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La supervision serait-elle une résistance ?

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Daniel Pendanx

lundi 11 janvier 2010

La supervision serait-elle une résistance ?

Jean-François Gomez ne voyant pas d’inconvénient – au contraire me dit-il, cela « contribuera à relancer ce débat, tellement important » –, à ce que je publie la lettre commentaire de son texte « Tenir le fil rouge… », que je viens de lui envoyer, je la propose ici, enrichie de quelques ajouts.

Daniel Pendanx

Cher Jean-François,

Après avoir lu ta contribution à ces journées sur la supervision que Joseph vient de publier sur son site, je tenais à te dire combien j’en ai apprécié le questionnement, les notations, et au final combien je me trouve proche de la manière dont tu inscris la question du monde commun (qui n’est pas bien sûr le monde du Même , ou la communauté inavouable de Blanchot ) au cœur de la question politique. Pour qu’il y ait ce « monde commun » faut-il encore se reconnaître un lien commun, je dirai supra, de Référence.

Si je te lis bien, toute ta réflexion rejoint profondément mon élaboration de pensée, ma sensibilité aussi – tout ce qui m’a conduit à cette « politique de l’interprète » que je soutiens. Un interprète exerçant son rôle dans le Texte, un interprète référé donc.

Cette proximité que je perçois et ressens à te lire, elle tient je crois au fait que dans nos trajets nous n’avons pas cédé sur l’élaboration de notre première mise identificatoire, professionnelle, celle « d’éducateur ». Je dirai : nous n’avons pas été englouti dans ce mouvement à travers lequel l’éducation, cédant le pas au thérapeutisme, s’est placée sous le magister et l’imperium du médico-psy, du psychanalysme aussi. Peu à peu j’ai compris pourquoi je ne pouvais gober le terme de « soignant ». Comment s’étonner, que dans le fil de ce mouvement d’engloutissement d’une certaine tradition éducative (Capul, par exemple, est un des noms de cette tradition, mais aussi pour moi, Bigeault et Terrier) le discours techno-scientiste, managérial, ait aujourd’hui ramassé la mise ?

Et ma proximité elle est aussi liée, et ce point est pour moi très important, à la manière dont ton propos se distancie d’une conception disons formaliste, spiritualiste ou éthérée, du « symbolique », du logos. Je m’explique un peu.

Le Symbolique, s’il est fondé sur la loi du langage, du déterminisme langagier, n’est pas réductible, comme bien des propos lacaniens y tendent, à un formalisme linguistique, à je ne sais quel « mathème », et au final à une conception spiritualiste de la Loi – à cette l’idée d’une Loi (loi divine ?) qui jouerait au-delà ou en deçà des formes symboliques de la culture, du social. La loi juridique étant alors réduite au seul réel de la régulation comportementale !

Le Symbolique (la « précession du symbolique » dira Lacan) a partie liée, ainsi que cela se trouve dans Freud (par exemple sous les concepts de « l’identification au père de la préhistoire » ou de « l’idéal du moi ») avec toutes les productions de la culture qui parlent le sujet par avance, qui l'institue – ce dont dans notre civilisation, la civilisation du droit civil , les montages juridiques de la filiation sont la clef de voûte. Cf. les développements d’Alexandra Papageorgiou-Legendre, dans Filiation, Fondement généalogique de la psychanalyse (Fayard, 1990) ; 1990 déjà…

Pour distinguer ces deux plans, sans pour autant négliger leur articulation, tu en viens à observer et à relever (en citant aussi une étude que je ne connaissais pas) que quand ça déconne vraiment dans une institution, que plus rien paraît ne pouvoir s’y dialectiser, aucune contradiction y être supportée, c’est parce que d’abord les « forces instituantes » sont en défaut. Autrement dit, si l’institution ne vaut pas en tant que telle, comme espace tiers, si elle se trouve engluée dans l’imaginaire de l’omnipotence, les mouvements de l’emprise et des volontés de puissance, c’est bien d’abord parce qu’elle se trouve en fait dé-référée, mal référée au Tiers commun, républicain, de l’Etat de Justice, soit pour nous, européens, au principe (démocratique) de limite et de distinction des pouvoirs.

Dans ces cas, comme tu le mentionnes, et comme je l’ai depuis longtemps vérifié, et comme cela est d’ailleurs repéré dans de ces interventions, ce n’est pas une « supervision » extérieure qui peut y changer quoi que ce soit. La dite « supervision » en tous ces cas répond à une demande qui ne peut véritablement être traitée en rigueur par quelque superviseur, aussi peu super-viseur soit-il, que ce soit. Le simple fait d’y répondre ne peut que participer de la confusion quant à la question de savoir qui demande ... Répondre, je veux dire, ne pas décliner, voilà qui ne peut que brouiller les plans de l’interprétation et de la parole. Je n’ai pas d’expérience, ou de connaissance d’expérience, qui prouverait le contraire !

Il y a une certaine prétention des « superviseurs » à croire que l’on peut dans ce contexte de brouillage de la demande, où la supervision n’est pas intégrée à l’acte professionnel , retourner la carte... Ce que j’ai par contre pu observer depuis longtemps c'est la manière dont des superviseurs, outrepassant leurs limites, en viennent à mélanger les plans, et à s'occuper de ce qui n'est pas de leur ressort, celui de la fonction instituante, co-instituante ! Ils se retrouvent alors, qu’ils le veuillent ou pas, circonscrits dans le champ du narcissisme institutionnel et des clivages attenants. Par exemple : ceux qui vont en supervision / ceux qui n’y vont pas… Certains relevés, certaines notations, touchent à cela dans des textes ici publiés.

Qu’il y ait des psy dans les services et institutions qui, au titre de leur statut, participent de l’élaboration de la tâche commune, de la distinction des limites institutionnelles, des espaces tiers de la clinique, et qui à se titre, vaillent donc comme interprètes sur la scène est une chose ; qu’il y ait des « superviseurs » extérieurs, en plus, j’insiste sur cet « en plus » car qu’ils le veuillent ou non, qu’ils nous parlent autant qu’ils le veulent de « l’en moins », c’est un fait incontournable, ils viennent dans « l’en plus » !, eh bien en est une autre, qui se heurte à une aporie. A moins d’estimer, comme certains, qu’il y a de la demande collective recevable par le psychanalyste, qu’il y a donc une possible psychanalyse de groupe, de la « psychanalyse institutionnelle », comme si le corps du groupe était un corps un, un corps réel !!! Je laisse ceux-là à leur délire politique, comme au bon vieux temps de l’enlacement au Parti.

Remettre en jeu la logique du tiers exclu, sur un mode juste, c’est-à-dire un mode, je n’ose dire « éthique », qui concerne chacun, en quelque fonction il exerce, cela implique d’abord que toutes les fonctions institutionnelles soient délimitées, juridiquement instituées, et que donc les ordres de discours et les plans de la parole soient eux-mêmes délimités. Chacun, alors, est en position d’avoir à payer son propre dû subjectif à la Limite, autrement dit chacun, référé au principe du Tiers, au principe qui lui signifie la Limite, sa propre division subjective, se trouve institutionnellement convié à habiter l’ordinaire de sa condition de sujet sexué. Passage de la colle au Même au travail (clinique et politique) de reconnaissance du semblable, différent…

Et quand les choses vont, c’est-à-dire quand l’institution est suffisamment limitée, référée, et fonctionne donc comme telle, non comme Un-stitution mais comme espace tiers, quand en son sein une dialectisation devient possible (que de l’élaboration et du travail de pensée peuvent advenir, un « monde commun » se constituer), il n’y a plus besoin alors d’une supervision venue de je ne sais où, à la demande de je ne sais qui. La demande de supervision apparaît d’ailleurs dans ce cas pour ce qu’elle est : non seulement comme une vraie résistance à la psychanalyse, à aller sur le divan, de tel ou tel, mais aussi comme résistance au travail d’élaboration institutionnel existant… Tu le notes aussi, demander une supervision à l’extérieur ou à l’intérieur de l’institution est souvent une manière de fuir un débat et une élaboration qui ont lieu, déjà lieu, autour de la tâche commune, dans l’institution. Alors bien sûr ce mécanisme de déplacement et de résistance joue à l’intérieur des institutions, mais je dis qu’il n’est vraiment pas raisonnable que des « superviseurs », le mésestimant, s’y prêtent à ce point.

Ce que je soutiens là, et qui est dans ton texte, Higgins, un psychanalyste, l’avait de son côté relevé dans un travail, non publié à ma connaissance, sur la « supervision », les « groupes de parole ». Un grand article de lui, sur « l’accompagnement de fin de vie », publié dans la revue Esprit, touche aussi à, cette affaire.

De ces remarques je ne sais si tu mesures toutes les conséquences. Ces conséquences, elles se résument pour moi de façon assez simple et immédiate : l’exportation dans notre champ du mode psychanalytique de la « supervision » (mode qui au sein même de la psychanalyse a été aussi mis en question ; cf. par exemple ce qu’en a dit Conrad Stein), cela ne va pas !

Mais cette conclusion ne saurait s’imposer si nous ne comprenons que prendre acte de la dimension institutionnelle du symbolique, dimension du juridique comprise, n'oblige nullement à verser pour autant dans le vieux juridisme, ou dans ce rationalisme qui est celui de la techno-gestion ! Tout au contraire.

Il n’y a de « distinction » – de mise en jeu de la division des pouvoirs, des compétences, et partant de mise en jeu de l’écart, de l’espace de séparation –, qui ne vive et n’opère sans être juridiquement instituée !

Tu en tiens de ton côté, et pour les meilleures raisons me semble-t-il, avec sensibilité, avec souci du jeu des tiers, à l’articulation du rôle et du statut ; cela se lit dans les ouvrages de toi que j’ai lu l’an passé – celui sur le rite par exemple que j’ai beaucoup apprécié.

Rôle /statut ; je dis de mon côté, subjectif/juridique.

Sur cette articulation, ou plus précisément, sur la question du nouage de cette articulation à la structure (ternaire, œdipienne) de la Loi , a buté et continue toujours de buter – comme j’ai eu l’occasion de le signaler récemment dans un article dans la belle revue Conférence (cf. son site) – le courant institutionnaliste. Et cela en raison de l’anti-juridisme des sciences humaines et des divers courants de la psychanalyse, anti-juridisme qui irradié nos milieux depuis l’après-guerre, poussant ceux qui prétendent orienter les politiques institutionnelles au Ciel de la Référence, soit-il celui des féodalités institutionnelles. Il y a un juridisme psy, médico-psy, toujours là, toujours plus ou moins masqué sous les oripeaux de la psychanalyse, mais bien ancré. De ce travers, qui conduit à faire de la psychanalyse une « formation légendaire pour les masses », l’affaire de la supervision est à mes yeux un des symptômes. Le « lacanisme », dans ses manifestations de conquête politique du champ social, à des fins privées, en est à mes yeux le premier entrepreneur.

Sur tout cela, qui a à voir avec un détournement du transfert à des fins privées, transfert institutionnel des dits « soignants » compris , je m’apprête à écrire un petit texte, au plus près de mon expérience sur mon lieu professionnel ; j’ai idée d’intituler ce texte, Les expropriateurs du transfert . Il y a là une impasse : celle d’une extension sauvage de la psychanalyse, d’une transformation de son discours en une politique qui prive, in fine, le sujet des voies de l'élaboration du "meurtre du père".

Alors je me réjouis que tu sois ainsi venu réintroduire dans ces réflexions sur la supervision, ne serait-ce que par ton souci de distinction, une certaine rigueur, cette même rigueur que nous avons connue chez des psychanalystes qui intervenaient alors dans le champ social : celle de pouvoir distinguer le qui demande , celle de pouvoir dire « non » à une demande détournée, méconnue comme telle. Mais il est vrai qu’à cette époque, même si parfois sous des formes grotesques, réifiées, les psys croyaient encore à l’Œdipe, à la triangulation !

Le courant institutionnaliste lui-même, pour ce que j'en lis ici et là, ne me paraît plus se soucier comme je crois il y conviendrait, des conditions institutionnelles, juridiques, qui président structuralement à « l’institution du sujet » . Je dis bien « structuralement ». Mais aujourd’hui si tu parles de « structure », si tu renvoies à l’irréductible du carcan œdipien, à l’indisponible du principe de la filiation (toutes notions équivalentes), tu es confondu tout aussitôt avec le tyran, le conservateur, le réac, le dogmatique, le fermé, etc… Mais de cela, de cette doxa anti-doxa, je ne m’effraie plus ; la sagesse de la clinique (identique à cette « sagesse du roman » évoquée par l’ami Kundera, sagesse qui nous fait suspendre le jugement moral, et refuser d'avoir à choisir dans le ou bien ou bien ) m’a conduit depuis longtemps à passer outre à ce genre de jugements. Le dogmatisme, cette maladie de la dogmaticité – dogme n’est pas pour moi un mot honni, car sans dogme, comme sans rite d’ailleurs, point d’humanisation ! –, n’est pas toujours là où on le croît…

Mais ne te méprend pas pour autant : j’ai de la reconnaissance, et je peux dire aussi, de l’affection, pour les écrits de Tosquelles, d’Oury ; j’ai aussi appris avec Mannoni, j’ai longtemps trempé dans le texte de Lacan. Mon parcours m’a conduit, assez tôt, à mettre mes pas dans les travaux de Legendre, lequel, auprès de moi, non pas comme un Lacan organisant son propre culte, le culte de ses Ecrits, mais comme un interprète (m’obligeant, il y a plus de vingt ans, à relancer mon analyse), m’a aidé à me dégager de la colle au Maître, de l’adhésion du Militant, l’ innocent qui sacrifie son désir à la Cause.

Aujourd’hui j’essaie de faire valoir, sur le terrain qui est le nôtre, tout en m’efforçant de demeurer interprète, en quoi l’apport de Legendre constitue un « pas » supplémentaire, qui comme tout nouveau « pas » dans la pensée suppose pour être conquis une nouvelle élaboration subjective, une nouvelle perte donc. Les analystes y sont-ils prêts ?

Je soutiens pourtant que ce « pas » permet et devrait permettre, dans une rigueur et une liberté renouvelées, de reprendre le meilleur de tout l’apport du courant institutionnaliste. Ce qui exige, et exigera, un certain travail critique à l’endroit de cet anti-juridisme médico-psy, déclaré ou insu, que je vois toujours aussi prégnant. Ce travail, que j’appelle de mes vœux, et qui devrait être aussi un travail commun, j’en lis les ouvertures majeures sous ta plume ; il est mon propre fil rouge…

Je t’adresse mes amitiés, et mes vœux pour cette année nouvelle,

Daniel Pendanx,

Bx, le 11 janvier 2009

1 Il convient toutefois je crois ici de repérer en quoi la fonction instituante normative, les montages institutionnels, juridiques, ne sont « symboligènes » que d’être la transposition, fictionnelle, métabolisée par le langage, de la structure du désir inconscient, du fantasme (de l’imaginaire inconscient). Autrement dit il n’y a pas d’un côté l’imaginaire et de l’autre le symbolique, mais l’imaginaire est bien la condition du symbolique, et cela bien sûr dans le nouage au réel, biologique et social compris. Pour que la fonction instituante ouvre sur la vie il convient donc de ne pas cliver les registres, mais pas davantage, si j’ose dire, de fétichiser le « nœud » – le RSI ; ce qui suppose la quatrième dimension…, celle du Tiers, de la Référence donc.

Commentaires

La supervision serait-elle une résistance ?

C'est la règle du jeu d'un site ouvert comme Psychasoc:je suis en désaccord avec ce que tu énonces Daniel, mais ton texte a sa place, au titre comme tu dis de relancer le débat. Je pense que tu te fais une drôle d'idée du travail de superviseur, je ne sais pas trop d'où tu la tiens.Ce serait intéressant que tu nous fasse part des tes expériences (apparemment malheureuses en la matière). On ne saurait généraliser. En tout cas je ne la partage absolument pas. Les journées d'octobre de Montpellier sur la supervision avaient pour objet de faire le point sur les pratiques. Nous avons pu constater la diversité des approches et des références. C'est une première approche. Plus d'un m'a reproché de ne pas dégager un modèle unique, y compris lacanien, dira l'un. Ce que tu énonces prend en fait un peu le même chemin: je ne veux voir qu'une seul tête! Il est dommage que tu ne sois pas venu défendre ton point de vue et le confronter. Il y aurait peut-être eu des nuances à faire. J'espère que ce texte de réaction pourra faire ouverture, mais je n'en suis pas sûr, tu prends les choses d'un peu trop haut, ce qui ne s'offre guère à la discussion. Je n'en dis pas plus pour laisser la place à d'autres positions possibles.J'y reviendrai éventuellement si les échanges s'amorcent.

quelques précisions

Joseph, j’ai hésité à te répondre, ici – je souhaite éviter de cristalliser un désaccord, une opposition duelle.
Réussir à laisser vivre ce désaccord entre nous, ce serait pas mal je crois.
Quoiqu’il en soit je te remercie d’avoir accepté ce texte sur ton site, même s’il t’en coûte. Crois-tu qu’il ne m’en coûte ? Cela montre en tous les cas que ce site peut valoir, pour de bon, comme un espace tiers. Cela te différencie à mes yeux de ce « lacanisme » que je critique tant, qui a produit cette fragmentation institutionnelle de la psychanalyse que nous connaissons.

J’espère que pour aborder ce désaccord tu accepteras, comme je m’y efforce de mon côté quand je te lis, d’en passer un peu par mes signifiants, pour voir s’il n’y aurait quand même pas quelque chose à prendre en compte dans le fait que je sois si négatif par rapport au mouvement de la « supervision ».

Précisons un peu. Si je suis partisan d’en finir avec ce signifiant de « supervision » pour notre champ éducatif, cela ne me fait pas pour autant négliger l’intérêt que peuvent avoir des espaces tiers de formation, d’échanges, des groupes de travail pour les travailleurs sociaux, ni m’opposer, ce serait stupide, à la participation des psy dans la tâche commune d’élaboration des pratiques auxquelles ils se trouvent associés.
Toute la question pour moi, question contenue dans le texte de Jean-François, c’est de savoir comment cela joue dans le champ institutionnel, comment cela s’intègre ou pas à la tâche commune, à l’acte professionnel. C’est bien dans le fil de ce questionnement que je situe ma réflexion. Et cela me regarde car cela touche aux enjeux identificatoires pour les éducateurs, et partant à la manière dont les éducateurs se situent par rapport aux parents des enfants dont ils ont la charge. Roman familial ou pas ? Ce point est pour moi très important.

Je t’accorde que j’y vais un peu fort ; mais ce n’est pas à un analyste que je vais apprendre que dès lors que tu « contraries », il y a toujours quelqu’un pour relever que tu t’y prends mal. Et c’est vrai que toujours, peu ou prou, le contrarieur, comme le père, il s’y prend mal. Et pourtant, sans « contrarieur », où irions-nous ? Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas à apprendre et recevoir des réactions des uns et des autres.

Sur la question de faire ou pas dans la nuance, c’est pareil. D’un côté je sais qu’on ne distingue jamais assez les choses ; mais d’un autre j’ai le sentiment que si je suis « lu » alors il est quand même possible de percevoir que des nuances j’en fais. Et puis je pose une autre question : est-ce qu’un questionnement beaucoup plus tempéré dans son expression que le mien, comme celui de Jean-François, est pour autant mieux entendu, reçu ?

Nombre de notations des textes sur la supervision que tu viens de publier correspondent à ma propre expérience, en particulier sur l’économie, tant individuelle qu’institutionnelle, de la demande de supervision. La question de la demande. Voilà je crois, pour qui ne croit pas à « l’inconscient collectif », à un « appareil psychique de groupe » (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas une dynamique des groupes, liée au jeu inter-relationnel, aux transferts), la question centrale en l’affaire : « qui demande ? »
Je dis que pour ce que j’en lis cette question est souvent très brouillée, et cela a selon moi des effets pervers. Cela se lit par exemple dans le livre de Allione, qui malheureusement semble n’en tirer nulle conséquence.
Par contre je crois qu’un texte comme celui de Jacques Cabassut est plus rigoureux, car plus attentif et soucieux de cette affaire du « qui demande ». J’en ai apprécié bien des observations.
Je super-vise les textes ; on peut super-viser les miens. C’est cela lire, non ? A moins de se faire perroquet. (Aah le père ok.)

Tu poses, sur le forum, la question de savoir si par hasard ma réaction ne tiendrait pas à une expérience malheureuse de supervisé. Lisant cela, qui résonne fantasmatiquement drôlement, j’ai ri de bon cœur. Bon, plus sérieusement, je vais exposer en quelques mots mon expérience.
Dans mon trajet je n’ai jamais fait, n’en éprouvant pas le besoin, de travail de supervision avec des superviseurs venus de l’extérieur, « en plus » des psy travaillant dans le Service. J’ai par contre eu affaire à la demande que faisaient certains de mes collègue autrefois ; ils disaient : « c’est la demande de l’équipe » – m’excluant par là de fait, ainsi que deux ou trois autres qui ne demandaient rien, de cette « équipe ». On voit déjà là comment se manifeste une demande collective de ce type… Les psy du Service n’y suffisent pas, était-il dit par ceux qui soutenaient cette demande d’un psy extérieur…Nous n’avons pas assez de temps de parole… (Il y en avait pourtant de très nombreux !) Et puis, ajoutaient-ils, on ne peut tout dire devant les chefs…
Je me suis toujours opposé, de ma place, et dans la parole, à cette demande, je l’ai toujours contrariée, en raison bien sûr de l’interprétation qui chaque fois m’en venait. Je ne suis donc jamais allé en « supervision » ainsi, c’est je crois parce que j’étais, comme on dit, « en analyse ». C’est pas que je veux envoyer tout le monde en analyse, mais moi je pense qu’il vaut mieux que le sujet aille en analyse qu’en supervision. Tu vas peut-être me répondre que les deux ne sont pas antinomiques. C’est à voir de plus près. E cela pose aussi la question de savoir comment le sujet, en analyse, il y va. Je n’y suis pas allé d’abord pour des raisons professionnelles, même si j’ai compris assez vite que l’analyse était pour moi la condition pour poursuivre dans ce métier d’éducateur.
Voilà qui m’a permis assez tôt de me dégager de ce mode de discours médico-psycho-éducatif qui gouverne tant de « synthèses » dans les institutions et services, où c’est toujours de l’autre qu’il s’agit, de l’autre dont on parle, comme dans le psychologisme. L’analyse a provoqué pour moi un renversement : je me suis très vite impliqué non pas tant dans la question de savoir non pas tant comment parler de cet autre, de ce « cas », que dans la question de savoir ce qu’il en était de la parole, de la façon dont on se parle, dans le Service, entre partenaires, dans la question de savoir donc pour l’éducateur d’AEMO ce qu’il en est de sa position de discours, de sa façon de parler aux parents, aux enfants. Qu’est-ce que parler dans l’AEMO ? Mais de cette question les plus orgueilleux, les plus équipés de technicité, n’en veulent pas ! Et en cette affaire la résistance est multiple ; elle vient de partout. Je m’y suis tenu, et j’ai fait et continue de faire en sorte que dans notre travail d’élaboration des pratiques, dans tout le travail institutionnel, il y ait « réflexion », au sens donc du retour de la question et du regard sur soi… Dans ce trajet j’ai eu et j’ai encore la chance de travailler avec des collègues psy suffisamment modestes et décentrés – ce qui n’est pas le cas de ceux du Parti lacaniste – pour ne pas tirer la couverture à eux, et valoir ainsi, dans leur différence, collègues parmi les collègues, dans la tâche commune d’élaboration de l’AEMO dans le contexte judiciaire. Ceux-là, au contraire des lacanistes, à qui je parle, qui me parlent, n’ont jamais fait de propagande pour quelque Cause que ce soit, ou pour quelque groupe que ce soit, dans le Service. Je les ai souvent houspillés, c’est dans mon tempérament, mais ils me l’ont bien rendu, continuant d’exister, avec une certaine reconnaissance, et cela m’a beaucoup aidé ; j’ai de la reconnaissance et de l’affection pour ceux-là, dont l’expérience de l’analyse est profonde, le sens de l’altérité bien établi. A contrario les mises en jeu institutionnelles de psy liés au Parti lacaniste m’ont malheureusement confirmé depuis longtemps dans mon appréciation négative de leur mode d’intervention dans le champ qui est le nôtre. Je les vois ou comme des « expropriateurs du transfert » et/ou comme des « communiants ». Bien des choses, observées au cours de ma vie, me font douter de l’issue qu’ils peuvent ouvrir aux analysants. J’essaie toutefois de ne pas les réduire à leurs identifications imaginaires, mais c’est parfois bien difficile, tant ils y mettent de passion.

Depuis 27 ans que je travaille dans ce même service d’AEMO à Bordeaux, sans m’être pour autant, ça s’entend j’espère, chronicisé, nous avons tous, dans des petits groupes, avec chef de Service et psy, un travail régulier hebdomadaire d’élaboration des pratiques, sans compter bien sûr les autres réunions institutionnelles. C’est un Service dans lequel il y a naturellement, et c’est encore heureux, des contradictions, et un enjeu permanent d’orientation (à savoir sous quel régime du mythe institutionnel nous demeurons), mais nous avons conquis – et je mesure ce « nous » – un certain sens des limites et de l’écart. Le travail sur un cas de mon collègue Christophe Vigneau, exposé dans son texte sur ce site, en est un témoignage.

Donc, point de supervision, mais bien le jeu « superviseur » multiple des tiers institués. Chacun, à sa manière, participe de la supervision, c’est-à-dire d’abord de la possibilité pour le praticien d’AEMO de ne pas s’enferrer dans une relation par trop duelle, très imaginaire… Cette orientation qui est mienne ne m’a pas pour autant empêché de travailler à l’extérieur du Service, mais sans lien organique avec le Service, avec des groupes, puis avec des interlocuteurs divers, en particulier pour ce qui concerne la réflexion sur la fonction du juge, avec mon vieil ami Boulet, longtemps juge des enfants à Bordeaux, et qui a longuement travaillé avec Legendre et son épouse au Laboratoire européen sur la Filiation. Dans ce trajet je suis resté ouvert à des enseignements multiples, tant dans le champ de la philosophie que de la psychanalyse. J’en suis ainsi venu à me considérer ni d’en bas ni d’en haut, sachant un peu mieux combien je reste inculte, et combien j’ai été retardé…

Etre resté en fonction, comme éducateur de base, éducateur ayant conquis « d’être à soi-même sa propre figure » (Winnicott), voilà qui m’a offert la possibilité de bien connaître les manières dont un éducateur peut être requis par ceux qui se croient d’en haut justement. Ah l’esprit de la mission… Tu sais peut-être ce que disait Hampaté Bâ, voyant venir en Afrique les missionnaires de l’industrialisme et du management conquérant : « ils nous prennent pour des nègres ».

La supervision serait-elle une résistance ?

"Sur tout cela, qui a à voir avec un détournement du transfert à des fins privées, transfert institutionnel des dits « soignants » compris, je m’apprête à écrire un petit texte, au plus près de mon expérience sur mon lieu professionnel ; j’ai idée d’intituler ce texte, Les expropriateurs du transfert."
C'est bien à partir sur cette phrase que j'ai pensé à une expérience malheureuse. La malheureux étant emporté par ces mots forts "détournement du transfert à des fins privées" ou "expropriateurs du transfert". Et comme tu annonçais un texte sur cette expérience, je me suis dit : attendons un peu, nous y verrons plus clair. Ce qui m'est apparu compliqué, chez toi et Jean-François, c'est que ne soit pas énoncée la pratique à partir de laquelle vous tenez un discours. Il me semble que faute ce socle, qui était celui annoncé lors des journées d'octobre (parlons et partons de ce que nous faisons) l'on glisse assez rapidement dans des joutes idéologiques qui s'échelonnent du "pour " au "contre", ce qui en gros ne constitue que les deux côtés de la même médaille. Si je comprend bien, de ta part c'est du lieu d'une non-pratique de la supervision que tu écris. J'attends donc le texte promis. En souhaitant, comme tu l'appelles de tes voeux, que le débat ne se focalise pas sur une partie de ping-pong.

re

En voilà un beau débat!

Je ne résiste pas à la tentation d'y mettre un petit peu de sel (ou de poivre, ou de sauce...) c'est selon!

Je ne peux parler en tant que superviseur (je n'en ai aucune pratique) mais en tant que supervisé, d'autant que j'ai une pratique d'éducateur un peu nomade (4 institutions et de nombreux services en presque 20 ans de pratique)
Or de l'analyse des pratiques, de la supervision voire de l'implication, j'en ai fais et parfois j'y ai rencontré le pire. Des intervenants ramenant systématiquement au "système managérial" à la "dérive des institutions" bref des séances d'où l'on sortait plus excités et pas forcément plus intelligents.

J'ai aussi connu, lorsque je travaillais en ITEP des séance où l'intervenant se bornait à des relances sous la forme de grognements et où, sur les 2 heures, nous passions facilement 1H30 dans le silence et 30 minutes à critiquer le dispositif.

Depuis 2 ans, notre équipe, mon équipe, est privée de ce type de travail pour des raisons de restructuration. Est ce qu'on s'en porte plus mal? Pas sûr.

J'ai aussi connu des expériences très importantes pour moi, peut être même fondatrices? dont j'ai répondu dans un texte figurant dans l'ouvrage collectif du premier congrès psychasoc.

D'où l'importance du propos de jean françois qui part de cette capacité du superviseur à ne pas se couler dans le moule de la demande de l'institution.

La supervision doit résister aux facilités multiples. Facilité qui consiste à tout expliquer par le climat managérial, Facilité qui consiste à resté rivé sur une praxis apprise à la fac sans se rendre compte du malaise qu'elle engendre, facilité qui consiste à se couler dans le moule de la demande du directeur...

L'enjeu de la supervision, c'est de soutenir la clinique dans les pratiques, à partir d'un lieu extérieur et d'une parole qui vient dire ce qu'il en est de la pratique pour ceux là même qui en sont saisis.

Et legendre dans tout ça? On pourrait l'introduire dans ce qu'il a travaillé autour de la question de la limite, par exemple en fin de "l'inestimable objet de la transmission" La limite du superviseur, c'est cette extra territorialité, ce discours sur et à partir de, mais qui n'est que le reflet, nécessairement déformé de ce qui se pratique.

la supervision serait-elle une résistance ?

je te reconnais bien là mon Daniel

il est vrai je pense (mais peut-être m'as-tu déformé), que les lieux tiers doivent trouver leurs espaces dans l'institution.

je ne crois pas trop à la supervision

prenons l'exemple de nos réunions institutionnelles mensuelles

pour en avoir discuter un peu avec toi, il est dommageable que cet espace soit vécu par certains comme étant ton lieu de parole

toutefois, ces "certains" qui ne seraient pourtant pas les derniers à demander un lieu, un espace de supervision où pouvoir parler des dysfonctionnements (des dits-fonctionnements), seraient alors les premiers à trouver l'excuse de ne pas parler, de ne pas prendre la parole.

que je sache, tu ne m'as encore jamais mordu en réunion Daniel (bien que ta parole puisse parfois être un peu vive..., mais nous te le rendons bien)

au final, ajouter, ajouter, ajouter
toujours plus, toujours plus, toujours plus....

comme si nous souhaitions être toujours maternés, que l'on nous dise qui penser, quoi dire et surtout quand nous taire.

ce n'est pas pour moi un lieu supplémentaire avec un intervenant de l'extérieur qui changera les choses

le changement doit avant tout provenir de l'intérieur.

se saisir des espaces de parole existant, ne pas avoir peur de lâcher cette parole en l'air, parole qu'il est bien compliquée ensuite de rattraper (je sais de quoi je parle)

mais dès lors que l'enjeu de cette réunion est la libre circulation de la parole, la parole comme étant l'expression de notre ressemblance mais surtout de nos différences, alors ce type de réunion fait effet de supervision.

nul besoin de superviseur extérieur.

mes amitiés à toi DPx

réponse à benjamin c.

Cher Benjamin, tu m'obliges,
"mon Daniel" écris-tu, lapsus ou pas,
une lettre d'amour enfin sur psychasoc?
attention à l'amour vache quand même!
"mon cher Daniel" m'aurait paru d'une possessivité plus douce,
bon, laissons cela, que je prends aussi comme une "demande", en suspens,

je ne crois pas très raisonnable que tu viennes ainsi, ici, publiquement, mélanger les scènes,
bien que ton témoignage soit amical, et me semble-t-il assez sensible et juste,

donc, à lundi,
et ici, fin de recevoir,
Daniel Px

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