lundi 28 juin 2010
Note de lecture,
José Morel Cinq-Mars, Psy de banlieue, ères, 2010, 13 €.
En recevant cet ouvrage, j’ai failli crier au plagiat et intenter un procès à son auteur. Ça fait des lustres que je trimbale dans mes carnets ce titre : « Psy de banlieue » qui m’irait comme bague au doigt pour un futur ouvrage. Mais voilà : c’est pris et bien pris. José Morel Cinq-Mars s’est emparée allègrement de ce signifiant qui lui fait un chapeau à ravir et elle en bricole une mouture de son style : « psyd’blanlieue », dont je ne peux que saluer l’invention. Sont-ce ses origines québécoises, sa complexion naturelle à la légèreté et à l’humour, toujours est-il que cet ouvrage se présente comme une perle.
D’abord par sa forme. Passer par la fiction donne de la marge de manœuvre. « La vérité a structure de fiction », nous confiait Jacques Lacan. Quant à Maud Mannoni elle va plus loin en promouvant carrément « la théorie comme fiction ». La « racontouze » chère à Georges Perec donne là son meilleur.
Sur le fond de l’ouvrage, se coulant dans le lit d’une forme joyeuse et souple, c’est l’histoire fictive et donc plus vraie que vraie d’une psy qui exerce dans des zones dites sans cible (euh ! sensibles, mon clavier a fourché). Une psy qui se commet dans les quartiers difficiles. Elle accueille principalement les bébés et leur maman et tant qu’à faire les femmes qui « tombent » enceintes. Elle les accueille en consultation, mais aussi elle va chez elles. C’est pas bête. C’est là que tout commence dans l’histoire des hommes, puisque nous sommes tous sortis d’un corps maternel. Autant commencer par là où ça commence et là où ça commande, comme dit Hannah Arendt.
Cette démarche me fait penser à ce psy qui se trimbalait dans un vieux tube Citroën dans les années 80 et invitait des jeunes vivotant dans des caves d’immeubles de banlieue à venir causer dans son « divan à roulettes ». Bref il est des psy qui savent faire leur ce conseil de Paul Féval : si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira-t-à toi ! Il est aussi des psy qui s’accoudent solidement sur l’expérience que la Polyclinique de Berlin dans les années 1920 entama avec le soutien de Freud, d’une psychanalyse ouverte au plus grand nombre. Freud demandait aux analystes de réserver une séance sur dix gratuite pour les patients des milieux populaires qui ne pouvaient pas payer. Ce qui exige d’en passer par une éthique du paiement rigoureuse, soit qu’elle soit discutée avec les patients, soit qu’elle soit « prise en charge », comme on dit, par la communauté, ce qui est le cas de l’auteur qui travaille à la PMI de Saint Denis. Si je puis me permettre une légère pointe critique, c’est un élément de la clinique que l’auteur laisse malheureusement en jachère. Or ce point, dans la vision d’une psychanalyse ouverte et « incarnée », comme la présente l’auteur, est crucial. En effet soit la cure est réservée aux bourgeois du XVIè (arrondissement de Paris, pas siècle, quoique…) lesquels du fait de combler sans cesse le manque par la possession, s’avèrent le plus souvent inanalysables : en gros ça ne leur coûte rien. Soit on pense une psychanalyse ouverte à tous et alors la question du paiement, ce que vaut pour un sujet de se confronter à la vérité, ne saurait être éludée.
Ce bémol étant apporté, on peut saluer la tentative de l’auteur de rendre compte d’une clinique à ras du quotidien, sans aucun fétichisme du cadre, ni des concepts. « Me sens comme Donquichotte sur le point de tourner le dos à ses moulins à vent : je viens de réaliser qu’une fois encore les collègues et moi, on est sorti du cadre » (p. 208). C’est justement en tournant le dos aux moulins à vent que l’on… mouline le mieux. On est bien loin ici des tentatives, que j’avais dénoncée en son temps, d’ouverture de lieux où les psy de l’ECF, prétendaient accueillir « gratuitement » des patients (on devrait se méfier comme de la peste de tout ce qui s’avance sous le masque de ce signifiant) pour mieux les orienter par la suite vers les collègues (payant ceux là, et lourdement) de la même association. Pratique honteuse de rabattage.
Le lexique qui clôture l’ouvrage apporte sa touche d’humour, ce qui est sans doute le plus bel habit à faire porter à la clinique. Tout serait à citer. Je ne résiste pas à en offrir une touche, tel un bouquet. A l’occurrence Rock and roll il est noté : « D’une certaine façon on est psyd’banlieue parce qu’envers et contre tout, on est des psys rock and roll. Ce qui n’empêche pas certains de préférer Bach aux Stones et Mendelssohn à Led Zeppelin. »
Certes les référence sont… datées, mais prenons-en de la graine pour soutenir cette psychanalyse bien ordinaire, comme Robert Charlebois (hommage aux origines de l’auteur) célébrait un chanteur bien ordinaire. …
Joseph Rouzel
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