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Quand la crise est une affaire de business !

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François Simonet

jeudi 03 mars 2011

Quand la crise  est une affaire de business  !

Qu’un jour de 2009 la planète se soit éveillée totalement abasourdie par le séisme qui avait secoué ses principes financiers est assez stupéfiant et inquiétant. Stupéfiant, parce que les dirigeants qui nous gouvernent, très respectables, n’avaient rien vu venir, trop occupés qu’ils étaient (et sont encore) à nous faire avaler leurs doctrines. Inquiétant, parce que les experts qui s’affichent comme les seuls habilités à dire les avantages de ces principes n’en présentaient aucunement les défaillances.

Une crise financière a ainsi fait trembler les fondements de nos sociétés. Depuis celle de 1974, pétrolière, le terme de crise est sollicité abusivement dans la communication quotidienne. Cela relève d’une « expression à la vocation profondément idéologique tendant à faire passer pour imprévisible quelque chose qui l’était parfaitement » 1  dira l’auteur à propos de la crise financière de 2008.

Des crises secouent en permanence nos sociétés – qui semblent n’exister qu’en fonction d’elles.Même lorsqu’elles sont dites passées, elles reviennent toujours ! Multiples crises qui sont plus déstabilisantes que productrices de renouveau, faisant vaciller la société technocratique sur ses fondements. Et comme en réponses à ces crises ne sont proposés que des modèles applicables immédiatement, nous ne pouvons qu’être dans des crises permanentes : à la hauteur des limites des modèles et des incohérences de leur application. Voilà qui sert impeccablement bien les discours des « déclinistes », qui veulent voir nos sociétés en perdition !

Depuis le début de ce XXIème siècle, par des évènements qui présentaient une conception d’un monde pour le moins douteuse, il y avait pourtant eu des signes avant coureurs annonçant 2009, et qui auraient dû nous alerter par leur ampleur. Les mises en garde des spécialistes pour alerter sur des produits opaques et toxiques étaient entendues comme paroles de Cassandre ! Résultat : le « krach » du lundi 21 janvier 2008. Jour noir d’une crise financière mondiale. La bulle immobilière américaine s’est « exportée » allègrement au-delà de ses frontières.

En réalité, la loi des grands nombres étant obsédante, ceux qui possédaient déjà investissent pour faire fructifier leurs fortunes : des sommes financières astronomiques, à compter désormais en milliers de milliards de dollars.

Sous couvert d’agences de notation, la situation financière démontre que la machine à profits s’est emballée, prise par les jeux désastreux des spéculateurs : sur des produits, des matières premières, des métaux précieux ; des ressources non encore exploitées mais lorgnées par des prédateurs avides. Par des paris inconsidérés, le monde s’est ainsi pris aux pièges du dérèglement de son propre jeu. Ce qui aboutit à la faillite du système économique, avec des établissements financiers et des États en banqueroute, portant inexorablement les peuples à la rébellion et à la violence.

Dans une société qui prône la transparence en permanence, représentée par des personnages dignes de confiance, que penser des imposteurs, des aigrefins, des bonimenteurs qui dilapident des sommes colossales, engageant et pillant des finances ne leur appartenant pas ? À qui fera-t-on croire que Bernard Madoff a pu agir sans aucune complicité, voire duplicité ?

Forcés ou non, des hauts dirigeants quittent l’entreprise avec des parachutes dorés, des retraites chapeau, des stock-options, des primes, des dividendes exorbitants et des bonus qui frisent l’obscénité. Et tout cela très légalement, négocié dès leur arrivée dans l’entreprise, dans l’intention de profiter des bénéfices de cette dernière. À croire que l’arnaque est la raison du système.

Pourquoi s’offusquer des rémunérations de sportifs, notamment dans le monde du football, alors que celles des grands patrons, banquiers et autres traders sont démesurées !? De quelle indécence est-il question ? Les députés qui voudraient légiférer les salaires des premiers oublient si facilement de penser aux limites des seconds !

Étrange image d’une planète organisée en systèmes mafieux, entre les mains de lobbyistes, assurés d’une omerta protectrice, où oligarchie, népotisme, corruption, délits d’initiés, trafics d’influences, caisses noires, mais aussi arrangements judiciaires, avec obstruction à/de la justice, conflits d’intérêts permanents relèvent de procédés favorables aux dérives les plus éhontées.

Triche, dévoiements, détournement de fonds, mouvements et montages financiers sujets à caution : les escrocs qui ont profité, et profitent du « système » se servent du contribuable pour faire payer leurs turpitudes, tout en gardant pour eux-mêmes les profits prodigieux engrangés. Sur ce plan, les mêmes qui ne veulent pas d’État afin de mener leurs affaires librement l’appellent cependant à la rescousse pour régler la note de leurs pratiques.

En réalité, sous couvert de l’idéologie ultralibérale, la crise permet la poursuite d’enrichissements dans la totale logique des très puissants fonds de pension américains : pour le plus grand bonheur des intérêts privés !

Au monde de la consommation, tout s’achète, y compris les fantasmes. Quelle étrange idée donc que de vouloir moraliser l’argent ! Celui-ci aurait-il une conscience ? En quoi serait-il responsable de son utilisation et des conceptions dont il est l’objet ?

S’il est risqué de laisser la politique à des personnages qui se prennent trop au sérieux, il est d’autant plus dangereux de laisser l’argent entre des mains cupides.

Quand la méthode est efficace !

Au nom du business is business , notre monde technico-scientifique, propriété réifiée des experts, s’est organisé et fonctionne sur le modèle de l’entreprise, à tous les niveaux, y compris les relations humaines 2 . Ce que l’auteur entend par l’« entreprisation du monde ». La mondialisation répandant sur la planète cette vision unique de l’organisation entrepreneuriale. Nous sommes imprégnés de ses critères. Le modèle de réussite, loué, est le sien : doctrine de la performance. Une entreprise « managinaire » 3 , qui mobilise en permanence et stratégiquement  ses ressources – laissant entendre son intérêt pour les individus compétents et talentueux.

Ce n’est en fait pas tant le marché  le responsable, avec la libre concurrence, ni le capitalisme , avec ses monopoles et la dérégulation, dans un contexte de mondialisation, mais plutôt la méthode du modèle qui gouverne ces principes : le management.

Conception et pratique particulièrement significatives de notre monde, totalement ancré dans la logique de la dérégulation, le management s’impose en méthode rationaliste, dans le culte idéologique de la gestion. Vision tyrannique d’un monde « gérable », où même l’organisation de la Cité et de l’État - considérant que « le public se met aux méthodes du privé » 4  - est envisagée sous l’angle obsédant de la gestion bureaucratique et budgétaire des affaires, pour une rentabilité immédiate.

Survalorisant l’égo, imposant la réussite par la concurrence et la compétition, le management exacerbe les comportements de prédateurs, use de l’endoctrinement et de la manipulation. Dans la logique de pouvoir, vendant le plus souvent de l’illusion, stimulant désirs et ambitions, tout est bon pour être le meilleur gagnant ! Les « fonceurs » n’hésitent donc pas. Et chacun d’accepter d’être managé, coaché.

La méthode génère en fait un mouvement de standardisation des comportements, de mise en conformité des conduites, de « formatage » des pratiques et des productions sociales et culturelles. Une véritable américaformité  : une américa nisation des mentalités, par l’uni formité  des conceptions et des pratiques. On ne peut mieux calibrer l’individu !

Présomptueuse méthode se voulant prestigieuse, qui valorise insidieusement compétence et talent, dynamisme et flexibilité, disponibilité et motivation, mais aussi, avec mépris, la familiarité et l’humiliation. Et que dirigeants et autres décideurs, porteurs de la méthode, expriment, le cœur sur la main, leur souci des valeurs démocratiques, et républicaines, ne change en rien la mauvaise foi et la fourberie dont ils font preuve face à une expression libre qui les met à nu.

Une méthode qui a su aussi utiliser un instrument redoutable : les agences de notations. Celles-ci ont été – et restent – les complices d’un fonctionnement désastreux, avec une crise qui s’est déroulée sous leur couvert. Au nombre de trois à s’imposer en monopole mondial sur le marché : Fitch, Moody’s et Standard & Poor’s, leur organisation en corporatisme verse dans le jeu autarcique.

Elles ont été dans l’incapacité d’éviter les crises financières et les placements suspects. Mieux : elles ont certifié les placements à hauts risques. Summum d’intégrité et de transparence, ces agences sont rémunérées par les entreprises et les sociétés qu’elles doivent évaluer. La fumisterie ne peut être plus flagrante. Cette crise financière a ainsi mis en exergue un fonctionnement opaque de notation et de mode de rémunération. Une de ces agences ayant même reconnu un « «  potentiel conflit d’intérêt au regard de qui paie  » ses services. » 5

Et l’avenir dans tout cela ?

La situation financière mondiale actuelle démontre qu’il n’y a aucune intention réelle de changer un tel fonctionnement, alimenté par les propagandes et les manipulations les plus pernicieuses, mobilisé par un imaginaire mercantile et entrepreneurial. Que le Medef ait évoqué un code de bonne conduite  n’est qu’un discours de façade. Qui aurait pu croire en cette soudaine volonté de se bien conduire ?

Dépénaliser le droit des affaires ? Limiter les dépenses publiques ? Faire la guerre aux paradis fiscaux ? Quelle mascarade ! L’État n’a pas l’intention d’effaroucher les privilégiés : banquiers, actionnaires et autres managers. Voilà la seule règle qui vaille.

Comment s’y retrouver dans une telle société du faux-semblant, sans plus de préoccupation pour les conséquences humaines ? Tout va « pour le mieux » dans les discours ministériels, tandis que tout va « au plus mal » sur le plan social. Face aux stratagèmes utilisés pour couvrir les méfaits et les mensonges, c’est l’écœurement ! Face à tant de cupidité, qu’est cette idée d’une « éthique des affaires » ? Quelle est cette vertu de l’autorégulation ? Au contraire : tous les aspects qui font notre mode de vie « moderne », auquel nous tenons, nous portent à une dérive 6  immuable.

Toutes les bonnes dispositions annoncées par les dirigeants du CAC 40, de l’OMC, du G20, G 8… sont déconnectées de tout humanisme ! Les capitalismes, de quelque nationalité qu’ils soient, ont de beaux jours devant eux ! Banques et compagnies d’assurances sont là pour gagner la mise. Même le marketing, qui ne manque pas de ruses, appuie cet esprit d’une société consommatrice de tout.

Étrange croyance aussi que celle d’une économie qui répondrait à des lois rationnelles, guidée par une « main invisible ». Dieu serait donc bien cynique ! Le marché économique n’a d’autres lois que celles que nous lui créons, appliquées par ce management efficace dont nous nous sommes entichés aveuglément, si bien porté aux nues par des hommes d’affaires qualifiés de « surdoués », « géniaux », encensés par les médias aux propos dithyrambiques à leur endroit. Tous les mandarins de la finance ne doivent pas nous hypnotiser par le prestige supposé de leurs fonctions. Ainsi, à propos de la banque centrale américaine : « tel était en 1929 le rôle impressionnant du conseil de la Banque fédérale à Washington, l’organisme déterminant la politique qui dirigeait les douze banques du Fédéral Reserve System. Cependant, il y avait une difficulté : le conseil de la Banque fédérale (Federal Reserve Board) était un organisme d’une incompétence atterrante » 7 . Y-a-t-il une évolution un peu plus de quatre-vingts ans après ?

Même écrits, entendus dans les médias, tout est bon pour dire que cela n’a pas été dit, qu’il y a mauvaise interprétation. Que ce sont des « erreurs de jugement », qu’« il faut savoir tourner la page », qu’il est « inutile de polémiquer », que « nous avons pris conscience », « nous n’étions pas informés ». Tous les accords et autres contrats seraient-ils aussi des « erreurs de plume » ? Ceux qui nous ont emportés dans le mur disent qu’ils ne se rendaient pas compte, à l’époque, de ce qu’ils faisaient… tout en continuant d’empocher des gains faramineux.

Les querelles d’experts ne sont que polémiques stériles et servent avant tout à embrouiller les esprits et détourner l’attention. Pour couvrir cette faillite du système, toutes les manœuvres de diversion, toutes les tentatives de manipulations judiciaires et politiques ne changeront rien à l’esprit délétère social. Les discours ne servent que les intérêts des profiteurs et des tartuffes – « responsables mais pas coupables » – qui savent que, comme les animaux de la fable : Selon que vous soyez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ! 8  

Février 2011

 Yvon Pesqueux, « Variations autour des notions associées à celle de risque », in Jérôme Méric, Yvon Pesqueux, Andreu Solé, La « Société du Risque » ; analyse et critique , Paris, Economica, collection « Gestion », 2009, chapitre 5, p.177.

2  André Solé, « Prolégomènes à une histoire des peurs humaines », in Jérôme Méric, Yvon Pesqueux, Andreu Solé, La « Société du Risque » ; analyse et critique , Paris, Economica, collection « Gestion », 2009, chapitre 1, p. 47

3  Nicole Aubert, Vincent de Gaulejac, Le coût de l’excellence , Paris, Seuil, 1991.

4  Management, février 2011, revue mensuelle. Article de Muriel Jaouën, pp. 88-90

5  Marianne n° 681, du 8 au 14 mai 2010, p. 30.

6  Cornelius Castoriadis, Une société à la dérive ; Entretiens et débats, 1974-1997 , Paris, Seuil, collection « Points Essais », édition préparée par Enrique Escobar, Myrto Gondicas et Pascal Vernay, 2005.

7  John Kenneth Galbraith, La crise économique de 1929 ; Anatomie d’une catastrophe financière , Paris, Payot & Rivages, 2008, p. 75.

8  Jean de La Fontaine, Les Animaux malades de la peste , de 1674, Livre septième.

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