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La situation dramatique des personnes autistes entre les souris et les hommes

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Guy Arthur Rousseau

dimanche 23 décembre 2007

Le journal « Le Monde » titrait, récemment, en première page : « Percée de la recherche sur les maladies génétiques ». Information réconfortante qui tombe, par hasard, sur les rotatives en période de téléthon, comme pour conforter la foi marchande spectaculaire.

L’article nous indique qu’il ne se passe pas une semaine sans qu’une revue scientifique ne publie un résultat inédit magnifiant les recherches sur les cellules souches pour imprégner notre pensée des évidences du progrès humain. La preuve : la génétique nous permet, aujourd’hui, de guérir des souris atteintes de drépanocytose.

Cette annonce, bien sûr, ne souffre aucune mise en cause. Pourtant, la manipulation du discours courant qu’elle implique, apparaît à l’aune d’un tour de passe-passe cousu du fil blanc sensé relier les souris à l’humanité.

En pages intérieures du même quotidien, un entrefilet anodin, pavé de bonnes intentions, en révèle les effets. Ainsi : « Le comité d’éthique dénonce la situation dramatique des personnes autistes ». Dans sa rigueur éthique, il recommande de favoriser le diagnostic précoce et, en lien avec les familles, la création de prises en charge… adaptées. Il en appelle à un « profond changement de nos comportements et de nos mentalités afin que ces personnes soient reconnues dans leur droit avec les autres, parmi les autres, sans être stigmatisées ni discriminées ».

On ne peut que souscrire à cette louable intention qui, pour se réaliser, doit se garder de tout étiquetage. Mais le propos se poursuit en martelant avec assurance un savoir sur l’autisme, comme catégorie spécifique. « La communauté scientifique, peut-on lire, s’accorde aujourd’hui sur la forte composante génétique de la pathologie associée à des facteurs environnementaux ». Les expérimentations peuvent, légitimement, donc, s’adresser aux souris sans tenir compte de l’être parlant.

En toute logique, l’article se poursuit en ces termes : « Le CCNE a été saisi par des associations qui s’élèvent contre l’apport de la psychanalyse dans les traitements, et réclament un accompagnement centré sur l’éducatif, à l’image des pays européens et anglo-saxons ». Sans trancher sur la querelle, le comité d’éthique prend implicitement parti en demandant que la scolarisation « cesse d’être fictive ».

Victoire de l’organogenèse sur la psychogenèse ?

Insidieusement, le propos le laisse entendre. Il est vrai qu’aujourd’hui, l’éternelle querelle entre l’inné et l’acquis, le corps et l’esprit apparaît dépassée. L’idéologie dominante a imprimé dans l’opinion un savoir sur les causes de l’autisme, au risque de confusion entre l’être parlant et le rongeur.

L’assimilation médiatique au modèle pastorien du trouble psychique, lui ôte son élaboration humaine subjective, qui relève avant tout de la parole. Or, alors que l’énigme étiologique reste entière, c’est bien l’expérience relationnelle qui nous enseigne que l’autisme est le signe autant que le produit d’une désagrégation du lien à autrui. Les savoirs experts, quelle que soit leur référence, sont un obstacle à la reconnaissance de cet « appel d’humanité » lancé par l’enfant atteint de ce trouble. De sa confrontation avec lui, Françoise Dolto, disait : « c’est un être de langage mais tout est décodé ». Elle essayait de retisser avec lui les fils d’une vie acceptable.

Son art du soin (au sens de prendre soin), sa connaissance intime de l’intériorité d’autrui lui permettaient de nous sensibiliser, non pas à ce qui se voit ou à ce que montre ce « représentant de l’humanité la plus sensible et la plus précoce », mais à ce qu’il vit dans l’intimité. Rencontrer un enfant autiste exige une position éthique d’échange et de partage, position sensible, voire douloureuse. Cette douleur dont les savoirs polémiques, passionnés et stérilisants sont bien souvent l’expression malheureuse, engendre la principale résistance à ce que Freud appelait le « travail de la civilisation ».

Serait-ce une pratique maltraitante que de tenter une parole avec un être qui, pour faire écran à toute relation, se mure dans sa tour solitaire ?

Doit-on, au nom de la bientraitance, ne plus porter attention au sujet parlant, pour une rééducation efficace visant le comportement sur le modèle de celui de la souris blanche ?

Que pense le comité d’éthique de ce paradoxe qui consiste à vouloir intégrer systématiquement un enfant qu’on a, au préalable, étiqueté et dont on exige des autres qu’ils « changent leur mentalité » pour ne pas le discriminer ?

Notre monde de « normosés » rapides, puissants et rentables fait fi de l’étape essentielle du soin, celle qui permet de reconnaître et d’entendre jusqu’aux plus fragiles, et de respecter la démarche de ceux qui, plus que tout autre, ont besoin d’espace et de temps pour mener à bien leur construction psychique singulière.

Il existe, pourtant, des lieux en France –mais jusqu’à quand ?- où des enfants peuvent être accueillis dans leur singularité symptomatique, sans stigmatisation, ni discrimination. Ainsi, le Centre de Guénouvry, en Loire Atlantique, accueille-t-il encore, aujourd’hui, des enfants en difficulté psychique, toutes populations confondues, dans une ancienne école communale, en lien avec la communauté villageoise. A contre-courant d’une société qui se passe du lien à l’autre, chacun peut y trouver sa place d’enfant, en rapport à d’autres enfants, dans un collectif qui lui permet de se constituer et de mettre en récit sa propre histoire.

La reconnaissance d’autrui, l’échange et le partage sont les conditions premières de l’humanisation. Pour lutter contre la situation dramatique faite aux personnes autistes, ne faut-il pas soutenir et multiplier ces « lieux pour dire », espaces à taille humaine qui accueillent, sans stigmatisation, la souffrance des enfants mais aussi celle de leurs familles ? Car, comme l’écrivait François Tosquelles : « L’homme souffrant ira toujours à la recherche d’un lieu où il puisse parler, voire dissimuler sa souffrance psychique. Et ces lieux seront toujours –hors de soi et à l’intérieur de soi- des lieux institutionnalisés, c’est-à-dire des lieux plus ou moins rituels de rencontre et de paroles entretenues avec les autres » (1)

Or, ces lieux de soin se raréfient sous les effets conjugués, non seulement de discours experts sur les causes de l’autisme, rejetant la psychanalyse (la cure par la parole), mais aussi d’injonctions économiques dont la parcimonie tire bénéfice de la réduction de l’enfant à son comportement.

Hanna Arendt le montrait : « Ce qui dans le monde non totalitaire prépare les hommes à la domination totalitaire, c’est le fait que la désolation (loneliness) qui jadis constituait une

expérience limite (…) est devenue l’expérience quotidienne des masses toujours croissantes de notre siècle » (2)

Un système qui déracine l’individu et le prive de son propre sol, lui ôte l’usage de la parole. Ces mêmes forces « thanatocratiques » (3) sont sourdes à l’appel d’humanité que constitue le symptôme autistique.

Il est vrai que dans notre quotidien spectaculaire, il leur est plus gratifiant de réparer la mécanique génétique d’une souris blanche ou d’un robot solitaire plutôt que de faire place à un être en souffrance dont l’expression douloureuse nous interroge sur notre propre fragilité de sujets parlants.

Guy Arthur ROUSSEAU

Ancien directeur du Centre de Guénouvry

Décembre 2007

  1. F. Tosquelles – « Soin psychiatrique » n°9 (1981)

  2. H. Arendt – « Le système totalitaire » - Le Seuil (1972)

  3. Expression utilisée par Jean Oury

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