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La ''jouissance'', une approche analytique de la déficience mentale

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Jacques Cabassut

jeudi 03 avril 2003

Résumé :

La notion freudo-lacanienne de Jouissance nous a permis de réinterroger la désignation négative nosographique de « déficient », via les procès de la castration et du refoulement originaire.

Notre travail s’élabore autour d’une démonstration princeps : le déficient partage avec chacun de nous les statuts de « parlêtre » et de « jouisseur ».

En fonction de ces caractéristiques, la dimension du sujet dans son rapport originaire à la parole (dans son acception signifiante et mélodique, symbolique et réelle) a pu être réintroduite, et les bases d’une praxis analytique auprès de l’arriéré profond ont pu être posées : le sujet à l’inverse du Moi, n’est pas handicapé.

Mots-clefs

Castration - Corps - Déficience mentale - Jouissance - Sujet -

LA "JOUISSANCE", UNE APPROCHE ANALYTIQUE DE LA "DÉFICIENCE MENTALE"

Jacques CABASSUT

I) Introduction

A l'exception de quelques auteurs 1 , la métapsychologie freudienne et la conceptualisation lacanienne s'avèrent peu utilisées dans l'approche du handicap mental, de l'arriération profonde. La pensée psychanalytique est supplantée par la démarche cognitivo-comportementaliste et développementale, comme si les notions d'inconscient, de transfert ou de castration ne pouvaient rendre compte de la psychopathologie déficitaire et de la clinique qui la sous-tend. La déficience est confrontée à des "maladies" mentales, telle la psychose, qui, dans le domaine de la psychiatrie, du médico-social, restent auréolées d’un vent de folie.

La complexité des concepts analytiques paraît ainsi se dissoudre dans le manque de noblesse de la clinique du "débile". Le champ de l'éducatif, du rééducatif, a tendance à chasser celui du thérapeutique. Notre entreprise consiste à démontrer le contraire : à partir des notions freudiennes de narcissisme et de castration, ainsi que de celles, lacaniennes de Jouissance, de Phallus ou de Chose, nous réinterrogerons le terme de déficient mental. Nous nous écarterons de la sous-désignation cognitive qu'elle véhicule et nous tenterons de proposer une nouvelle terminologie, ainsi que de poser les jalons d'une clinique, toutes deux plus subjectivantes.

Le concept de la Jouissance se constituera en point central autour duquel nous élaborerons notre approche analytique de la déficience, tant du point de vue théorique que praxique : nous donnerons in fine quelques pistes d'une pratique possible à partir de la "Jouissance musicale".

Quant à la désignation nouvelle, distincte de celle négative et exclusivement déficitaire, elle se constituera en véritable avancée conceptuelle, le mot étant le meurtre de la Chose, en nous permettant d'envisager et d'établir un autre rapport, non plus au "débile", mais cette fois, au sujet de l'inconscient. Un tel rapport viendra modifier la conception commune, comme la prise en charge clinique de la souffrance du handicapé mental et de sa famille. N’avons-nous pas, nous psychistes ou professionnels du médico-social, une responsabilité à démontrer la nécessaire affiliation de l'arriéré profond au monde symbolique du langage signifiant et son accession au statut de "parlêtre" ? Ne devons-nous pas souligner son potentiel langagier malgré ses "faiblesses" dans le dire ?

II)Des impasses nosographiques à la Jouissance comme analyseur

1) D'un malentendu nosogologique

Notre interrogation première se portera sur le statut épistémologique et nosographique du terme même de "déficient mental" : s'agit-il là d'un concept, d'une catégorie au sens de Kant ou de Pierce (Lekeuche, P. 1998) ? D'ores et déjà nous ne pouvons le désigner en tant que tels, le terme de "déficience" ne se constituant pas en concept fondamental, à partir duquel des notions subordonnées à lui pourraient s'articuler, s'ordonner en catégories. Peut-être se résume-t-il, à l'image de la notion d'état-limite par exemple, à une "idée générale" définissant une classe d'objets donnée ou construite, convenant d'une manière identique et totale à chacun des individus formant cette classe (Lalande, A. 1983). Cette terminologie déficitaire colle, en tous les cas, à l'expérience sensible de la chose empirique qu'elle vise à extraire et à penser (Lekeuche, P. 1998). Si elle se constitue en catégorie, c'est sur un registre purement descriptif et non formel, à l'inverse des concepts lacaniens que nous aborderons ci-après. Bref, la déficience correspond au mieux à un concept empirique, dont le statut épistémologique est marqué du sceau de l'expérience "tautologique" de la Chose observée, et pris au piège de la clinique du regard : l'altération biologique corporelle, physiologique, s'institue en une métaphore de la carence mentale. Le handicap qui "se voit", extériorisé, marqué par le corps, reflète le handicap mental interne. Le corpus analytique freudo-lacanien en se constituant en clinique du discours, pourrait ainsi venir à la rescousse conceptuelle de la "débilité" (de debilis , faible), cet état permanent d'insuffisance intellectuelle qui ne permet pas de répondre aux exigences du milieu (Postel, J. 1995).

Nous retrouvons ce raccourci entre le mot et la chose, entre réalité abstraite et empirique, au sein de l'histoire nosographique et de modélisation théorique de la déficience. Le modèle historique prégnant de l'arriération, comme le souligne N. Zemmour, est en effet celui de l'anatomo-pathologie du système nerveux (Zemmour, N. 2000, 199-203). Modèle simpliste s'il en est : une déficience grave, une cause organique, un état d'incurabilité suffisent à rendre compte de la pathologie déficitaire. D'un point de vue théorique, le travail est alors taxinomique, aboutissant à une classification en niveau ("Crétinisme", "Imbécillité", "Idiotie") ou bien en type ("Crétinisme myxoedémateux", "Idiotie mongoloïde de Down", "Idiotie amaurotique de Tays-Sachs"...).

En écho à R. Mises 2 , l'auteur souligne l'avènement de réductions et d'illusions qui en découlent : la réduction organiciste (citée ci-avant), sociologisante (qui trouve son point paroxystique dans la réduction du déficit à l'effet d'étiquetage médical ou social) et psychogénétique d'une part, l'illusion "psychométrique" d'autre part (qui trouvera son point d'orgue dans ce lien associatif hasardeux entre niveaux de performances et classes d'ages) (Mises R. et al. 1994).

Ce fourvoiement princeps conduit malgré tout, comme le propose Binet, à la nécessité de compenser ou de combler un retard d'acquisition à l'aide de la pédagogie. Nous voyons là se préciser la notion du terme de déficient : les termes d'idiotie et de débilité 3 renvoient à ces dimensions de fragilité, de faiblesse inaugurales à celle de déficit. Le point commun entre ces réductions-illusions, sur un plan historico-théorique, réside dans l'éviction de la dimension du sujet que nous allons tenter de réintroduire.

2) De la psychiatrie à la psychanalyse

Névrose, psychose et perversion : telles sont les structures cliniques proposées par J. Lacan, dans la droite ligne de la pensée freudienne, afin de rendre compte du rapport au monde et à la castration du sujet, de la modalité du lien qui unit chacun au réel, à l'imaginaire et au symbolique. Le déficient, quant à lui, est désigné par un "trouble du développement", une "dysharmonie cognitive", soit une incapacité, un déficit, un défaut dans son rapport au monde symbolique. Dès lors, l'éducateur, le médecin, le psychologue et le psychanalyste qui se penchent vers lui dans cette attitude courbe qui caractérise la clinique, ne parlent pas de la même chose. Le fait d'associer au déficit de pensée, une pathologie (psychiatrique) psychotique -qui s'avère le plus souvent déficitaire ou infantile- ne change rien à la sous-désignation signifiante que les termes de déficient mental, de débile, ou d'arriéré, véhiculent.

Un débat récent au sein de l'institution nous a amené, en nous inspirant de la controverse de Valladolid (les "sauvages" ont-ils une âme ?) à poser la question, qui dépasse le cadre médico-social pour s’étendre à celui de l'humanité toute entière : les handicapés ont-ils une pensée ?

N'y aurait-il pas matière (et enjeu) nosographique d'une part à le "traiter" autrement que par le terme de déficient, d'autre part à nous exercer à penser la prise en charge d'un sujet structuré sur un de ces trois modes ?

Afin de répondre à ces questions, nous avancerons dans notre recherche, en nous attachant au rapport spécifique du déficient à la castration.

3) L'entêtement phallique ...

Le Phallus, c'est (d'abord) le corps, en tant qu'il n'est pas barré par la castration (Braunstein, N. 1992, 147) 4 . L' infans est donc dans un premier temps en position de Phallus, en tant qu’il incarne ce qui vient manquer à la mère dans le fantasme de complétude imaginaire qui les unit tous deux. Dans un second temps, sous l'égide du processus de la métaphore paternelle, le pré-sujet, comme la mère, subiront les effets de la castration. A contrario de Freud, pour qui seulement l’enfant était concerné par la coupure castratrice, elle concerne pour Lacan, les deux protagonistes. Le sujet sera alors débouté de sa position initiale, son désir sera orienté vers le père, (ou plutôt sera vectorisé vers la place signifiante qu'occupera "Un père") en tant que ce dernier est porteur du dit Phallus, vers lequel se tourne le désir de la mère.

Enfin, nous pouvons déduire un troisième temps logique au sein duquel l'enfant, qui est passé d'une dialectique de l'être (phallique) à celle de l'avoir (possesseur du Phallus) intériorisera le manque de l'Autre parental : "il n'y a pas d'Autre de l'Autre" écrit Lacan (Lacan, J. 1958-59). L'Autre, en tant que soumis à la Loi de la castration, est manquant ; il ne dispose pas de tous les signifiants pour désigner la vérité, la totalité du réel du sujet.

Au passage, l' infans aura obtenu son billet d'entrée dans l'ordre symbolique, celui de la Loi de la castration, accèdant au langage et à une place dans la généalogie, celle d'un devenir père.

A partir de Lacan, nous proposons de décrire un tel parcours par les formulations suivantes (Lacan, J. 1962-63) :

S A (premier temps)

S A¤ (deuxième temps)

S¤ A¤ (troisième temps)

En cas de handicap décelé - mais pas seulement, comme nous l'enseigne la clinique des psychoses-, le processus de la castration achoppe, la symbiose originelle demeure, le sujet accède difficilement à l'ordre symbolique du langage. La dialectique de l'être perdure au détriment de celle de l'avoir. Le sujet reste en place de Phallus, désarrimé de la castration, hors la Loi de l'interdit de l'inceste. Ni lui, ni l'Autre ne sont barrés, c'est à dire manquant. Le pré-sujet reste enkysté au premier temps de la castration (S A). Cette altération de la dimension du manque, désoriente le mouvement du désir lié à la condition de "parlêtre". Nous voyons là se dessiner une proximité structurelle entre la déficience et la psychose : le rapport spécifique à la Loi, compromettant l'instauration du manque indispensable au mouvement du désir, comme la relation symbiotique à l'Autre originaire, en découlent. Même si le Phallus introduit d'emblée une dimension tierce entre la mère et l' infans (Lacan, J. 1957-58 , 285-86), nous devons donc tenir compte du rapport fusionnel qui persiste, engendrant des troubles dans la relation au temps (Assabgui, M. 2001), liés au non-avènement de la fonction castratrice et de l’opération « Nom du Père ».

Damien, adulte trisomique, s'est engagé sur la voie régressive qui l'a amené à la mort, déclin inéluctable amorcé à partir du décès de sa mère, survenu quelques années plus tôt. Les somatisations multiples et répétées furent initialement interprétées comme une faiblesse (le debilis ) physiologique normale, due au vieillissement accéléré caractéristique de la trisomie. Au vu du lien établi au sein de l’histoire traumatophile du sujet, elles durent ensuite être mises au compte de cette séparation originelle impossible à l’Autre maternel. Si l'institution, de par le rôle pseudo-parental qu'elle joue auprès du déficient, peut se révéler en tant que rivale dans le fantasme éducatif et générer un état de tension conflictuel entre les professionnels et les parents, il n'en reste pas moins que cette modalité de rencontre se constitue en lien, susceptible d'être maintenu et travaillé transférentiellement auprès du sujet (et de ses parents). L'équipe est alors désignée à une certaine place (fusse celle de "mauvais éducateurs"), interpellée et mandatée par l'Autre parental à réaliser (ou pas) sa mission éducative et thérapeutique. Pour ce qui concerne Damien, justement parce que l'équipe n'a pu être investie (ou désinvestie) transférentiellement par la famille, disparue, elle n'a pu l'être non plus par Damien lui-même. Sa détérioration progressive n'a pu qu'être freinée. L'unique mission que nous avons pu accomplir -qui n'est pas la moindre- a été de nous constituer en lieu de vie où Damien pouvait mourir en paix.

L'histoire de Damien nous enseigne ceci : le sujet reste arrimé à la Chose, cet Autre originaire qui prendra les traits de la figure maternelle.

5) ... Ou un enkystement du rapport à la Chose

Freud identifie la Chose ( Das ding ) au noyau du Moi, inaccessible par voie de remémoration (Freud, S. 1895). Première expérience de l'Autrui, non-représentable, elle laisse des traces. Pour J. Lacan, elle participe à la compulsion de répétition dans le cadre de la pulsion de mort, qui fera son oeuvre comme tendance à vouloir rencontrer la Chose à travers « l'éternel retour du même » (Lacan, J. 1959-60). Cette modélisation de la dynamique psychique n'est pas sans rapport avec le fantasme originaire de réintégration du sein maternel proposé par Freud. A ce titre, la Chose représente la mère en tant que souverain bien, objet de l'inceste interdit au sujet : « Désire l’absolu auquel tu devras renoncer parce qu’il t’est interdit et dangereux ! » (Nasio, J-D. 1992, 194). Ainsi, la Chose n'est pas un (simple) objet perdu, mais plutôt un trou, un vide empli par la vérité originaire du réel du sujet. C'est pourquoi la rencontre de la Chose est toujours ratée : le sujet qui, malencontreusement, s'en approche, alors que la Loi défaille, rompant les barrières du principe de plaisir, ne pourra que s'abîmer dans la Jouissance dont son vide regorge. L'éprouvé de satisfaction -différent du plaisir ou du déplaisir- constitue le substrat de la Jouissance.

Au mythe freudien de la pulsion, Lacan substitue donc celui de la Jouissance (Valas, P. 1998, 137). A partir du concept de Chose, nous abordons ainsi les rives de la Jouissance, et précisons notre hypothèse princeps : la Jouissance incestueuse du rapport à la Chose perdure chez le déficient.

6) De la Jouissance aux Jouissances

a) Jouissance de "l'être"

Définir brièvement le concept lacanien de la Jouissance n'est pas chose aisée. Nous pouvons, en guise d'introduction, souligner deux de ces caractéristiques :

- Malgré sa connotation sensualiste, elle n'équivaut pas à un affect ou une émotion vécue. A la différence du plaisir ou du déplaisir, elle demeure inconsciente.

- La Jouissance est autoérotique, dans la mesure où elle se suffit à elle-même. En termes freudiens, le but visé par la pulsion est la même chose que l'objet servant à y parvenir (Nasio, J-D. 1987, 85).

Cependant, Lacan au cours de son cheminement conceptuel, va mettre un pluriel à la Jouissance. N. Braunstein établit un distinguo utile à notre démonstration entre la Jouissance de l'être (de la Chose, mythique), la Jouissance phallique (du signifiant, langagière) et la Jouissance de l'Autre (ineffable, de l'Autre-sexe, qui est toujours le féminin) (Braunstein, N. 1992, 154).

La jouissance phallique, liée à la parole, au langage, et à ce titre hors-corps, est un effet de la castration. Elle sépare et oppose deux jouissances corporelles, hors-langage, la jouissance de l'être, perdue, antérieure à la signification phallique, et celle de l'Autre-sexe qui ne se perd pas par la castration, mais qui se situe au-delà, indicible et inexplicable, car liée à l'énigmatique jouissance féminine que le mythe de Tirésias véhicule. Il ne s'agit pas pour nous de distinguer une Jouissance pure, pré-langagière et une autre post langagière, située dans le corps et hors du champ du langage (Valas, P. 1998, 78). Une telle conception de la Jouissance s'établirait à partir d'un clivage réalité interne/réalité externe ou plutôt d'un réel conçu uniquement en tant qu'extérieur originel du pré-sujet, et n'apporterait guère d'avantages à la théorie des stades du développement. Au contraire, nous mentionnerons que le rapport à l'Autre originaire, en se maintenant, confronte le sujet à un éprouvé "désubjectivant" et "déshumanisant" car annihilant toute parole. Dès lors, l'achoppement du procès de la castration propre au déficient, nous permet donc de soutenir l'hypothèse d'un enkystement de cette Jouissance de l'être, issue du rapport à la Chose et de proposer une nouvelle piste conceptuelle : la Jouissance du déficient e(s)t celle du corps.

b) Un corps de Jouissance

La Jouissance, classiquement est, par définition,"hors-corps" (Nasio J-D. 1987, 87), au sens où elle ne suit ni les fluctuations physiques de l'âge, ni celles des maladies ou des changements : la recherche de Jouissance persiste de façon constante. Cependant, si elle abolit le corps vivant et sexué, elle a néanmoins besoin de lui pour se réaliser, y prendre sa source. Tout en étant hors-corps, elle est dépendante de lui pour être générée. Le cantonnement à la Jouissance de l'être propre au déficient, au détriment de celle phallique ou de l'Autre-sexe, nous incite à donner à son corps, vecteur de Jouissance, une place déterminante.

La Jouissance ne se limite pas à une expérience de satisfaction ou d'insatisfaction, elle est indifféremment l'une et l'autre, l'une ou l'autre. Autrement dit, la jouissance s'entend comme un excès, une surtension pulsionnelle, une tension extrême, comme vient l'illustrer la douleur. "Ce que j’appelle jouissance au sens où le corps s'expérimente est toujours de l'ordre de la tension, du forcement de la dépense, voire de l'exploit. Sans aucun doute il y a de la jouissance au niveau où commence à apparaître la douleur et nous savons que ce n'est pas qu'à ce niveau de la douleur que peut s'éprouver toute une dimension de l'origine qu'autrement reste voilée" (Lacan, J. 1957-58, Séance du 5 mars 1958).

La dimension du corps, d'un corps douloureux et malade, la prégnance de la corporéité en tant que caractéristique de la Jouissance, n'est pas sans nous interroger. Certes, la composante génétique, les accidents somatiques (infectieux, traumatiques, viraux, …) facteurs causals du déficit par atteinte organique, nous permettent de comprendre l'omniprésence de maux corporels, comme le réel d'une fragilité somatique qu'il ne s'agit pas de nier.

Cependant, cette « corporéité » nous éclaire de façon hypothétique sur la détermination historique –inconsciente- du modèle organique, biologique, physiologique propre à l'arriération. La vérité ontologique du symptôme médical, dans son acception nosographique déficitaire et organique, est liée, peut-être issue, du réel de Jouissance de la Chose.

Par ailleurs, via la Jouissance, nous saisissons l'importance de la mise en avant du corps par le déficient. La défaillance du procès de la castration et de l'entrée dans le monde symbolique de la parole et du désir, oblige celui-ci à "dire" à travers le corps. Si ce dernier parle tant, ce n’est pas au nom du désir, mais en tant qu’expression de la Jouissance. Le rapport à la Chose, à son vide empli de Jouissance, rompt le fonctionnement du principe de plaisir, régulateur de la psyché. Bref, La jouissance est ineffable, hors la loi (du langage), traumatique. Elle réside dans cet excès ( "trop-matisme" ) qui est un trou(- matisme ) dans le symbolique (Lacan, J. 1974-1975) 5 . Et ce trou marque le lieu de l'insupportable. Sa persistance provoque en effet une sorte d'auto-intoxication à la Jouissance, libérable non pas sur la scène psychique des représentations symboliques, via la parole, le signifiant dont la mission est de la canaliser, mais directement sur la scène brute du réel du corps : surviennent les lésions et les complications somatiques multiples propres au déficient.

L’hypertonie de l’Eros, extrêmement fréquente chez toutes les catégories de malades mentaux, et qui nous est révélé par le test du Szondi (Melon, J. 1975, 63) s’origine également, pour ce qui nous concerne, dans cette Jouissance de l’être qui emprunte le corps dans son expression. En effet, l’incapacité ou l’impossibilité de réaliser la satisfaction érotique dans une relation amoureuse, entraîne une stase de la libido aux effets divers : transformation de l’excitation en angoisse, passage à l’acte violent, conversion, somatisation, auto ou hétéro-destruction, retrait hors du monde …

Qu’elle soit névrotique, psychotique ou perverse, la solution pulsionnelle choisie répond à la nécessité de se débarrasser du malaise insupportable que détermine la tension libidinale. Le pulsion que nous remplaçons donc par la Jouissance, ne peut être canalisée, pacifiée par le symbolique propre au signifiant et à la rencontre de l’altérité. Au lieu des mots s’actent les maux du corps, ou de la violence agie. Ce constat de Jouissance nous permet de suivre à présent diverses pistes théorico-cliniques.

III) Les implications cliniques du côté du sujet et des professionnels

1) Du point de vue de la prise en charge éducative

Puisque le désir est du côté de l'Autre et la Jouissance du côté de la Chose (Lacan, J. 1964, 853), alors le rôle du clinicien, comme de l'éducateur, consiste à réinjecter du désir, du langage, de l'ordre symbolique chez un sujet qui en est originellement carencé. Le travail d' "hominisation" (Melon, J. 1975, 29), d'humanisation, à l'image de celui proposé par J.F Gomez 6 , illustre une telle logique. Nous assistons là, à un premier déplacement du terme de déficient, qui désigne non plus une altération de la pensée, du mental, mais un déficit d'humanisation.

C'est également la démarche des éducateurs parentaux, qui s'efforcent de réarticuler l'enfant handicapé au monde des adultes. Cependant, ces efforts ont tendance à résider essentiellement du côté éducationnel, pédagogique, à doter la personne -distincte du sujet- de bases intellectuelles et de règles sociales lui permettant de s'adapter au mieux à la vie en société. Cette visée normative, nécessaire et utile, qui est la tâche incombant aux parents, ne doit pas être celle, exclusive, des professionnels. Ceux-ci doivent en effet y inclure un processus de subjectivation, une reconnaissance pleine et entière du sujet, digne d'éprouver le manque et d'intégrer les contraintes propres à sa condition humaine : le sujet n'est pas handicapé, a contrario de la personne, i.e du Moi.

Un tel processus s'avère difficile, souvent impossible, à concevoir et à réaliser pour les parents, affectés par la naissance d'un enfant handicapé. Chez l'éducateur qui y est quotidiennement confronté, la persistance de l'incestueux rapport à la Jouissance propre au déficient est lourde de conséquences. En effet, celui-ci présente, à même le corps, cette Jouissance de l'être, intolérable pour l'autre, l'éducateur ou le psychologue, qui a priori s'en est a minima écarté, afin d'accéder à celles phallique et de l'Autre-sexe, révélatrices de la Loi du langage. Le Phallus, c'est le corps non barré par la castration (Braunstein, N. 1992, 147).

Nous faisons l'hypothèse que les ressentis de gêne, de honte, les affects d'angoisse et de haine observés dans le rapport au déficient, sont liés à la rencontre d'une Jouissance insupportable. Le corps du déficient, est, comme nous l'avons noté, corps de Jouissance. L'éprouvé de honte produit par la « monstration » du corps du "débile" (à l'occasion d'une exposition sociale par exemple) s'origine, à notre avis, dans ce rapport insupportable à la Jouissance : si le Moi détourne la vision du corps difforme du déficient, c'est bien le sujet qui ne peut diriger son regard, confronté qu'il est au réel d'une Jouissance indicible et incestueuse, contre laquelle chacun de nous, en tant que «parlêtre » , tente de lutter, tout en la sollicitant.

Les incidences sur notre mode d'intervention en sont nombreuses. Nous pouvons en citer deux, principales et opposées :

1) Le rejet, le désinvestissement, la mise à distance relationnelle et psychique de la personne handicapée, qui se traduit par une dérive laxiste des actes éducatifs. Sous couvert d'un discours libertaire, moderniste, l'éducateur désinvestit la rencontre, les dimensions du "dire" et du "faire" : on ne s'occupe plus de lui au et dans le quotidien, en ce qui concerne son manque d'autonomie (toilettes, hygiène, actes de la vie courante, etc...). Cette conséquence du rapport -continu- à la Jouissance s'apparente à l'éprouvé dépressiogène décrit par de nombreux auteurs (Zemmour, N. 2001).

2) La rigidification du dispositif et du mode d'intervention. Elle se traduit par une multitude de règles, d'interdits, d'injonctions, qui, sur un mode "surmoïque" tyrannique, visent à se défendre, dans l'illusion de maîtrise et de toute puissance, de la Jouissance insupportable de l'autre. Il s'agirait ici a contrario , d'une défense de type maniaque, où l'on s'active -stérilement- autour du déficient (Zemmour, N. 2001). Ainsi voit-on apparaître un mode de pouvoir éducatif exercé sur le "débile", qui s'apparente mieux à la technique de dressage qu'à celle d'une éducation subjectivante. Pallier au défaut de pensée (et non de castration) du déficient, par de multiples apprentissages, obéit en effet à cette logique unilatérale, dénoncée par la terminologie nosographique du terme utilisé, à savoir celle de « combler le déficit », d'améliorer cet état permanent d'insuffisance intellectuelle propre à la débilité. Fi du désir et de la parole, elle instrumentalise le langage en tant qu'outil de communication, où justement l'arriéré profond reste « incompétent » quant à l’expression de ses « habiletés verbales ». Elle implique une pratique clinique et éducative de réparation, de maintient (des acquis), d'étayage. Nous interpréterons celle-ci, dans sa forme exclusive et "jusqu'au-boutiste", en tant que mécanisme de défense face au vide de la Chose déficitaire, de mise à distance de la Jouissance qui l'emplit, vide qui doit être comblé par les actions maniaques du dire et non les actes de parole symboligènes éducatifs.

Ces deux conséquences de l'immersion (professionnelle) dans la Jouissance de l'autre, sont à interpréter en tant que défense individuelle ou collective (d'équipe). Il s'agit, en effet pour l'humain, d'ériger des barrières protectrices à la Jouissance. Celles-ci peuvent être adaptées et cohérentes ou bien inadaptées et pathologiques (à l'image des rituels obsessionnels par exemple, qui tentent de maintenir l'appel incessant du « jouir » à bonne distance). Chacun de nous, en effet, doit se préserver de cette Jouissance mortifère, hors la Loi car incestueuse. Lacan insiste dans le séminaire traitant de l'Ethique, sur une telle nécessité : " (...) nous nous contenterons de dire, du point où nous en sommes, que le buisson ardent, c'était la Chose de Moïse, et de la laisser là où elle est" 7 , à bonne distance de soi, i.e du Moi (Lacan, J. 1959-60, 205).

Les institutions accueillant le handicapé mental ont donc pour devoir de protéger les professionnels qui y travaillent d'un tel rapport désubjectivant, en se dotant d'outils d'expression, d'analyse et de traitement des situations qui confrontent chacun au (risque de) débordement pulsionnel, de l'excès, caractéristique de l'expression "jouissive". La Jouissance sado-masochiste dans laquelle n’importe lequel de ses membres peut être pris (passage à l'acte, paroles invalidantes ou insultantes, conduites avilissantes...) en est une des meilleures illustrations. Quant aux effets de " burn-out ", d'épuisement et d'usure professionnels, ils ne nous paraissent pas tant naturels qu'institutionnels, plutôt révélateurs de la manière consciente et inconsciente, du style de la structure d’accueil à faire parler le Désir au détriment du jouir. A cet effet, les différents apports issus du courant de la psychothérapie institutionnelle, dans la mesure où ils présupposent l'existence de l'inconscient -et donc de la Jouissance-, nous paraissent princeps . 8

2) Du point de vue du « jouisseur »

Si la défectuosité de l'opération Nom du Père, l'échec de la métaphore paternelle, comme le déclin de la fonction paternelle, ont été maintes fois décrits et utilisés au sein du courant analytique freudo-lacanien dans les champs de la clinique et du social, il nous semble que peu d'auteurs ont insisté sur le revers de Jouissance qui l'accompagne, et plus particulièrement sur les conséquences directes d'une prolongation de la Jouissance de la Chose "maternelle".

Du point de vue du sujet, terme impropre ici puisque justement le "jouir" prend la place du désir subjectivant, nous attirons l’attention sur ceci : la Jouissance se constitue en véritable gain pour le jouisseur. Autrement dit, le sujet ne veut pas renoncer à sa Jouissance. La déficience se présenterait donc, à l'inverse de sa désignation déficitaire, comme un "plus de jouir". Ce qui implique que la tâche de l'éducateur ou du psychologue, ne réside pas tant dans un "stakhanovisme" rééducatif visant à combler un déficit, qu'à creuser du côté de l'émergence du manque, moteur du désir, d'un "en moins", celui de la castration. C'est pourquoi, le Phallus, ultérieurement, prendra un sens différent de sa définition initiale, à savoir, celui du nom donné au signifiant qui dévie de la Chose vers les objets du désir (Braunstein, N. 1992, 91). Ainsi se présente-t-il comme un équivalent du Nom du Père, impliqué dans l'opération du même nom.

Nous allons donc traiter dans un premier temps, du rapport spécifique au manque, de sa rencontre dans l’Autre (S A¤), non pas tant à partir des notions du Nom du Père et de la forclusion psychotique, qu’au travers des catégories lacaniennes du manque. Ces dernières nous apparaissent en effet plus pertinentes à rendre compte de la singularité du fonctionnement psychique du déficient puisque sa structure n’est pas nécessairement psychotique.

Nous aborderons ultérieurement le corps proprement dit de notre démonstration, à savoir l’existence d’une clinique subjectivante possible à partir du concept de Jouissance.

3) Du point de vue du sujet

a) Le manque à la place du déficit

Les catégories du manque définies par Lacan 9 peuvent se décliner de la façon suivante (Lacan, J. 1957-58) :

- La frustration est imaginaire mais porte sur un objet réel. Ainsi le réel anatomique du sexe, (comme l'interdit oedipien), provoque t-il chez la femme une frustration (imaginaire) d'être doté d'une réalité du pénis.

- La privation est un manque réel qui porte sur un objet symbolique. Celle par exemple d'avoir un enfant du père, enfant qui prend justement valeur de symbole.

- la castration quant à elle, se réalise via l'amputation symbolique du sujet d'un objet imaginaire.

Pour ce qui concerne l’objectif de notre travail, nous pouvons tout d’abord souligner la carence de la dimension castratrice auprès de l'enfant déficient, au profit de celle de la privation , voire de la frustration , qui, dans l'imaginaire parental et rééducatif, se substituent à elle. La confrontation des parents au réel du handicap, induit en effet une souffrance indéfectible, une blessure narcissique douloureuse qui parasite la relation parents/enfants, et entrave voire anéantit, toute confrontation de l’ infans à la Loi et au manque.

Nous réfutons donc d’une part, les conceptions, telle celle proposée par B. Gibello, qui aborde la déficience en tant qu'une "anomalie de l'intelligence avec structuration anormale des contenants de pensée" (Gibello, B. 1984, 80). En effet, en insistant sur l’aspect cognitif déficitaire, ce type de conceptualisation a pour effet de valider la représentation « débilisante », prototypique d’une anormalité irréversible et déshumanisante, celle-là même qui empêche la rencontre de l’enfant et de l’Autre parental. Le déficit, n'est pas exclusivement mental. Si déficit il y a, il concerne le rapport à l'altérité et à la castration.

Nous nous dégageons également de toute praxis clinique orientée vers un travail de deuil du handicap, au profit d'une démarche de subjectivation et de réintégration de la fonction castratrice. L'introduction aux catégories du manque pourrait donc se constituer en objectif général de prise en charge éducative et clinique auprès du déficient.

Une anecdote ramenée par N. Zemmour, analyste auprès d'adultes déficients, nous paraît illustrer notre propos. La scène est la suivante : un éducateur vient se plaindre du bruit nocturne fait par un résident, qui aurait empêché son voisin de chambre de dormir. L'analyste réagit alors en pointant que lui-même, à son domicile personnel, était parfois dérangé par des fêtards venant troubler son sommeil. Pourquoi n'en serait-il pas de même pour tout un chacun, déficient ou pas ? Le professionnel doit-il nécessairement réguler les affres du quotidien caractéristiques de la vie en société ?

La Loi, la pacification de la Jouissance propre au langage symbolique, freine, entrave, l'accès direct à la Jouissance. Vouloir en préserver le déficient sous couvert d'action éducative salutaire, consiste à le maintenir "hors la Loi". Puisqu'elle est la même pour tous, nous ne devons donc ni retrancher à la Loi, l'aménager ou la réduire, ni en rajouter (à l'image de l'obsessionnel qui la renforce tyranniquement et rituellement via un surplus de règles). 10

Freud considère en effet, qu'un des évitements princeps de la castration consiste à la considérer comme déjà réalisée. Si la Jouissance représente un gain pour le jouisseur, qui ne peut y renoncer, la non confrontation à l’interdit incestueux du rapport à la Chose maternelle, le pousse donc à jouir. Dans la mesure où la Loi du langage s’adresse peu ou mal au déficient, où le signifiant « engrosse » faiblement le réel, du bios du corps, alors les dimensions du manque, moteur du désir, et de la castration, sont évacuées. Le handicap physique, comme l'écrit Bourdier, peut ici servir de modèle et d'illustration (et Freud y rattache d'ailleurs la féminité) à un tel mécanisme d'évitement (Bourdier, P. 1985, 125-143). Les exemples cités par l’auteur sont ceux liés à une infirmité physique qui confère au sujet un statut d'exception : nous retrouvons ici notre définition initiale du Phallus à savoir celle du corps non barré par la castration. Celle-ci nous immerge dans cette temporalité mythique originaire de la constitution narcissique chez l’ infans .

b) Narcissisme(s) et déficience

En cas de handicap, le narcissisme de l'enfant qui s’origine dans celui des parents, subit une altération importante. Celle-ci touche t-elle indifféremment les deux formes du narcissisme définies par Freud ? Ce dernier distinguait, deux types de narcissisme, primaire et secondaire (Freud, S. 1914). Le premier correspond à ce moment où l' infans investit sa libido sur son Moi. A l'unisson des travaux psychanalytiques contemporains (Haynal, A. 1985, 11-29), nous pouvons définir le narcissisme primaire comme un état anobjectal d'indifférenciation entre le Moi et le non-Moi. Le second, ou narcissisme secondaire, désigne le retrait de la libido sur les objets et son retour sur le Moi. Il désignera donc la capacité (du Moi) à s'aimer. Dès lors, la notion de narcissisme primaire désigne ce premier temps du trajet de la castration, au sein duquel la mère et l'enfant ne sont qu'un, et n'apparaissent pas encore en tant que distincts et séparés. Le déficient n'est donc pas introduit à la dimension d'une "castration symboligène", pour reprendre le terme employé par F.Dolto (Dolto, F. 1984, 78-90). C'est pourquoi, il accède mal au narcissisme secondaire, au statut de sujet, à l'ordre symbolique, et reste englué dans les affres de la Jouissance. En nous servant des catégories lacaniennes du manque, tout au plus pouvons-nous dire que le handicap prend plutôt valeur de frustration chez l'enfant déficient, de privation pour sa mère. Nous avons en effet, préalablement souligné qu' a contrario de Freud, la castration intéresse en effet l'Autre maternel comme l' infans .

En procédant au remplacement du mythe freudien de la pulsion par celui de la Jouissance chez Lacan, comme en articulant le concept de narcissisme freudien à celui lacanien de Phallus, avons-nous pour autant fait progresser notre démonstration théorico-clinique ?

Certes, nous sommes passés d’une idée déficitaire à celle de bénéficiaire de la Jouissance. Ce cheminement nous permet de concevoir la déficience non plus exclusivement du côté de l'absence, de la pénurie de pensée. Nous avons là, nous autres psychistes, théoriciens de la déficience, une responsabilité clinique historique et donc actuelle. Le terme de "déficient"-et Lacan nous aura avertis de l'importance de la désignation signifiante- n'est pas pur produit du hasard. Ne pourrait-il pas s'interpréter au titre d'une "haine de transfert", haine contre-transférentielle (Winnicott, D.W. 1947, 72-82) issue de la Jouissance insupportable, à laquelle chacun de nous est exposé? La haine du débile viendrait se loger là, insidieusement, au fronton inconscient de l'appellation nosographique.

Pourtant si défaut il y a, il réside plutôt sur le versant de l'Altérité. La persistance de l'éprouvé de Jouissance, éprouvé qui ne se perçoit pas, le maintient du rapport au réel de la Chose, a pour effet d'entraver l'avènement de l'Autre du symbolique 11 : Si le langage est soumis à la Loi d'un ordonnancement par la chaîne signifiante, l'Autre est donc bien ce lieu de la Loi du signifiant, véhiculé, chez Lacan, par l'opération Nom du père. Ce tiers-lieu, cette autre scène relevant du symbolique, de la Loi et du langage, est assimilable dans la théorisation lacanienne à la place occupée par Dieu.

Nous voilà à nouveau confrontés à notre controverse première, que nous réenvisageons, cette fois, sur un versant théologique : le déficient a t-il une âme ? Ce questionnement nous instruit d'un point de butée conceptuel que nous devons à présent dépasser : la conceptualisation analytique proposée nous a t-elle véritablement permis de nous dégager de la dimension déficitaire critiquée ?

En effet, si le processus de la castration a achoppé radicalement chez le déficient, impliquant un accès réduit à l'ordre symbolique, alors, c'est qu'il existe bien un déficit structurel, certes d'un autre ordre que cognitif, de pensée, mais cependant "réel". Notre travail ne ferait donc que déplacer le symptôme nosographique, préférant une désignation à une autre, modifiant la forme mais pas le fond. Du point de vue de la sous désignation signifiante que comporte le terme de déficient, comme de l'emploi heuristique de la notion de Jouissance, nous serions donc dans une impasse conceptuelle. Pour en sortir, nous proposons de revenir aux diverses "formes" de Jouissance proposées précédemment, et ce afin de désigner la genèse du rapport de l' infans au monde symbolique. Elle nous plonge dans ces temps mythiques immémoriaux, originaires, où le pré-sujet rencontre le langage, accède au don de parole provenant de l'Autre.

IV) Théorie de la Jouissance et clinique du sujet

1) La Jouissance, induction logique

Nous avons postulé un rapport incestueux à la Jouissance de la Chose propre au déficient, celui-ci étant incarné dans le corps et s’avérant hors-langage. La démarche clinique et éducative visant à initier le déficient à une de ces catégories du manque, spécifiquement celle de la castration, nous oblige à réintroduire la dimension de la Jouissance phallique, en tant que celle-ci est articulée au signifiant, au monde symbolique de la parole. En effet, en se positionnant du côté de l'avènement de la Loi, du manque et du langage, nous pouvons supposer que le jouir délaisse le corps en tant que médium exclusif, pour imprégner le champ relationnel de la rencontre et emprunter l'articulation langagière soumise à la Loi.

Autrement dit, une clinique de la Jouissance se caractériserait par un prolongement de Jouissance de l'être à la Jouissance phallique, par un transfert de Jouissance du corps sur la parole (Braunstein, N. 1992, 108-109).

Or, la charnière entre Jouissance de l'être et Jouissance phallique c'est l'inconscient, qui possède une double fonction :

- Il participe à l’avènement de la Jouissance, en permettant de concevoir rétro-activement à la mise en place du langage, cette Jouissance de l'être.

- Il rend simultanément celle-ci impossible, en la soumettant à la force de la Loi, qui ordonne sa conversion au symbolique langagier. C'est pourquoi, nous noterons au passage que l'inconscient lacanien est structuré comme un langage.

Notre cheminement conceptuel n'est pas chronologique mais logique. Il ne s'agit pas de concevoir une Jouissance pré et post-langagière mais de la penser en tant que vectorisée et établie par des procès mythiques, à partir desquels nous pouvons la formaliser dans sa genèse (Jouissance de l'être) comme du point de vue de l'avènement du sujet de l'inconscient (Jouissance phallique et de l'Autre-sexe). Ces procès vont en effet réorienter et redéfinir le rapport au réel de la Jouissance, en fonction des remaniements et des effets imaginaro-symboliques qu'ils induisent.

L'enjeu théorique consiste donc à modéliser des temps, des épisodes mythiques dans l'histoire de la structuration du sujet, au sein desquels "l'adulte propose à l'enfant des signifiants verbaux, voire comportementaux, imprégnés de significations sexuelles inconscientes" , signifiants qualifiés d'énigmatiques et que Laplanche associe à l'expression non-moins énigmatique du sourire de la Joconde (Laplanche, J. 1987, 630). Ces moments princeps dans l'avènement du sujet (et non du Moi), verront les signifiants verbaux et comportementaux se condenser, se saisir et se constituer en procès mythiques à même de rendre compte des effets de sexuation signifiante et du redéploiement du rapport à la Jouissance. Nous soulignons ici la dimension mythique, et non chronologique de tels procès, qui se démarquent de la logique "naturaliste" des stades ou des étapes du développement.

Cependant, en fonction de nos propos antérieurs, nous nous heurtons à l’écueil théorique suivant : si l’enfant déficient reste en place de Phallus, non-articulé à la castration, signant l'échec de la métaphore paternelle, alors notre démonstration princeps tombe à l'eau. Celle-ci consiste à établir conceptuellement l'ancrage dans le monde symbolique de la parole et du désir chez l’arriéré profond, malgré son défaut de verbalisation langagière. Nous buttons à nouveau sur notre controverse initiale, cette fois posée dans son acception analytique : le déficient a t-il un inconscient ? Peut-on parler d'inconscient chez l'arriéré profond, en tant que concept heuristique fécond ?

Afin de répondre, nous devons revenir à la genèse du rapport symbolique au langage.

2) Des procès qui répondent à la controverse

Lacan, via le stade du miroir, Freud au travers du refoulement originaire (Freud, S. 1895 et 1914), nous proposent deux modèles heuristiques de cette rencontre fondamentale de l'altérité, et du langage symbolique.

A travers le stade du miroir, Lacan nous introduit au procès de l'imaginaire dans son rapport contigu au réel du corps "biologique" et à sa nomination symbolique (Lacan, J. 1953, 323-362). S'il est clair qu'un tel registre procède de la constitution de l'image du corps, ce dernier reste néanmoins subordonné au symbolique : l'image n'existe qu'à être nommée par l'Autre.

Le procès du miroir, comme celui du refoulement originaire, en sont les meilleures illustrations 12 : une parole et une image spéculaire en se greffant sur le corps, l'arrachent au pur réel, pour le faire advenir à un mixte de réel, de symbolique et d'imaginaire.

Cependant, le procès du miroir voit l'avènement de la dimension spéculaire en tant que "produit du regard de l'Autre maternel" (Rassial, J-J. 1999, 89). L'assomption jubilatoire de l' infans se réalise sous couvert du regard de l'Autre, aboutissant à l'unification du réel d'un corps "hors-sexe". A contrario , il "se" produit de la métaphore paternelle au sein du refoulement originaire, caractérisé par l'exclusion du signifiant phallique, porteur des germes de la sexuation, qui, en vertu de la loi de la castration, se voit refuser la prise en charge par le conscient. Dans la droite ligne de la pensée lacanienne, nous privilégions donc, avec A. Didier-Weill, un tel procès dans le cadre de notre approche, dans la mesure où "l'élaboration primordiale de cette mixture se produit, selon nous, pendant l'énigmatique processus de nouage du refoulement originaire, qui, bien avant le stade du miroir, confère au corps une consistance pré-spéculaire plus profonde que celle du narcissisme secondaire" (Didier-Weill, A. 1995, 321).

En optant pour le procès du refoulement originaire au détriment de celui du miroir, nous orientons notre définition du narcissisme vers une consistance langagière, signifiante et non plus spéculaire, validant le primat de la parole sur l'image.

Il nous introduit à la genèse du rapport au monde symbolique de la parole, propre au sujet de l'inconscient, i.e ce bain de langage, qui lui pré-existe et auquel, aussi enfermé autistiquement, il ne peut pas ne pas être articulé.

Cependant, pour que le procès du refoulement originaire advienne, il faut un préalable, à savoir que la transmission du don de parole par l'Autre soit recevable pour le sujet. Cette opération est complexifiée par le statut de handicapé, qui engendre un désinvestissement narcissique de la part des instances parentales ou éducatives ou bien un surinvestissement caractéristique de l’effort d'adaptation demandé. Dans les deux cas, la qualité relationnelle des rapports langagiers (verbaux et non-verbaux) s'en trouve réduite : il ne s'agit pas du sujet mais de la personne "handicapée". Autrement dit, les troubles relationnels portent sur la constitution du narcissisme secondaire, car antérieurement à son édification, comme nous l’avons abordé précédemment, pré-existe un narcissisme -primaire- articulé à la notion de sujet. Celui-ci comme nous l’enseigne la psychanalyse, ne commence pas à la naissance, mais s’origine dans le fantasme parental, et s’inscrit dans l’histoire inconsciente familiale. Le sujet est supposé -exit la « personne déficitaire » et son corollaire d’autonomisation-, du fait d’être pris dans le désir de l’Autre, dont il doit nécessairement répondre (Chemama, R. 1995, 318-319). Ce sujet du désir -et non de la compréhension- est l’effet de l’immersion du petit homme dans le langage, et en tant que tel fatalement soumis à son aliénation. Il n’ex-siste certes qu’au prix de la perte, de la castration, mais se distingue néanmoins de l’individu comme du Moi freudien : il s’agit de l’ infans en tant que symbole du désir qui, pour reprendre une terminologie théologique, l’a engendré et non pas crée.

L'opération du refoulement premier s’origine donc dans cette dimension narcissique originaire, cette première rencontre de l’Altérité qu’offre Das ding . Dès lors, l’enjeu consiste à désigner conceptuellement ce moment mythique majeur, articulé à la Jouissance de la Chose maternelle, anticipant le procès du refoulement et la condition de parlêtre. Antérieurement au procès oedipien de la castration, comme à l'avènement de la fonction phallique, il existe donc un temps logique qui anticipe et prépare la surrection du sujet.

3) De la musique avant toute chose « signifiante »

L'hypothèse proposée par A. Didier-Weill nous permet de désigner cette dimension narcissique originelle, pré-phallique, pré-spéculaire : au sein de la voix maternelle, il y a une musique consonante et dissonante qui rend compte du conflit tragique de la mère, c'est à dire de la façon dont elle même s'est positionnée face à l'appel du signifiant symbolique, à la castration. Au delà du champ visuel propre au stade du miroir apparaît, en effet, un autre champ véhiculé, transporté par la parole, que l’auteur définit en terme de musicalité, de mélodie, de sonorité. La voix de la mère, entendue par l' infans , dans ce qu'elle dit et dans son au-delà (contenu dans la mélodie du timbre) pourrait transmettre un savoir sur la privation, la souffrance de celle-ci dans son propre rapport au traumatisme initial de la différence des sexes. C'est dans cette logique que nous interpréterons la formule de Freud : "tout traumatisme est sexuel" . Il y a là transmission du réel d'un manque de signifiant au sein même de la présence de la mère (S A ). Au trou, au manque réel (de signifiant) rencontré dans l'Autre se substitue donc - dans la mesure où la parole est transmissible- un manque symbolique en soi. Au traumatisme de l'absence de la mère que le sujet met en scène et représente afin de la maîtriser à travers le Fort/da, se substitue l'absence dans la présence de la mère.

Nous distinguons donc, en nous référant à cette hypothèse, un rapport originel, archaïque du sujet au signifiant, au langage symbolique, qui, par le réel de la voix maternelle, porte les conditions du désir procédant à la signification ultérieure du Phallus. Ce qui est advenu au trauma sexuel serait porté par la parole de la mère, à l' infans . Le signifiant, l'ordre symbolique du langage contient donc les germes de la sexuation propre au refoulement du signifiant phallique.

4) Avènement du sujet de l’inconscient et (re)composition (musicale) narcissique

Si voix de la mère contient en effet les germes de l'avènement du sujet, nous pouvons soutenir l'existence d'un rapport au monde symbolique du déficient qui, avant d'être désigné en tant que tel, est d'abord infans , c’est à dire articulé à l’ordre symbolique, à cet Autre originaire, la Chose, rencontre première de l’altérité. Ce rapport premier à l'altérité et au langage subsiste, irrémédiablement, aux fondations du sujet.

Le handicap engendre t-il un effet dénarcissisant capable de balayer ce dernier dans ses fondements ?

L'hypothèse d’une contamination symbolique du pré-sujet, par le réel de la voix maternelle, affecte le premier niveau narcissique ou narcissisme primaire. Nous pouvons donc en déduire que l’avènement du sujet s’origine dans l’inconscient maternel, en tant que celui-ci, via la voix de la mère, « dit » véritablement quelque chose de l’histoire et du rapport intime à la castration –et à la privation- de celle-ci. Cette relation première, au sein de la dynamique inconsciente inter-subjective, concerne l' infans en tant que symbole, autrement dit de Phallus. A ce titre, c'est donc bien du sujet , dans sa constitution en tant que tel, dont il est question, et non -encore- du Moi.

C’est pourquoi, la notion de Jouissance de l'être, mais aussi celle de Jouissance phallique, "l'en plus de jouir", nous paraissent se constituer en alternative conceptuelle face à cet «en moins » que véhicule la sous-désignation de « déficient mental ».

En définitive, la piste d’ A. Didier-Weill, que nous avons emprunté, avant que de déboucher sur des propositions de praxis cliniques, résout nos controverses en répondant à nos différents questionnements. Elle confirme la pertinence de notre démonstration ainsi que nos hypothèses précédentes :

a)- Le sujet de l'inconscient existe, fut-ce chez l'arriéré profond. Il implique un rapport originaire au monde du symbolique, de la parole et du signifiant contenu dans la mélodie de la voix maternelle.

b)- Le sujet, fut-il déficient, n'est pas handicapé a contrario du Moi. L'enjeu de la transmission signifiante du conflit maternel, de la différence des sexes, véhiculé par la voix, à un niveau archaïque, premier et originel se constitue en piste de travail clinique auprès du sujet : quelque chose subsiste de sa condition de « parlêtre », de sujet, antérieurement à l’édification du Moi. Cette dimension nourrit l’approche langagière analytique, et se constitue ainsi en orientation clinique princeps tant auprès du sujet -fi du handicap- que des instances parentales. Elle s'origine en effet, au sein d'une dynamique inconsciente propre au narcissisme primaire antérieure à la désignation identitaire du handicap (narcissisme secondaire).

c)- L'inconscient et la Jouissance sont des opérateurs conceptuels valables nous permettant de déduire logiquement l'avènement du sujet de l'inconscient chez le déficient, ainsi qu'une clinique analytique possible auprès de lui.

5) Une clinique du sujet à partir de la Jouissance 14 ?

Si la "Jouissance musicale" propre à la sonorité maternelle est première, originaire, alors nous devons en tenir compte dans l'élaboration de notre praxis clinique. Le procès du refoulement originaire, la transmission du don de parole de l'Autre est déterminée qualitativement par la mélodie et le rythme de la voix maternelle. Cette musique originelle autorise ce processus lacanien d'identification au trait unaire, identification majeure car elle appartient indissociablement au réel et au symbolique. Elle nous permet "d'entendre" la musique dans sa double appartenance, à la fois du côté du réel de la Jouissance propre à la pulsion invoquante, ainsi que de celui de son pouvoir symbolique de nomination. En effet, ce processus identificatoire originel et partiel à l'objet perdu, désigne le signifiant dans sa forme élémentaire, à savoir le son, dans sa composante distinctive et unitaire qui lui donne chez Lacan, sa définition même.

Ainsi, lors d'un précédent travail (Cabassut, J. 2002), avons nous pu mettre en évidence que le médium musical dans son lien à la pulsion invoquante, à la voix en tant qu’objet a, (Lacan, J. 1963-64) permettait de renouer le réel au symbolique, la Jouissance à la parole. Cette connexion s'articule à la genèse des deux formes de Jouissance (de l'être et phallique) précédemment définies. Le pouvoir de la musique, en effet, réside dans la possibilité de commémorer ce temps primordial où le sujet, avant de recevoir la parole, reçoit préalablement une souche, une racine sur laquelle pourra en second temps germer la parole. L'élément musical, s'il ne représente pas le sujet, tel le signifiant 15 , nomme néanmoins ce qu'il a de réel. La musique se constitue donc en cet au-delà sémantique, symbole zéro d'un signifiant sans signifié, qui, tout en échappant au pouvoir de nomination du langage, se constitue en "nom premier".

L'utilisation par les sociétés primitives de la musique afin de soigner la folie, chants associés à la danse, à des phénomènes de transes (Didier-Weill, A. 1995, 254-255), souligne la pertinence de notre questionnement. Nous y voyons là une confirmation de notre hypothèse, et une ouverture à différentes pistes cliniques concernant la prise en charge analytique de "l'arriéré".

La sensibilité extrême de bons nombres de déficients à la musique, leur résonance à son appel, nous invite à nous questionner. Les stéréotypies gestuelles de balancements, qui sont celles de Pierre, adulte trisomique à l'accès restreint à la parole, qui passe son temps à écouter de la musique et à "bouger", face au poste émetteur, ne doivent donc pas être interprétées à titre de simple défense contre l'angoisse. Elles se constituent en manifestation "présentielle" de l'Autre auprès du sujet. La musique retentit en lui comme ce Nom premier du sujet, intraduisible, qui lui procure une certaine consistance symbolique, en faisant apparaître distinctement le symbolique du réel, et ce, avant toute nomination langagière.

Il en est de même pour Christian, jeune adulte autiste n'ayant pas d'accès à l'expression verbale, à qui nous avons proposé une prise en charge de type musicothérapeutique 16 . Alors que le musicien, hautboïste, jouait, Christian entamait un chant, une prosodie autour des signifiants "I" et "A", constitutifs de son nom. N'était-ce pas là, sous la prégnance de la musique, portée par la mélodie, plongée dans le bain sonore qui n'envahit pas "traumatiquement" le sujet mais le berce plutôt, une première mise en forme signifiante, une tentative de réinscription dans le monde symbolique du langage ?

Ce fragment de séance d'atelier musical, nous conduit aux modalités d'expression transférentielle du déficient, vectorisées par le médium musical. Il implique que quelque chose d'une dynamique transférentielle peut émerger dans la rencontre avec lui, grâce au son qui constitue le phonème du signifiant. Or, ce n'est pas comme matériel sonore ou comme trace auditive que le signifiant insiste dans l'inconscient, mais seulement en tant qu'il est inscriptible comme phonème (Lacan, J. 1961-62). La musique se constituerait ainsi en un transfert au plus proche du réel et de la Jouissance, tout en maintenant son inscription dans le champ du symbolique : le transfert, chez Lacan est transfert de parole, et non d'affects, d'émotions ou de pensées (Lacan, J. 1953-54).

En définitive, le récit de Christian nous instruit, du point de vue de notre approche, de la validité des concepts d'inconscients, de transfert et de Jouissance propres à la modélisation d'une clinique analytique auprès de l'arriéré. Il fait de nous son obligé, celui d’humaniser, via la parole, notre rapport à lui, même s’il n'accède pas à tous les signifiants verbalisés : le réel de la voix porte le sens nécessaire à la rencontre inter-humaine. Dès lors nous pouvons logiquement en conclure que si celui-ci n'a pas accès à l'expression verbale, il s’inscrit inévitablement dans le langage, l'ordre (fut-il succinct) du symbolique et du signifiant. La confirmation d'une appréhension et d'une articulation au monde du sens, est riche en perspectives cliniques et éducatives : elle permet de nous dégager d'une clinique à visée restauratrice, orientée "normativement" et exclusivement sur les apprentissages cognitifs, au profit d'une clinique du sujet, à visée thérapeutique (élaborée à partir de la Jouissance).

V) Conclusion

L’objectif premier de notre travail est d’éviter de se constituer en déni de la déficience, comme en rejet de la souffrance qu’elle engendre. Il vise, au contraire, à répondre aux parents désorientés, parfois détruits par le handicap de leur enfant et qui crient leur désespoir au clinicien : "vous ne pourrez rien changer, vous savez il est né comme ça".

Ce désespoir, compréhensible, est souvent repris en écho par les professionnels qui travaillent auprès de l'arriéré profond, qui hésitent à lui parler, parce "qu'il ne comprend pas tout" , à jouer, à vivre avec lui, tant les idées de faiblesse, de fragilité contenues dans le terme de "débile", comme la notion d'un "déficit d'intelligence" (Gibello, B. 1984) sont prégnantes et font office de modèle. La sous-désignation du signifiant "déficient", les mouvements dépressifs ou maniaques observables dans les équipes sont interprétables en tant que défense face au vide de la Chose déficitaire : "on n'y peut rien changer" . La Jouissance qui en découle expose chacun à ne pas renoncer à son désir, celui de subjectiver la prise en charge du "débile". Nous autres, psychistes, intervenants auprès de déficients, devons institutionnellement et intimement lutter contre notre propre tendance à la Jouissance incestueuse, peut-être en parlant de déficit d'altérité ou d'humanité...

Notre présent écrit, a pour objectif de démontrer conceptuellement que malgré la faiblesse de verbalisation, le sujet par définition est non-déficitaire. Il s’inscrit nécessairement dans le monde symbolique de la parole, du désir et dans celui, réel, de la Jouissance. A ce titre, l'arriéré partage la condition de "parlêtre"... et cette exigence du «jouir » avec chacun de nous.

Nous ne pouvons rien changer, si ce n'est notre regard et notre parole auprès d'un sujet désirant, en quête d'altérité et de sens, afin, humblement, de lui faire entendre cette musique, humaine, subjectivante plus qu’autonomisante, qui différencie l'institution spécialisée du camp d'internement.

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Zemmour, N. (2000), Fondements métapsychologiques du concept d'intelligence. De la théorie Freudienne à la clinique de l'arriération mentale , Thèse de doctorat en Psychanalyse et psychopathologie de l'université Paris XIII-Nord, Sous la direction de Pr. Jean-jacques Rassial, Nov. 2000.

1 Jacques Cabassut

Psychologue clinicien

A.D.A.G.E.S (Association Départementale d’Animation et de Gestion d’Etablissements Spécialisés)

Le Hameau des Horizons - Foyer Double Tarification

41 plan des garrigues

34830 Clapiers

1 Nous citerons ici à titre d'exemples, les travaux de :

Zemmour, N. (2000). Fondements métapsychologiques du concept d'intelligence. De la théorie Freudienne à la clinique de l'arriération mentale . Thèse de doctorat en Psychanalyse et psychopathologie de l'université Paris XIII-Nord, Sous la direction de Pr. Jean-jacques Rassial, Nov. 2000.

Rouzel, J. (1998). L’acte éducatif, clinique de l’éducation spécialisée . Ramonville Saint Agne : érès.

Rouzel, J. (2001). Du travail social à la psychanalyse . Lecques : Les éditions du champ social.

2 Mises, R. , Perron, R. , Salbreux, R. (1994). Arriération et débilité mentale, Rappel historique, Troubles et retard des fonctions cognitives, Epidémiologie . Editions techniques, Encycl. Med. Chir. , Paris-France, Psychiatrie. 37-219-M-10, 1992.

3 Imbécile provient du latin "imbecillus "signifiant "faible, stupide".

Idiot provient du latin "idiota" , -tes , emprunté au Grec, signifiant "particulier" puis "homme du commun, ignorant".

4 Nota : La dotation d'une majuscule élève le terme au rang de concept analytique et le différencie de l'organe pénien.

5 Lacan, J. (1975). Conférences et entretiens dans les universités nord-américaines. Scilicet 6/7. Paris : Le Seuil, 1976.

Lacan, J. (1974-1975). Séminaire R.S.I, Livre XXII . Inédit.

6 A ce propos, lire particulièrement :

Gomez, J.F. (1999). Le temps des rites . Paris : Desclée de brouwer.

Gomez, J.F. (2001). Déficiences mentales : le devenir adulte, la personne en quête de sens . Connaissances de l'éducation, Érès.

7 Souligné par nous.

8 A titre de remarque, nous soulignerons que la loi du 2 janvier 2002 qui régit l'ensemble du médico-social et remplace la fameuse loi de 75, nous paraît dans ses fondements et dans les dispositifs proposés ou exigés, évacuer la dimension du sujet de l'inconscient au profit de celle de client ou d'usager propre au courant cognitivo-comportementaliste, et à l'ego-psychology nord-américaine.

9 Lacan, J. (1957-58). Le Séminaire, Livre V. Op. Cit. , pp 276-277.

Safouan, M. (2001). Lacanania, Les séminaires de Jacques Lacan (1953-1963). Paris : Arthème Fayard, p 97.

10 Winter, J-P. (2001). Séminaire de la Lironde . Séance du 20 décembre 2001. Notes personnelles.

11 Nous pouvons définir l'Autre (grand Autre) en tant qu'un espace ouvert de signifiants que le sujet rencontre dès son entrée dans le monde, véritable ordre du langage antérieur et extérieur à lui, et constitutive de sa destinée de sujet. L'Autre se différencie ainsi de l'autre (petit autre) en tant que semblable, pour concerner cet ailleurs, absolu, radicalement étranger à soi. Bref, cette dimension d'altérité première n'est autre que le lieu muet de la vérité, essentiel au dialogue inter-humain et à la condition de "parlêtre".

Chemama, R. (1995). Dictionnaire de la psychanalyse . Paris : Larousse, pp 32-33.

Juranville, A. (1984). Lacan et la philosophie . Paris : P.U.F. , p 127.

Lacan J. (1981). Les Psychoses, Le Séminaire, Livre III . Paris : Seuil, « coll. » Le champ freudien.

12 Pour le premier, moment mythique du repérage du corps par l 'infans , la captation de son image se double d'une demande à la mère, vers laquelle l'enfant se tourne afin qu'elle authentifie sa découverte en la nommant. Pour le second, le signifiant phallique est refoulé au profit de l'avènement, par le processus de la métaphore paternelle, d'un signifiant particulier provenant de l'Autre : celui du Nom du père. Ce signifiant (à moins d'être forclos) qui fait entrer le sujet dans l'ordre du langage en l'articulant à la dette que cette dernière institue, s'inscrit bien dans une parole princeps .

13 Par exemple, en instaurant des ateliers éducatifs ou thérapeutiques qui fonctionnent sur le ressort exclusif d’un étayage moïque, renarcissisant, et se constituent en véritables dérivatifs occupationnels n’intégrant pas la dimension du manque et de la castration.

14 L’élaboration de ce paragraphe emprunte à :

Didier-Weill A. (1995 ). Le temps de l’autre : la musique . In Les trois temps de la loi. Paris : Seuil, pp 243-275.

Didier-Weill A. (1998). Invocations Dionysos, Moïse, saint Paul et Freud . Paris : Calmann-Lévy.

15 Chez Lacan, le signifiant est ce qui représente le sujet pour un autre signifiant. Il se distingue en l'occurrence du signe qui représente quelque chose pour quelqu'un, à l'image du symptôme.

16 Nous remercions Moufid Assabgui , analyste institutionnel, pour l'idée, le dynamisme et l'aide apportée dans la concrétisation de ce travail, ainsi que Jacques Berrini , musicien hautboïste, pour son engagement musical et personnel dans cette rencontre singulière.

Commentaires

n'importe quoi

sdighfv dhvhqf zghu ybg fuy c'est du serbe

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