lundi 21 mai 2012
Le temps est
Le temps est-il un temps du désir. Un temps en dehors des rythmes biologiques ou des conventions sociales. Le temps du désir est-il lié à la construction ou enferme-t-il le résident, l'éducateur, l'institution ?
Quand nous parlons du temps, plein d'idées viennent s'entrechoquer "le temps c'est de l'argent, je n'ai pas le temps, il me manque du temps pour, avoir le temps
de faire quelque chose..".
Le temps a servi à marquer l'évolution de notre espèce. Au début de l’humanité, l’homme rythmait son temps en lunes, en saisons, seuls repères visibles, pour lui. Si l'homme a eu besoin de mesurer le temps, en lune, puis en mois, il voulait vivre. Un des plus vieux calendriers solaires d'Europe pourrait bien avoir été découvert dans le Mercantour. L'ombre se déplace sur la partie basse de la roche et désigne tour à tour 36 gravures correspondant chacune à une date de la saison estivale. Ce calendrier solaire gravé environ 2 000 ans avant notre ère, par les éleveurs-agriculteurs de la vallée leur permettait de repérer certaines dates clefs de la saison estivale. La notion du temps diffère suivant le stade de l'évolution d'espèce humaine. En France, raconte Roger Joussaume, le "pape" de l'archéologie française dans la Corne de l'Afrique, on a construit, il y a quelques années un tumulus de 2,50 mètres de hauteur sans aucun outil. Il a fallu un mois à une dizaine de personnes pour l'édifier. Ça peut paraître long, mais il ne faut pas oublier que les bergers, lorsqu'ils gardaient leurs troupeaux, entretenaient sans doute un autre rapport avec le temps." Il fait cette réflexion, suite à une recherche à Djibouti autour Des tas de pierres, les « aowelos », ponctuent le désert et construit par l'homme, il y a des milliers d'années. Une réflexion autour de "prendre le temps de faire est nécessaire.
Enfin, je vais conter le temps, au foyer le Reynard, où vivent des personnes que nous accompagnons dans leur construction, tout au long de leurs quotidiens je vais vous conter Charlotte, femme de 42 ans. Elle semble être la personne qui donne le temps "demain c'est jeudi, combien de nuit que je dors encore, pour aller chez moi, "chez moi est chez sa sœur, sa tutrice après la mort de sa mère.
Depuis que je travaille avec Charlotte, depuis 1979, elle séquence le temps. Une de mes grandes surprises est de constater comment identifiée apparemment déconnectée de toute notion de temps elle connaît extrêmement bien nos horaires de travail. Elle sait qui travaille ce soir, demain matin ou ce week end. Charlotte connaît le déroulement de la semaine, comme elle connaît la réponse à la question qu'elle nous pose.. Ce questionnement semble être pour elle un étayage se construisant, un étayage bringuebalant, qui s'effondre à la chute d'une feuille, d'une brindille ou au décès de sa mère, il y a 10 ans.
Son emploi du temps prévu et travaillé par l'équipe éducative est régulièrement attaqué par Charlotte. Les seuls temps respectés sont le rendez-vous bimensuel à St Jean de Dieu, la rencontre avec un des psychologues du Reynard le lundi et mardi matin et la piscine du jeudi matin.
Lorsque à cause d'aléas, tracas du quotidien, qui nous ramène à la réalité.., Le repas est retardé, Charlotte interpelle, crie, le temps est arrêté.
Le temps, pour Charlotte, semble est cette tresse, cette colonne vertébrale avec au centre un fil bien rouge qui est son désir. Le temps, pour Charlotte, n'est pas linéaire, mais sinueux, contournant les obstacles de la vie ou tout simplement les obstacles de ses pulsions. Charlotte semble construire une atemporalité, un en dehors de la réalité.
Dans un autre moment, j'accompagne les résidents à la médiathèque de Givors, dans le cadre de l'atelier "choisir". Ce temps est un loisir où le désir et le plaisir sont les locomotives du mercredi après-midi. Depuis 2 ans, nous sommes obligées d"écouter le cd dans la salle du conte. L'auditorium est indisponible, encombré de matériels, à cause des travaux. Cette contrainte, de finir à 15h, nous oblige de couper l'écoute, même si le Cd n'est pas fini. Cette limite du temps est acceptée par les résidents
Au foyer, nous essayons de planifié chaque segment de la vie du résident, de la matinée, de l'après midi. Nous utilisons le temps pour organiser, pour accompagner la construction du résident, tout simplement installé des rituels qui balise le temps ou pour justifier notre présence. Le temps semble appartenir à personne. Alors pour le coincer, le maintenir, nous l'organisons dans des plannings, le temps que régulièrement nous retravaillions au niveau de l'institution. Lorsque j'interroge Jacques, sur la raison de sa présence dans l'abri bus (pièce laissée pour l'errance aujourd'hui renommée permanence) il me répond " au bois ou en errance. Je pense que l'organisation, le planning est l'ordonnance prescrite par l'institution, qui permet au résident d'inscrire, d'indiquer dans le temps. A coté des traitements allopathiques, le temps est l'indication, prescrite par l'institution, complémentaire comme notre travail du quotidien. Une proche a passé un mois dans une chambre stérile, suite à une chimiothérapie. Lorsqu'elle est sortie de cet isolement thérapeutique, elle était déconnectée du temps, s'accrochant avec ses familiers. Le médecin traitant informe son entourage que c'est fréquent à la suite de l'isolement d'un mois en chambre stérile. La coupure avec le temps conduit à une déconnexion de la réalité, des relations sociales.
Sans le temps, c'est le perpétuel, un puits sans fond. Souvenez-vous du film "une histoire sans fin", la personne se réveille chaque jour comme il s'est réveillé hier.
Yann suite à un passage à l'acte sur une collègue, fut sanctionné par une privation de 1 mois de sortie au marché. Lors d'un travail, en analyse de la pratique, le psychologue du foyer m'avait interpellé sur cette condamnation perpétuelle, à vie de Yann. Pour corriger cette non-justice, nous lui avons donné un calendrier avec des cases, qu'il a coché lors de chaque levé. Nous acceptons que le temps se déroule, s'écoule comme les grains de sable du sablier, mais nous avons besoin de le saisir, de l'organiser pour le résident. Pour remédier à leurs difficultés nous codifions, nous mettons en temps leur quotidien. Nous mesurons alors avec une extrême précision. Chaque segment de la matinée et de l'après midi est planifié et correspondant à une activité précise. Le temps est souvent symbolisé par l'horloge. Jacques Brel le chante dans les vieux,
Et s'ils tremblent un peu est-ce de voir vieillir la pendule d'argent
Qui ronronne au salon,
qui dit oui qui dit non,
qui dit : je vous attends.
Le temps ne s'arrête que lorsque notre cœur s'arrête.
Le temps est un moment de plaisir. A prés une journée de labeur, la satisfaction d'avoir calé tant de choses dans ce temps, peut me procurer du plaisir.
Chaque mois nous avons un planning, le code du travail codifie le changement d'horaire. Ne pas savoir à quelle heure que je commence ou je finis, me ferait penser, à une jungle ou je subirais la toute puissance et qui ferait loi, je serais en pleine folie. En transposant cette situation, je condamne le résident, avec ses difficultés. Il pourrait être comme Dreyfus, à l'île du Diable, qui ne saurait pas le moment de retrouvaille avec ses proches. Les résidents n’arrivent pas à estimer, plutôt à évaluer, le temps d’une semaine. Ils n’anticipent pas, ils ne prévoient ni demain, ni tout à l’heure. Nous essayons de leur donner, des mesures du temps présent.
J'ai envie de voir une autre dimension, le temps en boucle, sous toutes ses formes avec ses répétitions, nommées par nous, peuvent être une normalité de survie pour lui, une construction sauvage de lui.
Duparc, psychanalyste, explique que le temps est une ligne coupée de strates, Freud a conjugué les temps en stades. Pour Duparc, l'analyse a besoin du temps pour sortir du piége du hors temps, redevenir réalité. Le hors temps serait le début d'une folie ou tout simplement un temps ou nous n'iront pas bien. Le temps accompagne une quiétude, une tranquillité qui rassure, qui aide, et pourquoi pas un remède autre que les cachets. Mais le temps n'est pas une concurrence de soin donné au foyer, il complète l'ensemble des médiations mises en place dans le cadre du projet individuel. Le temps serait le plus qui nous permet d'exister, qui leur permet d'exister. Le temps permet au résident de se poser, de construire la voûte qui est sa vie psychique.
Avant de conclure, j'ai envie de vous parler d'une interrogation, amené durant ce travail de recherche. Quand je vais chez le menuisier, du bout de la rue, je luis commande une porte, une fenêtre. Quelques semaines après, il vient installer ma commande. Alors que nous disions, "je n'ai pas eu le temps de faire ceci, j'avais plein de chose à faire, le quotidien me bouffe". Nous reportons à plus tard. Pourquoi cette réalité professionnelle ? Les réponses seraient de ne pas savoir rationaliser le temps, de privilégier notre travail au quotidien auprès des résidents. En discutant avec des collègues travaillant en milieu ouvert, ils me disaient que les juges n'attendaient pas le bilan d'un suivi… les éducs se donnaient les moyens d'écrire, de faire le rapport..
Lors de la préparation de l'intervention, j'avais envie de vous donner 1 mn pour écrire un texte, puis le donner à votre voisin. Une façon de démonter que le temps nous contraint. Une journée est de 86400 secondes, À une seconde. Le temps est un peu notre Jimmy Cricket, le cricket qui conseille Pinocchio, qui nous rappelle la réalité, qui nous rattache à notre mission. La journée est quantifiée en temps
Enfin le temps est comme le rocher au milieu de la plage de sable, comme un nœud du mouchoir qui me ramène à la réalité, qui peut nous ramener à la réalité.
Ma conclusion est venue suite à une discussion avec Nathalie, une collègue, je reprends ce que chante Léo,
Avec le temps...
avec le temps, va, tout s'en va..
et l'on se sent blanchi comme un cheval fourbu
et l'on se sent glacé dans un lit de hasard
et l'on se sent tout seul peut-être mais peinard
et l'on se sent floué par les années perdues- alors vraiment
avec le temps on n'aime plus
Jean-Pierre Meyer
Moniteur-éducateur
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