lundi 14 mars 2005
« Il est des douleurs qui ont perdu la mémoire
Et qui ne se souviennent pas pourquoi elles sont douleurs. »
A. Porchia
Amare : une vieille racine latine d’une famille de mots desquels nous tirons nombres de chansons, d’histoires ou de querelles.
Amare : aimer qui donne amour, amitié – aimer…l’autre, lui attribuer ce que l’on suppose mais qui n’est pas.
De cette question en viennent d’autres…
Et puis vient se glisser sans aucun doute à mon insu, un même mot : amarre .
Il est des rapprochements phonétiques intéressant si tant est que l’on en accepte les tortueux chemins.
L’idée est lancée.
Le lien entre ce verbe et cet objet viendrait à point nommé pour parler de l’acte éducatif, de la relation (relier) éducative.
Les amarres sont ces cordes qui viennent faire tenir les bateaux contre des quais ou autres pontons.
Les bateaux viennent se ravitailler, se faire réparer, charger leurs cales ou les décharger. Ensuite, ils repartent pour de plus ou moins longues traversées.
Descendre une rivière, la remonter. Traverser un détroit, un océan ou faire le tour du monde…Ils s’en vont et reviennent…ou pas.
Les ports d’attaches eux, sont là, ils ne bougent pas à moins qu’un raz de marée ne soit venu réduire à néant ce lieu où chacun peut venir s’arrêter.
Ne serions pas nous pauvres fous d’éducateur que nous sommes, seulement comme ces quais qui semblent toujours attendrent les petites barques nerveuses, les plus jolis voiliers ou les vieux paquebots abîmés par le temps les voyages et les tempêtes.
Ne sommes nous pas là tous simplement comme tous les autres humains à dispositions de ceux-ci pour que chacun viennent s’amarrer à nos quais ?
La vie serait l’océan, la mer…
C’est parce que nous quittons le tumulte de la vie pour nous amarrer quelque part que nous pouvons survivre…
C’est parce que nous pouvons détacher nos amarres pour affronter un ailleurs que nous pouvons vivre…
Si la mer symbolisait la vie et les routes empruntées découvertes par nos aînés qui suivaient les étoiles
Si la mer était le passage entre deux rencontres.
Si la mer était la vie tel l’entre-deux, l’antre d’eux…
Nous aurions besoin de ces lieux, temps comme des respirations nécessaires.
Si, par malheur la mer était cette mère, toute entière, suffisante, enveloppante où l’enfant risque de se noyer et d’y perdre la vie ou le sens des trajectoires.
Si l’enfant se perdait dans cette mère inconsciente de ce qu’elle engendre s’imaginant comme pour faire valoir le sens même de sa vie qu’elle peut être tout…La vie et les rencontres.
Les rencontres seraient impossible, les entre-deux inexistants et pas d’étoiles pour montrer le chemin.
Comment accueillir la petite barque nerveuse qui revient d’une longue traversée éprouvante ?
Faut-il avoir chercher soi-même un espace possible chez un autre que soi pour s’y amarrer ?
Faut-il avoir été perdu au milieu de l’océan à la recherche d’un lien solide, qui nous reliera à un bout de terre ferme où nous pouvons nous reposer ?
Le travail de l’éducateur est peut être là. Sûr de pouvoir proposer un attachement sincère, a toutes épreuves et sans attente d’aucun retour.
Il est le point d’ancrage dans le temps, l’espace sans savoir si ce qu’il donne aura un effet, sans penser qu’il peut guérir ou réparer, il est là.
L’éducateur devra savoir qu’il sera soumis à de rudes tensions, qu’il pourra verser des larmes de tristesse, de joie ou de fatigue.
Il verra ses amarres s’emmêler, il en perdra son latin, voudra comprendre…
Chacun des soubresauts de celui qu’il accueille le fera vaciller. Cela le rendra plus humain encore.
Il doutera de tout, il serra empêtré dans un sac de nœud, verra la fin de l’histoire et pendant ce temps là, la petite barque venue chercher on ne sait trop quoi au fond aura trouvé.
Le départ sera peut être dur.
Le plus grand réconfort n’est il pas de voir voguer un petit bateau vers le grand large sachant qu’il peut revenir ?
Les amarres qui seront faites pour empêcher tout départ, tels des sacs de nœuds impossibles à démêler, celles qui seront trop fragile pour sécuriser et celles encore qui seront tendues contre attente d’un paiement impensable n’auront pour effet seulement de briser, faire fuir toutes embarcations venues malencontreusement y trouver refuge…
Au détour de la vie, je pose mes valises toujours dans le même port, celui-là qui me propose avec retenue de me retenir. Chaleureux, rassurant, il m’extirpe des chemins les plus risqués où j’ai failli me perdre tout entier et y perdre la vie.
Lieu de repos, d’amour…je puis m’y amarrer aussi longtemps que je le souhaite.
Il existe aussi une petite île où je m’arrête pour peu de temps, régulièrement. C’est un banc de sable, une bouée…ce dont j’ai besoin.
Puis une multitude d’endroits plus ou moins rassurant où je peux m’amarrer. Parfois c’est une erreur et parfois non.
Je connais des éducateurs dans un tout petit coin de campagne qui offrent à des enfants perdus un endroit où la vie est possible.
On peut y tisser des liens repartir, revenir sachant que l’on y sera accueilli tel que l’on est avec son histoire et ses soucis.
Les enfants n’y sont pas réduits à ce qu’ils nous montrent d’eux-mêmes, des déchets, pour qui il n’y aurait plus rien à faire.
Les histoires familiales les ayant parfois inscrits comme mauvais, réceptacles de toutes les douleurs de parents maltraîtants.
Dans cette vieille bâtisse au milieu des marais il fait parfois bon s’y échouer…pour être remis à flots.
Amarrer… du rêve à la réalité.
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