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Poulet aux cèpes ou cardon à la crème ?

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Jean-Pierre MEYER

dimanche 30 janvier 2011

Poulet aux cèpes ou cardon à la crème ?

Je me suis rendu compte de l'importance d'une réflexion "éducative" sur les repas et l'alimentaire. J'ai travaillé cette médiation en formation, il y a quelques années. Depuis que je suis moniteur éducateur, j’aime travailler les tenants et les aboutissant autour des repas. Le problème de poids envahit le groupe, le foyer, mais aussi le travail social. J’ai souvenir d’un groupe d’un foyer où l’ensemble des femmes du groupe était au régime car l’éducatrice était au régime.

Mais j'ai envie de dire que manger n'implique pas forcément grossir.

En 1991, lors de l'écriture de mon mémoire pour le diplôme de moniteur éducateur, j'écrivais en avant propos Depuis des siècles, les aliments, les herbes et les aromates sont des remèdes contre la maladie. Notre civilisation se base sur un repas, par "une cène primitive", où le corps et le sang du Christ seraient "mangés", pour nous sauver de l'enfer, de la maladie et du péché.

Les différents stades de notre évolution sont, souvent, fêtés autour d'un repas. C'est un moment où les membres de la famille et les amis se retrouvent, pour une naissance, pour la passation de l'enfance à l'adolescent, à l’âge adulte, pour le mariage et après les funérailles. La bonne chair et le vin s'écoulent à flots sur les tables. La nourriture est aussi, le premier lien entre le nouveau-né‚ et le monde extérieur, par l’intermédiaire‚ de la mère

Dans nos manuels d'histoire, il y a eu beaucoup de souverains bons vivants, voire réputés gloutons, même un roi a symbolisé‚ un plat populaire (la poule au pot et son "publicitaire" Henri IV). Beaucoup d'histoires enfantines tournent autour des repas, l'ogre qui mange les enfants, Blanche-Neige qui mange la pomme empoisonnée‚ et n'oublions pas Rabelais avec Gargantua et l'abbaye de Thélème.

Le lien avec le passé est souvent associer à un temps de repas.

J'ai envie de dire que l'alimentaire cimente les temps de la vie. Un repas peut conclure un temps de travail, de détente.

Le temps des repas est un moment important au niveau du foyer Quand je suis assis autour d'une table, au milieu d'adultes, en tant qu'éducateur, je ne suis pas "vierge" d'un passé ou d'un présent. Je porte mon histoire face à l'alimentation, au repas ou face à l’handicap. Je travaille avec ces données. Le temps des repas est un temps où beaucoup de chose se règlent ou pas. Le repas, dans le quotidien, tient une place prépondérante. C'est un des moments où "les conflits, les paix" se joue ou rejoue. Mais le comportement des adultes devant l'alimentaire, ne peut être dissocié‚ des autres comportements.

L'alimentation peut être un moyen pour normaliser, formater la vie. Manger à heure fixe n'est pas quelque chose de naturel, c'est un truc pour civiliser ?

Une des premières choses que les colons ont demandé aux indien est de manger à heures fixe (ARTE documentaire la terre indienne) ou tout simplement l'ordre des mets pendant un repas .

Le gout, son développement, sont affinés et nous fait dépasser le besoin de manger pour se nourrir. Je pense que l’homme a commencé à se civiliser, quand il a dépassé ses besoins primaires. Le moment du repas peut être aussi un temps apaisé, de détente, de plaisir. Il me semble . Il a "dépassé" ce désir vital, en découvrant les temps de plaisirs d'odeurs, de goût ou d'après le repas (la suite d'un bon repas…)

On ne porte pas le même regard « alimentaire » sur un enfant que sur un adulte.

Nous ne sommes pas là pour leur inculquer une éducation alimentaire. Les résidents ont déjà leur propre histoire alimentaire. Certains résidents peuvent avoir des difficultés. Le travail de l'éducateur passe aussi par couper la viande, le remplissage des verres ou tout simplement animer le repas, en parlant avec les résidents

Manger est un acte normal, l'image de la vie oubliée avec un aspect nutritionnel, de son temps. Il est plein de sens. Le sujet autour du repas est inépuisable tant il est vrai que manger est autrement complexe que le besoin physiologique auquel il répond. Partager un repas, c’est recevoir de l’autre, que nous soyons l’hôte ou l’invité, et ce que nous en faisons reste aussi mystérieux que la lente transformation des aliments depuis le masticage de ces corps, jusqu’à leur élimination, en passant par leur digestion.

Chaque résident est différent face au repas. La normalisation ou le formatage du "comportement" alimentaire est impossible.

Notre imaginaire social attribue une préparation des aliments différente selon le statut social

Que nous soyons cadre ou salarié, résidents "autonome ou régressés le repas n'est pas le même. Comme dit un dicton populaire «qui invite des cigognes doit avoir des grenouilles"

Durant le dernier stage, en formation, j'avais remarqué‚ le peu d'attrait des plats des régimes hypocaloriques. J'ai abordé avec la diététicienne, le problème du goût et des couleurs des plats des régimes alimentaires. Elle m'a répondu qu'elle avait demandé‚ au cuisinier du CEM de Dommartin, de travailler les présentations des plats, en rajoutant une tomate, ou un peu de gruyère râpé, par exemple. Il est difficile d'allier une cuisine de collectivité avec une cuisine de "goût et de couleur L'alimentation ne commence pas au stade de l'assiette, en amont il y a la confection du repas, en aval le débarrassage de la table.

Je vais vous conter l'alimentation au foyer.

Au foyer, pendant les repas, l'alimentation, me renvoie des images de "non-vie". Jacques mange rapidement, parfois l'aliment se bloque. Le régime n'est pas forcement appétissant. Le repas pour les résidants est un repère dans le temps, mais il génère pour certain de l'angoisse (être obliger de se laver les mains rester à table, manger à coté de X, alors que je voulais manger à coté de y

Au foyer, sur l'appartement, les résidents choisissent leurs voisins de table, et l'éducateur avec lequel ils vont manger ou qui va les faire manger. Accompagner une personne dépendante, pendant les repas, n'est pas seulement la faire manger, mais c'est surtout donner. L'éducateur est " la fourchette, mais pas seulement un outil au bout d'un bras, mais un bras qui donne." Ce corollaire exprime non seulement l'importance de ma place, ou celle d'un éducateur, au repas, mais un temps "de don, d'acte de vie" .

J’ouvre la porte. Avec Paul le résident débarrasse le lave vaisselle, range les couverts et mets la table du petit déjeuner. Le résident demande du pain grillé, du chocolat. Le dimanche, parfois, nous mangeons des croissants. Je beurre les tartines, le résident l'aide par son regard, sans merci. Souvent. C'est agréable des tartines bien beurrées. Le résident aimerait bien des céréales, mais il n'ose pas demander. Le résident finit le petit déjeuner, je demande de mettre la vaisselle dans la machine. Eva, la maîtresse de maison, le mettra en route, plus tard. Sylvie, ma collègue lave les tables.

Les résidents passent à table. Le repas du soir est le lieu d'échange sur la journée, sur les prévisions de la semaine. Je me sens animateur du repas, interrogeant les résidents, blaguant avec eux, en reprenant Jacques qui mange salement, mais ayant en tête de développer l'expression de "l'autre". Le repas du soir est aussi un temps d’échange, d'information, de prévisions de la soirée.

Je vais vous raconter d'abord, un court moment de la vie de Pierre.

Adulte de 41 ans, lorsqu'il est arrivé sur le groupe, il était anorexique. Cet état était l'effet d'un mal être. Cette situation modifie le temps de repas. La non nutrition peut développer une souffrance, une angoisse de mort. Les repas étaient source de conflit, la convivialité était absente Après la mise en place de projet d'un lieu de vidange, comme le nomme Hochmann, le temps de repas n'est plus un lieu difficile. Pierre mange, prends du poids, voit son taux de cholestérol stable.

Je continue mes séances de conte, avec Rachida, une jeune femme du groupe

Rachida est une femme de 38 ans, de petite taille. Elle vit sur un groupe accueillant 9 personnes, dont le projet est le travail autour du soin et le bien être individuel de la personne. Rachida ne présente pas de problèmes de santé particuliers.

Sur le groupe, Rachida a pris beaucoup d’assurance. Elle est capable de s’imposer, de se défendre face à des résidants agressifs. Elle se met à hurler pour montrer sa désapprobation, ce qui attire l’attention de l’éducateur.

Rachida participe beaucoup aux tâches ménagères. Elle est très ritualisée, aime beaucoup le rangement, c’est elle qui décide du change de ses vêtements, de sa douche ou du bain. Il faut cependant la guider, elle n’est pas capable de se prendre en charge entièrement seule. Il lui arrive d’être opposante. Quand cela se produit, mieux vaut la solliciter avec douceur, sinon plus on insiste, plus elle s’oppose.

Rachida a grossi. Rachida suit également un régime suite à un problème de surpoids, avec des risques cardio-vasculaires..

Elle a des problèmes d’incontinence durant la journée.

Pour éviter ces problèmes, nous lui rappelons et nous insistons pour qu’elle se prenne en charge.

Nous avons pris rendez-vous avec une diététicienne pour aider Rachida à avoir un régime alimentaire. Elle lui a prescrit un régime hypocalorique. Elle ne mange qu'une tranche de pain par repas. La maîtresse de maison change son menu lorsqu'il y a des féculents en quantité.

Mais pour Rachida, ce besoin de manger est obsessionnel. Ce besoin de "manger" le conduit vers une déformation de son corps, de son image, vers des difficultés. Nous avons des problèmes pour l’accompagner lors de ses achats de vêture (pas assez large..)

Son désir de manger, de se remplir, l'entraîne dans des situations de catastrophe. Vivant dans un foyer. Le soir, elle a des difficultés pour se remplir, à satisfaire ses envies de nourriture (fermeture de la porte de la cuisine). elle se débrouille pour débloquer la porte fenêtre afin de revenir la nuit pour manger. Rachida aime beaucoup manger, pour éviter qu’elle ne grossisse, nous ne la servons qu’une fois.

Quand nous lui donnons du pain dur pour les chevaux, elle prend le pain pour le manger

Un des projets de l'équipe est trouver un lieu pour parler de son embonpoint, ce serait un moment privilégié, consacré spécialement à Rachida.

Rachida a un parcours difficile avec sa famille. Une famille subissant les emmerdes de la vie. Elle a appris la mort de sa mère un an après. Son frère débarque, fait beaucoup d'esbroufe, lui promet des visites régulières. Il disparaît pendant des mois. Au moment de Noël, chaque année elle confectionne des cadeaux pour les gens de sa famille. Personne ne vient la voir. De retour du camp, en janvier elle défait ses paquets. Il semble que Rachida n'a pas eu cette enveloppe affective durant son enfance. Elle réclame tout le temps "mimi", elle semble attendre une marque affective d'Akim", comme elle l'appelle pendant ces vides affectifs. Elle semble abandonnée aujourd'hui, et hier ?

Michel Lemay dans son livre "j'ai mal à ma mère parle de ses enfants en déficit affectifs.

La privation de milieu familial normal, notamment celle d’une image maternelle satisfaisante, entraîne, on le sait, des conséquences qui peuvent être fort dommageables pour le développement d’un être humain et retentir, à travers son enfance et son adolescence jusque dans la vie adulte.

Michel Lemay parle de l'impossibilité de cicatriser cette blessure narcissique. L'enfant se remplit pour essayer de combler ses trous. Mais il n’arrive pas à fermer cette plaie.

J'ai envie pour conclure de rêver

D’abord, je reprends quelques conseils de L’ANESM, l'agence nationale de l'évaluation et de la qualité médico-sociaux, dans une de ces recommandations Concilier vie en collectivité et personnalisation de l’accueil et de l’accompagnement ' elle propose entre autre :

Organiser les repas comme des temps de vie partagés

Il est recommandé de mettre en œuvre différentes modalités qui permettent au repas d’être un temps commun, un temps de vie sociale, au cours duquel les valeurs socioculturelles peuvent se déployer :

Un temps ou le son est bas, la parole douce.

Sinon, lors du stage au Centre d'Education Moteur de Dommartin, accueillant des enfants et adolescents IMC, l'équipe éducative avait pris la décision de ne rien cacher, les bonbons, ou les gâteaux sont dans le placard non fermé‚à clef. Nous évitions quand même, de mettre sous les yeux, ces "douceurs", afin "l'éloigner" la tentation, engendrant des moments catastrophiques. Les mets étaient présentés par petites quantités, pour éviter une attente difficile entre 2 plats.

Prescrire un régime alimentaire à un sujet, sans qu'il ne se l'approprie, ne sert pas à grande chose. Dés qu'il pourra le violer, il le fera. La prise en charge d'un régime, comme de l'existence même, par l'individu est nécessaire, primordiale. Mais il a besoin d'être aidé‚d'être accompagné. Sinon, ce n'est pas la peine.

La difficulté de l’éducateur, ma difficulté est de lier la théorie avec la pratique entre l’indication et le fait qu’ils sont femme, ou homme.

J'ai envie de dire en travaillant l’empathie, je ne suis pas sur que j'accepterai les régimes mis en place.

Je ne pense pas qu’il existe des recettes. Je m’interroge toujours sur mes compétences en la matière, sur ce qui est important pour moi, ce qui est important pour eux.

Nous pouvons imaginer que nous sommes ces charpentiers qui construisent, qui bâtissent auprès de personnes en difficultés. Nous élaborons des projets.

Dernière interpellation, le régime est il un enfermement supplémentaire pour les résidentes, les résidents du foyer ?

Jean-Pierre MEYER

 

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