mardi 10 mars 2009
La supervision aujourd’hui.
On assiste depuis quelques années à un retour des pratiques réunies sous les titres de « supervision, analyse des pratiques, régulation d’équipes, analyse institutionnelle etc». D’aucuns pensent que c’est une mode qui passera ; et d’autres, dont je suis, estiment qu’il s’agit d’un outil indispensable pour opérer en travail social.
Peu savent que cette pratique singulière de soutien aux professionnels s’origine dans la pratique psychanalytique. On trouve chez Freud, dès les fameuses réunions du mercredi, l’idée que parler de sa pratique produit des effets de prise de distance. Ceci sera formalisé sous l’impulsion de Ferenczi, sous l’appellation de « contrôle ». Les pionniers de l’éducation spéciale qui ont investi ce champ à partir d’une expérience de la cure, ont d’emblée mis en œuvre des pratiques de supervision. August Aïchhorn, directeur de plusieurs établissements pour délinquants à Vienne, dont certains accueillant plus de 1000 jeunes, rassemblait tous les soirs les personnels pour qu’ils puissent parler de ce qui leur etait arrivée en cours de journée, fort de cette idée que la parole médiatise, métabolise, voire formalise le vécu . C’est une méthodologie que Bruno Bettelheim mettra également en place à l’Ecole Orthogénique de Chicago, en instituant des réunions biquotidiennes de travail clinique où la question de leur relation aux enfants autistes était explorée par les encadrants, dans tous ses prolongements.
Dans l’immédiate après guerre deux filières vont aboutir à l’introduction en France de la supervision. Du côté des assistantes de service sociaux (il n’y a que des femmes à l’époque) c’est par le biais de rencontres avec les groupes Balint et le case-work en Angleterre que se développent des supervisions individuelles, dont, dans l’après-coup, on doit dire qu’il s’agissait surtout d’y vérifier « les bonnes pratiques » des professionnelles. Pour les éducateurs, c’est par la voie américaine que la supervision fraie son chemin. De leurs voyages d’étude au Canada et aux Etats-Unis Serge Ginger, Jean Ughetto ou encore Jacques Salomé, bien avant qu’il se transforme en gourou de la bonne parole, ramènent cette pratique qui trouvera ses prolongements autant en formation que sur le terrain. Puis à partir des années 70 on constate un déclin. Les « techniciens de la relation » estiment qu’ils peuvent faire face sans aide.
On peut se demander pourquoi un « revival » fait ainsi retour depuis une dizaine d’années. Sans doute que la phase critique dans laquelle est entrée le travail social, de plus en plus soumis à des impératifs de productivité, laminé par les pressions de textes qui pleuvent comme pluie d’automne, sommé de faire du chiffre et de se justifier dans des évaluations quantitatives, des grilles, des protocoles etc, produit sur le terrain une perte de sens. Ce sens qui est donné par une aide apportée, au nom de la communauté républicaine, par des professionnels, à partir d’une rencontre humaine authentique. Un des lieux de fabrique du sens, ce qui en explique le retour, est bien celui qu’ouvrent et que protègent les pratiques de supervision dans ses différentes déclinaisons.
Ce retour s’accompagne de publications récentes. Je citerai , entre autres : Intervenants sociaux et analyse des pratiques, ouvrage collectif sous la direction de Dominique Fablet (L’Harmattan, 2008) ; La part du rêve dans les institutions. Régulation, supervision, analyse des pratiques, de Claude Allione, (Encre Marine, 2005) ; et mon ouvrage La supervision d’équipes en travail social (Dunod, 2007). Cette floraison de publications, même si au bout du compte elles reconnaissent leur dette à la psychanalyse, n’en forment pas pour autant une théorie ni une pratique, monolithiques. On assiste ces derniers temps à une définition du territoire et des références dans toute sa complexité. Et il n’y a pas lieu d’en abraser les reliefs et les différences sous couvert d’un discours unique. La diversité des pratiques, l’implication dans un style personnel, l’exploration de pistes nouvelles dans le champ de la psychanalyse des groupes, mais aussi de la sociologie et de l’anthropologie témoignent d’une « bonne santé ».
Pour ma part je défends depuis que j’exerce la supervision de groupe ou individuelle, la régulation d’équipes ou l’analyse institutionnelle, un invariant. Ces interventions constituent un mode de traitement du transfert que ne manque pas de mettre en jeu les relations humaines que ce soit avec les usagers, les collègues ou les partenaires. Dans la supervision il s’agit de travailler ce qui travaille (y compris au corps !) le professionnel dans sa relation aux usagers; dans la régulation et l’analyse institutionnelle , d’éclairer et d’éclaircir les relations au sein de l’équipe ou de l’ensemble des personnels impliqués. Il s’agit que les affects (ce qui affecte toute relation) d’amour, de haine, voire d’indifférence n’infectent pas la relation et n’entravent pas la mise en œuvre des projets et des missions confiées aux professionnels par l’établissement. Trop longtemps, - et cela, si j’en crois les échos, a encore lieu dans les centres de formation - l’on s’est contenté d’un sous-produit de la méthode inventée au XIX éme siècle par le célèbre pharmacien Emile Coué : il faut rester neutre, en retrait, ne pas se laisser toucher etc Autant de litanies qui témoignent surtout d’un haut degré de… résistance au transfert. En effet comment maîtriser les affects que produisent chez le professionnel des rencontres avec des sujets aux histoires de vies, souvent gâchées, martyrisées, dévalorisées. Il paraît plus judicieux d’apprendre à faire avec …ce que ça nous fait !
La supervision vise deux objectifs : produire « la bonne distance » pour reprendre un concept forgé par Winnicott et produire un savoir du transfert, et non pas sur le transfert. Un savoir où, dans ce travail de détachement, un professionnel fait savoir ce qu’il a vécu, ressenti, éprouvé de ce qu’un un usager à « transféré » sur lui. Savoir éminemment précieux à partager en équipe pour fonder des projets individuels qui ne soient pas passe-partout mais en adéquation avec la dynamique de vie d’un sujet.
Un certain nombre de difficultés surgissent cependant. Tout d’abord, il n’existe pas de professionnels formés à ce travail. On a longtemps fait comme si un titulaire du DESS de psychologie ou du doctorat de psychiatrie était préparé à cet exercice. Or il n’en est rien. La plupart de ceux qui s’y confrontés s‘y sont cassé les dents faute d’une formation adéquate prenant en compte la dimension inconsciente, groupale et institutionnelle, avec les composantes spécifiques qui les constituent dans le champ des établissements sociaux et medico-sociaux. Cependant depuis quelques années des formations commencent à apparaître. Ainsi à l’ASCTS , à l’ETSUP , à Lyon II. Pour notre part à PSYCHASOC nous avons créé une formation à la supervision d’équipes en travail social, sur 4 semaines, qui depuis deux ans ne désemplit pas. Nous avons ainsi formé plus d’une centaine de professionnels. Nous sommes en cours d’inscription de la certification de superviseur au Registre des métiers. Notons qu’en Belgique et en Suisse, les professionnels de l’action sociale ont largement un temps d’avance sur nous dans ce domaine.
Autre obstacle : la législation. Que ce soit en ce qui concerne l’imputation de ce type d’intervention sur le budget institutionnel ou encore pour le statut administratif du superviseur. Inutile de dire qu’en ce domaine on tâtonne et que tout reste à faire.
La question « qui paye ? » est évidemment centrale, notamment pour déterminer le cadre de l’intervention. Si l’on s’en tient à la circulaire du 14 mars 1986 du Code du Travail (avec quelques modifications depuis), les groupe d’expression relèvent du fonctionnement général des entreprises. Autrement dit, en règle générale on ne saurait prélever la supervision sur le budget de formation continue. Sauf dérogation. Il y a en a toujours. Notamment pour « permettre la formation des professionnels à la connaissance et à la maîtrise d’outils méthodologiques pour l’analyse et l’évaluation de leur pratique ». On mesure toute l’ambigüité. Et comme la plupart des établissements ne sont pas dotés de budgets spécifiques pour la supervision, ils « bidouillent ». Quant au statut des intervenants on nage dans les méandres qui vont du statut de salarié (problématique dans ce genre d’exercice qui exige de l’intervenant une neutralité et une extériorité par rapport à l’institution où il intervient) jusqu'à celui d’associatif en passant par celui de libéral, mais dans ce cas il faut obtenir un numéro de formateur. Les conventions, les honoraires, les modes de facturation etc procèdent du même méli-mélo. J’ai même vu une institution proposer de payer la supervision sur des frais de déplacements ! Bref une chatte n’y retrouverait pas ses petits !
Le temps est venu de mettre un peu d’ordre pour se repérer dans ce métier, car c’en est un à part entière, et non entièrement à part. Il est temps de mettre à plat les pratiques et les références de tout un chacun, de les confronter, non dans l’idée de les niveler, mais pour permettre aux professionnels de la supervision de fonder en raison leur position. Pour ce faire se teindront à Montpellier les premières journées européennes de réflexion, recherche et formation sur « La supervision d’équipes en question », en octobre prochain, les 24 et 25. Y seront accueillis des praticiens d’horizons divers, de Belgique, de Suisse et évidemment de France, dans le but d’éclairer la pratique de supervision, d’en mesurer la richesse des ramifications et d’ouvrir des perspectives en termes de reconnaissance. Un certain nombre de travaux et d’expérimentations sont actuellement à l’étude en vue de développer ces pratiques dans le champ de l’entreprise. Des séances de supervisions se déroulent notamment dans des banques ou des services publiques dont les salariés ont eu à subir des violences de la part des usagers.
Joseph ROUZEL, psychanalyste, Directeur de PSYCHASOC.
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florence plon
mercredi 18 mars 2009