mercredi 03 mars 2010
Licenciement : une chef de service témoigne.
Après dix années d’exercice en tant qu’éducatrice spécialisée en internat et en AEMO, un CAFERUIS, et ces deux années sur un poste de chef de service éducatif placée et déplacée sur deux services, j’ai été licenciée par l’association.
Je ne peux pas dire « mon » association puisque aujourd’hui, à l’heure où les gros mangent les petits, les professionnels que nous sommes ont oublié cette ancienne notion d’appartenance à un lieu de travail, un jour, on est plus « chez soi » ! « Mon » ancienne association où je m’étais construite et professionnalisée a été reprise par une association de type entreprenariale, forte de plus de 900 salariés, déjà réputée pour licencier ses cadres.
Les professionnels des associations privées du secteur social, ont vu beaucoup d’éducateurs expérimentés devenir chef sur des critères de mérite ou du zèle. Ceux-ci étaient souvent porteurs de l’histoire de leur établissement.
Ces chefs de services éducatifs avaient un rôle essentiellement d’accompagnateur, de soutien de l’action, d’organisation des structures, et étaient porteurs d’une identité professionnelle. A l’écoute des salariés, et "en bon père de famille" ils encourageaient la mission éducative dans une certaine empathie avec les usagers.
Cette description du chef de service est distanciée de la réalité dans laquelle le cadre s’inscrit aujourd’hui. Être cadre intermédiaire est devenu une toute autre profession qu’ "éducateur chef ". Pendant ma formation CAFERUIS, je m’étais attachée à rechercher et à décrire dans mon mémoire les intérêts et les motivations de cette nouvelle fonction. J’ai repris pour ce présent texte certaines de mes hypothèses, ma courte expérience de deux années les a quelque peu éméchée. Les voici cependant avec mes commentaires illustrant une expérience de deux ans qui a menée à mon licenciement :
« Le cadre se situe entre l’équipe éducative et la direction pour organiser et accompagner une démarche collective » . L’intérêt de la fonction pourrait se situer là mais il m’a été demandé de le faire en m’appuyant presque exclusivement sur le contrôle et en posant ma démarche sur une méthode « exécutive », c'est-à-dire de faire redescendre les injonctions (et de ne pas faire trop remonter les « réactions »).
« La mission du cadre s’inscrit également dans les évolutions des politiques sociales, la loi 2002.2 rénovant l’action sociale et médicosociale et la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance et dans la mise en place des outils qui s’y rapportent ».
Les objectifs et l’intérêt de la fonction de cadre pourraient se situer là également. En se faisant le relais de ces orientations, le chef de service va guider les travailleurs sociaux, renseigner et soutenir leur action. Mais la mise en place des outils de la loi 2002 est comptée d’une façon double, le nombre de DIPC effectué et la durée de l’entretien avec les parents. Ils doivent être fait en nombre quel que soit les obstacles et ne doivent pas dépasser une heure de temps, c’est l’efficacité au détriment de la rencontre et du sens ! Nous sommes dans une logique de fonctionnement, pas de mission. D’ailleurs, un des paramètres importants dans le rapport d’activité 2008 a été le comptage des actes, par éducateur et par enfant ! Révélateur non ? Et dire que c’est moi qui ai effectué cette tâche, on en avale des couleuvres… Ce travail a été conservé ensuite comme outil comparatif du travail des éducateurs les uns par rapport aux autres !
« Le but est de mettre tout en œuvre pour permettre à l’équipe de proposer les meilleures compétences et prestations aux usagers, dans une dynamique de projet » , et j’ajoute aujourd’hui dans le respect du timing ! « La fonction du cadre intermédiaire est donc prépondérante dans le sens où de lui dépend le dynamisme de l’équipe et le bon déroulement des mesures et/ou prises en charges » . Mais, confronté au mépris de la direction pour les éducateurs, je suis soupçonnée d’être trop à leur écoute et de trop les seconder dans leur travail, de contribuer à l’action éducative au détriment des notes et autre compte-rendu à l’ASE qui ne peuvent pas attendre ! Le chef de service en fait n’est pas prescripteur, il est prestataire du conseil général et donc assujetti à sa règle. Le chef de service contribue au saccage d’une mission, ceci dans la peur du financeur. Les années de savoir faire des équipes qui n’ont même pas été seulement évoquées (et encore moins le savoir être) lors des signatures de conventions, ne font pas le poids devant les obligations imposées alors par le conseil générale. Dans ce service, la peur est stratégie, c’est le directeur lui-même qui la véhicule : « On a tous des crédits à rembourser ! On a besoin de garder notre boulot ». Remarque de sa part, formulée aux éducateurs dénonçant par exemple que la prévalence des décisions du conseil générale va à l’encontre du travail entrepris avec les familles et parfois même contre la décision du juge, et demandant que le service se positionne autrement. Et dans ce service pourtant, pas d’éducateur dinosaure, des professionnels qui réfléchissent et nous interpellent simplement.
« Le chef de service doit donc aussi accompagner le changement », et j’ajoute aujourd’hui : « à tout prix », ceci dans l’oublie des bonnes pratiques professionnelles, et le dénie de ce qui marche bien.
La fonction du cadre intermédiaire se situe donc entre l’accompagnement « très cadré » d’une équipe éducative et des familles et l’application des politiques d’action sociale de l’association qui l’emploie. Il doit exercer ses fonctions de préférence sans réflexion ni apport de la plus-value de son expérience passée, perte de temps ; et encore moins en faisant part de sa réflexion à sa direction. « Etre source de proposition », quelle hypocrisie !! J’ai eu l’occasion de faire des propositions, d’autant plus qu’étant issue d’un autre site, j’avais une bonne connaissance des partenaires internes à l’établissement. Je me suis associée à certains projets relatifs à l’amélioration de la prise en charge et l’insertion des adolescents et fait des propositions vers l’amélioration de la préparation à l’autonomie des jeunes majeurs. Je peux dire que mon directeur n’a montré aucun intérêt aux écrits que j’ai fait dans ce sens ni été à l’écoute de ces initiatives et orientation éducative correspondant pourtant à des besoins repérés au sein de notre service.
Comment peut on prétendre intéresser sa direction quand on n’est pas capable d’exiger de ses éducateurs qu’ils rendent leur rapport en temps et en heure !
Mais poursuivons : « Le chef de service éducatif est un cadre de proximité qui doit faire vivre le service avec enthousiasme » . J’en ai eu et j’ai aussi fait preuve d’honnêteté, qualité fort inutile pour faire sa place dans ce métier, surtout quand j’ai voulu en rendre compte face à certains reproches qui m’étaient fait. Le directeur a toujours raison et le climat est celui du soupçon.
Or « le chef de service éducatif fait partie intégrante de l’équipe de direction, il réalise ses missions par délégation » . Mais laissez passer deux fautes d’orthographe en signant les rapports de situations et vous perdrez cette délégation, obligeant en outre votre directeur à relire lui-même tous ces rapports, (n’a-t-il que ça à faire ?). Là commence à pointer le spectre du chef de service incompétent où s’immisce l’espace du désaccord et de la faute.
Enfin, « animer et soutenir une équipe, c’est relever le défi de la " bientraitance " avec une meilleure prise en compte de l’aspect humain et de la spécificité d’une profession confrontée à la souffrance et aux difficultés de vie des usagers qu’elle rencontre » . Là j’étais carrément dans l’utopie ! Concrètement et simplement, ce pourrait être par exemple relayer (par l’écrit d’une note d’incident) une éducatrice qui prend des congés (préalablement programmés et accordés), à la suite d’une période de travail lourde et chargée d’évènements. En écrivant cette note, je suis devenue non pas la chef de service soutenante mais celle qui se fait avoir et n’inscrit plus son action dans le « faire faire » mais dans le « faire à la place » et qui a fauté en outre par dissimulation de manquements professionnels.
Mais quand les réunions de direction deviennent des listings de dysfonctionnements et un interrogatoire en règle sur « qui a fait ça ? » et « qui n’a pas fait ça ? », « je commence par quoi, tout déconne ! » entrecoupés d’entretiens de recadrage, survient encore le spectre de la rupture, ce n’est plus du pilotage ni du contrôle mais une recherche permanente de coupable et de trouble ! Toutes ces « graves » défaillances, nous étions deux à les rencontrer, ma collègue chef de service et moi-même dans un service accueillant 140 enfants, avec 70 assistantes familiales et 8 éducateurs et éducatrices et assistante sociale, deux à se dire tous les quinze jours après chaque réunion : « c’est encore pire que la précédente, il va aller jusqu’où ? ». Avis aux directeurs : à force d’acculer vos chefs, vos paroles perdent en efficacité mais nous abîment ! Puis il y a eu les menaces parce que je n’étais pas efficace dans le contrôle du travail envers une salariée désordonnée : « si je dois la virer, il n’y aura pas qu’elle qui tombera ! »
Une fois, il nous a été rappelé que nous n’avions pas rendu des fiches récapitulatives de placement relevant le nombre d’enfants confiés à l’ASE avec autres renseignements d’une grande importance. Cela nous avait déjà été demandé, nous étions une fois de plus le service qui dysfonctionne et notre organisation complètement nulle et inexistante, les derniers de l’association à s’exécuter, ce qui ne manquerait pas d’être relevé à la prochaine réunion au siège…. (Nous n’avions pas reçu le formulaire censé être arrivé par mail). Après le rattrapage de cette grave insuffisance et alors que nous rendions enfin les multiples documents enfin complétés en une journée où nous finîmes fort tard, nous avons appris par la responsable qui avait la charge de regrouper les documents pour toute l’association, que nous étions les premières à les rendre ! Aucun autre service n’avait encore eu le temps de les faire ! Quel bon stratège que notre directuer qui n’a de cesse lui, d’être le premier !
« Tu n’es pas là pour penser ! » Ont été à peu près les derniers mots que j’ai entendu de mon directeur, avant que je sorte de son bureau en lâchant que c’était de l’acharnement, (deux recadrages en deux jours). Et le fait que la faute, cause de mon licenciement soit une grosse interprétation de la réalité montre bien qu’elle a été prétexte à une volonté de me faire sortir de l’association sans tergiversation. Je n’ai évidemment pas été reçu par le siège. D’ailleurs, mon licenciement l’a finalement été pour « motif réel et sérieux », comme quoi la faute n’était pas fondée.
La faute ? Avoir tardé à informer le conseil général d’une suspension d’un hébergement d’une jeune fille chez son père, mais ceci sur la demande du père et accompagnée d’un travail de médiation père/fille par l’éducatrice et non sur une décision aléatoire du service. Il n’y avait donc pas suspension des droits mais une gestion de difficultés. Le conseil général veut savoir et veut décider, à quel rythme, au jour le jour, chaque semaine, chaque mois ? Peut on travailler ou doit on seulement écrire pour rendre compte et demander la marche à suivre ? Quelle valeur a encore la démarche éducative ? En outre un manquement vaut-il licenciement ? Non, m’a-t-on dit, c’est de ne pas avoir reconnu mes tords qui m’a valu celui-ci !
Et le fait que j’ai efficacement mené cette mission de mise à jour des DIPC avec sens et adhésion des éducateurs et entrepris la même chose avec les projets individuels n’a pas semblé digne d’intérêt lors des évènements bien sûr. Un élément peut être présenté comme le plus important quand il est sujet à reproche et être oublié quand il fonctionne, selon que la stratégie de management est d’utiliser ce qui sert la mise sous tension et non ce qui pourrait démontrer que le travail avance.
Mon courrier de licenciement contient beaucoup de fautes d’orthographe, même des fautes de structures de phrases qui en changent le sens ! Honte au directeur général qui a signé cette lettre sans m’avoir rencontré et qui a nommé depuis mon ancien directeur à la direction d’un service supplémentaire ! Lui qui en gérait déjà deux ! Vive le stress et les injonctions contradictoires. Avec mon licenciement, il a montré qu’il avait le pouvoir.
Le coup a été rude et je ne suis même pas allée aux prud’hommes, non pas par peur, j’ai l’avantage de ne pas trop me laisser mener par ce sentiment. Mais sans doute parce que je craignais de me retrouver assez isolée, je pense réellement que les professionnels y compris les chefs de service ont peur d’exprimer leur désaccord et donc leur soutien à la personne touchée par ce système. J’ai eu en outre une volonté prématurée de dépasser tout ça, et voilà, j’écris parce qu’en fait, je n’ai pas encore dépassé grand-chose.
Mon sentiment sur ces deux années est que j’ai inscrit ma démarche dans le travail et non pas dans un principe de revendication. Dans ce grand service, avec ma collègue j’ai beaucoup appris sur l’étendue et la complexité de la fonction et me suis maintenue dans la proximité avec les usagers et les professionnels. Je pense par contre que je n’avais pas la « bonne posture », et que j’ai eu affaire à un directeur qui cherche l’excellence dans la gestion de ses services. Le moins que je puisse dire est que ça ne fonctionnait pas avec lui sur le plan relationnel tout simplement parce qu’il n’y a pas eu volonté de se connaître. Mais derrière les fonctions, il y a des personnes.
Il voulait être en permanence informé de tout. Il a prétendu que j’ai été dans la dissimulation, moi qui me considère intègre, si j’ai pu fonctionner comme ça, c’est grave. Cela veut dire qu’il n’y avait plus de confiance mais de l’évitement. Je lui conseille de se questionner sur ses stratégies managériales parce qu’il parvient à des réactions inverses au résultat recherché.
Aujourd’hui chaque entretien d’embauche qui ne se concrétise pas, (parce que ce n’est pas facile de parler de son licenciement et que la principale préoccupation d’un employeur est la loyauté du chef de service), me fait penser que je vais finalement la faire cette démarche aux prud’hommes.
Quand je finalise ces pages, je vois sur Psychasoc qu’un livre vient de sortir sur les fonctions des directeurs, des témoignages sur un métier qui les passionne, je serais curieuse de les lire, moi qui crois encore que les fonctions d’encadrement ont du sens. Et j’espère que tous ne fonctionnent pas comme ceux précédemment cité. J’aimerai y trouver quelques arguments sur la plus-value des grosses associations, quels sont les signifiants sur le plan éducatif et de la promotion de notre mission ? Je recherche toujours un nouvel emploi.
A bon entendeur…
Véronique Hellot Direz
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samedi 06 mars 2010