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La posture du superviseur

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Serge DIDELET

jeudi 17 août 2017

La posture du superviseur

Sous certaines conditions, et depuis 2012, j’accepte d’encadrer des groupes de supervision, des équipes intervenant dans le champ social, médico-social, et sanitaire.

Ce qui est fondateur d’un groupe de travail en supervision, c’est la demande (à ne pas confondre avec la commande de l’institué) et ce qui motive les professionnels voulant y participer. Afin de permettre à chacun de s’exprimer, de donner la parole à ceux qui ne l’ont jamais ou rarement prise, je conseille la mise en place de petits groupes de 6 à 10 personnes volontaires, se réunissant avec régularité tout au long de l’année. La question de la demande  est fondatrice du futur groupe en travail et de sa continuité ; et cette question est approfondie généralement dès les premières séances, lors d’entretiens préliminaires. D’un point de vue éthique, je préconise :

-   Des séances mensuelles d’une durée d’une heure trente tout au long de l’année (régulation, supervision, groupes de parole).

-   Des sessions intensives en journée continue pour l’analyse institutionnelle.

-   Le respect total de la confidentialité des échanges.

-   La position d’extériorité et de tiercéité de l’analyste superviseur.

-   Un climat relationnel serein où est accueillie la parole de l’autre, sans préjugés, sans jugements de valeurs, et où chacun peut oser parler en son nom propre, se faire le sujet du groupe.

-   Que l’intervenant soit le garant du cadre des échanges, et qu’il accompagne les professionnels dans l’élaboration des questions qu’ils se posent (ou ne se posent pas) sur leur pratique, mais aussi sur l’impact psychique vécu dans la relation à l’autre (le transfert). Or, le superviseur n’est pas dans une posture toute puissante d’expertise, apportant des réponses toutes faites et univoques : ce sont les professionnels qui sont les experts de leur expérience, ils détiennent – et souvent sans le savoir- un savoir expérientiel très riche. L’intervenant-superviseur n’est pas un oracle qui détiendrait une vérité érigée en dogme, il n’est - et dans le meilleur des cas - qu’un passeur d’avenir ; un facilitateur de la circulation de la parole. Et il devra avoir les qualités relationnelles en adéquation avec cette fonction de facilitation.

… il sera aussi un opérateur du traitement institutionnel du transfert.

   Dans mes moments « mégalos », il me semble que le superviseur évoque un chef d’orchestre : s’il ne joue pas la musique, il en donne la tonalité et le rythme. Il crée du liant et du lien entre chaque membre du groupe, il donne le tempo, et de ce fait, le groupe est en travail, et permet, au fil des sessions, une « supervidere », c’est à, dire la capacité à prendre de la hauteur, afin d’y voir plus clair, et notamment comprendre ce qui se joue et interfère entre sa propre position subjective et l’action professionnelle.

Reste à évoquer la question de l’adhésion au dispositif. Pour que cela fonctionne pleinement et que les salariés s’emparent vraiment de ces temps sociaux, il est nécessaire qu’ils en adhèrent avec les principes. Cela renvoie à la demande initiale, décryptée lors des toutes premières sessions, une demande qu’il faut réinterroger régulièrement. Cette demande est plurielle, elle renvoie aussi aux représentations que les participants se font de ma place auprès d’eux, dans « l’ici et maintenant » des sessions, et il s’agit d’un travail sous transfert, dans lequel – et dès le départ- je suis perçu comme le sujet supposé savoir .

Le but visé par la supervision est une meilleure conscientisation individuelle et collective de l’agir professionnel ; élaborée, pour et par le sujet parlant en son nom propre. Dans l’idéal, les participants consentent à devenir provisoirement des  parlêtres  (des êtres parlants) pendant une heure trente, la règle étant de tout dire, sans censure, à condition de respecter les autres dans les interlocutions. Il s’agit d’une (dé)construction du Réel en le verbalisant, en faire une représentation de la réalité, et en la confrontant aux divers regards du groupe au travail. Nous abordons la clinique des sujets par une groupalité faite de tous les participants présents, et le groupe traite le Réel par le symbolique et l’imaginaire, transformant, de par ce travail le Réel par une représentation de la réalité. Le groupe peut en tirer une praxis nouvelle, un nouveau savoir, une nouvelle clinique.

La supervision permet de prendre de la hauteur (super videre) et de se distancier des contingences.

La supervision est un dispositif d’aide à la professionnalité qui n’est pas standardisé, ça fonctionne au cas par cas, c’est sans cesse à réinventer, et il y a des modalités plurielles pour organiser les sessions, car chaque groupe est vraiment unique, et c’est une situation d’exception, de par la conjoncture institutionnelle du moment, et par la composition parfois hasardeuse du groupe. J’y discernerai deux tendances repérables :

 Celles qui sont surtout centrées sur les affects et les représentations imaginaires de la vie professionnelle, et le plus souvent sur le registre de la plainte ; et celles qui ont pour objet une analyse clinique des situations impliquant les agents dans leur relation aux « usagers » et/ou à leur famille. La première modalité fonctionne comme groupe de parole où la fonction est surtout cathartique. Un groupe de parole ouvre un espace d’échanges sur des difficultés rencontrées dans le contexte professionnel. Il est un lieu de partage, d’écoute réciproque, autour d’une thématique concrète, d’un problème particulier, et souvent d’une souffrance éprouvée.

 Cet espace de parole autorise à chacun de s’exprimer et de se montrer dans sa vérité, et par ses énoncés, de s’inscrire dans le Symbolique, sans avoir à redouter le jugement de l’autre. Il permet de réduire l’isolement psychosocial qui induit le plus souvent une souffrance dépressogène au travail et une baisse de la motivation. En outre, l’effet de groupe peut favoriser la créativité de chacun de ses membres, il permet de réinventer sa pratique et d’être acteur du changement.

La deuxième modalité, plus rigoureuse est la supervision : Il s’agit là de l’agir professionnel engagé dans la relation avec les personnes, travail qui s’inaugure par la présentation d’une vignette clinique exposée par un participant qui en éprouve le désir.

Ce dont il est question, en supervision, c’est la narration de la relation d’un professionnel avec un sujet dans un contexte particulier – ça se « joue » sur la scène institutionnelle - ; en présence d’un groupe de pairs, et d’un tiers – qui n’est pas un juge ni le grand Autre – le superviseur. Mais la supervision pour moi, c’est le plaisir – au risque – de la rencontre ; et les premières sessions sont déterminantes : tout est dans l’accueil du groupe, et de la rencontre qui s’inaugure ; voire un savoir qui peut à peu, va se construire, de cette rencontre sous transfert, pendant une période suffisamment durable, il y a une temporalité spécifique à la supervision : au moins une fois par mois, durant trois ans minimum. Il faut laisser du temps au temps, pratiquer l’art de la lenteur.

Le groupe de supervision est un espace de parole intersubjectif dont le superviseur est le garant des modalités, régulièrement redéfinies afin d’éviter certaines dérives de régression groupale, souvent observées. Pour travailler, il faut une situation, un récit qui relève du Réel. La situation racontée devient l’objet – provisoire et temporaire – du travail de chaque sujet dans le groupe, dans l’ici et maintenant, et cet objet convoque nécessairement des résonnances fantasmatiques, en rapport avec la vie de l’institution, l’état des relations interpersonnelles, l’ambiance et les entours, et les différentes synergies crées par le travail en équipe. Un groupe peut se montrer délirant.

Alors, des personnages externes au groupe sont reconstruits et convoqués subjectivement par les participants, des fantasmes collectifs - que l’on croyait abandonnés et refoulés, car appartenant au passé, mais l’inconscient se moque de la temporalité- réapparaissent. Les liens d’appartenance, les alliances symboliques s’interfèrent avec des représentations fantasmatiques, et les effets collatéraux des énonciations dans les groupes, complexifient parfois le travail et peut mettre à l’épreuve le dispositif (un bricolage à réinventer sans cesse…) que le superviseur a mis en place. Il lui faut tenir le cap, le cadre, et la posture.

C’est-à-dire une éthique : ne rien céder sur son désir (Lacan 1960).

 Les connaissances apportées par la clinique psychanalytique des groupes et des institutions permettent de mieux comprendre comment toute intervention extérieure dans un système organisé fera émerger des processus inconscients enkystés dans le cadre institutionnel. La souffrance au travail, qui peut s’exacerber (parce que communicative) à certaines périodes se montrera sur le mode du registre d’une plainte incessante, répétitive, obsédante, les angoisses, issues des contraintes de travail souvent lourdes, se déplacent sur l’espace de parole du groupe, s’y dépose, se sédimente, et cela réoriente le travail, il faut accepter l’imprévu, le vide du mutisme ou le trop plein pulsionnel…chaque session est vraiment unique, il faut le répéter. Cela ne doit pas être une routine, et si ça le devient, il faut avoir le courage de quitter le « bain-marie de l’entre-soi » et l’homéostat de la complétude imaginaire : passer la main…

En supervision, il y a souvent de bons moments, j’en ai connu -rarement- quelques mauvais, où je me suis retrouvé en difficulté, c’était en EHPAD, et à un stade du travail, où les soignantes transféraient sur moi leur sentiment d’impuissance, m’en rendant sur le moment responsable. Je me suis confronté à la chute du Sujet-supposé-savoir, à la castration – ce manque symbolique d’un objet imaginaire -, j’ai accepté d’être manquant. Je l’ai assumé : paradoxe, cela m’a permis de garder la posture. Il s’agit d’un travail difficile, inconfortable, insécurisant, d’un travail sous transfert, ou plus exactement, du transfert du transfert, à savoir la rencontre traumatique avec des populations souffrantes : cela renvoie à la fonction phorique  (P. Delion), ou au « holding du holding »  (D. Winnicott).

Mais globalement, depuis 2012, où j’ai accepté cette place d’exception j’ai bénéficié le plus souvent d’un transfert positif de la part des participants. Peu à peu, un climat de confiance mutuel s’instaure, et il semblerait que les participants, au bout d’un an ou deux de ce travail, commencent à comprendre de quelle place (un dedans/dehors, comme sur une bande de Moebius) je m’autorise à parler et à les écouter. Ils ont compris aussi que je ne détenais pas LA solution à leurs problèmes, que ce LA est barré, et que nous devions continuer à cheminer ensemble dans notre questionnement et notre recherche de la vérité ; et à l’instar de tonton Boileau (1636-1711), « cent fois sur le métier remettre notre ouvrage » , via l’instance clinique de Joseph Rouzel – cette valse à trois temps – quand cela est possible.

Enfin, et qu’on le veuille ou non, ce travail de parole constitue à restaurer de la groupalité d’équipe, à renarcissiser la représentation (imaginaire) des métiers – bien trop souvent dévalorisée -, à alléger des sentiments de culpabilité souvent récurrents, et de ce fait participe à la réduction des risques psychosociaux au travail ; et ça arrange bien les établissements, le superviseur fait souvent office de « pompier du social », même si les prises de conscience qu’il est censé susciter peuvent parfois aviver les brasiers plutôt que les éteindre. N’empêche ! Si nous ne sommes pas payés pour mettre de l’huile sur le feu, nous sommes là pour élever le niveau de conscience des sujets, les aider à penser par eux-mêmes, encore une contradiction qui renvoie à « l’impossible » de cette fonction : régulatrice ou dérégulatrice ? Instituée ou instituante ? Le superviseur – comme le travailleur social - serait-il un agent double ?

Ainsi, dans certains cas que j’ai pu observer, les participants sont en mesure d’expérimenter qu’au moment où elles partagent un « éprouvé », le groupe est en mesure d’accueillir une parole, et de travailler ensemble à partir de cette même parole. Quand cela fonctionne pleinement, le groupe prend – momentanément - valeur d’une instance psychique groupale (René Kaes, 1976), œuvrant à la régénération de la professionnalité, et ce ne sont pas les « usagers » qui s’en plaindront. Oui, le sens du travail s’y régénère, s’y ressource, s’y renarcissise, cela fait aussi « garde-fous », cela garantit que l’insensé de la violence (archaïque) pulsionnelle du réel, ne devienne pure folie.

 Le groupe de supervision devient un lieu d’adresse possible d’une parole, un moment pour se déprendre de ce qui a pu faire trauma, à un moment donné, au travail. La supervision contribue à ce qu’un climat de confiance se régénère, et que de cette groupalité instituée et parfois obligatoire naisse une groupalité consentie dans la dynamique instituante de l’Agir (Toni Lainé) ; où il s’agit de soutenir la parole d’autrui, tout en soutenant sa propre parole tierce, vivre l’assomption de son désir : le désir du superviseur.

Fini, « l’analysette des pratiques », Alors là, le vrai travail de supervision commence : une supervision clinique institutionnelle, branchée sur le Réel, et qui purge la pratique.

Et comme le préconisait le regretté Félix Guattari (1930-1992) : passer du groupe assujetti au groupe-sujet…

Serge DIDELET (16/08/2017)

 

 

Serge Didelet est né en 1954. Il a été ce qu’il est convenu d’appeler génériquement « un travailleur social » durant les quarante années de sa trajectoire professionnelle. Il fut acteur en divers champs : l’éducation populaire – par la pratique de la montagne - avec des jeunes de banlieue, le tourisme social et familial, l’animation socio-culturelle, l’éducation spéciale  avec des jeunes abandonniques, puis les dernières années, la formation et l’animation de séminaires (sur Louis Althusser, sur Jean Oury, sur l’aliénation…). Titulaire d’un master en sciences sociales (Paris III Sorbonne), psychanalyste indépendant, il est également superviseur d’équipes (certifié PSYCHASOC) dans le social et le médico-social. Serge Didelet est également l’auteur d’un livre : « Jean Oury… Celui qui faisait sourire les schizophrènes » , préfacé par Joseph Rouzel, Champ social Editions, juin 2017. A lire avant qu’il ne soit épuisé.

Contact : serge.didelet@wanadoo.fr  06.16.13.26.48.

Blog : www.praxis74.com

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