lundi 05 juin 2006
Jean-françois Cottes, psychologue clinicien, psychanalyste
Responsable national d’INTERCOPSYCHO
Robert Brès, psychiatre
Josiane Vidal, pédopsychiatre
Jean-Paul Guillemoles - Claude Sibony Association des psychologues Freudiens
et des représentants des psychologues de Thuir
Conférence-débat organisée à
Montpellier le Mercredi 29 mars 2006
par
LE CEREDA, INTERCOPSYCHO
Et l’ASSOCIATION DES PSYCHOLOGUES FREUDIENS
En guise d’introduction
I |
l y a quelques mois était lancée sous le titre « Pas de 0 de conduite pour les enfants de trois ans » une pétition dont le succès a dépassé les attentes les plus optimistes de leurs auteurs, médecins de PMI, pédiatres, psychiatres et analystes, en recueillant à ce jour plus de 181 000 signatures.
Inquiets de la concordance entre un rapport de l’INSERM concernant le trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent, un rapport du député Jacques-Alain Benisti, inspirant des projets du ministre de l’intérieur, enseignants, parents, et praticiens se sont mobilisés pour manifester leur refus.
Pourquoi cette protestation massive et résolue des professionnels du soin mais aussi des parents, des enseignants et des éducateurs ? Plusieurs points, dès l’abord, ont paru particulièrement choquants :
- Sur un plan épistémologique, comment sur des éléments aussi vagues et imprécis que les troubles du comportement avec opposition parvenir à pronostiquer le risque d’une déviance future ?
Sur un plan politique, quel est le type de société annoncé par ces mesures qui, en institutionnalisant la liaison entre le soin et le maintien de l’ordre, pathologisent les comportements hors normes, court-circuitent les interrogations sur l’éducation et la société au profit d’une approche individuelle où les techniques comporte-mentales et cognitivistes et l’usage précoce de psychotropes sont au premier plan.
Cette démarche où le scientisme, et non pas la science authentique, est posé comme référence pour une « gestion » de l’humain, devenant une idéologie de remplacement dans une société déboussolée, est un premier pas vers un totalitarisme pour le bien de tous dont on connaît les dérives funestes.
Plusieurs associations de praticiens intervenant dans le champ du soin,* soucieuses de maintenir la dimension subjective dans l’approche des souffrances psychiques se sont regroupées pour organiser une conférence-débat à l‘IRTS à Montpellier, le Mercredi 29 Mars à 20h30, avec l’intervention de Jean-François COTTES, un des initiateurs de la pétition, responsable national d’Intercopsychos, des psychologues de Thuir, de psychiatres et psychanalystes de la région.
Cette rencontre, au cours de laquelle a eu lieu un débat interdisciplinaire riche et soutenu, a rassemblé près de 300 participants. Il nous a paru important de permettre à ceux qui étaient présents d’en garder trace et à ceux, beaucoup plus nombreux, qui n’ont pas pu venir mais qui se sentent concernés de prendre connaissance de ce résumé des différentes interventions.
Jean-Paul Guillemoles
Délégué régional d’Intercopsycho
*CEREDA, Centre d’Études et de Recherches sur l’Enfant dans le Discours analytique
INTERCOPSYCHO, Association des Psychologues Freudiens
Lettre ouverte …
Le collège des psychologues
du Centre Hospitalier Léon-Jean Grégory de Thuir (66)
S |
uite à la convention de « partenariat en matière de prévention précoce » signée le 13 octobre 2005 entre le Ministère de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire et le Centre Hospitalier psychiatrique du département des Pyrénées-Orientales, des psychologues cliniciens de cet établissement s’interrogent. Il s’agit plutôt de poser des questions, de soulever des interrogations, que de réagir précipitamment en s’attardant excessivement sur l’événementiel, c’est-à-dire sur ce qui se voit de façon parfois spectaculaire et appelle trop souvent à l’urgence d’une réponse-effet d’annonce. Les phénomènes de violence à Perpignan ont donné lieu à une hyper-médiatisation, à l’intervention du Ministre de l’Intérieur en personne et à cette convention.
Passer convention entre le Ministère de l’Intérieur et un Centre Hospitalier, qui-plus-est avec des moyens du Ministère de la Santé, constitue une première qui, pour le moins, pose question. Quid du Ministère de l’Intérieur dans cette convention de « partenariat » ?
Pour mettre en œuvre cette convention, deux postes d’infirmier (ou d’éducateur spécialisé) et un demi-poste de psychologue (moyens initialement destinés à un établissement d’un département voisin) sont attribués (pour un an) et assortis d’une demande de mise à disposition des équipes pluridisciplinaires des Centres Médico-Psychologiques de Pédopsychiatrie pour « réaliser des soins ambulatoires et à domicile dans les plus brefs délais ».
L’utilisation de crédits, de personnel, relevant de la Santé, pour traiter de problèmes qui, à la base, paraissent d’ordre social, socio-culturel, voire économique, pose ainsi question. « Prévention précoce » de quoi ?
Le Ministre de l’Intérieur a une position claire. Dans le discours qu’il a prononcé à Perpignan, il est dit que cette convention s’inscrit dans son plan de prévention de la délinquance. La Psychiatrie aurait-elle pour mission de prévenir et/ou traiter la délinquance ? Nous nous occupons parfois de délinquants (il s’agit d’un symptôme, parmi d’autres, qu’il nous faut écouter chez le sujet), mais pas de la délinquance.
La convention de partenariat est le cadre de référence. Une convention implique que les deux parties se sont accordées sur les objectifs à atteindre. Mais alors que le Ministère de l’Intérieur veille à l’équilibre de l’ordre social et à la réduction des déviances, la Pédopsychiatrie, elle, se situe dans la dimension d’accueil du sujet avec sa différence, sa singularité, son étrangeté, et dans le but de faire reconnaître la subjectivité de la personne. La Pédopsychiatrie se situe dans le soin de la personne (prise de tout temps dans le malaise de la civilisation) et non dans la guérison impossible du désordre social. La question du sujet, de son accueil, de sa demande, n’apparaît pas dans la convention où il est question de « quartiers difficiles », de « familles en difficultés ». Une réponse psychiatrique à des problèmes d’ordre social reviendrait à prendre des vessies pour des lanternes…
Une approche psychologique de l’événement social, du spectaculaire, du visible, interroge l’article 3 du titre II du Code de Déontologie des psychologues qui rappelle que « la mission fondamentale du psychologue est de faire reconnaître et respecter la personne dans sa dimension psychique », et non pas de la rééduquer dans un but de normalisation.
Le respect de la personne dans sa dimension psychologique, en tant que sujet, est-elle compatible avec le souci de maintenir un ordre social et/ou réduire les déviances sociales ? Cette convention n’est-elle pas une réponse en miroir à la déception du travail de secteur et à l’impatience que génèrent les troubles à l’ordre public et les difficultés du vivre-ensemble (non pris comme symptômes) ?
Est-ce que la Pédopsychiatrie doit s’inscrire dans des préoccupations relatives à l’insécurité et à la question de la délinquance ? Doit-elle s’occuper d’ordre social ? Est-ce dans ses missions de mettre en œuvre une forme de contrôle social ? A-t’elle la compétence de soigner des maux sociaux ?
La convention énonce ainsi un travail inter-partenarial en direction des parents. Création d’espaces de parole et d’écoute où l’on laisse la place à l’autre ? Ouverture de possibilités de médiations, de rencontres, (re)créant du lien social ? Ou bien guidance éducative ? Rééducation des parents ? Contrôle social de populations désignées ? En effet, la rencontre en Psychiatrie doit-elle s’encombrer d’a priori que la territorialisation engendre ?
Si l’on peut faire confiance aux personnes engagées aujourd’hui dans ce projet, le cadre de référence demeure cette convention, ce partenariat, dont on peut craindre les dérives et la dénaturation du soin en Pédopsychiatrie et de la politique de secteur en Psychiatrie.
En outre, cet épiphénomène perpignanais se situe dans un contexte particulier. La Psychiatrie, la Psychologie et la Psychanalyse sont attaquées et la dimension de causalité psychique est déniée. En témoignent : le développement des Thérapies Cognitivo-Comportementales, la mise en avant des « neuro-sciences », le rapport sur l’évaluation des psychothérapies (aujourd’hui désavoué par le Ministère de la Santé), l’expertise de l’INSERM sur le trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent (qui préconise un repérage précoce des perturbations du comportement par un dépistage médical systématique dès 36 mois), « Le livre noir de la psychanalyse », la réglementation de l’exer-cice du titre de psychothérapeute, ainsi que le projet de réforme des études de Psychologie.
La Psychologie paraît de plus en plus utilisée, instrumentalisée, réduite à des fonctions de « dépistage » rapide et précoce. Cette conception va à l’encontre de l’essence de notre travail, à savoir, « rencontrer » des « personnes » en tant que « sujets », et soulager la souffrance dont ils sont porteurs.
Les psychologues, au regard de leur Code de Déontologie, doivent être attentifs aux risques de dérives possibles et s’atteler au travail de réflexion sur ces questions pour tenter d’en déjouer les pièges.
Sur les dangers de la médicalisation précoce des enfants
Josiane Vidal, Pédopsychiatre
N |
ous recevons dans nos consultations privées depuis environ un an et demi, sous le coup d'une nouvelle panacée, des enfants traités par Ritaline depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, de façon systématique pour des troubles étiquetés- hyperactivité, troubles de l'attention, troubles oppositionnels, réduits à des top , toc et autres onomatopées qui nous font oublier jusqu'à ce qu'elles contiennent ,et qui correspondent à une maladie au fond iatrogène, créée de toute pièce pour les besoins de la cause, où la nosographie s'adapte aux médicaments et non pas l'inverse.
Le concept de troubles déficitaires de l'attention avec hyperactivité répertorié pour la première fois dans les années 1970 par la DSM3 est arrivé sur le marché si j'ose dire, au moment précis où on assiste à l'essor de l'industrie pharmaceutique, avec pour corollaire un arasement de la clinique classique.
On nous propose une liste de signes déjà établie, dont le regroupement reste profondément discutable, un assemblage d'éléments hétéroclites, une suite discordante en ce qu’elle ne peut en aucun cas représenter un sujet (du point de vue de la structure du sujet), mais qui prend l'allure plutôt d’un fourre- tout nosographique dans lequel chacun peut se retrouver.
Dans ces conditions, l'administration du médicament procède d’un traitement de masse, comme le confirme avec la plus grande simplicité le Professeur Jeammet éminent spécialiste chef de service de psychiatrie de l'adolescent et du jeune adulte à Paris, dans un article paru dans Le Monde du 23 mars, en des propos pour le moins stupéfiants, je le cite : « il s'agit de sortir ces enfants de la véritable situation d'abandon où on les laisse. Car on est devant un problème de massification des besoins auquel l'approche purement individuelle qui prévaut actuellement ne peut répondre et qui ne peut que concerner qu'une minorité, souvent privilégiée du fait de l'attention dont elle bénéficie. On ne peut continuer ainsi si l'on veut toucher la masse des enfants qui en ont le plus besoin ».
Si l'on en croit le Professeur , il s'agirait de mettre à l'abri d'une part des hordes d' enfants livrés à des émotions ravageantes venues du tréfonds du cerveau biologique, ( ce que corrobore Stanislas Dehaene, Directeur d'un laboratoire de neuro-imagerie cognitive, récemment promu Professeur au Collège de France qui déclare : « En réalité , la personnalité est un état de notre cerveau » article Le Monde du 6 mai), mais aussi leurs parents déficients , incapables de mettre des limites ou impuissants à donner à l'enfant la sécurité dont il a besoin et de lui donner une bonne image de lui-même. Forts de la caution scientifique, c'est le bon sens et les bons sentiments qui parlent, la cause est entendue.
Sauf que la détermination est ici... absolue. Elle est reconnue, identifiée: biologique mais aussi génétique. Nous aurions affaire là à des facteurs de risque multiples qui en se combinant, donnent naissance au concept d' « héritabilité », avec ce que ce terme emprunte à la logique de la circulation des biens, qui conditionnerait le mode d'expression de nos émotions.
Or qui voit-on arriver dans nos cabinets?
Des enfants de 6 ans ou plus (en principe la Ritaline ne peut -être prescrite en dessous de 6 ans), accompagnés de parents certes déboussolés mais pourtant attentifs, en tout cas suffisamment pour aller au delà de la prescription médicamenteuse censée résoudre le problème et demander une consultation supplémentaire.
Pourquoi?
En partie parce qu'ils s'inquiètent des effets secondaires, soit qu'ils en prennent connaissance incidemment ou tout simplement parce qu’ils ont lu attentivement les vignettes, (preuve encore de l'intérêt qu'ils portent à leurs enfants).
Le Dictionnaire Vidal établit la liste édifiante des effets secondaires et pas des moindres de la Ritaline et du Concerta qui sont les deux médicaments les plus prescrits, auxquels s'ajoutent les contre indications absolues et les mises en garde et précautions d'emploi, au total quelques trois pages fournies qui recensent les risques qui vont du risque hépatique cancérigène en passant par la coronaropathie caractérisée, jusqu'au ralentissement ou l'arrêt staturo -pondéral.
On nous rassure en nous disant que le développement reprend à l'arrêt du traitement. Lorsque l'on sait que le traitement peut-être conseillé à vie, arrêté pour les périodes de vacances scolaires et les week -ends, on peut se poser des questions sur la façon dont les enfants vont grandir. De même cette démarche fantaisiste qui fait rimer la prescription avec le calendrier scolaire laisse particulièrement songeur.
Mais les parents viennent surtout parce qu'ils n'en ont pas fini avec la demande, c'est à dire que tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, même chez ceux qui ne contestent pas la prescription, il subsiste une plainte, une inquiétude, où la culpabilité voisine avec la résistance au traitement (il n'est certainement pas anodin pour un parent d'administrer des médicaments potentiellement dangereux à son enfant avec tout ce que cela sous-tend de désir de mort).
Le traitement s'il exonère les parents autrefois coupable d'un mauvaise éducation de leur responsabilité, ne les prive certainement pas, en faisant d'eux des censeurs instrumentés, du retour féroce de la pulsion de mort, et de la logique folle qui le sous tend : Si on ne donne pas le traitement on est en faute (du fait de l'impératif tu dois prendre le traitement), si on le donne on le devient aussi (du fait de la dangerosité du médicament).
Ainsi donc malgré le traitement quelque chose persiste , irréductible au détournement, mais qui ne passe plus par la parole du moins pour l'enfant, il est parlé de l'extérieur, par l' entourage, « on parle donc un enfant » qui ne parle plus, qui n'a plus d'envie, qui est devenu passif, apathique, qui a décidé de ne plus rien faire , qui pleure dès qu'on lui dit non, pour la moindre petite chose, qui est toujours insatisfait, voilà ce que me dit la mère de cet enfant sous Ritaline depuis 3 ans, parce qu'à l'école il n'arrivait pas à se concentrer.
Il y a pour tout cela comme pour toute chose un prix à payer, ici c'est le prix fort, le traitement est à vie....! dit la mère.
Quelles sont les conséquences cliniques immédiates de ce choix qui élimine de la scène le sujet en tant qu'il parle et même qu'il est parlé par le langage, et avec lui tout ce qui fait le vivant de son existence singulière, quand évacué de la relation de transfert à celui qui l'écoute, hors transfert, il n'est plus qu’objet à corriger, à rééduquer, à traiter.
Ce qui s'aplanit d'un coté, resurgit de l'autre. Sous la camisole chimique, le déchaînement pulsionnel fait rage, ce dont témoignent de façon criante les dessins des enfants. Et ce qui est mis sous cloche revient en force dans le réel d'une façon ou d'une autre. De l'intérieur ou de l'extérieur. Par exemple, dès qu'on arrête le traitement, le symptôme revient en force puisqu'il n'y a aucune approche de la causalité psychique.
Et que penser de ce troc qui propose la contention chimique au corps qui manifeste, qui s'agite, en échange d'une jouissance autrement plus dangereuse. Là où ça bougeait, on lui donne une drogue pour le contenir. Je n'insiste pas, tant cela paraît évident, sur les risques de toxicomanies à l'adolescence ainsi que sur les risques suicidaires induits par ces médications prescrites au long cours. (La Ritaline est un produit de la famille des stupéfiants).Le trafic de Ritaline aux USA est devenu pratique courante, et les plaintes et les procès d'associations de parents sont légion.
Plus généralement, dans notre pratique nous constatons un déplacement sensible de la demande.
Là où l'exigence des résultats scolaires prévalaient jusque là, nous assistons à un déplacement vers une exigence normative qui s'est déplacée sur les comportements, virant à l'obsession des comportements déviants.
Il faut savoir qu'aux USA, on assiste à des actions de harcèlement du coté de la maîtrise, exigeant la mise sous traitement par Ritaline. Il existe des procès fait aux parents négligents. En 1994, l' Express relatait l'expérience américaine précisant qu'en France à cette époque le produit restait peu utilisé, le phénomène restant typiquement américain, mais peut-être pas pour longtemps précisait le journaliste car les objectifs des firmes pharmaceutiques étaient précis: étendre leurs activités à l'étranger, Canada, Australie, Israël, Grande Bretagne. Dix ans plus tard, c'est fait, la vague a déferlé sur l'Europe!
Mais, et c'est la bonne surprise, aujourd'hui la France qui ne s'en laisse pas conter, occupe toujours une place d’exception. En raison de l'implantation historique de la psychanalyse et de la tradition humaniste de la psychiatrie basée sur la relation médecin -malade, elle résiste à l'alignement de la psychiatrie libérale sur les pratiques de marché basées sur la promotion des molécules et les thérapies brèves qui tendent à traiter un peu partout en Europe le patient comme un bien commercial. En Suisse, par exemple il existe une réglementation drastique qui comptabilise le nombre de minutes passées en consultation et fixe le nombre de séances nécessaires. Il nous reste encore un peu de marge, pour ne pas céder sur ce désir de résister, comme le dit Clotilde Leguil -Badal * « Nous avons tous un cerveau, certes, mais nous sommes chacun des sujets. Et pour continuer à l'être, nous devons défendre ce qui fait notre singularité en nous méfiant de tout exercice d'emprise sur notre intimité ».
*Anti livre noir de la psychanalyse, Seuil 2006.
Robert Bres, Psychiatre
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e petit Nicolas, Alceste, Agnan, Joachim, Geoffroy et d’autres dont j’ai oublié les noms ont par leurs aventures dessinées par Sempé régalés mon enfance ; ils étaient un peu comme moi, un peu comme mes camarades de classe, un peu comme ceux dont j’aurais tant voulu qu’ils soient des copains, un peu aussi comme ceux dont j’aurais bien voulu être parfois.
Il y avait là de la tendresse, de l’émotion, du rire, de la dérision aussi et beaucoup de rêves.
De nos jours, avec ce que l’on croit savoir à la lecture d’un rapport de l’INSERM, il n’y a plus de petit Nicolas et de ses copains, il n’y a que de futurs-ci ou de futurs-ça. Ce n’est plus du jeu !, des jeux d’enfants qui rêvent à ce qu’ils seront peut-être, dessinant devant nous les prémisses de leur histoire d’adulte (prémisse : première partie d’un syllogisme, qui ne prendra son sens qu’en regard de la deuxième partie ; la conclusion ne doit en aucun cas dépasser les prémisses ; de même que l’hirondelle est le prémisse du printemps, sans pour autant faire le printemps, ce que ces enfants dessinent sont des anecdotes qui ne font pas leur histoire) ; ce n’est plus du jeu, car l’enjeu que les recommandations de l’INSERM y mettent a bloqué le jeu, transformant ce que les enfants nous montrent en prémices de ce qu’ils seront (prémices : premiers effets d’une histoire ; les recommandations de l’INSERM sont ainsi les prémices d’une autre politique, sécuritaire, qui se met en place).
Prémisses et prémices : tout en fait est affaire d’orthographe, du comment on note les choses. Si je comprends que parfois il faut montrer du doigt certains comportements précoces, je refuse pour autant qu’on les mette à l’index, qu’on indexe ces comportements sur un cahier de suivi.
Prémisses et prémices : entre l’hirondelle qui pourtant ne fait pas le printemps et les premiers frimas qui sont déjà l’hiver, je préfère l’hirondelle.
J’étais occupé à la Polyclinique de Psychiatrie de l’Adulte, Unité de Soins pour Grands Adolescents, inquiet de comprendre comment aider quelques-uns uns de ces jeunes que l’on dit en difficultés à devenir autre que ce qu’ils nous montrent et de ce qu’ils sont devenus, quant au téléphone une journaliste disait vouloir me rencontrer afin que je lui explique pourquoi j’avais signé une pétition « pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans » circulant sur internet afin de protester non pas uniquement contre le rapport de l’INSERM mais surtout contre l’utilisation que certain politique voulait en faire.
Et voilà pourquoi, je suis sorti de l’asile pour être là, à devoir rendre des comptes (contes).
Ce dont j’ai toujours beaucoup souffert en fait, comme beaucoup d’intervenants dits de terrain, de cliniciens, c’est de ne jamais rien savoir : je ne sais jamais exactement pourquoi quelqu’un va mal et je ne sais souvent même pas pourquoi un jour il va mieux. Je ne peux que chercher à comprendre ; même si à force de chercher à comprendre on finit par ne plus rien savoir, de la même façon que ceux qui cherchent toujours à savoir finissent par ne plus rien comprendre.
Aussi, ce rapport m’intéresse : il donne à penser, il peut ouvrir au débat, à condition que ce qu’il dit ne soit perçu que comme des hypothèses, et des hypothèses à mettre au travail, en débat, des hypothèses qui ouvrent à la parole, et non pas des recommandations qui s’énoncent comme des certitudes invalidant de fait tout débat et annulant tout travail.
Si l’on peut prédire avec certitude l’avenir de tous les petits Nicolas et de leurs copains, l’éducation ne devient plus que de l’élevage, la prévention ne consiste plus à mobiliser des prévenants, mais à fabriquer des prévenus.
Une telle démarche, selon moi, est à la prévention ce que la musique militaire est à la musique : ça fait du bruit, c’est parfois joli, mais ça sert surtout à faire marcher de concert, au pas cadencé.
J’avais dans le temps participé à partir d’autres savoirs, avec d’autres politiques, à des opérations de prévention qualifiées par les uns de Combat pour la Vie , par les autres de prévention participative et, par moi, de prévention intégrative cela pour la différencier des préventions ségrégatives qui malheureusement semblent maintenant découler des recommandations de ce rapport de l’INSERM.
La prévention ségrégative procède d’un savoir reconnu et incontestable. C’est le modèle médical de prévention, celui qui marche remarquablement bien dans certaines maladies infectieuses. On connaît l’origine, elle est identifiée, c’est un virus ou une bactérie ; on connaît l’histoire naturelle de la maladie (où la bactérie se développe, comment elle est transportée, comment elle contamine) ; on connaît également les populations cibles dîtes à risque. Il suffit donc d’intervenir à tous les bouts de la chaîne : stériliser les bouillons de culture, rompre la transmission en démoustiquant, en abattant les oiseaux migrateurs ou autres vecteurs de contamination et enfin protéger en les vaccinant ou en les confinant les populations à risque. Ce modèle de prévention fabrique, je l’ai dit, des prévenus : « on vous avait prévenus qu’il fallait vous vacciner, qu’il ne fallait pas manger de volaille, qu’il fallait mettre un préservatif, qu’il faut cesser de fumer ou de boire etc. »
La prévention intégrative ne vise pas à chercher une cause identifiable, ni une histoire naturelle, ni même une population cible. Le trouble est considéré comme un avatar culturel ; là encore, il s’agit surtout de comprendre plutôt que de savoir. Il n’y a pas de cause unique, il n’y a même pas de cause identifiable parfois, et souvent il n’y a pas d’histoire naturelle de tel ou tel trouble, il n’y a que des explications culturelles, une histoire culturelle produisant troubles et turbulences . Il y a surtout que cette prévention n’est pas affaire de spécialistes mais bien l’affaire de tout un chacun ; être là et faire face, tout un chacun doit se mobiliser, se qualifier davantage pour être plus prévenant que prévenu.
Je reproche en fait à ce type de rapport de disqualifier à la fois le sujet, mais aussi tout ce qui l’entoure : les parents, les copains, le familial et le familier.
Je reproche aussi et beaucoup à ce type de démarche de stigmatiser des gens à la fois dans leur identité mais aussi et surtout dans leur histoire : ils ne sont plus propriétaires de leur propre histoire, ils ne sont que l’objet d’une histoire pré-écrite.
Il est arrivé à chacun d’entre nous de rencontrer un jour quelqu’un qui nous dit, que grâce à nous, à ce qu’on lui a dit un jour, sa vie a changé, son histoire s’est écrite autrement ; chacun d’entre nous peut chercher alors à se souvenir de cette rencontre là, à retrouver la parole qui a fait un tel effet de conversion chez l’autre, sans rien trouver souvent et se trouver ainsi frustré de ne rien savoir de ce qui s’est passé à cette occasion. L’autre s’est refait à partir justement de ce qui nous a échappé.
Alors revenons aux nouvelles aventures du petit Nicolas :
- Agnan, le meilleur d’entre nous, part pour une carrière politique passant par l’ENA, le menant à des conférences au Canada en espérant, droit dans ses bottes, parvenir au pouvoir.
- Alceste, l’obèse polyphage, entame son énième stage en endocrinologie, son énième régime alimentaire et se profile déjà pour lui je ne sais quelle COTOREP pour personne handicapée.
- Geoffroy, je ne sais pas où il va, on n’en parle plus ; il a s’en doute échappé au massacre ;
- Joachim, lui, est déjà inscrit dans une histoire avec probabilité de traitement par Ritaline, pourquoi pas un centre éducatif renforcé, un avenir de bi-polaire ou de psychopathe avec son contingent de séjours en psychiatrie, d’incarcérations ou de centres de post cure ;
- Il reste le petit Nicolas dont je voudrais vraiment qu’il ne devienne jamais ce qu’il pense devenir.
L’ere du savoir-pouvoir
Jean-François Cottes, Psychologue clinicien, psychanalyste
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e rapport de l’Inserm sur le trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent est la quatrième expertise dans le champ psychique.
La première, parue en 2003 sur les troubles mentaux chez les enfants et adolescents, avait déjà suscité une réaction dans les milieux professionnels notamment car elle estimait la prévalence des troubles à 9 %.
Puis, en février 2004, vint l’expertise sur l’évaluation des psychothérapies. Celle-ci a suscité un tollé dans le milieu psy, et en particulier lors du Forum des psys.
Il y eut ensuite une autre expertise collective en 2005 sur « l’autopsie psychologique ».
Puis la quatrième, en septembre 2005 sur le trouble des conduites.
A chaque fois, la méthode, les conclusions, les recommandations sont remises très fortement – et de plus en plus – en cause. Pourquoi de telles remises en cause ? En particulier parce que ces rapports tendent à faire admettre et édicter comme modèles, les approches basées sur le DSM.
L’intervention de l’Inserm dans le champ de la souffrance psychique, de la psychiatrie et des psychothérapies est donc relativement récente. Sous couvert de l’autorité scientifique de l’Inserm, ces expertises collectives diffusent des thèses que l’on peut dire scientistes. Scientiste, veut dire, dans le dictionnaire 1 : qui prétend que la connaissance scientifique suffit à résoudre des problèmes philosophiques. Etendons-la définition : et des problèmes sociaux.
Ici, c’est bien ce dont il s’agit. C’est le seul point de vue scientifique, qui, nous dit-on, doit être envisagé. Et la science dont il s’agit, c’est la biologie. Pas les sciences humaines : sociologie, histoire, psychologie, ethnologie, linguistique, etc. Pas de contributions non plus d’autres disciplines qui se déploient dans le champ de la rationalité, telle la psychanalyse. Non, la science dure – comme l’on dit – et jusqu’à la caricature.
Il s’agit au bout du compte d’une idéologie qui tend à se répandre en biologisant l’ensemble de la vie humaine.
Si la démarche sous-tendue par les expertises collectives de l’Inserm dans le champ psychique est donc scientiste, c’est aussi un réductionnisme au sens où, comme nous le dit encore le dictionnaire 2 , cela procède par la réduction systématique d’un ordre de connaissance à un autre généralement plus formalisé. C’est l’idéal de ramener l’ensemble de la vie humaine à la conception biologique, à l’animal en l’homme. C’est pourquoi, logiquement, c’est la génétique qui est la vérité de cette approche. C’est elle qui est appelée dans le rapport de l’Inserm a servir de référence ultime.
L’idée qu’il y a dans les gènes un savoir dont les conséquences se déploient au cours d’une existence est l’horizon de ces approches. Et, partant, la conception selon laquelle ce sont les gènes qu’il faut aller scruter, ramène à aller lire un texte, une nouvelle Ecriture, au sens biblique, au sens religieux – comme on recherche dans l’Ancien Testament l’annonce de ce que sera le Nouveau. Toute idée de fatalité, qui est au cœur de la rhétorique de ce rapport, se ramène à un : C’est écrit. Le savoir que nos experts recherchent serait donc susceptible d’être retranscrit.
C’est en cela encore que, non content d’être scientiste et réductionniste, l’approche qui préside à cette étude est déterministe, c’est-à-dire suppose que le dit trouble des conduites répond « à une loi agissant en sorte qu’à partir de conditions données, un phénomène, un évènement ne peut pas ne pas se produire. » 3
C’est à partir de là que se développe le phénomène de l’expertise. C'est-à-dire un savoir considéré comme absolu, et en tout cas, indépassable, mais, dans un secteur délimité. C’est ce qui pose des questions dans les champs de l’éthique et de la politique.
Or, ce à quoi nous assistons, de façon exemplaire avec ce rapport, c’est que ce savoir se met au service du pouvoir. Un des problèmes contemporains les plus urgents posé au pouvoir d’Etat est le suivant : comment endiguer ce qui est présenté comme une croissance exponentielle de la délinquance et de la criminalité, c’est-à-dire de la transgression des règles sociales et légales ? Toutes sortes de moyens sont mis en œuvre sur lesquels nous prononcer ici sortirait de notre propos, mais dont il faut dire que tant au niveau national, continental que mondial ils ont connu une accélération prodigieuse dans les cinq dernières années. Le moyen que nos experts mettent à la disposition du pouvoir – qui n’a pas attendu longtemps avant de s’en saisir – c’est leur savoir, ce savoir scientiste, réductionniste et déterministe.
Or nous vivons, dit-on, la crise de l’autorité. Vécue au niveau individuel, elle concerne aussi bien les instances de pouvoir. Comment y remédier ? Par le recours aux experts, au savoir. Mais ce que n’aperçoivent pas les agents du pouvoir, c’est que c’est la promotion de ce savoir précisément qui participe de l’effritement des bases de l’autorité. Et qu’en y faisant appel, on alimente le processus.
Nous assistons donc à une nouvelle alliance entre le savoir et le pouvoir. Et cela se produit à un niveau très élevé étant donné les moyens dont disposent nos sociétés modernes. Cela conduit à la circulation du savoir. Or dans ce mouvement de circulation le savoir est modifié, il se modifie. Le savoir s’est caractérisé longtemps par sa complexité, son épaisseur, son rapport au sens. Ces caractères ont, jusqu’à il y a peu, fait obstacle à sa transmission, l’ont rendu difficile, tortueuse, hasardeuse. Aujourd’hui le savoir au contraire tend à se simplifier, pour être applicable, utile, utilisable, il se schématise, jusqu’à se ramener à ces « données » que recueillent le questionnaire et la grille d’évaluation.
C’est dire que si ce savoir gagne en reconnaissance, c’est au prix de se transformer en information.
C’est pourquoi les TCC (Thérapies comportementales et cognitives) sont promues systématiquement dans les expertises collectives car elles s’inscrivent exactement dans cette logique, alors que les autres pratiques psychothérapiques ne se laissent pas réduire par l’évaluation.
A la faveur du réveil des professionnels concernés et de la mobilisation citoyenne sur cette expertise collective de l’Inserm, sur quels points mettre l’accent dans le champ des faits psychiques ? Pour ma part j’en propose trois.
Mettre des limites à mettre à la circulation de l’information, des données, concernant un sujet. Alors que l’on voit se propager dangereusement la notion de « secret partagé », la question d’un véritable droit au secret doit être posée. Comment préserver un espace, à l’abri du regard intrusif ? Quels dispositifs concevoir ?
Maintenir ouverte une interrogation sur le statut du savoir. Sommes-nous devenus si collectivement mégalomanes que nous croyions pouvoir extraire du réel un savoir sans faille ? Le réel n’excède-t-il pas toujours le savoir ? Le savoir n’est-il pas fondamentalement troué ? Comment en tenir compte dans l’abord des questions du champ du psychique ?
Promouvoir la réflexion sur la spécificité du fait humain. Le sujet humain se réduit-il à la somme de ses déterminations bio-psycho-sociales ? N’y a-t-il aucune part pour une causalité d’un autre ordre, qui ne vienne pas de l’Autre – quel qu’il soit – mais qui implique le sujet lui-même dans sa responsabilité absolue ? Comment intégrer cette interrogation dans les recherches et études concernant le sujet humain ?
Claude SIBONY, Psychologue clinicien, psychanalyste
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e texte de recherche de l’INSERM et le rapport d’un député enrichissant l’avant projet de loi concernant la prévention de la délinquance ont enfin été rendus publics. Leur lecture et les différentes réactions suscitées permettent de préciser une orientation qui nous est apparue préoccupante. Cette orientation devrait faire débat au-delà des experts sur le choix de société qu’elle nous dessine.
La lecture de l’expertise collective menée par l’INSERM, concernant le trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent, inquiète plus sur ses orientations, ses velléités de prédictions que sur son contenu, prévisible vu le choix des experts.
Bien menée, bien articulée elle fait pourtant l’impasse sur de nombreux champs épistémiques : sociologique économique politique historique et pour le champ psy psychanalytique… Ses choix sont nets : le médical, le cognitivisme, la génétique et même l’éthologie pour le comportement animal.
Cette recherche énonce des observations vérifiées, prouvées, mais partielles et interprétables. Elle ne peut se présenter comme énonciatrice de vérités.
Malgré elle, faisons lui ce crédit, elle participe d’une tendance scientiste, qui se situerait au-delà des idéologies, comme si comparer l’homme au rat était si neutre que cela.
Elle est, de plus, utilisée par le politique, heureux de cette coïncidence, qui justifie ses choix sous couvert d’un savoir vérifié. L’acte politique perd alors de sa consistance, il se dérobe et masque ses choix sous couvert d’une nécessité, poussée par le fait scientifique. Le règne de l’expert insiste, édictant ce non-sens selon lequel nous n’avons plus à opérer de choix, l’éducation, les soins , les évolutions sociales et économiques ne dépendent plus d’un choix mais d’une détermination scientifiquement évaluée.
Contrer cette expertise reste délicat, le risque est de situer ses détracteurs du coté d’une réaction anti-science, d’une position obscurantiste, d’une idéologie passéiste, « soixante-huitarde ». Nous désirons préciser le champ d’application de la recherche médicale et proposer, expliquer, développer nos orientations.
La principale objection à cette recherche concernant le dépistage précoce est la place donnée au signe, par excellence polysémique, ne disant rien en soi du sujet. La méthode de dépistage de signes, de clignotants comme il est dit, la mise en lien d’un certain nombre de ces signes et la déduction diagnostique d’un trouble fraîchement estampillé dans les nouvelles nosographies, enfin la prédiction à partir de ces éléments du devenir de la personne, tout ceci nous semble faux, aléatoire, dangereux… Nous ne pouvons pas prédire ce qu’un enfant de trois ans choisira comme modalité d’expression de son être, comme singularités, choix de ces modes de jouissances et expression symptomatique. Certains des plus grands esprits du vingtième siècle auraient été stigmatisés comme futurs délinquants. Ils l’ont peut être été en révolutionnant les sciences…
Nous exerçons également notre critique à l’encontre des thérapeutiques qui visent le symptôme, investi du « trouble » statut de « trouble ». Les troubles que cette recherche désigne sont aussi questionnant. Le top c’est le TOP, trouble oppositionnel et de provocation. Pro-vocare signifie en appeler à une voix, c’est un appel, c’est une demande. L’agressivité ne dit rien en soi d’un enfant ; au pluriel, statistiquement, elle ne signifie toujours rien… Elle est constituante de l’émergence subjective. Si elle peut révéler un malaise, une souffrance, une insatisfaction, la réduire ne traitera jamais la question de l’enfant, son appel, sa demande.
Ne parlons pas de ce qui est décrit comme « un niveau bas de moralité » chez certains enfants… Là nous frôlons le pire au plan idéologique. Relisons Freud pour retrouver l’enfant pervers polymorphe…
La mise en corrélation de signes cliniques à partir d’observations aussi aléatoires est dangereuse. Elle brosse un profil type qui n’est proche d’aucun mais qui peut servir de socle à une identification. Ainsi la prédiction du fait de son énonciation produit son effet…
Ces dépistages et la logique psycho cognitive qui les sous-tend sont redoutablement efficaces sur le traitement symptomatique. En ce sens ils présentent un vrai danger, retirant à l’enfant l’écriture singulière qu’il a su se créer. Que lui restera t’il ensuite si ce n’est l’angoisse et l’une de ses issues : le passage à l’acte ?
Lors d’une émission sur la santé publique, drôle de concept d’ailleurs, des chercheurs énonçaient les résultats des messages de préventions concernant la consommation d’alcool et de tabac. La consommation baisse disaient ils par contre la dépression monte. N’était ce pas à corréler ? Araser chez l’enfant l’expression symptomatique qui pourrait orienter sa demande, ne peut à notre avis que le laisser confronté à une angoisse ravageante.
Critiquons aussi la logique dépistage - intervention. Nous devons au plan éthique réfléchir à la question du signe interprété comme une souffrance et de l’intervention alors d’un tiers : la demande nous autorise, pas le signe. Lors d’un débat télévisé sur cette recherche de l’Inserm, un défenseur de ce travail parlait de personnes déviantes, qui souffraient… Le « qui souffraient » était présenté comme le sésame qui autorise le déclenchement d’une action dite thérapeutique…
Nous devons enfin réagir à cette tendance médicale, scientiste, qui consiste à faire du malaise dans la civilisation une maladie à soigner. Les troubles décrits dans cette recherche ne sont ni des structures ni des maladies ni des syndromes…Sauf à entrer dans un système politique totalitaire, les différences individuelles, les choix singuliers, les modes de jouissances ne sont pas du domaine de la maladie.
Les enfants ou adolescents peuvent de par leurs comportements contrecarrer une loi sociale et à ce registre en rendre compte à qui de droit. Ils peuvent tout autant faire modifier la loi sociale, attestant de l’évolution des rapports individuels et collectifs à l’interdit.
La délinquance n’est pas une maladie, elle relève du social. Au sein des populations qui « delinquent » il est évidemment possible de retrouver des personnes en souffrance, mais là encore le soin ne se décide qu’à partir d’une demande, au cas par cas.
Les émeutes des banlieues ne relèvent pas d’un trouble x ou y, les jeunes concernés ne sont pas « malades ». Ils peuvent décider de violences urbaines du fait de violences par eux subies, d’exclusion sociale, de chômage, d’absence de perspectives, de la jouissance à détruire etc. …. Ils peuvent faire le choix de la subversion. Cela ne fait pas d’eux des « malades », ni de leurs actes les signes de maladies ou d’un quelconque trouble. D’ailleurs le mot trouble ne vient-il pas signer la dégénérescence de la nosographie ? L’être parlant est par essence troublé, troublé par le fait qu’il parle.
Le rapprochement entre ces travaux de l’Inserm et les politiques de prévention de la délinquance (rapport Benisti) éclaire sur la perspective sécuritaire, normative de cette rencontre douteuse entre science et ordre.
Le délinquant d’aujourd’hui serait un hyper actif d’hier, mal traité, maltraitance physique et psychologique, hyperactif ayant des troubles cognitifs, c’est un mal appris…, générant un Trouble oppositionnel provocateur, sur la base d’une susceptibilité génétique… La boucle est bouclée, personne n’y est pour rien, tous irresponsables, tous coupables.
La tendance dans laquelle s’inscrit cette recherche favorise la réaction de défiance actuelle. Nous refusons de lire des problématiques économiques et sociales sous la houlette d’un discours médical étayé de bienveillance psychologisante.
Le discours de la science forclos le sujet enseignait Lacan. En voici donc une nouvelle illustration. Nous nous devons de maintenir l’incertitude dans le champ de nos recherches, laisser place à l’insu comme source de notre désir; c’est dans cette place laissée vacante qu’émerge le sujet.
Le signe relève du monde animal, réduire l’expression humaine au monde des signes c’est méconnaître sciemment le fait humain en tant que parlêtre.
Freud parlait de trois professions impossibles: éduquer, soigner, gouverner… Orientons nous de cet impossible, ressourçons nous de lui, ne tentons pas de le réduire.
1 Le Grand Robert de la langue française
2 Idem
3 ibidem
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