs godillots après avoir joué sous les arbres dans le parc.
Ce soir, je suis seul. Assis sur le grand escalier que Chantal vient de finir de cirer je retarde un peu le moment de fermer la porte. Lorsque ce sera fait, je serai en vacances. Je fais un peu durer le temps, histoire de profiter un peu de cet entre deux, de ce passage vers les vacances. En début d’après midi, c’étais l’effervescence, les parents venant récupérer leur enfant, les collègues qui allaient et venaient pour chercher un blouson oublié ou un sac perdu. Dans une belle pagaïe et un brouhaha confus, les uns montant ont croisé ceux qui descendaient chargé de valises. Finalement pour un établissement accueillant des enfants « présentant des troubles du comportement » selon l’administration, ce départ n’a pas été plus agité qu’un autre.
Lorsque les enfants sont partis, une éducatrice a convié ses collègues à son pot de départ. Tous le monde s’est réunit dans la cuisine autour d’un peu de crémant et de petits gâteaux d’apéritif. Pierrot, le cuistot en a profité pour ressortir quelques restes et on a pu casser la croûte en se racontant nos projets de vacances. Celui là ira dans les calanques, cet autre en Ardèche. Pour celle ci la mer pour celle là la montagne. On est déjà en vacances, mais pourtant il reste encore deux ou trois choses à faire.
Alors chacun s’est dépêché de récupérer ses affaires et de les ranger. L’animateur sportif a graissé les VTT et dégonflé un peu les ballons. Les éducateurs scolaires ont rangé les cartes du monde et les cahiers d’écolier dans les placards. L’éducateur technique a mis ses bédanes et varlopes dans l’atelier bois. Pierrot a lavé la cuisine a grande eau. Les éducateurs on fait le tour de leur groupe, débranchant les prises de courant au cas où un orage éclaterais et tirant les volets des chambres. Pour finir, les éducateurs ont rangé le bureau ce qui lui a donné un air un peu étrange.
Et puis chacun est partit, l’un après l’autre. Certains très rapidement comme s’ils étaient en retard, d’autres en prenant leur temps, savourant ce passage du travail aux vacances. Et je suis resté seul, de permanence pour répondre aux éventuels coups de fils jusqu’au soir. Le directeur m’a confié le gros trousseau de clefs que je dois mettre dans sa boite aux lettres ce soir.
Je suis donc là assis sur l’escalier. C’est un soir de juillet et je vais être en vacances. Les murs racontent l’histoire de l’année écoulée. Ici les griffures d’un déménagement, là la trace d’un plat de soupe renversé. S’ils avaient des oreilles, ils pourraient raconter les coups de gueule, les « monte dans ta chambre » les « et puis si c’est ça je me casse » mais aussi les larmes de ce petit qui voudrait sa maman et qui pleure sur l’épaule de Sylvie, son éducatrice. Il y a aussi les murmures qui passent au travers de la porte de la salle de réunion. Les discussions musclées avec le chef de service, celles plus mesurées, mais plus tendues aussi avec le directeur. Les murs pourraient raconter les escapades des enfants le soir pour aller s’en griller une à la barbe du veilleur et les courses poursuites pour un mot de travers.
Ce soir je transforme déjà en souvenirs ce que j’ai vécu cette année. Bien sûr je les embellis un peu ! mais le silence de la maison me crie aux oreilles. Où donc sont passés les cris de cet enfant qui hurle sa rage d’avoir deux parents poivrots et qui ne l’ont jamais compris ? Et les coups de poings contre les murs de cet autre qui n’arrive pas à contrôler sa rage ? Sont ils en vacances eux ? Sûrement pas ! Je sais déjà que je vais les retrouver l’année prochaine. Nous sommes en juillet 1993 et je sais que j’ai trouvé le métier que je veux faire.
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