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La Prévention Spécialisée : des creux et des bosses

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Raphaële MONTEIL

jeudi 02 décembre 2010

La Prévention Spécialisée : des creux et des bosses

 

 

-    Qu’est-ce que tu fais ?

-    Rien.

-    Oui, mais rien, c’est déjà quelque chose… alors, qu’est-ce que tu fais ?

Mais que reproche t-on à la Prévention Spécialisée, à la fin ?

D’être un métier difficilement saisissable et compréhensible pour ceux qui ne seraient pas tombés dans sa marmite étant petits, du quidam aux politiciens, de nos directeurs à nos financeurs… ?

Le comble de l’absurdité, pourrait-on penser, de la part de ceux qui dirigent nos services et vont pêcher les subventions, et de la part de ceux qui octroient ces financements, sans qu’apparemment personne n’ait vraiment saisi et compris notre travail ni ne sachent pourquoi ils passent autant d’énergie et de moyens à assurer notre existence!

Que nous serine t-on à longueur d’année - notamment depuis 2002 - entre Loi d’Evaluation et Loi de prévention de la Délinquance, réductions budgétaires et efficience…

Un manque de visibilité,

Une définition de nos actions par défaut plus souvent que par excès,

Des principes fondamentaux obsolètes et inappropriés,

Un manque de lisibilité…

Mais c’est qu’on voudrait nous assigner à résidence ! Une belle vitrine, avec notre nom dessus et des panneaux indicateurs pour flécher le parcours jusqu’à nous, des horaires d’ouverture et de fermeture (pas de licence IV, bien sûr !), tout cela pour montrer qu’on est là, qu’on existe, pour pacifier les quartiers, rassurer les maires et leur donner un bon support électoral, que du bonheur !

Un principe de guichet, un annuaire de partenaires obligatoires prédéterminés et incontournables – il faut ménager les susceptibilités, travailler avec tout le monde même quand ce n’est pas utile – afin de faire exister toute une ingénierie qui croit avoir réinventé l’eau chaude et semble avoir enfin assimilé depuis peu les vertus du travail partenarial et en réseau, dans un délire et un acharnement du « tous ensemble, tous ensemble ! »

Comme dans les agences immobilières, des affichages des produits « à vendre » et « vendus », tels des preuves d’une activité frénétique, dont nous pourrons, à la fin de chaque exercice budgétaire, faire un compte précis pour prouver à quel point on a bien travaillé !

Non mais, on rêve…

Présente et discrète, la Prévention Spécialisée produit de l’effet sans produire beaucoup de bruit. Ça gêne aux entournures des personnes qui tiennent le porte-monnaie : comment, les éducateurs de Prévention seraient donc payés pour rien ?

Ils ne cadrent ni ne contiennent  leur public, puisqu’ils n’ont pas de murs ni n’appliquent de sanctions.

Ils n’ont pas de réels suivis, puisqu’ils n’ont aucun dossier. Ils ne rendent jamais compte, d’ailleurs, ni à un juge, ni à un responsable de l’Enfance, des situations nominatives individuelles.

Ils n’ont pas de fonction éducative puisqu’ils n’obligent pas à rentrer dans les rangs du « socialement acceptable », puisqu’au lieu de leur imposer un cadre, un parcours ou une trajectoire,  ils attendent que les personnes décident par elles-mêmes.

Ils n’ont aucun sens du partenariat,  puisqu’ils ne répondent pas systématiquement et ne se conforment jamais vraiment aux demandes ou injonctions des partenaires en opposant le secret professionnel et l’adhésion de leur public

Ils prônent l’autonomie et encouragent les initiatives alors qu’ils feraient bien mieux de jouer les rabatteurs pour amener du jeune et de l’habitant dans les filets des dispositifs et institutions en quête de reconnaissance et de matière pour justifier leur activité…

Comment cela est-il possible ? Il faut rationaliser les coûts, la Prévention Spécialisée ne nécessite et ne mérite pas autant de moyens matériels et d’efforts financiers ! Vous voyez bien que les éducateurs ne font rien ! Alors, mettons-les là où « on » en a besoin pour pallier les mauvais choix politiques : dans les établissement scolaires, pour jouer les répétiteurs, surveiller les cours de récrés, animer les foyers… devant les écoles, collèges et lycées pour jouer les pompiers de service et les agents de sécurité…  rattachons-les aux administratifs pour effectuer le travail de terrain que ceux-là ne peuvent plus accomplir tant ils sont surchargés de dossiers… réduisons-les à une fonction de simples exécutants ! Au moins, nous saurons où ils sont et ce qu’ils font !

Pourtant, la Prévention Spécialisée agit, lentement et sûrement,  sur et avec ce qui constitue l’épicentre de notre métier d’où nous tirons toute la substance de notre travail, ces chemins et ces rues, ces espaces vides géographiques et temporels que nous remplissons avec les jeunes et les habitants des quartiers, ces paysages tout en reliefs, en creux et en bosses. Mais même les creux permettent de cheminer et de prendre appui pour avancer ! Même ces vides font partie d’un tout homogène et vivant. Vivant, vous dis-je !

Petite allégorie familière que d’aucuns jugeront sans doute facile avec un arrière-goût de « déjà vu - déjà entendu ». Regardez le métier à tisser où se croisent les fils de couleurs comblant le vide de la trame. Chaque fil pris séparément n’a pas de sens propre et ignore l’existence des autres fils. Mais le travail du tisserand qui noue ce fil parmi les autres, en lui attribuant une place bien précise dans son œuvre, lui donne toute son utilité et toute sa valeur.

Ce long et patient travail de tisserand, c’est le nôtre dans les quartiers dans lesquels nous sommes missionnés pour créer, harmoniser, consolider, entre-tisser et entretenir le lien fragile avec les exclus, les marginaux, les pauvres, les endettés, les dix fois divorcés et remariés, les monoparentaux, les mamans surchargées d’enfants,  les abonnés aux dispositifs, les assistés de tout poil, les désespérés, les révoltés… et les autres, normaux, normés, normalisés.

Dans tout cet écheveau humain qui se présente à nous, il nous faut  repérer, rencontrer, écouter,  revaloriser, cajoler, encourager, réussir à donner à chacun un sens à sa vie en lui permettant d’acquérir ou de retrouver une place dans le tissu social et de s’affirmer en tant que citoyen au-travers de trois axes indissociables et essentiels :côtoyer, co-exister, co-construire.

Tisseurs de liens sur un canevas invisible, les éducateurs de Prévention Spécialisée sont aussi des effaceurs d’ardoise : ils offrent inlassablement à chaque jeune et à chaque habitant rencontré, autant de fois qu’il est nécessaire, une nouvelle chance, une nouvelle page vierge sur laquelle peut commencer une nouvelle expérience ou une nouvelle histoire délestée du fardeau des préjugés et de la prédestination .

Nous sommes des passeurs qui accompagnons des êtres dans leur quête  d’humanité et de dignité, de liberté de pensée, de paroles, d’actions. Nous sommes des promoteurs  d’une certaine forme de Société et oeuvrons pour l’Intégration et l’Insertion au sens large et avec un grand i ; nous sommes des agents de paix sociale vue sous l’angle de la solidarité naturelle et de l’appartenance à la communauté humaine, une paix au bénéfice des personnes et non pervertie par les enjeux politiques et économiques.

Le cœur de notre travail qui consiste à nous fondre dans le paysage a pour buts d’approcher, apprivoiser, mettre en confiance le jeune ou l’adulte, seul ou en groupe,  qu’il  esquisse un pas, puis deux, encore, se rapprochant plus près de nous, parfois s’éloignant ou disparaissant pour mieux revenir…

Il nous faut admettre la suspicion de notre public, accepter d’être jaugés et malmenés parfois par les jeunes et les habitants, pour leur permettre de vérifier  que nous ne représentons pas de danger, qu’en toutes saisons et en dépit des « lapins » successifs et autres chausse-trapes qu’ils peuvent nous tendre nous sommes toujours là, fidèles aux rendez-vous, fiables, que notre offre d’aide n’est assujettie à aucun préjugé de notre part ni assortie d’aucune contrainte à leur égard autre que celle qu’ils voudront bien endosser et assumer…

Connaître l’autre et le laisser - à son rythme - se dévoiler, ouvrir son cœur et sa pensée, l’amener à nous confier les clés de compréhension de son esprit, pour pouvoir mieux travailler ensemble et lui donner envie de prendre ou reprendre sa vie en main, cela prend du temps , cela demande de la patience et de l’énergie pour ne jamais laisser se rompre le lien, cela exige de la volonté pour dépasser les phases de découragement occasionné par la souffrance de l’autre, ses absences, ses paradoxes, ses ambiguïtés, ses obstacles !

C’est bien dans la continuité du lien malgré tous les aléas, entre les jeunes, les habitants et nous – qui symbolisons la société et garantissons la cohésion sociale  - que la Prévention est spécialisée . Cela n’est pas : rien .

 

Quels acteurs autres que les éducateurs de Prévention Spécialisée, peuvent revendiquer et se prévaloir d’une telle constance dans la présence et dans le travail de lien avec les jeunes et les habitants dans les quartiers ? Qui d’autre peut déployer autant de disponibilité, de réactivité, de souplesse et d’adaptabilité dans les actions collectives et les accompagnements de situations individuelles difficiles et complexes ? Et tout cela dans un climat social et un contexte politique des plus incertains.

Qui peut travailler ainsi, en l’absence de mandat et de « produits d’appel » ou de consommation, dans le respect de la libre adhésion des personnes, sans leur imposer de contractualisation institutionnelle mais simplement en faisant confiance à leurs capacités à créer, à désirer, en les incitant à vivre leur vie au lieu d’attendre qu’on leur dise comment la mener ?… sans autre finalité que de valoriser ce qui les rend humain, que de ramener de la dignité dans leur existence en leur restituant une place au sein de notre société ?… en leur concédant  le droit de faire des erreurs  - un formidable outil d’apprentissage, quel que soit l’âge ! - et le droit à retenter leur chance autant de fois qu’ils le souhaitent ?

Les quartiers ne sont pas des « internats géants », les gens qui y vivent ne sont pas captifs ; ils possèdent leur fonctionnement et leur cadence propre qui s’apprête mal à une intervention calquée sur le modèle institutionnel classique. Nous n’avons pas de passe-partout qui ouvre toutes les portes, ni une liste de tâches quotidiennes qui circonscrivent notre travail ; nous ne rencontrons jamais les mêmes personnes, jamais dans les mêmes lieux, nous n’accomplissons jamais les mêmes tâches journalières.

Et même si nous pouvons effectivement repérer des endroits et déterminer les temps les plus propices à la rencontre, notre tâche n’est pas de céder à la facilité en nous limitant à ces lieux et à ces moments, en établissant un planning pratique, confortable et répétitif, car nous refusons de passer à côté d’une partie de notre public plus nomade qui ne figure pas sur un territoire et dans un créneau horaire prévu  dans un emploi du temps type ! 

Alors, comment rendre lisible la Prévention Spécialisée ? Comment trouver l’adéquation entre les réalités de notre travail de terrain et les commandes associatives, politiques et financières ? Pourtant, nous ne sommes pas contre l’idée d’être interrogés sur notre activité, au contraire, il s’agit d’un excellent moyen de valoriser notre métier ! Nous pensons aussi qu’il est juste que nous puissions prouver que les financements publics sont utilisés à bon escient. 

Le tout saupoudré d’une bonne dose de culpabilité – quoi qu’on en dise – de ne pouvoir rendre des comptes sur notre travail dans un « faire » concret, culpabilité née du paradoxe entre notre engagement professionnel (intimement rattachés à nos convictions personnelles et référés à des valeurs humanistes),  et à  l’obligation de nous conformer à une commande publique, auxiliaire des orientations politiques, légitimant les subventions qui nous font vivre.

Et pourtant, que n’accomplissons-nous pas dans l’ abstrait !

Malheureusement, l’évaluation de notre travail  se  borne à des items figés dans des grilles, malheureux réflexe mécanique institutionnel typiquement cartésien qui induit des réponses sur un « faire » dont on peut mesurer l’effet,  et non pas sur le « sens du faire », et sans prendre le temps de s’arrêter sur l’intérêt du « non-faire » en ne l’incluant pas comme un élément d’évaluation positif. Laissez-nous nous exprimer, prenez le temps de nous lire, nous qui prenons le temps d’écrire afin de vous expliquer au mieux les tenants et aboutissants de notre travail !

La logique comptable l’emporte largement sur l’argumentation du sens. Ainsi, notre action est-elle réduite à des schémas statistiques, à une succession de chiffres et de nombres qui suffisent apparemment à justifier (ou non) les investissements que l’on nous dédie. L’activité d’une année se résume en un lamentable document de quatre pages (dans un souci de concision, notez !) où se confrontent sans explication les résultats des quatre services de Prévention Spécialisée du département. Il est vrai qu’un financeur n’est finalement qu’une machine à sous : on ne lui demande pas de penser et d’interroger des pratiques, mais simplement de mettre en rapport  investissements et résultats comptables!

Petit billet d’humeur en guise de non-conclusion.

Je déplore que la Prévention Spécialisée soit ainsi dévoyée à ce jour, et je suis navrée de constater à quel point elle n’a trouvée aucun appui lorsque le démantèlement insidieux du métier a commencé. Les disparités de publics, de pratiques, les intérêts individualistes et associatifs dans les enjeux sociaux et politiques, ont précipité la déliquescence de notre métier et des valeurs fondamentales qui le soutenaient.

Je regrette que les membres du C.N.L.A.P.S. (Comité National de Liaison des Associations de Prévention Spécialisée) et du C.T.P.S. (Comité Technique de la Prévention Spécialisée) n’aient jamais pu unifier la Prévention Spécialisée sous une Charte Nationale unique (au-delà des principes fondamentaux, je défends l’idée d’une véritable identité commune ) tant sur le fond que sur la forme, ce qui aurait permis d’opposer un discours cohérent au niveau du territoire national et de présenter un front homogène de contestation aux décideurs et financeurs locaux. Peut-être que des équipes entières, aujourd’hui disparues, seraient encore là ; peut-être que l’instrumentalisation de la Prévention n’aurait jamais existé…

Je me demande maintenant comment,  après son communiqué[1] du 15 novembre 2010 consécutif à la diffusion du rapport de Monsieur BOCKEL, le C.N.L.A.P.S. va bien pouvoir continuer à défendre UNE Prévention Spécialisée alors que celle-ci est devenue plurielle, ballottée au gré des choix stratégiques locales et départementales. Le C.N.L.A.P.S. est-il toujours légitime pour parler au nom de LA Prévention Spécialisée?

J’avoue éprouver un peu de rancune à l’égard des « anciens » de la Prévention, arc-boutés sur leurs principes fondamentaux suffisant pour eux à justifier leurs prérogatives, qui n’ont pas su anticiper les changements sociaux, mesurer les incidences politiques et prévoir les ajustements nécessaires pour sauvegarder et protéger le trésor qu’ils avaient entre leurs mains! Quelle magnifique leçon de manque de discernement ! Sans doute suis-je injuste. L’héritage professionnel n’ayant pas été à la hauteur de mes espérances, cela expliquerait-il une telle amertume ?

J’ai beaucoup entendu dire que la Prévention n’avait pas su rendre lisibles et pertinentes ses actions ; peut-être est-ce vrai. Peut-être aussi les torts se partageaient-ils avec ceux qui n’ont pas voulu faire l’effort de lire et comprendre la Prévention. Mais parmi ses détracteurs, si ce n’est pas désolant, se trouvaient aussi plusieurs de ceux qui, normalement, auraient dû combattre ce discours - au lieu d’acquiescer pour tirer profits pécuniaires ou notoriété publique - en incitant les éducateurs à se fédérer, à s’exprimer et à écrire… ce que nous faisons seulement aujourd’hui localement avec mes collègues, en désespoir de cause et parce qu’en dépit de tout, nous continuons à y croire et souhaitons  aller jusqu’au bout de notre honnêteté professionnelle en défendant notre métier et l’éthique sur laquelle il s’appuie et se ressource !

Les menaces de déconventionnement – souvent actés par la suite - et les chantages aux budgets sont déloyaux et confinent à la mesquinerie. La bassesse de ces procédés prouvent, s’il était nécessaire, une volonté politique de soumettre et de maîtriser, sans dialogue et à la hussarde un secteur de l’aide sociale qui fonde son mode d’intervention sur la ré attribution et la ré appropriation de la dimension citoyenne d’où peut surgir, chacun le sait, un formidable contre-pouvoir.

Enfin, observons bien dans quels domaines s’opèrent les réductions budgétaires : tout ce qui touche à l’humain - au bien-être, à l’épanouissement et à l’expression – santé, éducation, formation, culture, les quatre piliers susceptibles de favoriser, renforcer, nourrir le sens critique générateur des mouvements contestataires et néanmoins citoyens ! Voici les nouvelles variables d’ajustements financiers qui seront sacrifiées au nom de  l’équilibre du pays et pour assurer son avenir…

Un avenir peuplé d’ enfants, d’ adolescents, des jeunes d’aujourd’hui.

Qu’imaginent-ils, ces graines de champions, de ce que cet « à venir »  leur réserve ?

Que savent-ils du pouvoir extraordinaire  qu’ils détiennent pour créer le monde dans lequel ils vivront ?

Que leur transmettrons-nous comme héritage social et culturel ? Sur quelles fondations reposeront les générations et civilisations futures ?

Le monde  a besoin de bâtisseurs.

Des rêveurs, imaginatifs, idéalistes, utopistes…

Des insufflateurs d’énergie et d’espoir capables d’apercevoir dans la tourmente le rayon de soleil qui pointe au loin et annonce la fin de l’obscurité et l’apaisement de la violence des éléments.

Des artistes qui n’auront de cesse de protéger la quintessence humaine, des paladins d’un nouveau genre qui poursuivront la lutte perpétuelle contre l’inhumain…

_______________________________  R.MONTEIL – décembre  2010  _____________________________________

[1] En annexe

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