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Le mythe de la transparence

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Jean-Pierre Lebrun

vendredi 24 décembre 2010

Le mythe de la transparence

Le mythe de la transparence semble aujourd’hui avoir un grand avenir devant lui. Notre refus de laisser des zones d’ombre qui pourraient donc éventuellement - voire forcément - recéler des jouissances illicites, nous amène à faire la chasse à tous ceux qui ne veulent pas que leurs affaires soient transparentes. Ce procédé est actuellement de mise bien sûr en politique - voir toutes les “affaires” - mais tout autant, même si c’est de manière moins médiatique, dans les familles. Ainsi, par exemple, c’est avec une détermination qui ne laisse place à aucun doute que d’aucuns estiment indispensables - et donc revendiquent - que la vérité de la naissance, plutôt même de la conception, soit révélée à l’enfant, faute de quoi d’ailleurs il ne pourrait qu’être traumatisé et par voie de conséquence, dans l’incapacité d’assumer son existence. Lui cacher cette vérité devient, dans le dire commun, le trauma dont l’enfant ne serait plus alors que la victime .

Bien sûr, il n’est pas question ici de nous ériger contre le souci de savoir son origine, ni de refuser de combattre les silences pesants et mortifères qui peuvent accompagner les bien connus secrets de famille, ni non plus de ne pas tenter - tant que faire se peut - de permettre à quiconque de s’approprier ce qui aura été son destin spécifique en ayant accès aux paroles, voire aux faits, qui auront présidé son existence. Tout ceci relève d’un voeu constructif de donner à chaque enfant le plus de chances possibles à son épanouissement.

Pourtant, comme en toutes choses sans doute, le mieux peut être l’ennemi du bien, il convient de rester vigilant et de ne pas céder à l’excessif même au nom des bonnes intentions. Ainsi, par exemple, pour un enfant adopté, il peut être évident qu’il doive obtenir les éclaircissements qui conviennent sur son origine, mais il peut s’avérer être tout aussi évident que ces éclaircissements lui soient réellement inaccessibles. S’en suivrait-il une pathologie identifiée d’avance ? Pas du tout. Nous savons bien que nous n’avons pas beaucoup de capacités pour prédire l’avenir des sujets. La psychanalyste Piera Aulagnier rappelait ainsi à qui voulait l’entendre, insistait même régulièrement dans ses ouvrages sur la non-prédictibilité du devenir psychique et ceci pour une raison très simple, à savoir que ce que le sujet fera de ce qu’il sait comme de ce qui lui échappe, reste le destin de son trajet propre. Et que bien sûr, si l’on devait constater que la meilleure des conditions pour son épanouissement n’était pas au rendez-vous, ceci ne pourrait en aucun cas impliquer que la conclusion malheureuse en sera d’office la conséquence.

D’ailleurs, précisons le aussitôt : il est même possible - et même cliniquement fréquent - qu’à procéder ainsi - en laissant croire qu’il faut qu’il sache tout de son origine - qu’un enfant adopté soit implicitement invité à profiter de cette adoption, et de l’inconnue qui l’entoure, pour y lire la cause de ses maux et ce faisant pour se dédouaner d’avoir à faire face au malaise irréductible de son humanité... comme tout le monde ! Il n’est donc pas certain du tout qu’à propos des enfants adoptés, par exemple, déclarer qu’il leur est nécessaire de connaître leur origine ne leur fournisse pas l’alibi en or pour justifier les déconvenues - qui ne sont ménagées à personne - de leur existence et ainsi rendre encore plus difficile qu’ils trouvent à leur destin spécifique la sortie la plus heureuse possible.

Autrement dit, vouloir savoir ce qu’il en est de son origine ne peut qu’aller de pair avec assumer que ladite origine est un point qui échappe à chacun, qui ne peut qu’échapper à chacun ! C’est même le point précis où nous pouvons affirmer sans détour que le sujet n’était pas là et que c’est le propre de l’humain que de savoir qu’il n’y était pas ! Première façon d’appréhender la négativité qui se loge au coeur de notre être à chacun et qui fera que pour savoir qui nous sommes, nous ne serons que condamnés à jamais de tenter en vain de fournir des réponses là où ce sera toujours le non savoir qui prévaudra.

Telle est donc la limite à la transparence qu’il n’est pas inutile de rappeler en ces temps où son idéologie politiquement correcte pourrait transformer sa bonne intention... en enfer !

Donc, première conséquence : transparence oui, mais pas au détriment de cette vérité plus profonde encore, qui doit bien reconnaître qu’en ces matières, la transparence finit toujours par devoir rencontrer un point de non savoir, voire même d’ignorance et que ce dernier doit être respecté tout autant que le voeu de transparence.

Corollaire évident : il ne s’agit pas de préconiser au nom de la vérité biologique, que la vérité symbolique soit battue en brêche ! Croire, comme cela se répand aujourd’hui jusque dans les prétoires, que la détermination ou la révélation d’une paternité biologique doit venir pour le bien de l’enfant ébranler une filiation symbolique jusque là reconnue, ne peut se faire au nom de la seule revendication de la transparence.

A un père récemment venu m’interroger sur la légitimité de son entreprise d’avoir accès à l’enfant dont il était le géniteur mais pas le père, celui-ci étant le mari de la mère, je n’ai pu que répondre que le père est celui qui est dit tel par la mère . Et à son interpellation de l’importance de respecter la transparence de la vérité physiologique pour le bien-être de l’enfant, je n’ai pu que lui signifier qu’au nom de cette transparence, il évacuait une autre vérité encore plus radicale pourtant, symbolique celle-là, qu’être père n’existe que chez les humains, que ce n’était pas équivalent à être géniteur, simplement parce que l’être père impliquait la parole et le langage et qu’à cet endroit, c’est bien ce que disait la mère qui prévalait. (Ceci n’empêchant évidemment pas le social dans un second temps de ratifier - ou pas - la parole maternelle). Qu’à cet endroit, je ne savais rien des raisons qui avaient amené la mère de l’enfant à ce choix, mais que c’était au travers de ce choix qu’elle s’était faite la mère de l’enfant, par sa déclaration de qui était le père, et que cet enfant avait donc accès à son origine symbolique dans cette parole.

On imagine sans difficulté les raisons qui peuvent amener un homme ainsi évincé de revendiquer sa paternité biologique mais on peut aussi identifier l’appui qu’il peut alors aujourd’hui trouver dans l’idéologie ambiante qui, il faut le dire, sert souvent de ligne de conduite là où il est bien difficile d’inventer de nouveaux repères qui prennent en compte la complexité de la situation, pour justifier sa requête. Il n’est pourtant pas certain que cela aide en quoi que ce soit l’enfant à grandir. Or c’est la seule question que nous devrions avoir à l’esprit : en quoi obtenir la transparence en ce cas de figure contribue-t-il ou pas au travail d’humanisation de l’enfant.

Et c’est là que la question de la transparence trouve sa limite. Penser pouvoir aujourd’hui se référer à une carte génétique pour déterminer la vérité qui ne serait dès lors plus que biologique n’équivaut pas - contrairement à ce qui pourrait s’en penser - à un naturalisme effectif ! Il suffirait pour s’en convaincre, d’évoquer les dizaines d’années - voire les siècles - de travail nécessaire pour produire ce qui aujourd’hui n’est plus qu’un artifice technique permettant de dire avec certitude qui est le père. Il est vrai que l’adage célèbre qui faisait consensus chez les gens de droit, pater semper incertus est, mater certissima , a volé en éclats sous le coup des avancées technologiques, en particulier celles de la génétique. Pourtant le père ne peut être identifié au géniteur. Simplement, parce que le premier l’est dans la parole, le second dans la biologie. Or le monde humain est un monde de parole, et il n’y a de père que parce que nous parlons ; les animaux sont sans père, mais ils ont un géniteur ! C’est cette parole qui fait repère pour l’enfant - étymologiquement cet in-fans, ce non parlant - et c’est dans ce monde de parole qu’il devra trouver et faire sa place. Se débarrasser de cette complexité sous le politiquement correct n’est pas une manière de donner sa juste place au devenir de l’enfant.

Jean-Pierre Lebrun

Novembre 2010

Psychiatre, psychanalyste, agrégé de l’enseignement supérieur de la Faculté de médecine de l’Université Catholique de Louvain, auteur de plusieurs ouvrages dont “Un monde sans limite”(Erès 1997) et très récemment “la Condition humaine n’est pas sans conditions” (2010).

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