dimanche 06 novembre 2011
Les trois temps de l'instance clinique en supervision [1]
« Une valse à trois temps
Qui s'offre encore le temps
Qui s'offre encore le temps
De s'offrir des détours
Du côté de l'amour
Comme c'est charmant. »
Jacques Brel, La valse à mille temps
Prolégomène I: la pensée
Je me préparais à intervenir à propos de supervision. Je me préparais, mais je n'avais rien préparé. Puis la grippe m'est tombée dessus, comme une voleuse. Et la pensée s'arrête, toute occupée à se défendre contre la fièvre et le mal venu d'ailleurs. Évidemment les tenants du discours médical diront que c'est une histoire de virus envahissant; mais moi qui suis pris dedans je m'en fais une autre idée, plus fantasmatique, de mon corps tressé de mots: ça grippe quelque part et ça m'agrippe.
Puis la fièvre baisse un peu. Je monte dans la garrigue au-dessus de chez moi, avec mon chien Ki Tan, crachotant, toussotant, éructant. Je viens de terminer un livre qui m'a conquis: Limonov d'Emmanuel Carrère. Il vient d'obtenir le prix Renaudot 2011. Limonov est un personnage éblouissant : petit truand issu d'un milieu populaire en Russie, on le retrouve poète maudit à Moscou, larbin à New York, fasciste en armes en Serbie, gourou d'un groupuscule qui finit par faire du bruit en Russie, le parti national-bolchevik, ce qui lui vaut d'être jeté en prison, puis en centre de redressement, véritable goulag. La dernière fois que Carrère le rencontre il n'a plus rien, vit dans un deux pièces. Il vient d'être condamné à verser 500000 roubles pour avoir insulté Poutine et il continue. C'est aussi un romancier et poète immense. Ce qui m'a touché dans ce récit, où Carrère mouille sa chemise, c'est la vitalité bouillonnante du personnage, le désir ardent qui l'anime.
C'est en pensant à Limonov et en cheminant avec mon chien que ça m'est revenu: ça s'est dégrippé ! La machine à penser et à parler, le spracheapparat , s'est remis en marche. C'est étrange la pensée. On croit penser, mais on est... pensé. Il faut un trou, une énigme, une question imprévue, une rencontre avec une œuvre, un livre, un autre pour que ça se (re)mette au travail. Ce point vide est vraiment le foyer central de la pensée, mais aussi, nous l'allons voir, de l'exercice même de la supervision. Le superviseur se doit de soutenir ce point vide, et cela consiste à y être sans y être, à mettre en œuvre la fonction, sans se prendre pour la fonction. Encore faut-il définir clairement cette fonction et l'objectif poursuivi dans le dispositif. Faute de quoi l'espace de supervision se transforme rapidement en dépotoir, bureau des pleurs ou annexe du bureau syndical!
Prolégomène II : séance photo.
L'autre jour, un photographe me passe un coup de fil. Une revue à laquelle j'ai proposé un article intitulé « Ce que parler veut dire » lui a commandé une série de photos pour l'illustrer. Il a eu l'idée suivante: faire des photos de « là où ça parle », cabinet de psychanalyste ou d'avocat... J'ai accepté. Voilà comment il a débarqué un beau soir dans mon cabinet. Je l'ai accueilli en lui faisant part d'un paradoxe: dans mon cabinet il n'y a que des livres, des statues, des tableaux, un tapis, un bureau, un divan et un fauteuil. De paroles que l'on puisse photographier, point. Et pour cause! Mais cette séance de photo m'a fait travailler. M'est venue l'idée que le cabinet du psychanalyste, avant de recevoir quiconque, se présente comme un praticable de théâtre, ces parties fixes d'un décor où les acteurs peuvent évoluer: portes, passerelles etc Ainsi en est-il aussi des grottes préhistoriques: Altamira, Chauvet, Lascaux etc. Dans ces grottes, en des endroits où la lumière ne filtre pas, au creux du plus obscur, on a découvert des peintures étranges, qui conservent leur secret: représentations d'animaux, symboles abstraits, mains négatives que célèbre Marguerite Duras dans un poème. Comment, sans en percer jamais le sens, en penser l'usage. Sans doute fallait-il projeter sur les parois de ces grottes il y a 30000 ans, une forme d'écriture, d'inscription, de traces dégageant ainsi un espace au centre duquel puissent se dérouler des actes sociaux, des cérémonies, des rituels. Ces inscriptions sur la peau des roches creuses ouvrent alors sur un véritable théâtre de parole. Le praticable, le fond de scène, la scène étant posés, le trois coups du théâtre de la parole, qui fait lien social, peuvent résonner.
Il y a donc un préalable à toutes les paroles échangées: qu'elles puissent trouver leur point d'ancrage, leur lieu d'accueil, leur havre de paix. C'est ainsi que je vois ma petite fille de deux ans et demi, écrire sur les murs et sur le sol. Elle construit, comme nos ancêtres de la préhistoire une maison d'écriture pour que la parole et les gestes se déploient. Il s'agit d'un dispositif, dirait-on aujourd'hui, fort de ce que Giorgio Agamben, dans la foulée de Michel Foucault ramasse en quelques mots: « 1) il s'agit d'un ensemble hétérogène qui inclut virtuellement chaque chose, qu'elle soit discursive ou non: discours, institutions, édifices, lois, mesures de police, proposition philosophiques. Le dispositif pris en lui-même est le réseau qui s'établit entre ces éléments. 2) le dispositif a toujours une fonction stratégique concrète et s'inscrit toujours dans une relation de pouvoir. 3) comme tel il résulte du croisement des relations de pouvoir et de savoir ». (Giorgio Agamben, Qu'est-ce qu'un dispositif? Rivages, 2007) Les différents dictionnaires en déclinent trois significations principale:
- juridique : partie d'un jugement qui contient la décision par opposition aux motifs; cette décision dispose alors du sort d'un condamné.
- technologique : la manière dont sont disposées les pièces d'une machine ou d'un mécanisme, puis, par extension, le mécanisme lui-même.
- militaire : ensemble des moyens disposés pour parvenir à des fins en fonction d'un plan préétabli.
Le mot qui insiste dans ces définitions c'est que l'on dispose. Le dispositif est ainsi ce que l'on dispose et ce dont on dispose tout en y étant...disposé. La disposition des éléments intervient avant l'action. On pourrait parler d'un temps zéro, d'un temps d'avant le temps. De même que l'on dresse une table avant de manger. Notons également que le pouvoir, c'est à dire le désir engagé par celui qui dispose, est aussi de la partie. Le dispositif est effet de pouvoir et de savoir, comme le précise Foucault. Il obéit à une intention. Il s'agit d'y mettre les mains, d'y mettre du sien. « Il faut qu’une pensée agisse, agisse directement, sur l’être intérieur, sur les êtres extérieurs. Les formules de la science occidentale n’agissent pas directement. Aucune formule n’agit directement sur la brouette, même pas la formule des leviers. Il faut y mettre les mains. » Cet extrait du maître ouvrage du poète Henri Michaux, Un barbare en Asie , nous invite à un déplacement et de plus, comme il l’écrit « il faut y mettre les mains ». Phrase qui n’est pas sans faire écho à celle de Jacques Lacan en ouverture à ses Ecrits en 1966, où il incite le lecteur à « … y mettre du sien ». Ce déplacement, produit par « y mettre les mains » et « y mettre du sien », c’est ce qu’on est en droit d’attendre d’un superviseur.
Ainsi en va-t-il en supervision. L'énoncé des règles du jeu au départ ouvre et délimite un espace qui enchâsse le désir à l'œuvre du superviseur afin que ce qui n'a pas encore eu lieu, le vif du parler de chacun, ait lieu. Ce préalable à l'élan de la parole, Stéphane Mallarmé en fournit le tranchant à la fin de « Un coup de dé jamais n'abolira le hasard » : « Rien n'aura eu lieu que le lieu ».
« RIEN
de la mémorable crise
ou se fût
l’événement
accompli en vue de tout résultat nul
humain
N’AURA EU LIEU
une élévation ordinaire verse l’absence
QUE LE LIEU
inférieur clapotis quelconque comme pour disperser l’acte vide
abruptement qui sinon
par son mensonge
eût fondé
la perdition »
D'où la nécessité, que le superviseur, qui bricole cet espace, quelle qu'en soit la configuration, soit un peu au clair sur son propre désir. Autrement dit qu'il se soumette lui-même à ce travail d'élaboration, soit dans un contrôle individuel, soit dans ce qu'en Belgique on nomme inter-vision, qui prend une forme collective, intra ou inter intitutionnelle. Il en découle que, quelque soit le dispositif, il importe qu'il ne soit pas produit par un effet de clonage ou d'imitation stérile, mais procède d'une certaine invention subjective, de la mise au point et du réglage d'un style. C’est déjà ce que Freud conseillait à ses élèves dans ses écrits sur La technique psychanalytique , précisant que « cette technique est la seule qui me convienne. Peut-être un autre médecin, d’un tempérament tout à fait différent du mien, peut-il être amené à adopter, à l’égard du malade et de la tâche à réaliser, une attitude différente. C’est ce que je n’oserais contester »
Pour ma part j’ai développé une pratique originale issue de la psychanalyse où le point focal est représenté par la prise en compte du transfert, que ce soit dans la relation du professionnel aux usagers (supervision) ou des professionnels entre eux (régulation d’équipe), voire de l'ensemble des intervenants d'un établissement (analyse institutionnel). Cette prise en compte de la dimension clinique, présente dans toute relation, s’inspire largement de la théorie et de la pratique analytiques. Cela m’a permis de « bricoler » un dispositif que j’ai nommé « instance clinique », dispositif que j’ai fait à ma main, qui me convient, et qui autorise suffisamment de souplesse pour répondre à diverses situations. Ce dispositif ne saurait, j'insiste lourdement, faire l’objet d’une appropriation telle quelle, d’un quelconque « clonage », tant il est vrai que la pratique de chacun témoigne d’un style qui lui est propre. C’est pourquoi je ne prônerai ici aucun modèle, ni mode d’application d’une théorie sur la pratique. Il s'agit bien plutôt d'une praxis, c'est à dire de la mise en tension de concepts et d'une pratique, évoluant de concert. Un concept n'offre une quelconque utilité que s'il mord, s'il borde, s'il brode un point de réel que fait surgir de la pratique. Nous verrons que ce point de réel se profile le plus souvent au sein de cet espace comme une énigme.
Le dispositif de l'instance clinique.
L’instance clinique se déroule en trois temps, trois manches, comme au tennis: récit, retours et conversation. Les deux premiers temps de l’instance clinique, temps du récit d'abord et des retours, ensuite, ne souffrent ni échanges, ni discussions. Chacun y est invité à soutenir sa parole propre, à parler en première personne du singulier. Le superviseur veille à ce que cette division introduite par la prise en compte de chaque sujet dans sa parole singulière soit assurée. C’est pourquoi il n’intervient dans ces deux premiers temps qu’au titre de rappeler la règle du jeu: pas de questionnement, pas de commentaire, pas de discussion. Le temps de conversation permet de refaire surface, de faire retour au collectif, en épousant les contours d’une conversation « mondaine » où chacun verse « au pot commun » ses propres conceptions. C’est un temps de dialectique très animé.
Chacun dans le groupe se mouille dans ce dispositif: présenter une situation, accepter dans un deuxième temps les retours, souvent inattendus, parfois dérangeants, des collègues et du superviseur, qui lui n'intervient que dans le troisième temps. C’est à partir de cette expérience de retours multiples que jaillit souvent pour celui qui a et s'est exposé dans son récit de pratique, une question, une énigme. L’énigme, mot qui puise son origine dans le grec aïnigma , désigne bien : ce qu’on laisse entendre, un récit, une fable, car la vérité n'advient jamais que mi-dite. Telle celle que la Sphinge posée au jeune Œdipe. Qu’est-ce qui marche sur quatre pattes le matin, sur deux le midi et sur trois le soir ? L’être humain. L'énigme surgit dans le sous-entendu, voire le malentendu. Mais comme le lion cher au cœur de Freud, elle ne surgit qu’une fois et il faut saisir la bonne occase, le kaïros , pour l’attraper au vol. Cette énigme, enchâssée dans les méandres du transfert, le plus souvent se trouve occultée par des considérations très rationalisées, très intellectuelles, qui en obstruent la venue. Le dispositif d’instance clinique a pour objectif de la faire surgir, évidemment par surprise, quand on ne s’y attend pas. Ce qui ne relève ni de la maîtrise, ni de la programmation mais met en œuvre cette posture à laquelle Héraclite d’Ephèse nous invita: savoir attendre l’inattendu, ce qu'il désigne comme elpis anelpiston . Ce que l'on pourrait résumer à une posture clinique et éthique: savoir ne pas savoir. Cette énigme se présente comme un noyau dur, comme les flocons de neige cristallisent autour d’un noyau de fer avant de se précipiter et de se répandre en un blanc manteau sur la terre. C’est ce noyau d’étrangeté qu’il y a lieu d’abord de capter, dans toute son irréductible. Nous partons le plus souvent de petites choses, loin des grandes idées et généralités qui noient le poisson. Pour l’un c'est une émotion particulièrement enfouie, en lien avec sa propre histoire; pour l’autre l’étonnement de s’entendre renvoyer qu’il a employé quinze fois le même mot; pour un autre encore il apparaît qu’il rythme son propos de coups frappés sur la table; «pourquoi les pleurs me viennent quand je parle de cette jeune fille», questionne une autre etc Et, comme Freud nous l’enseigne pour les rêves, chacun a pu remonter le fleuve - pas du tout tranquille - de cette énigme étrange. Chacun a pu, selon son rythme, suivre le défilé obscur des associations de signifiants pour s’approcher de leur source vibrante inconsciente. Freud nous signale à propos de la technique des associations libres qu'elles tissent des motifs particuliers: des lignes ( Linie ), des fils ( Faden), des enchaînements (Verkettung), des traits (Zug). Ces motifs, si l'on y prête attention finissent par former de véritables réseaux, des entrelacs, des arabesques qui présentent ce qu'il désigne comme Knotenpunkte (points de nouage). Ce que je nomme: énigme. On est là très proche chez Freud d'une théorie des nœuds. Lacan dans les années 70 parlera de « points d'assemblage ».
L'instance clinique procède d'un déplacement : Il faut dans un effet d'après-coup ( Nachträglichkeit, dit Freud), raconter ce moment d’étrangeté qui a saisi un professionnel dans sa relation à un dit usager, se coltiner la « racontouze » dont parlait Georges Perec. Dans l'instance clinique on n'a jamais à faire qu'à du dire et à un dire particulier qui signe la position d'une sujet relatant en situation donnée. C'est par conséquent sur cette position singulière qu'il s'agit d'agir en prêtant attention comme nous le suggère Lacan à ce que « qu'on dise reste oublié derrière ce qui qui se dit dans ce qui s'entend ». Qu'on dise voilà bien le Knokenpunkte qui s'enlace dans les énoncés. Autrement dit c'est bien l'énonciation qui se fait le véhicule du transfert et transporte au sein de l'instance clinique la modalité subjective de lien non seulement à l'usager en question mais à la situation, laquelle peut s'avérer prise dans les rets de souvenirs, affects, émotions, représentations multiples et (a)variés de l'histoire du professionnel lui-même. L'instance vise cette séparation dans l'embrouille que ne manque pas de produire le transfert. L'opérateur de la division en est la parole. Notamment du fait que dans les deux premiers temps, elle se trouve de fait suspendu, puisqu'on ne peut ni rétorquer, ni questionner, ni discuter. Cette privation de la répartie que toute conversation mondaine met à l'œuvre, ouvre à une écoute peu habituelle où le tranchant de la parole de chacun est pris en compte en tant que tel, un par un.
Les trois temps de l'instance clinique.
Ce découpage en trois temps est directement inspiré de l'avancée de Lacan dans ce texte de 1949 « Le temps logique et l'assertion de certitude anticipée » (in Ecrits , 1966)
Lacan part d'une petite histoire racontée par le mathématicien André Weiss lors d'une soirée de février 1935 qui se déroulait chez Sylvain Blondin. Pour la petite histoire n'arrivant pas à résoudre l'énigme, Lacan téléphona à trois heures du matin à Weiss, qui lui donna la solution.
« Le directeur de la prison fait comparaître trois détenus de choix et leur communique l'avis suivant :
"Pour des raisons que je n'ai pas à vous rapporter maintenant, messieurs, je dois libérer un d'entre vous. Pour décider lequel, j'en remets le sort à une épreuve que vous allez courir, s'il vous agrée.
"Vous êtes trois ici présents. Voici cinq disques qui ne diffèrent que par leur couleur : trois sont blancs, et deux sont noirs. Sans lui faire connaître duquel j'aurai fait choix, je vais fixer à chacun de vous un de ces disques entre les deux épaules, c'est-à-dire hors de la portée directe de son regard, toute possibilité indirecte d'y atteindre par la vue étant également exclue par l'absence ici d'aucun moyen de se mirer.
"Dès lors, tout loisir vous sera laissé de considérer vos compagnons et les disques dont chacun d'eux se montrera porteur, sans qu'il vous soit permis, bien entendu, de vous communiquer l'un à l'autre le résultat de votre inspection. Ce qu'au reste votre intérêt seul vous interdirait. Car c'est le premier à pouvoir en conclure sa propre couleur qui doit bénéficier de la mesure libératoire dont nous disposons.
"Encore faudra-t-il que sa conclusion soit fondée sur des motifs de logique, et non seulement de probabilité. A cet effet, il est convenu que, dès que l'un d'entre vous sera prêt à en formuler une telle, il franchira cette porte afin que, pris à part, il soit jugé sur sa réponse."
Ce propos accepté, on pare nos trois sujets chacun d'un disque blanc, sans utiliser les noirs, dont on ne disposait, rappelons-le, qu'au nombre de deux.
Comment les sujets peuvent-ils résoudre le problème?
Après s'être considérés entre eux un certain temps , les trois sujets font ensemble quelques pas qui les mènent de front à franchir la porte. Séparément, chacun fournit alors une réponse semblable qui s'exprime ainsi :
"Je suis un blanc, et voici comment je le sais. Etant donné que mes compagnons étaient des blancs, j'ai pense que, Si j'étais un noir, chacun d'eux eût pu en inférer ceci : "Si j'étais un noir moi aussi, l'autre, y devant reconnaître immédiatement qu'il est un blanc, serait sorti aussitôt, donc je ne suis pas un noir" Et tous deux seraient sortis ensemble, convaincus d'être des blancs. S'ils n'en faisaient rien, c'est que j'étais un blanc comme eux. Sur quoi, j'ai pris la porte, pour faire connaître ma conclusion."
Lacan ne trouve pas la solution d'emblée. Il téléphone dans la nuit à Weiss qui la lui fournit. En effet la solution ne relève qu'en partie de la logique formelle, mais pour atteindre la « solution parfaite » comme la nomme Lacan, il faut franchir un pas, ce pas justement qui précipite de concert les trois prisonniers vers la sortie et permet à chacun de dire qu'il a un rond blanc dans son dos. Autrement dit c'est bien à partir du collectif que chaque sujet détermine sa position. « Le collectif n'est rien d'autre que le sujet de l'individuel », écrira Lacan un peu plus tard en commentaire du
Massenpsychologie
de Freud.
« C’est ainsi , conclut Lacan, que tous trois sont sortis simultanément forts des mêmes raisons de conclure. »
Il en déduit trois temps logiques à l'œuvre dans toute forme d'action, que l'on ne saurait court-circuiter: l'instant de voir (et d'entendre, j'ajoute), le temps pour comprendre, le moment de conclure. Il use ainsi des nuances subtiles afférentes au temps: l'instant comme instantané, le temps qui implique une durée et certaines opérations hypotético-déductives et le moment comme réel d'une décision.
Dans le dispositif que j'ai inventé à Psychasoc et qui fait l'objet d'une transmission en formation, je me suis inspiré de ces trois modalités du temps logique.
Place du superviseur
Le superviseur n'intervient pas, dans les deux premiers temps, sauf pour rappeler les règles inhérentes au dispositif. Cependant notons que l'instance n'est rendue possible que du lieu de l'énoncé dans un temps zéro des règles du jeu, des consignes, des obligations, notamment en matière de confidentialité, mais aussi de tout ce qui en amont a précédé ce dispositif: les négociations avec les instances de direction, entre autres.
Au cours de l'instance clinique la place du superviseur est déterminée par une logique d'exception, à savoir que l'espace consacré, presque au sens religieux du terme, à la parole, reste un espace ouvert et ce en y imposant un point de vacuité, produit par le silence. Place d'extériorité intérieure, place de l'extime, pour reprendre une belle invention de Lacan. Pour lui donner consistance j'ai repris une petite histoire d'origine indienne. Il s'agit d'un père de famille qui a trois fils et possède pour toute fortune 17 chameaux. Il vient à mourir et laisse un testament: que sont fils aîné reçoive la moitié du cheptel, le cadet, un tiers et le petit dernier un neuvième. Évidemment le partage s'avère impossible: 17 n'est divisible ni par 2, ni par 3, ni par 9. Ils s'en ouvrent à leur oncle qui leur dit; qu'à cela ne tienne, moi j'en ai des chameaux en pagaille, je ne suis pas à un près, je vous en donne un. En effet la division est alors réalisable. Le premier fils hérite de 9 chameaux, le second de 6 et le troisième de 2. Mais lorsqu'on fait la somme des éléments de cette répartition, soit: 9+6+2 on est bien étonné de voir que l'on aboutit à un total de... 17. Le chameau en plus n'a servi qu'à produire l'opération de division. Il est ensuite retiré, comme chameau en moins. (+ 1) + (-1) = 0 . Ce chameau occupe une place vide. De la même façon le superviseur est placé en position d'exception. Il ne fait pas partie des salariés de l'institution, ne participe à aucun autre dispositif de l'établissement. Il a pour tache de préserver cet vacuité, à partir de laquelle la parole de chacun divise non seulement le locuteur, mais produit de la différence entre locuteurs. Cette place vide qui insiste depuis le début de cette intervention, c'est comme dans le jeu du pousse-pousse, dit aussi taquin: il faut qu'une case soit vide pour assembler les lettres et les chiffres. Autrement dit c'est d'un point de vide dans le réel que l'appareil symbolique se met en branle.
L'instant de voir.
« Qui veut raconter une histoire? » Tel est le sésame qui ouvre la séance et fait invitation. L'instant de voir (et d'entendre) détermine bien dans le récit qu'un participant à l'instance fait d'une situation, d'un événement, d'une anecdote, à la fois une position subjective qu'il donne à voir et à entendre, mais aussi une position subjective chez les écoutants qui ne peuvent pas, je le rappèle, intervenir. Cette position on pourrait formuler ainsi: voyons-voir de quoi il s'agit? Ou encore s'appuyer sur la formule: tu vois ce que je veux dire? Cette position est articulée et saisie à travers cette consigne inaugurale qui est de rendre compte dans un second temps de ce que fait à chacun des écoutants cette parole singulière: ça fait ressentir, éprouver, penser, imaginer, rêver, associer etc Ce n'est pas le moment de chercher à comprendre, à intellectualiser. L'éprouvé est plutôt de l'ordre de ce que Freud donne à entendre du maternel. « Le passage de la mère au père caractérise une victoire de la vie de l'esprit sur la vie sensorielle. Donc un progrès de la civilisation, car la maternité est attestée par le témoignage des sens, tandis que la paternité est une conjecture, est édifiée sur une déduction et sur un postulat». C'est ainsi que Freud donne le ton ajoutant que « Ce fut un grand progrès de la civilisation lorsque l'humanité se décida à adopter à côté du témoignage des sens celui de la conclusion logique et à passer du matriarcat au patriarcat». L'ouverture au second temps témoigne de ce passage de l'éprouvé, du ressenti à la parole et au langage. L'éprouvé est pris dans la continuité des sensations corporelles, alors que la parole produit, dans l'avènement du sens, une déchirure des sensations, une mise forme inscrite dans la discontinuité imposée par les lois du langage. Ce temps est vraiment dédié à la logique du récit, dont Roland Gori précise qu'il s'agit là, face aux discours d'expertise qui tendent à envahir le champ de l'intervention sociale, d'une « forme de résistance » ( La dignité de penser , Les liens qui libèrent, 2011). Face à une instrumentalisation généralisée de la parole, ce temps du récit permet aux participants de retrouver les sources vives de ce que parler veut dire: un sujet se fait représenter dans les mots communs de la tribu, ce faisant il se divise en deux: représentants d'un côté, qu'il partage et d'un autre un pure énigme, non-advenue, dont les mots font signe. C'est pour cela que Lacan l'écrit: $. Autrement dit la parole nous réunit et nous divise. « L'art de conter, précise Walter Benjamin, est en train de se perdre. Il est de plus en plus rare de rencontrer des gens qui sachent raconter une histoire. Et s'il advient qu'en société quelqu'un réclame une histoire, une gêne de plus en plus manifeste se fait sentir dans l'assistance. C'est comme si nous avions été privés d'une faculté qui nous semblait inaliénable, la plus assurée entre toutes: la faculté d'échanger des expériences. L'une des raisons de ce phénomène saute aux yeux: le cours de l'expérience a chuté. Et il semble bien qu'il continue à sombrer indéfiniment. » ( Œuvres III ,Gallimard, 2000
Le temps pour comprendre.
Chacun dans ce second temps y va de ce que les vibrations, le vibrato, les énoncés et l'énonciation donc, ont produit en lui. Ce second temps participe d'une logique qui s'avère multiple, contradictoire, multifocale. Les retours peuvent s'avérer opposés, divergents. Ils sont en tout cas uniques. Le participant qui a exposé son récit, empêché qu'il est de contrer, rétorquer, argumenter, préciser etc se laisse gagner par ce que cette floraison de paroles produit pour lui. Comprendre au sens étymologique de « prendre ensemble » situe bien la nature de ces retours participant de la place de chacun dans le collectif. Jean Oury engage dans le collectif ce qu'il nomme un paradoxe: il s'agit de «... mettre en place des systèmes collectifs et en même temps préserver la dimension de singularité de chacun » (Séminaire Le collectif , 19 septembre 1984, Champ Social Editions, 2005)
Évidemment ce temps second peut présenter des facettes de déduction, d'intellection, de suggestions etc mais tous ces aspects sont considérés sur le même plan et à verser au compte de ce qui fait retour. C'est assez étonnant, et aussi parfois éprouvant pour un sujet d'entendre ce que sa parole, dans ce qui lui échappe, a pu provoquer de malentendu, de mi-dit, d'équivoques, mais aussi d'ouvertures, de déplacements...
Autant de significations qui gisaient là, à fleur de mots et cherchaient à se dire. Bref il s'agit de faire aussi l'expérience que l'on ne sait pas ce qu'on dit et que de toute façon on en dit toujours plus que ce que l'on croit. Pour désigner ce deuxième temps des retours, comme conséquence du récit, un participant un jour inventa une métaphore très juste: c'est comme quand on lance un caillou dans l'eau, ça produit des vaguelettes concentriques qui ondulent de plus en plus loin.
Ce deuxième temps met à ciel ouvert ce qui procède de l'énigme. Si, comme le suggère Lacan, coule dans toute parole, une rivière d'écriture, il s'agit bien au sein de la parole d 'en saisir les traces. Et dans cet exercice difficile, l’on s’aperçoit vite qu’une énigme peut en cacher une autre. Cette énigme il a fallu dans l’écriture en épouser les entours, lui donner une forme, lui fournir une formalisation, voire une formation, dans un processus de gestaltung , comme disent les allemands. En percevoir les points de nouage ( Knotenpunkte ) Bref la nommer. En point d’interrogation : pourquoi ? Car le mot crée la chose. Et une fois nommée on peut avoir prise sur la chose, l’entourer, l’habiller, lui donner ses broderies et ses brocarts, à cette chose, qui sans l’apport du langage resterait à moisir dans les marécage de l’indicible et nous empoisonnerait la vie à petit feu. Bref dans ce travail d’élaboration chacun est invité à faire flèche de tout bois pour donner corps à l’énigme qui l’a saisi: quel est le rond que j'ai dans le dos? Un peu à la façon de Picasso qui affirmait : « je ne cherche pas je trouve », chacun a fait la monstration de ses trouvailles. C’est un travail de troubadour, de trouvère, ces poètes vagabonds du XII e siècle qui inventèrent l’art du « trobar clus », des trouvailles du caché, de l’invention de ce qui était forclos… (Voir Jacques Roubaud, Les troubadours. Anthologie bilingue, Seghers, 1971) Kaléidoscope de résonances plus que de raisonnements.
Le moment de conclure.
Si j'ai rajouté à ce que j'ai pu expérimenter des groupes Balint, un troisième temps, dit de « conversation », où le superviseur retrouve la parole, comme tout un chacun, c'est que trop souvent il m'a semblé que les deux premiers temps ne se suffisaient pas en eux-mêmes. Trop souvent, en effet, faute de ce moment de conclusion et de ponctuation, les participants repartaient avec une impression brutale d'inachevé. Le processus n'avait pas été mené à terme. En effet si l'enjeu mis en perspective vise à dénouer, autant que faire se peut, l'embrouille dans laquelle le transfert immerge le participant qui expose son récit, on attend que l'espace de supervision, puisse faire surgir un acte qui permettre au sujet de se désembrouiller, de trancher entre ce qui vient des sa propre histoire et de l'histoire de l'usager dont il a parlé. Notons que dans le cas d'une régulation d'équipe, de la même façon, ce qui est mis sur le métier, ce sont bien les relations transférentielles, mais cette fois-ci au sein de l'équipe, voire de l'institution. Une institution, c'est transfert à tous les étages!
Ce qui vient trancher, et parfois dans le vif... du sujet, peut surgir de n'importe quel participant du groupe. Si le superviseur garantit cette place, il n'en est pas le possesseur. Cette place peut tourner. Ce moment conclusif est pensé comme moment de création, de trouvaille, d'inédit, d'inconnu, d'inouï, d 'inattendu. C'est une création de chacun et du collectif, au sens où le décrit Lacan: « C’est ainsi que tous (trois) sont sortis simultanément forts des mêmes raisons de conclure. » Mais rien ne permet d'en programmer l'efficace. Il a lieu ou non. A la grâce de dieu ou à la grâce du … dieure, le dieu du dire. L'accès à l'énigme n'implique pas forcément sa résolution, mais qu'elle continue à travailler pour un sujet, modifie sa position. Et l'on peut constater que cela entraîne certaines retombées dans la pratique professionnelle. Car c’est bien une des causes de l’usure des travailleurs sociaux, le fameux burn out, le « cramage » de l’énergie psychique et physique, que de ne pouvoir mettre en mots les éprouvés... éprouvants auxquelles la pratique quotidienne soumet les professionnels. Combien de passages à l'acte des professionnels ont aussi pour origine ce défaut de prise en compte de ce qui les travaille, et bien souvent au corps, dans la relation aux usagers. Ces métiers de la relation humaine sont dangereux en ce qu’ils obligent à prendre sur soi des transferts multiples. Voilà ce que tente de dénouer la supervision.
Prenons un exemple. Dans une équipe d'assistantes de service social, une participante raconte l'histoire suivante. Une mère originaire de la Réunion est venue la trouver en catastrophe avec sa « marmaille », sur le coup de 17h50 alors que le service ferme à 18h. Son mari la bat , elle est à la rue, elle n'a pas de logement. L'AS sait y faire, elle se met en quatre et dans la demi-heure qui suit trouve une solution dans un hôtel. Le lendemain, toujours à 10 minutes de la fermeture, cette dame revient poussant toujours devant elle ses enfants et se plaint: ça ne va pas, les enfants ne sont pas contents etc. A nouveau l'AS lui trouve une solution. Et ainsi 4 ou 5 fois. Pendant le temps de conversation, une collègue prend la parole et lui lance : « tu vas continuer longtemps comme ça, tu n'entends pas ce qu'elle te demande? ». C'est donc de cette collègue que vient l'interprétation qui libérera la professionnelle de l'embrouille où la loge le transfert, cette supposition que lui attribue cette dame de savoir pour elle ce que signifie « se loger » au-delà des questions matérielles que cela implique. Comment trouver sa place, son logement parmi les autres, en tant que femme, en tant que mère? Si un travailleur social n'est pas un minimum attentif à ces questions subjectives, comment pourrait-il mener à bien sa mission d'aide et d'accompagnement social? L'AS tellement occupée à vouloir faire le bien de cette brave dame, n'entendait rien de sa détresse. « Vouloir faire le bien d'autrui, disait Emmanuel Kant, c'est la pire des tyrannies ».
Ponctuation
En conclusion j'aimerai revenir sur ce que je posais au départ, l'invention, à travers la supervision ou la régulation, d'un théâtre de paroles. Thespis d’Icare, poète et dramaturge de la Grèce antique, est considéré, dit-on, comme le plus ancien tragique grec et le premier acteur.
Thespis introduit en – 550 en Attique un genre mi-religieux, mi-littéraire où se mêlent le chant et la danse. Puis il imagine de diviser le chœur et d'insérer des tirades parlées par un personnage seul, séparé des choreutes. Selon la légende, il aurait interprété lui-même ce premier rôle d'acteur.
On dit aussi que Thespis passait de ville en ville sur un chariot (Le chariot de Thespis) et qu'il jouait les pièces de sa création accompagné d'un ou deux comédiens seulement. En vieux français, l'expression « monter sur le chariot de Thespis » signifiait : embrasser la carrière théâtrale .
À partir du Ve siècle avant JC, sous Pisistrate (tyran d'Athènes qui avait pris le pouvoir en s'appuyant sur le peuple) se déroulèrent des concours de tragédies dont le thème était l'instruction au rôle de citoyen. La première tragédie qui fut couronnée est une pièce de Thespis jouée par une minorité de comédiens dont Thespis lui-même.
Durant cinq jours des auteurs dramatiques s’affrontaient en présentant en une journée trois tragédies et un drame satyrique; les œuvres étant préalablement choisies par l’archonte. L'archonte choisissait l'acteur principal (protagoniste), le second rôle (deutéragoniste), le troisième rôle (tritagoniste)… Puis avait lieu un tirage au sort pour désigner l'ordre dans lequel les poètes choisissaient leur troupe. Ceci fait on assistait à une cérémonie (proâgon) de présentation générale du spectacle dans l'Odéon. Toute la cité participait à cet événement obligatoirement. (Les plus pauvres pouvaient bénéficier d'une sorte d'allocations réservée à cet usage). De plus, cela avait lieu le jour où le tribut devait être payé ! Le chœur des bacchantes qui célébrait jusque là la mort et la résurrection de Dionysos dans un rite où était dépecé et dévoré un animal vivant, est ainsi décomplété. Le chœur souffre du manque, chante cette souffrance. L’acteur souffre d’être lui aussi séparé, seul à s’avancer dans le cercle de sang d'un bouc égorgé que les prêtres ont disséminé tout autour de la scène. Tragédie, tragos-oïdia , le chant du bouc. Nietzsche en donne un très beau commentaire dans La naissance de la tragédie (Folio/Gallimard, 1989).
L’acteur, celui qui s’avance seul sur la scène ne se soutient plus du groupe, il est exclu, enfermé dehors, hors du groupe et hors de lui. Ce qui le soutient, c’est sa parole, sa parole qui s’élève et l’élève en l’air, tel le danseur, au point qu’il est un moment où l’on se demande jusqu’où il va oser monter, va-t-il poursuivre son ascension tel un dieu ou un ange, ou bien retomber lourdement sur terre. Mais il retombe car la parole est ratage comme l’écrit est rature. « Lit et ratures », titre d'une revue surréaliste des années 1930. Peut être s'agit-il juste, comme le suggère Samuel Beckett dans Cap au pire (Minuit, 1991), d'apprendre à « Rater encore. Rater mieux encore ».
Alors le chœur le soutient, il pose des questions, objecte, souligne, applaudît, se réjouit et le réchauffe. On se tient les coudes. Mais à nouveau un acteur de parole va s’élever tout seul, à la force du désir, comme on dit à la force des poignets, se soutenir des ailes du désir. Et ainsi de suite.
L'instance clinique s’ouvre aussi sur un théâtre de paroles. Une fois entendu le « récitant » qui s'avance seul sur la scène là où la parole le projette, chacun à tour de rôle, un par un, déploie ce qui l’a traversé au cours du récit. Le point de départ, l’amorce qui met le feu aux poudres, est une énigme qui a jailli au cœur de cette pratique étrange. Cette énigme est dépliée dans un travail de lecture, où chacun donne de la voix en se saisissant de ce qui l’a saisi.
En France depuis quelque temps la question de la supervision dans le secteur social et médico-social, voire en entreprise, a été soulevée à nouveaux frais après une période d’éclipse. Très présente après guerre chez les travailleurs sociaux, cette appellation (pas contrôlée) s’est vue déloger au profit d’un fourre-tout : l’analyse de la pratique. En Belgique, ces dix dernières années révèlent une progression marquée de la demande de supervision auprès des organismes de formation continuée. On constate une demande tout aussi accrue en Suisse francophone. Cette question revient non sans une certaine confusion. On ressent bien la nécessité dans les équipes de travailleurs sociaux de lieux d’élaboration de ce qu’ils engagent dans la relation aux usagers, comme de ce qui se joue au sein de l’équipe et de l’institution. On a vu fleurir face à cette demande mi-dite, des cabinets de coaching, de consulting, d’audit, tout ceci mélangé avec l’analyse des pratiques. Une chatte n’y retrouverait pas ses petits ! D’aucuns, médecins psychiatres, psychologues, psychosociologues, voire psychanalystes se sont adjugés ces espaces sans aucune formation, ni réflexion, s’appuyant sur le syntagme « psy », comme si par magie il préparait à occuper une telle fonction. D’où certains dérapages, foirades et autres dérives.
Notre volonté avec la création d’ASIE (asies.org) et la mise en œuvre d’une formation de superviseurs au sein de PSYCHASOC (psychasoc.com) est de soutenir des espaces de réflexion et d’élaboration pour les superviseurs, donc de déplacement, des prise d’air, voir des prises d’être pour les praticiens du social, là où le quotidien écrase la pensée sous son rouleau-compresseur de routines et contraintes, dans un contexte social soumis aux illusions managériales et gestionnaires, cet « ordre dur » comme le désigne Lacan, qui empoisonnent à petit feu les pratiques sociales en instrumentalisant ses praticiens. Il s’agit – notamment dans les métiers de l’intervention sociale, - de maintenir vif l’appareil à penser et à inventer de chacun.
« Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?
Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau ! »
Charles Baudelaire, Le Voyage
Joseph Rouzel, directeur de l’Institut européen psychanalyse et travail social (Psychasoc), Montpellier.
[1] Texte qui m’a servi de support pour une intervention à Colmar, le vendredi 4 novembre 2011 dans le cadre d’une journée consacrée à « Analyse des pratiques et supervision d’équipes en établissements : pertinence et limites ». Cette journée était organisée par l’association L’OREE de Mulhouse, avec le soutien du Conseil Général du Haut-Rhin.
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