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La psychanalyse de Freud – ou la sorcière du temps de la Technique et de la Science.

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Daniel Pendanx

mardi 13 avril 2010

La psychanalyse de Freud – ou la sorcière du temps de la Technique et de la Science.

Daniel Pendanx

Après avoir terminé ce texte, reprise de récentes remarques avancées sur le forum du site Œdipe, cet intitulé s’est imposé, soulignant je crois au mieux le motif principal de cette intervention : soutenir que si la psychanalyse est le produit d’une rigueur logique, de facture scientifique, elle n’en demeure pas moins soumise à l’enveloppe du mythe et à l’immaîtrisable de l’inconscient qu’elle découvre. La sorcière du temps de la technique et de la science , voilà qui n’est donc pas sans rapport avec cette définition de la psychiatrie que Legendre proposait en 1984, dans son article Classification et connaissance, remarques sur l'art de diviser et l'institution du sujet (dans Confrontations psychiatriques, n°24) : la science des limites de la science.

Je vais ici, évoquant au fil du propos quelques textes de Lacan qui m’occupent en ce moment (en particulier son Allocution en conclusion des journées sur les psychoses de l’enfant, 1967, sa Conférence sur la psychanalyse et la formation du psychiatre à St Anne , 1967, et La psychiatrie anglaise et la guerre, 1947), essayer de préciser pourquoi, alors même que la Maison de Freud est ma maison, je m’oppose à toute transformation de la psychanalyse en politique institutionnelle. Comment en effet, dès lors qu’on a un peu saisi que l’espace des réalités institutionnelles n’est pas l’espace de la psychanalyse (de la régression et de la dépendance que suppose la cure analytique) ne pas être hostile au fait de faire valoir la « référence à la psychanalyse » comme une référence commune, imposée à tous, inscrite comme telle dans les projets institutionnels des établissements et des services? Comment ne pas voir qu’à faire ainsi prévaloir « la psychanalyse » comme « référence» pour l’ensemble des praticiens on lui donne statut dogmatique, normatif, en lieu et place du fondement institué, de facture légale ?

Situer la Psychanalyse (la Cause), à l’identique d’autres (rivales) de la même eau, au lieu de la Référence commune, en dé-mythologise la facture et en subvertit le principe – principe qui signe la fin du principe d’autorité, hiérarchique, l’effondrement du système des garanties, mais aussi, comme le souligne Legendre, « l’impossible abolition du tragique prétendument effacé par la dogmatique de la société sans tabou ».

Voilà qui conduit, comme cela se voit, à des détournements et des manipulations irresponsables du transfert, que ce soit sous les forme de l’adhésion, ou à l’envers, celles d’une opposition réactionnelle. Dans ces conditions, dès que la référence psychanalytique est « attaquée » par ceux qui, tout aussi messianiques, cherchent de leur côté à occuper le lieu de la Référence institutionnelle, vous avez automatiquement la crispation duelle, l’idéologisation des controverses, la réification des clivages…

Ce mode là de référence à la psychanalyse, qui en brouille les limites, fait le lit de tous ceux qui au ciel des en-dessus ne savent à quel point la demande impliquée dans leur discours, pour être une demande d’adhésion (sous les termes habituels de la demande de compréhension, de collaboration), vise non l’alliance sexuée, mais la soumission.

Je le redis ici amicalement, à l’adresse particulière de ceux qui déclarent avoir le souci de la sauvegarde de la clinique, la psychanalyse ne saurait, sans se perdre comme telle, demeurer serve de ces manières là.

Quand triomphent les duels de référence – duels dans lesquels nombreux se complaisent, tant il en va de la survie de leur propre juridisme – le travail institutionnel de symbolisation des échanges a le plus grand mal à opérer dans la parole. Travail d’élaboration qui suppose que la dimension du « refus » ne soit pas écrasée par les pouvoirs hiérarchiques, le pouvoir des dits « sachants » ou des « docteurs ».

Dès lors qu’on cherche à faire ainsi prévaloir « sa » référence, comment s’étonner que d’aucuns, les esprits les plus libres, s’en distancient, et que d’autres ne s’y attaquent ? J’observe que les partisans de références concurrentes se retrouvent souvent dans un même déni de la fonction symbolique tierce du juridique, et parfois, il ne faut pas les y pousser beaucoup, dans une même « haine » des interprètes qui les renvoient à leur débord commun… Voilà sur quoi les tenants du « packing » devraient me semble-t-il s’attarder. Ce qui leur permettrait peut-être de s’interroger sur ce que leurs opposants les plus virulents leur renvoient de leur propre position dogmatique dans la scène. …

Je le dis souvent, après Legendre, il ne s’agit pas d’abord dans l’engagement des pratiques, de contenus de discours, mais de position du discours.

1 – Dès ses premiers travaux, dont le si remarquable article de 1938, Les complexes familiaux dans la formation de l’individu , Lacan, après avoir relevé que « le sort psychologique de l’enfant dépend avant tout du rapport que montrent entre elles les images parentales », signalait en quoi «l ’aventure de la famille paternaliste », pour installer la prévalence du principe mâle, a occulté le principe féminin et favorisé du même coup « le progrès social de l’inversion psychique » – inversion aux sources dit-il aussi de « l’impasse imaginaire de la polarisation sexuelle ». Cette « impasse » quelle est-elle, sinon celle qui consiste à « prendre » en vérité – comme il en est dans l’ autre scène inconsciente des représentations infantiles – la femme pour un homme castré, et la mère pour la matrice, un objet partiel ?

Dans un temps où la leçon féministe faite à Freud garde tous ses lustres, je crois qu’il convient de souligner combien l’élaboration ultérieure de Lacan a permis de préciser que la fonction phallique , comme fonction symbolique pour les deux sexes, n’est pas réductible à la seule prévalence du principe mâle . Insistons y : la fonction du Phallus est une fonction tierce, symbolique, de division du sujet du Tout du Sexe, à égalité, mais une égalité dans la différence, pour les deux sexes . Le masculin n’est pas plus réductible que le féminin au « phallique ». La réduction du « masculin » au phallique (réduction dont Freud a perçu la fausseté et le danger) n’est que la projection, ancestrale, de l’imaginaire de toute puissance sur le phallus, confondu avec l’organe. Moins la fonction phallique est symbolisée, et plus le rapport des sexes se déséquilibre, et plus vous avez de tendances à l’indivision institutionnelle, à « l’inceste institutionnel », avec à la clef les mécanismes de totalisation et de clivage attenants… (Je renvoie à mon article L’impératif généalogique et la question du sexe, aujourd’hui, dans la revue Conférence, N°24.) Autrement dit ce n’est pas, par exemple, parce qu’on va féminiser à outrance les titres des hautes fonctions institutionnelles – féminisation qui opère comme une sexualisation à l’envers de la fonction phallique – que pour autant la logique phallique va disparaître. Non, ce à quoi on aboutit, c’est à un phallocratisme à l’envers, plus ou moins masqué sous des atours « libéraux », « libertaires », « féminins », avec pour résultats l’accentuation du virilisme (et du masochisme) pour les deux sexes... Le malaise dans l’indivision du sexe reste le malaise.

Lacan conclut ainsi Les complexes familiaux , destinés à l’Encyclopédie française:

« Ce n’est pas par hasard que nous achevons sur l’inversion psychique cet essai de systématisation des névroses familiales. Si en effet la psychanalyse est partie des formes patentes de l’homosexualité pour reconnaître les discordances psychiques plus subtiles de l’inversion, c’est en fonction d’une antinomie sociale qu’il faut comprendre cette impasse imaginaire de la polarisation sexuelle, quand s’y engagent invisiblement les formes d’une culture, les mœurs et les arts, la lutte et la pensée. »

Se trouve là articulé, dès ces premiers temps de l’œuvre, le rapport intrinsèque, profond, invisible dit Lacan, existant entre le procès de subjectivation et la culture – rapport d’entre-appartenance du sujet et de la culture que Freud a de son côté relevé, sous les notions de l’idéal du moi et de l’identification au père de la préhistoire individuelle . Ce qui amènera Pierre Legendre, dans le fil de l’apport de Lacan sur le langage, à souligner, quant à cette entre-appartenance du sujet et de la culture , la fonction symbolique (langagière) clef du juridique dans l’institution du sujet de la parole. Fonction qui n’opère, soulignons au passage ce point capital, qu’en regard de l’enjeu princeps d’élaboration du fantasme de scène primitive – élaboration qui est le ressort symbolique clé de toute clinique, liée à la mise en œuvre de cet espace tiers que Winnicott décrira comme « l’espace potentiel » nécessaire à la pacification, à l’évolution du sujet, à quelque degré que ce soit.

2 – De l’entretien de Lacan avec Madeleine Chapsal, intitulé Les clefs de la psychanalyse , paru dans l’Express en mai 1957, je retiens pour ce propos la façon dont celui-ci prend soin, pour un large public, de préciser que si la psychanalyse éclaire les faits de la sexualité, « ce n’est pas en les attaquant (ces faits) dans leur réalité ni dans leur expérience biologique ». Ce que le sujet refoule n’est pas, quant à l’homosexualité, à saisir dit-il du côté de quelque réalité sexuelle ; ce qu’il refoule c’est bien d’abord « la parole où cette homosexualité joue un rôle signifiant ». La position subjective déclarée quant au sexe, la sexualité visible qu’un sujet déclare ou manifeste comme «hétérosexualité» ou «homosexualité» n’est pas la question pour la psychanalyse. (Cf. les articles de Paul Denis sur la question).
Autrement dit, et c’est un b a ba, le refoulement c’est d’abord en psychanalyse le refoulement d’un sens, d'un signifiant, d’une vérité – d’une vérité et d'un signifiant singuliers, mais toujours tenus enchâssés dans cette économie du texte inconscient, de la représentation (du fantasme), que Freud a dégagé et éclairé sous le primat du phallus et du complexe d’Œdipe.

Au moment où Lacan est ainsi au travail de donner pour le grand public Les clefs de la psychanalyse (je ne sais si ce titre est de lui ou de l’Express), il n’hésite pas à afficher son sentiment sur la situation de la psychanalyse. Nous sommes en 1957 :

« Actuellement, la psychanalyse est certainement en train de tourner à une mythologie de plus en plus confuse. On peut en citer quelques signes – effacement du complexe d’Œdipe, accent mis sur les mécanismes pré-œdipiens, sur la frustration, substitution au terme d’angoisse de celui de peur . »

Qu’en est-il aujourd’hui ? Qu’est-il advenu de cette « mythologie de plus en plus confuse » dans laquelle Lacan voyait s’enferrer la psychanalyse ? Où en sommes-nous, où en est la clinique face à cette prétention des modernes à remiser l’Œdipe au magasin des antiquités freudiennes ? Mon idée est que depuis cette époque où Lacan relevait l’anti-œdipisme sous-jacent à l’idéologie sanitaire (médico-psy) dans laquelle tendaient à s’enkyster la psychanalyse et la clinique, les praticiens et les interprètes les plus subtils n’ont su véritablement ouvrir, élaborer la voie d’un dégagement. Il n’est que de voir la manière dont aujourd’hui la plupart reculent, s’effacent, rasent les murs devant la déconstruction en cours du noyau juridique normatif, devant les nouvelles modalités culturelles, juridiques, de réification et de légitimation de l’inversion psychique. Par exemple, dans le très récent reportage sur la psychiatrie (le mardi 13 avril, sur la 5), aucun des psychiatres-psychanalystes interrogés n’a paru pouvoir mettre en question la façon dont le discours libéral-libertaire de l’anti-norme, de l’a-normativité, fait le lit de la normalisation techno-scientiste en cours ! Voilà pour moi le hic ! Il semble que nous n’ayons pas encore assez compris que le sujet délirant, le sujet désubjectivé, le sujet cassé, c’est d’abord un sujet dés-institué, délié, dé-référé, un sujet exclu de l’institution, de l’institution langagière, un sujet qui n’a pas été fabriqué en quelque sorte par le langage, qui le déshabite. Qui donc accepte de tirer conséquences du fait qu’instituer un sujet dans son advenir, quelles que soient par ailleurs ses limites (cognitives par exemple), je n’aime dire son « handicap », c’est d’abord l’établir, par les médiations parentales diverses, le jeu des tiers, dans la scène du lien fondateur, c’est l’assigner au Phallus ? Que le reste, la vie thérapeutique , suit… Et qu’il n’y a point de dialectique évolutive sans d’abord ce travail d’institutionnalisation du sujet dans le cadre légal de son identification. Ce qui implique pour le praticien d’être lui-même référé à ce cadre, au principe du Tiers – en tant que ce principe est le « principe qui manque », c’est-à-dire le principe qui fait que nul ne peut se faire le Maître, le Garant, le Référent, sans subvertir l’efficience du symbolique… Ce qui exige, pour le praticien, en regard de la constitution sociale de la parole (de la distinction et de la délimitation des discours, des compétences, des places), de se soutenir dans sa propre position de sujet divisé, d’ être-pour-le-sexe dira aussi Lacan… Comment aujourd’hui s’orienter sans reconnaître la façon dont le champ social, institutionnel, se trouve incesté , autrement dit sans relever les formes actuelles de la réification de l’inversion, du malaise dans le « rapport sexuel », en repérant le plus manifeste des difficultés des hommes et des femmes à se supporter aujourd’hui dans la condition commune, œdipienne, divisés du Sexe, tiers exclu de la scène de la représentation fondatrice ? Le pourrait-on si nous ne comprenons aussi, comme l’a maintes fois soutenu Lacan, que c’est bien toujours en cette indivision et cette inversion – d’où procède l’absence du sexe comme féminin – que se « signe l’entrée de tout un monde dans la voie de la ségrégation » ?

3 – Si donc l’apport de Lacan me paraît « incontournable », je ne m’établis pas moins dans une distance certaine par rapport au « lacanisme ». En quelques mots : si je pense que Lacan a eu profondément raison, comme interprète, de se dire freudien , il me semble que pour avoir peut-être trop cru en son génie, comme s’il était quasi le seul à pouvoir tenir le vif du fil freudien – ce trait de feu qu’est la psychanalyse dans le siècle dira-t-il – il a laissé aller le culte de ses Ecrits et de son nom, nom placé, comme l’iconographie et la propagande lacaniennes le font jouer, au lieu totémique du fondateur, parfois à côté, souvent à la place du nom et de la figure de Freud. Pour avoir au final misé sur une « refondation » de la psychanalyse sous son seul nom, Lacan a laissé le « lacanisme » se constituer comme une formation légendaire pour les masses… Il y avait du "meurtre" non symbolisé derrière cela, derrière cette façon d'aller si vite par rapport aux autres courants. Si vite aussi peut-être dans la clinique. Tout cela devra être un jour ré-ouvert. Mais si je ne me reconnais donc pas dans la militance d’un Saint Office lacanien, je ne suis pas pour autant du genre à prôner un œcuménisme de bon aloi. Je crois aux vertus d’un certain combat, restant très attaché aux «fondamentaux», en particulier à cette idée de la «structure» (du noyau anthropologique) telle que Legendre la déploie, hors stéréotypie, sous les termes de son «anthropologie dogmatique». Cela n’exclut pas, tout au contraire, les apports et les approfondissements des plus créatifs successeurs de Freud, que ce dernier d’ailleurs n’a jamais refusé. Ce à quoi il a fait face et s’est opposé, en regard même du transfert négatif qui infiltrait les controverses, c’est à la prétention de certains, affichée sous des motifs divers, de réviser et dépasser les principes de la psychanalyse, de « sa » psychanalyse , sous le label même de la psychanalyse… Ce combat de Freud, quant à la référence à la psychanalyse – combat qui ne visait pas à fabriquer l’ennemi, mais à délimiter la psychanalyse – il peut aujourd’hui paraître ridicule à certains, tellement cette exigence est affublée du terme de «dogmatique»… Le mot maudit ! A chacun sa « psychanalyse », son courant, son école, son groupe, et sans dogmaticité n’est-ce pas ? Et bien je suis de ceux, assez rares j’en conviens, qui estiment que distinguer la psychanalyse de Freud de ce qui n’en est pas, mais se présente sous ce nom, demeure une nécessité épistémologique, clinique, mais aussi politique princeps. C’est aussi par là, par cette délimitation, que la psychanalyse peut ne pas être transformée en psychologisme – vous savez cette façon de toujours parler de l’autre, sans jamais retourner le regard vers soi. Mais à mes yeux la psychanalyse reste aujourd’hui encore bien trop serve du discours médical, du juridisme médico-psy, du messianisme militant. Lacan avait d’ailleurs fort bien repéré que derrière cette « instrumentalisation », la référence à la psychanalyse pouvait servir à redorer le blason d’une position sociale !

L’exigence que je soutiens, et qui est à mon sens une condition pour retrouver le chemin de la Maison commune, a butée et bute toujours sur l’esprit individualiste et l’esprit du privé, sur cet abord insulaire du sujet qui a fini par prévaloir dans les sphères de la psychanalyse. Je renvoie là à l’article de Legendre, Revenir à l’essentiel , publié il y a près de quinze ans dans la revue Césure. Soumis à la tentation de « refonder » à son tour la psychanalyse de Freud, Lacan a promu, comme on peut le percevoir maintenant avec le recul, la thèse de l’advenue d’un sujet de la parole « au-delà du mur du langage », celle d’un sujet (ou d’une communauté) se tenant au-delà de l’institutionnalité commune. C’est la galéjade, toujours citée, du « nouveau lien social ». Lacan, malgré une ultime tentative, n’a pu contrarier ce courant disons, pour être aimable, communautaire, corporatiste.

Au final, au prétexte que nous ne sommes plus au temps de Freud, et sous couvert de sophistiques diverses, s’est déployé, sans grande controverse, un néo-révisionnisme freudien (je reprends ce terme de Marcuse, qui le tenait je crois de Adorno), dans toutes les sphères de la psychanalyse. L’axe de cette révision tient à mes yeux au prétendu dépassement de l’Œdipe, au prétendu dépassement du phallocentrisme de Freud et de Lacan… Voilà qui se traduit aussi dans des propos affirmant que l’analyse du transfert homosexuel, qui pouvait « s’entendre à l’aube des temps » comme condition d’une analyse terminée, « n’est plus guère de mise »…

Et dire que Lacan a forgé sa légende de « rebelle » en critiquant la manière dont les psychanalystes qu’il critiquait « s’adaptaient » soit disant à la réalité sociale !

Je me trouve assez libre pour dire ici, de ma position d’interprète, que quant à distinguer les choses dans ce qui se dit et s’écrit dans et sur la psychanalyse, cela fait belle lurette que je ne m’en tiens plus aux appartenances et aux références déclarées. Ce qui m’intéresse c’est ce que je repère de l’accroche (déclarée ou pas m’importe peu) de tel ou tel auteur à la «structure», à la problématique universelle de la loi… Et pour ceux qui se réclament de la psychanalyse ce qui m’intéresse, ce que je « lis » d’abord, c’est leur rapport à ces fondamentaux que chacun à travers son expérience propre a été amené, comme disait Octave Mannoni, à « redécouvrir», en reforgeant sa propre métapsychologie, à partir du corpus freudien commun… La psychanalyse, sa logique, cela ne s’apprend pas comme les mathématiques… Autant ici le rabâcher : il s’agit avec la psychanalyse, sinon à la fausser comme telle, d’abord d’une expérience, et ensuite de la conquête d’un autre mode de «savoir» qu’un pur savoir théorique à engranger, transmis sur le mode pédagogique, universitaire, même si ce mode là n’est pas à exclure. Mais le risque c’est que hors l’expérience de l’analyse le « savoir » (doctoral) ne demeure si je puis dire dé-mythologisé… Et puis faut-il encore que l’analyse soit l’analyse… L’accès à ce «savoir», dont Freud a toujours revendiqué l’inscription dans la science (et Lacan, dans la logique), se trouve impliqué dans une expérience singulière, qui ne prend sa valeur que d’être d’abord, toujours, et encore, expérience du perdre… Mais cette expérience, telle qu’en ce qui concerne la cure Freud en a élaboré pour les suivants les préceptes de base, n’opère que d’être articulée à des modalités de cadre et d’interprétation, elles-mêmes nouées à cette visée princeps, au principe de toute transmission digne de ce nom, que Freud a idéalement relevée sous les termes de la « résolution du transfert », et Lacan sous ceux de l’assomption du Nom-du-père. Que serait en effet « résoudre le transfert » si ce n’est pour le sujet métaphoriser les figures parentales, accéder au statut mythologique de la Mère, du Père ? Et comment dès lors ne pas relever, ici, ce qui du cours de toute évolution subjective, psychique, comme du cours de toute clinique, se trouve noué à la problématique de la loi, aux enjeux de la reproduction subjective, ceux de la Filiation ?

Ce n’est donc pas pour soutenir que l’apport de Lacan me paraît «incontournable» que je considère que hors la référence à cet apport il n’y aurait point d’analyse. C’est comme si pour considérer « incontournable » l’apport de la psychanalyse dans l’histoire de la pensée occidentale, dans l’anthropologie, nous estimions, comme certains, que l’humanité a du attendre la psychanalyse pour se reproduire de façon non folle, pour que la transmission de la loi opère… Je rapporte souvent une fable africaine sur la transmission, qui m’est chère, pour bien marquer qu’il n’en est rien… Et quand je lis la plus vieille légende écrite, cet immense récit de la « passe » de Gilgamesh (je conseille l’ouvrage de Bottero, et sa belle page de conclusion), résonne pour moi ce que signifie Legendre quand il dit que la psychanalyse n’a été pour nous autres occidentaux, du temps de l’industrie et de la technoscience, qu’une manière de retrouver la voie commune, celle des mythes « humanisateurs », le chemin d’une humanité ordinaire. Voilà ce que tendent à recouvrir les modes idéologiques dernier cri du Nouvel Homme, aujourd’hui celle du sujet libre de toute attache normative… Des modes qui ont irradié, sous des allures de « libération », le champ même de la psychanalyse. Avec la psychanalyse s’articulent le savoir et la vérité (je renvoie là encore au texte de Lacan), la science (la logique) et le mythe… Les mythes que Freud reconstruit (Œdipe, Narcisse) et construit (Totem et tabou, Moïse), sa théorie des pulsions (« pour ainsi dire notre mythologie », « ma sorcière métapsychologie» dira-t-il ), font apparaître la structure logique qui président, sur fond d’indifférenciation originaire, au détachement : par où le « moi » advient là où était le « ça »…

Il n’y a pas eu que Lacan pour prétendre à la refondation de la psychanalyse, à l’unicité du label analytique. Mais écrivant cela je sais aussi que je ne fais pas tout à fait juste, car Lacan, qui était fait comme tout un chacun de contradictions, a aussi maintes fois souligné qu’il ne prétendait pas « innove r», mais bien davantage « avec mon R.S.I., …, rétablir quelque rigueur dans l’expérience de la psychanalyse ». La rigueur d’une logique. Ce qui ne veut pas dire pour autant que sa pratique soit restée toujours des plus rigoureuses, ainsi que son abord des travaux des autres psychanalystes. Il a en effet je crois souvent tordu et refait l’histoire du mouvement psychanalytique (l’affaire de son « exclusion » de l’I.P.A.) à son avantage, en construisant sa légende, celle de « l’excommunié»… Legendre lui avait renvoyé cela à sa façon en intitulant son essai, publié par la suite sous le titre de L’amour du censeur , L’Excommuniant… (cf. sa préface à la nouvelle édition). Le « lacanisme », mais pas que lui, a rendu difficile l’articulation des apports, l’établissement de ponts entre auteurs différents du Mouvement psychanalytique. Car Mouvement psychanalytique il y a. Je renvoie là au travail courageux qu’a soutenu, à distance des intérêts de groupe, Jacquelyne Poulain-Colombier, dans la revue du même nom (cf. le site Le chaudron de la psychanalyse). Il n’en demeure pas moins que dans le fil de l’éclairage freudien sur le «malaise», l’apport de Lacan sur le langage et la logique, puis l’apport de Legendre sur l’institutionnalité et le juridique, restent essentiels pour se saisir des enjeux culturels, juridiques et institutionnels, présidant tant à l’institution du sujet de la parole qu’à la clinique.

4 – Derrière cette affaire de la référence à la psychanalyse, la question qui prime n’est donc pas tant pour moi celle de savoir ce qu’il en est des « psychotiques », des « autistes », mais bien davantage celle de savoir où nous en sommes dans l’orientation disons « clinique » des pratiques sociales, éducatives, pédagogiques, psychiatriques. Et cela implique, comme j’entendais Jean Oury à Bergerac il y a quelques jours y encourager, de s’interroger sur la relation de toutes ces pratiques avec la psychanalyse. Quid de cette relation ? Qu’en est-il de la psychanalyse appliquée à ces pratiques, sinon d’abord de ce que les interprètes ont conquis de soutenir dans ces pratiques de leur propre division, de leurs propres limites, de leur propre être-pour-le-sexe ? Il s’agirait là de repérer, de manière un peu renouvelée, intégrant l’apport de Legendre, le lien entre institution et subjectivation, dans le fil de ce qui est déjà là, et depuis bien longtemps, sur la table. Et par là de s’extraire du duel des références, en articulant les controverses à cet enjeu, commun, d’assignation de tous au principe du Tiers, de la Référence, soit au cadre de légalité de la clinique – cadre à repérer comme celui de l’identification des sujets traités.

De August Aichhorn à Jean Oury, en passant par Bion, la leçon est constante : il s’agit d’abord de travailler à ne pas rabaisser la vie institutionnelle, les liens institutionnels « à ce niveau bien connu sado-masochiste, en intensifiant encore (par des attitudes duelles, de simple opposition) ce sado-masochisme ». Il s’agit pour l’interprète d’œuvrer à un climat « favorisant en chacun le sentiment de son égale dignité ». Sur cette dimension princeps de l’ambiance institutionnelle , Lacan retient de Bion la leçon : cette façon dont, « en proie aux quelques oiseaux d’un service dit de rééducation », il sut faire valoir, « avec la patience ferme du psychanalyste », une orientation permettant aux sujets traités de se trouver placés « dans un milieu dont tout membre soit sur le même pied que lui en ce qui concerne les rapports avec son semblable ». Et Lacan d’ajouter : « Je dédie la formule à ceux de mes auditeurs qui voient la condition de toute cure rationnelle des trouble mentaux dans la création d’une néo-société où le malade maintienne ou restaure un échange humain dont la disparition à elle seule double la tare de la maladie ». Tout cela est tiré de son article La psychiatrie anglaise et la guerre , dans lequel il rapporte sa rencontre, lors de son séjour à Londres en septembre 1945, avec Bion et Rickman. Un article, très riche, très élogieux de ces deux là, qui reste pour moi, avec son Allocution en conclusion aux journées sur les psychoses de l’enfant, d’une grande actualité.

5 – Un dernier mot, rapide ici, en raison de ce que je lis sur le forum du site Psychasoc autour de la question du « dire non à la jouissance ». Le cliché qui règne le plus souvent c’est quand même encore celui qui fait du père celui qui doit « frustrer », le grand castrateur, face à la dite relation fusionnelle de la mère et l’enfant. C’est le père qui ferait la loi pour délier l’inceste mère / enfant. C’est ce qui revient encore le plus souvent dans le champ éducatif qui m’occupe, quant à la question des limites à donner à la jouissance de l’enfant. D’où d’ailleurs la conception qui règne dans nos milieux de la fonction du juge des enfants. Du côté de la psychanalyse il y a eu aussi Dolto qui disait qu’elle se faisait volontiers « le flic de l’inceste », c’est François Gantheret qui le rapporte dans son dernier livre, ouvrage dans lequel il critique très subtilement cette manière d’agir. Alors je dis peut être là une banalité pour les analystes, mais faire ainsi du père le seul agent de la « frustration », le flic de l’inceste , c’est qu’on le veuille ou non considérer le père comme celui qui doit énoncer la loi à la mère et à l’enfant. Et si Lacan a mis les choses au net en la matière, par exemple dans D'une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose , c’est bien en relevant que le père est irréductible à toute espèce de conditionnement imaginaire. Dès lors qu’il prétend occuper «la place d’exception», dès lors qu’il se fait législateur, il est automatiquement forclos . La loi, comme loi du langage, il ne peut que la servir, s’en faire le média, le passeur. Dans L’inestimable objet de la transmission, Legendre développe en long et en large cela, notant que quant à l’inceste le seul traitement qui vaille c’est son traitement juridique. Si tant est que le droit, non perverti, non délié du noyau anthropologique, restant la clef de voûte de l’édifice institutionnel, structure symboliquement le réel. Tout cela est très « concret » pour moi, très lié à l’orientation (au travail du Négatif) que j’élabore, avec quelques autres, dans mon modeste exercice dans le champ de la dite « protection de l’enfant » : soutenir et élaborer d’abord ses propres limites de discours, de compétence, faire jouer l’écart, et contribuer ainsi, hors duel, à faire valoir l’institution de l’espace tiers, pour soi comme pour les « partenaires » et les sujets traités.

Bordeaux, le 12 avril 2010

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