samedi 08 décembre 2018
Note sur les soins pédiatriques palliatifs et le transfert
Un article de la revue Médecine palliative , septembre 2018, signé par Flora Roizot et Sandra Frache intitulé « L’analyse de la relation soignant-soigné : un enjeu majeur en situation de soin palliatif pédiatrique », a retenu mon attention. Ce texte m’a ramené à l’époque où, je dirigeais des Instituts médico-éducatifs spécialisés dans l’accueil d’enfants et adolescents polyhandicapés très largement concernés par l’organisation des soins pédiatriques palliatifs. Se posait avec récurrence la question de la mise en place de séances de supervision dont l’objet était l’analyse du processus transférentiel à l’œuvre dans la relation soignante en situation palliative. Les auteures de l’article développent trois idées majeures.
Le transfert dans les situations de soin pédiatrique palliatif s’entend un trio : parent, enfant, professionnel. La triangularité induit des modélisations intersubjectives divergentes : la relation asymétrique, la relation conflictuelle, l’absence de relation. L’enjeu selon les auteures étant de rééquilibrer la relation thérapeutique moyennant l’hypothèse selon laquelle la qualité de la relation parent/professionnels se répercutera sur la relation enfant/professionnels.
Dans la relation soignant-soigné, la vulnérabilité a toute sa place. D’abord parce qu’elle permet d’accueillir l’autre dans sa réalité vécue, rien ne serait pire que nier sa souffrance – l’autre renvoyant aussi bien à l’enfant qu’au parent, en réalité à l’Autre à qui s’adresse la vulnérabilité. Mais la vulnérabilité est aussi pensée du côté du professionnel. S’il sait faire montre de sa vulnérabilité, un lien avec le parent pourra se mettre en place, à plus forte raison, là où la relation s’annonçait conflictuelle. L’impulsion férenczienne joue ici à plein régime.
Enfin, les auteures concluent sur la dialectique du dire en soins pédiatriques palliatifs : « nous savons ce qu’il ne faut pas dire pour ne pas nier la souffrance de l’autre ni s’identifier à l’autre. Mais nous ne savons pas ce qu’il faut dire, car ce qu’il faut dire naît de la relation entre le professionnel et l’enfant, entre le professionnel et le parent ».
Comme on le voit, l’article se concentre sur le transfert en soins pédiatriques palliatifs. Là où la mort de l’enfant guète, il faut encore penser le transfert, peut-être même plus que jamais. A plusieurs reprises les auteures s’en remettent aux théories du care pour envisager le transfert. Mais la notion est prise en un sens très large : « les soins pédiatriques palliatifs sont des pratiques des soins ayant pour caractéristiques principales les soins centrés sur l’enfant ou ‘care’ qui nécessitent d’entrer en relation ‘équilibrée’ pour entrer en relation avec l’enfant pour être efficient ». Le care est également convoqué pour sortir de la dichotomie soins curatifs versus soins palliatifs.
Ici, la théorie du care signifie centré sur le sujet et non pas sur la maladie et fonctionne donc comme un allié d’une conception transférentielle non prédictive. La conception transférentielle de la relation soigné-soignant se donne elle aussi (s’il s’agit de valoriser le sujet face à la maladie) comme une résurgence du care même si le transfert est par nature inconscient et possède irrémédiablement quelque chose d’intrusif. Là où les théories du care voudraient former une éthique de la relation, le transfert, lui, demeure inconscient, sauvage en un sens, jamais totalement under control ; raison pour laquelle Freud proposait initialement de dompter les investissements contre-transférentiels comme on dompterait une bête surgie de l’intérieur de nos ténèbres. S’il est clair comme le montre les auteures de cet article que les soins pédiatriques palliatifs réclament une analyse du moteur transférentiel, il n’en est pas moins vrai que l’éthique à laquelle les soignants sont invités est celle de leur propre transfert. Ethique du transfert donc à laquelle ne saurait se substituer une éthique du care .
La question de la vulnérabilité requiert comme le montrent très habillement les auteures, une dialectique. S’il faut en concevoir la nécessité dans l’établissement de la relation soigné-soignant, la vulnérabilité se fait également piège à chaque fois que les actes médicaux qui sont infligés, relèvent de la vulnérabilité présumée de l’autre, ou au contraire, sont évincés parce que celui qui doit réaliser l’acte est également menacé par la vulnérabilité de l’autre. Les effets de la vulnérabilité se transmettent du soigné au soignant qui s’en trouve inhibé, touché par l’indice de morbidité du symptôme. Soignant et soigné partagent du symptôme son indice de morbidité.
Dans la même veine et dans une perspective winnicottienne cette fois, les auteurs font mouche en explorant une vulnérabilité volontairement partagée et transitionnelle, entre impuissance et toute puissance face au Réel. Là encore, entre l’impuissance et la toute puissance, que trouve-t-on sinon les affres du refoulé inconscient qui ne lâchent pas ce que le soignant peut induire dans la relation ? L’espace transitionnel n’est pas un dispositif de réponse mais une tentative face à la dureté du Réel, de réintroduire de l’inconscient pour lutter contre l’appel de la mort.
La perspective du transfert en soins pédiatriques palliatifs (mais il en va de même de toute forme d’accompagnement et de prise en charge) ne peut pas s’armer de la seule « posture professionnelle spécifique qui serait basée sur la mise à disposition du soi professionnel et la reconnaissance de notre propre vulnérabilité dans un contexte d’incertitude marquée ». Si elle confirme une forme certaine d’engagement, cette mise à disposition du soi n’en sécurise pas pour autant à elle seule , l’alliance thérapeutique (transfert) tant qu’elle n’intègre pas cette analyse (premier mot du titre de l’article) inconsciente des effets produits par la morbidité du symptôme incarnée ici par la mort de l’enfant sur la relation elle-même. Faire l’économie de cette analyse reviendrait à devoir positiver (avec tous les risques de réification que la positivation incarne) cette disposition du soi qui, même fondée dans le care , n’en demeure pas moins ainsi posée, comparable au chêne, là où les effets de la prise en charge demande du roseau et de l’analyse transférentielle.
Raison pour laquelle il peut paraître difficile d’affirmer que l’on sait ce qu’il ne faut pas dire pour ne pas s’identifier à l’autre. Les processus d’identification, profondément inconscients, sont nécessaires dans la relation soignante, depuis Freud et Melanie Klein, on sait qu’il n’est pas de relation soignante sans ces processus d’identification. C’est dans et par son inconscient que le soignant rencontre la détresse de l’autre. C’est dans l’inconscient que se structure le transfert et donc l’alliance et la compréhension. Face à la mort de l’enfant, les processus d’identification sont plus archaïques et ancestraux que n’importe quel autre processus d’identification. D’où l’on déduit que la position éthique du care n’exclut pas et ne peut exclure l’analyse transférentielle.
Les auteures ont le courage d’énoncer que « nous ne savons pas ce qu’il faut dire » car il n’y a rien qui puisse se dire. Face au réel de la mort, qui plus est celle de l’enfant, l’équilibre envisagé de la relation thérapeutique n’est pas envisageable. Le soignant peut dire ce qu’il veut, la parole qui compte est celle de l’autre, celle qui introduit une brèche dans le Réel. Se taire et être là, prendre soin. Les institutions ont la fâcheuse habitude de s’en demander trop alors que la qualité du soin est bien souvent une affaire qui relève de la qualité de présence à l’autre. La relation est nécessairement déséquilibrée, foncièrement asymétrique au sens que donnait Levinas à toute relation intersubjective. La reconnaissance de l’asymétrie du lien mène à la reconnaissance de la détresse, celle de l’autre mais aussi la mienne. Il se pourrait que cette asymétrie soit la condition d’une inclinaison dans laquelle se perçoit ce qui est au travail dans la clinique et tout simplement dans la relation à l’autre.
Je sentais une pression morbide peser sur l’organisation des soins, il faut dire que le temps de chacun était comme compté, le temps se vivait dans la mort, par tout le monde. L’analyse transférentielle induite par les séances de supervision, renversait la vapeur : la mort, rendue possible puisqu’elle était parlée et objectivée telle une chose sacrée qu’on aurait posée délicatement sur la table, se vivait désormais dans le temps.
Guillaume Nemer
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