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LES GENS D’A.L.FA.DI

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Sylvie RAIMBAULT

mercredi 18 avril 2012

 LES GENS D’A.L.FA.DI    

 

 

 

Ce matin d’avril 2009, je m’étais déplacée de Rennes jusqu’à l’hôpital de St Malo pour un entretien d’embauche. Le travail en question me motivait peu, j’y allais plutôt pour m’entrainer…et revoir la mer. Après cet exercice aléatoire, je traversais la ville à pied, disponible, d’humeur légère ; le soleil réchauffait doucement les façades de granit. A peine dissimulés par les feuilles naissantes, les oiseaux pépiaient leurs notes tendres et flûtées. Au milieu d’une place arrimée de bancs solides, je saluai deux hommes qui -  visiblement -  avaient dormi dehors. L’un puis l’autre, répondant à mon bonjour, dans un mouvement du visage, tourna les yeux vers le ciel magnifique, azur, infini. Geste aussi discret qu’éloquent. Comme pour m’indiquer un espace donné, inconditionnellement.

Touchée par l’élégance de leur salut, je songeai aux gens d’Alfadi côtoyés pendant l’automne et l’hiver précédents. 

                                             ***                            

Après plusieurs années en Italie, de longs mois à rechercher un emploi, j’avais accepté avec enthousiasme un remplacement dans cette  structure à but social. De septembre à janvier j’ai côtoyé une trentaine de ces personnes que le sigle  associatif définit pudiquement comme des familles …en difficulté.

 Doux euphémisme ! Car il s’agit là d’insécurités  abyssales, de carences affectives, de troubles psychiques, physiques, d’addictions mortifères …Tout cela s’ajoutant, finit par entraver puissamment le désir tellement ancré en chacun de se fabriquer une vie qui ait de la saveur et du sens.

Nous tous, issus de la ronde infinie du vivant, avons  été propulsés dans l’arène d’un espace et d’un temps. Les cartes battues par je ne sais quel hasard prodigieux ont  mis autour de nos berceaux  des visages essentiels, un entrelacs de bonnes et mauvaises fortunes, une époque, un pays. Et nous inventons notre chemin dans le maquis du monde, y butinant tous les sucs.

 Réduire l’expérience humaine à ses signes extérieurs d’appartenance sociale, culturelle ou professionnelle est une tentation fréquente. Derrière les façades lisses des vies tracées au cordeau, coexistent parfois des quêtes fondamentales, des failles dissimulées et néanmoins profondes.

A Alfadi, elles se voyaient au premier regard. Antis-héros presque banalisés par leur nombre croissant, ces gens se battaient contre une hydre à mille têtes. Ils  supportaient des choses pour moi… insupportables, cultivaient le courage de durer, perdurer,  aller jusqu’au lendemain. Familiers du chaos, beaucoup résistaient. D’autres, trop profondément meurtris, n’opposaient plus à leur destin que des armes dérisoires et dérivaient insensiblement vers une mort précoce.

Orientés par la Commission Locale de l’Habitat (voir le glossaire des sigles à la fin), ils acceptaient - de façon plus ou moins ambivalente, la nécessité limitant souvent la libre adhésion – une sorte de contrat personnalisé entre eux et un professionnel, mandaté pour soutenir  leur accès ou leur maintien dans un logement.

Tel était notre angle d’approche.  

Entre l’exposé écrit par d’un travailleur social et le premier contact avec la personne pouvaient s’écouler quelques mois.  Voulaient-ils toujours un logement, à Rennes ou ses alentours, acceptaient-ils les contraintes de l’accompagnement ? Si oui,  alors,  succédait-un lien particulier -  j’allais dire, privilégié – surtout parce qu’on prenait le temps… 2, 3, parfois 4 ans.

                                             ***

Avec mon expérience professionnelle, mes audaces, mes intuitions, mes peurs et mes ignorances, ma pratique intime des vents changeants, j’ai frappé à la porte des maisons. J’ai partagé les préoccupations de ces femmes et ces hommes. Une partie d’entre eux avait déjà tissé un lien fort ave la collègue que je remplaçais.  Je m’efforçais alors de poursuivre les projets en cours.  Avec d’autres, j’ai initié les premiers contacts.

 Avant que tout cela ne s’efface, submergé par les vagues renouvelées du présent,  j’ai retenu quelques fragments d’histoires, que voici !  

Le colosse au doigt d’argile

Mr Bé a une allure athlétique… ancien joueur de football, me précise- t-il. En plein jeûne de Ramadan, Il dort très peu. Ses yeux brillent de ses excès nocturnes et festifs avec ses compatriotes marocains.

Lisa, que je remplace, m’a prévenue. Mr Bé appréhende énormément l’idée qu’elle s’en aille ;  l’inévitable effort d’adaptation que cela implique.

 Moi-même, je navigue à vue dans ce nouveau travail. Pendant 8 ans, j’ai laissé de côté cette fonction d’assistance  pour aller vivre en Italie avec mon compagnon. J’y donnais des cours de français, d’aquarelle... Je faisais des traductions et quelques autres petits jobs occasionnels, « petit » dans le sens artisanal et expérimental.

Je dois mettre à jour mes connaissances législatives et administratives, réapprendre les codes du travail social, affronter le face à face avec la pauvreté. A Afladi, spécialisé dans l’accès au logement, il faut maitriser les règles de la sous-location : les deux contrats à faire signer, les diverses autorisations de prélèvement, l’ouverture des compteurs pour l’eau, le gaz, l’électricité,  l’assurance habitation, le double des clés à faire, le dossier FSL à instruire, le contrat d’accompagnement à formaliser par écrit, si possible.

Et, transversalement, penser, élaborer les aspects relationnels. Aucune référence théorique ne suffit mais elle  permet une prise de distance, des éclairages, des appuis dans la réflexion.  La plupart de mes collègues ont suivi des formations variées, notamment en approche systémique. 

                                             ***

Malgré ces peurs de part et d’autre, patiemment, les choses se font.

Je découvre quelques lignes maitresses de son réseau relationnel, ses repos, ses mythes…en quelque sorte, son biotope !

Séparé depuis quelques années, il a une petite fille qu’il chérit. Il déjeune rituellement chez sa propre mère, voit de temps à autres sa fratrie  aux alentours de Rennes. Il n’évoque jamais son père. Est-il mort ?

Mr Bé n’accepte pas l’amputation d’une phalange subie après un accident de chantier. «  Elle me fait toujours mal ; les médecins du centre antidouleur ne savent pas me soulager » se lamente-t-il. Quelques mois après, il a été « licencié pour faute », ce qu’il a encore moins digéré. Intérimaire dans le bâtiment, il gagnait plutôt bien sa vie. Changer de métier ? Et pour faire quoi ?

Avec pudeur, il me fait part d’une éclaircie dans sa vie sentimentale : « Depuis que j’ai une nouvelle amie, j’ai cessé de jouer ! »

Il a engouffré beaucoup, beaucoup d’argent dans sa passion des jeux…ce qui a entrainé des dettes de loyers, un contentieux avec les Assedic.  Au final, il a été expulsé deux fois en laissant de lourdes ardoises chez ses  bailleurs. Il tient absolument à clore son dossier de surendettement pour tenir à distance  la meute effrayante des créanciers.

 Noctambule téléphage, il loupe souvent ses rendez-vous du matin.

                                             ***

La Commission Locale de l’Habitat lui propose un T3.

Enfin !

 La pression de la demande est telle qu’il doit se décider très vite.

Nous visitons ensemble le logement. Le gardien-gérant nous a donné rendez-vous à l’entrée d’un grand immeuble qui accueillait les cheminots dans les années 50.

On accède au 2ème étage par un étroit escalier en colimaçon. Malgré quelques problèmes d’humidité côté nord, l’appartement doté de 2 chambres, offre clarté et tranquillité. Mr Bé est preneur.

 Quelques jours plus tard, pendant l’état des lieux, il fixe durablement son attention sur un revêtement de sol légèrement décollé et trop court. Son regard, sa voix, sa poitrine s’enflamment,  pleins de hargne et de révolte.  Il tempête contre de vieux démons soudain matérialisés pour lui seul.

Puis, s’apaisant petit à petit, il signe le bail de sous-location.  

 Après des semaines de pourparlers  et tergiversations, il réussit à récupérer son mobilier entreposé dans une cave.  Désormais, il espace les nuits chez son amie et goûte enfin une liberté bienvenue. Supporter la présence de ses enfants lui pesaient. Mais vivre dans la chambre lilliputienne du foyer lui pesait encore plus.

 Après un mois d’installation, je constate ses difficultés à gérer son budget de misère.

« Madame, je survis avec mes 450 €! » souvent il me jette ces mots comme une gifle. Et, dans les bons moments : « Je me débrouille, qu’est-ce que vous croyez ? ».

Ce qu’il veut plus que tout, c’est un toit sur sa tête et qu’on lui fiche la paix !

L’élaboration du « contrat d’accompagnement social » traine, des obstacles invisibles mais tenaces empêchent d’avancer.

Pour obtenir une aide du Fond Social pour le Logement, il faut tout justifier par écrit.  Je lui demande d’apporter ses factures, de réfléchir aux achats prioritaires. Cet effort lui pèse et l’ennuie prodigieusement. Il amène une liasse de papiers administratifs sur mon bureau, me demande tacitement de les trier, hiérarchiser, traduire…éclaircir un espace où lui préfère l’ombre.

Par contre, il a très envie d’une télé à écran plat et l’exprime sans détours.

Spontanément et naïvement égocentrée, je lui rétorque qu’il a en déjà deux, de télés, ok, petites, mais qui fonctionnent. Il explose une fois de plus. En apparence, je reste calme mais je suis tendue, fatiguée par  cette tâche ambigue qui consiste à proposer des valeurs, des comportements étrangers à la personne.

Mr Bé reçoit sa fille chez lui chaque début de mois, quand il a « de quoi remplir le frigo, pour la gâter un peu et ne pas avoir honte ». Il rencontre son amie de temps à autre, passe beaucoup de temps dans les administrations pour suivre ses dossiers ; il réfléchit aux stratégies les meilleures pour améliorer son sort!

Il espère une victoire juridique et financière vis-à-vis de son ancienne entreprise. Ce mythe l’aide à vivre.

 Réapprendre les rythmes du travail  dans un centre de « convalescence active » comme le lui propose la Maison Départementale Pour le Handicap ?! C’est le projet qu’il devrait raisonnablement accepter. Mais il lui faudrait remettre en jeu les accords pris par la Banque de France avec les créanciers. Si ses ressources augmentent, le montant des versements suivra la même courbe.

Dilemme jamais exprimé ouvertement mais cependant crucial. L’argent, la survie, sans parler d’autres biens non marchands, l’équilibre entre l’effort et la liberté.

Il laisse le temps s’écouler en espérant qu’une solution émerge petit à petit. 

                                             ***

Pleine mère

Les quelques fois où je l’ai rencontrée, elle m’a toujours semblée en énergie haute cette jeune femme à la stature justement exceptionnellement haute.

A de multiples signes, sa peau, ses yeux, ses mots, je sens qu’elle a affronté des courants violents, des granits abrasifs. Volubile, elle craint plus que tout le silence et la lenteur. Elle voûte constamment les épaules ; vaine tentative pour ne pas dépasser la frondaison humaine ordinaire. Se fondre dans la norme, se soustraire aux regards surpris.

Troublée par son débit de paroles et sa taille (moi qui suis plutôt petite), fascinée par le prisme contradictoire des messages qu’elle transmet, je respire mal, vaguement oppressée.

De sa route avec Alfadi, elle est presque à la fin. Correctement logée, situation générale stabilisée, certes, dans une économie familiale qui repose sur les minimas sociaux mais, néanmoins, stable dans cette relativité là.

Elle a quitté sa ville méditerranéenne il y a des années et a vécu dans plusieurs villes de France. A Rennes, elle a  aimé un homme, son ventre s’est arrondi. Est-ce  la grossesse qui a déclenché son désir d’enracinement? Elle ne m’en a rien dit mais son immense gratitude pour ceux qui l’ont aidée à obtenir un appartement semble l’attester. Son premier fils est né puis un second à peine deux ans plus tard. Elle s’en occupe avec passion. Ils vivent dans une tour de la ZUP sud. Malgré une vie matérielle spartiate, ses paroles expriment tolérance, dynamisme, énergie.

Elle vit avec  le RMI. L’API c’était un peu mieux, mais c’est fini. C’est comme ça.

Elle a repeint sa cuisine de couleurs claires, récupéré et rénové des meubles abandonnés sur le trottoir. Petit à petit, elle a aménagé son appartement avec goût. Telle une abeille, cette femme  semble secréter un nectar immatériel, la sensation d’abondance. Elle respecte le père de ses enfants qui continue à vivre dans la rue. « J’aime mieux qu’il vienne les voir et s’en occupe, tant pis s’il ne me donne pas un sou » dit-elle. Elle attend les 200 € de prime de Noel  pour offrir des cadeaux à ses enfants et pour soigner la pelade de son chien. Durant ses longues années dans la rue il a été son ange-gardien, à son tour de le protéger.

Avec une calligraphie d’écolière appliquée, elle note la moindre dépense sur un grand cahier : recettes, charges, au centime près. Une fois les factures payées, les enfants nourris et vêtus, il reste un peu pour les cigarettes. Comment fait-elle ? Pas une plainte ne franchit ses lèvres, rarement une demande au Centre départemental d’action sociale dont elle dépend. Elle a appris à vivre dans une sobriété absolue.

        Diversité des seuils…C’est quoi avoir suffisamment pour  vivre, éprouver sécurité et  satisfaction ? Les étalons de mesure coexistent de façon vertigineuse selon les groupes sociaux, les pays, les cultures. Des armées de commerciaux, d’industriels, de publicitaires imposent leurs modèles de consommation effrénée…d’autres tentent de proposer des valeurs différentes.

 Drôle de métier : rendre compte de budgets pratiquement intenables pour le nécessaire vital. A moins de trouver en face de soi des adeptes ultra-motivés par la décroissance joyeuse, ce qui est fort rare. La plupart du temps, nos interlocuteurs,  nourris aux messages  de l’omniprésente  publicité, sur les affiches, à la télé, n’ont de cesse de désirer ce que « le marché » exige d’eux, à savoir, consommer, acheter, des trucs, des gadgets. De surcroît, beaucoup compensent le stress, l’ennui, les frustrations multiples en fumant, et fumer coûte cher. 

 

Un jour,  la Croix Rouge cesse de lui accorder ses précieux  colis alimentaires en échange de quelques euros … « pour ne pas encourager l’assistanat », dit-on dans  courrier. Son pas de funambule vacille.  Elle, la jeune mère surdouée du « vivre avec trois fois rien », envisage de reprendre son ancien métier. « Je vais faire la manche… mais de l’autre côté de Rennes…je ne veux surtout pas que les parents de l’école me reconnaissent. »

En sollicitant d’autres partenaires, on trouve une alternative.  L’assistante sociale, délicate et chaleureuse, tente de la convaincre d’accepter plus d’aides pour elle et ses fils « on peut vous donner des billets de trains gratuits pour aller voir vos parents dans le sud ».

  Elle écoute, à la fois présente et distante. Comment vit-elle ces propositions ? Soulagement, humiliation, lassitude d’être toujours celle qui demande ? 

 Maintenant que ses enfants grandissent, elle rêve de travailler mais avec des horaires compatibles avec l’école. Son BEP de service en collectivités sera-t-il  suffisant pour accéder à un emploi ?  Sa positivité et sa motivation l’aideront-elle à faire se faire accepter,  sa taille, son style, son parcours hors norme ? 

Installation

   S’aventurer vers l’inconnu, cultiver la patience nécessaire aux apprivoisements, à la création d’une relation vivante ….Parfois, l’arrivée d’un nouvel interlocuteur va susciter un regain d’idées, d’énergies. Parfois, en revanche, des processus fragiles se grippent.

 Avec sa stature de yéti, Mr Pi aurait été parfait dans le rôle du cyclope de l’Odyssée. Si ce n’étaient ses yeux, parfaitement  normaux, heureusement pour lui. On se serre la main. La pulpe de ses doigts, charnue et résignée, ressemble à sa voix. Après des années incertaines de petits boulots, il a définitivement quitté Lyon, ses souvenirs, sa famille dont il n’espère plus rien. D’étape en étape, il est arrivé à Rennes. « On y accueille plutôt bien les sans logis »,  avait-il entendu dire.

Aguerri à l’art survivre en milieu urbain, il a tout expérimenté pour trouver un toit : le 115 qui indique les lits  disponibles dans les centres d’accueil  (il y en a de moins en moins), les squatts, les hébergements chez des copains de galère,  l’hospitalisation en psychiatrie…

Cela fait maintenant presque 2 ans qu’il marche sous les cieux moutonnants de Bretagne dont quelques mois passés au foyer Benoit Labre. Les différentes étapes du « relogement social prioritaire » le conduisent aux portes d’Alfadi.  Au fil de nos rendez-vous, il explore quelques épisodes de son passé et envisage le futur proche. Améliorer son rapport à l’argent, à la nourriture, aux autres. Apprivoiser sa trouille monumentale des toubibs et des soins qui nécessiteraient ponctualité et régularité ; et surtout croyance en un vrai mieux-être.

Un beau matin, son ancienne référente le dépose avec ses sacs devant les Deux Chênes, une résidence d’Alfadi. Aux revoir chaleureux. Il a apprécié cette femme et sait qu’il peut retourner là-bas, notamment pour participer à des ateliers de cuisine.

 Mr Pi pourra vivra ici pendant six mois, un an, le temps de s’inventer - peut-être  - un projet, une dynamique, confirmer ou pas ses capacités à vivre en studio dans une relative solitude.  

Ce soir il va dormir tranquille dans sa chambre, sans subir les bruits de couloir du foyer, les éclats de voix, les escarmouches des types plus ou moins alcoolisés. Ronfler pénard sans se prendre une chaussure sur la tête ; il était fameux au foyer pour ses opéras nocturnes.

 Une fois de plus, il pose ses sacs. Satisfait quoique fébrile.

Première nuit dans son studio vide, nu, aseptisé. De vieilles angoisses d’abandon l’assaillent.  Menacé par le silence, Mr Pi n’a ni le goût d’ouvrir ses bagages ni de rencontrer les autres locataires... il se lève tôt et s’engouffre dans le premier bus pour rejoindre ses anciens compagnons.

Au fil du temps, ils étaient devenus sa famille. Les rites qu’ils avaient tissés calfeutraient les béances d’un avenir précaire. Ils avaient leur rue, leur bar, leur « marché plus ». Ensemble, ils affrontaient le présent. Ils jouaient aux cartes, discutaient, rigolaient, s’engueulaient, buvaient des bières, se prêtaient de l’argent en cas de besoin. Ils se tenaient chaud.

Mr Pi retourne chaque jour au centre-ville.

 Un pied ici ! Un autre là !

La greffe prendra t-elle ? La chirurgie de transplantation demeure complexe et aléatoire, tant de paramètres doivent se conjuguer.

 Mr Pi parle volontiers et répète qu’il lui est impossible de changer ses habitudes. Son fatalisme comme son volume de géant semblent le protéger du front de vie, des souffrances inconnues. Il leur préfère ses blessures familières : la mésestime de soi, la fuite, le statut d’ « handicapé » patiemment acquis et pourtant difficile à  endosser. 

Expert averti des services sociaux, il en connait le langage, les codes, les structures, les valeurs et les limites... Il observe bien quelques changements - les services, les lois et les personnes diffèrent -  mais la culture fondamentale évolue lentement.

 Il s’attend à ce que j’acquiesce à ses doléances et le suive sur l’autoroute balisée de ses défaites. Ce que je fais plus ou moins au début ; aide financière, coups de main variés. Le processus demande-assistance à peu près confortable s’installe. Du connu !

Je l’aime bien, ce géant derrière lequel se profile un alter ego plus agile, capable de se mouvoir :

Sur un terrain qui me paraît jouable, j’ai justement envie de jouer et lance un joker sur la table.

« …vous vous plaignez de manquer d’argent pour manger correctement. Huit jours après le versement de votre allocation d’handicapé (AAH), une fois vos dettes remboursées, vos cartouches de cigarettes payées, « l’épicerie de survie » (riz, pâtes, conserves) dans l’armoire, vous vous lamentez de n’avoir plus 1 € en poche. Vous détestez cette bouffe médiocre que vous supportez trois semaines sur quatre…Vous jugez cependant qu’avec un loyer de 50 €, ça devrait mieux aller… que pouvez-vous faire pour vous-même ?

-….

Silences et gestes sont les contreforts du verbe. Ces mouvements à peine perceptibles,  la posture du corps,  la lumière du regard viennent appuyer, nuancer ou même contredire les mots, parfois à l’insu de celui qui parle.

L’argent lui manque. Encore et toujours. 720 € c’est trop peu pour vivre. Emerge le thème délicat du tabac.

 « Vous avez une idée de votre dépense par jour, par semaine, par mois? ». La question posée le brutalise et le plonge dans un vertige las. Il sait confusément que la moitié de son AAH s’y consume.

- Pourquoi ne pas essayer les cigarettes roulées ? »

Il me regarde, décontenancé : 

« Qu’est-ce qu’elle me veut-elle, celle-là… je me plains sans ostentation, dis et répète que je ne peux rien changer … je le fais avec sincérité, délicatesse, persuasion…c’est un langage qu’ils savent entendre, eux, les travailleurs sociaux…depuis tant d’années que je les fréquente : les AS, les ALI, les psychiatres, les psychos, les éducs, et j’en passe, c’est bon, je connais…mais elle, elle ose me piquer, sale petite mouche du coche, elle ne voit donc pas que je suis un vieux lion fini, moribond !»

- non, non, d’ailleurs j’sais pas faire… j’ai déjà essayé, je me trompe tout le temps, je les colle à l’envers, j’suis pas capable.

- vous n’êtes pas capable ou… vous n’en avez pas envie ?

…sourires…

Il se tasse sur lui-même, courbe encore plus son dos de baleine et s’enfonce dans l’océan de ses pensées…il émerge puis grommelle : « J’ai bien une botteleuse ;  j’ai jamais su m’en servir, je collais le papier à l’envers…c’est compliqué… j’ai la flemme ».

On rigole un peu ensemble, je m’y connais en paresse moi aussi. On se raconte quelques histoires puis je lui propose :

« Chiche, demain matin, vous amenez votre petite machine à rouler ! Je fume rarement mais j’aurais plaisir à en griller une avec vous ». Il lève les yeux, sourit à nouveau, tout à la fois agacé et réveillé. Un rai de lumière perce son granit.

Il n’est pas venu. Peut-être a-t-il prit au vol une idée simple et difficile, une confiance, une provocation au changement...l’envie d’essayer peut-être ?!

Quelques semaines plus tard (mon contrat étant fini), j’apprendrai par une ex-collègue qu’il a adopté les roulées !

Vents du large

Ca fait un moment que le couple chemine avec l’association. Ils ont une dette de loyer récurrente, qui, sans être grave, augmente sensiblement.

A la première rencontre,  Mr Pel, gueule sympathique d’un anarchiste revenu de tout (ou presque)  arbore un tee-shirt avec ces mots :

                         « En Bretagne il ne pleut que sur les cons ! »

Maquillée, toute musicale de bracelets, bagues et autres parures colorées, sa compagne a le charme baroque des églises italiennes. Immobile sur sa chaise, elle se tait et observe. Elle ne dira pratiquement rien ce jour-là ; seuls ses yeux parlent. Anxiété, patience, résignation, admiration, amour galopent en silence sur les prairies de son visage.

                        Sommes nous aussi lisibles que nous lisons les autres ?

 Mr Pel fait le pitre. En réalité, je le sens tendu, inquiet, en colère. Il me jauge,  me déchiffre lui aussi. J’ai l’impression de passer un examen . Au final, il doit me juger apte car, avec une théâtralité où hermétisme souverain et lâcher-prise se conjuguent, il dévoile quelques pans de son histoire. Des phrases lancées comme des gros cailloux pour traverser un gué profond. Et à chaque pas accompli, la porcelaine fragile du silence.

Un grave accident a brisé son avenir de marin pêcheur. Pendant une longue période, il s’est tellement alcoolisé qu’il a failli en crever. Puis, quelques rencontres déterminantes ont amorcé sa  remontée vers le désir de vivre. Un futur envisageable s’est petit à petit dessiné. Il a retrouvé son corps ;  diminué mais pas foutu.

Avec l’aide de Lisa, de sa compagne,  ils ont franchi, pas à pas, les étapes d’un magnifique projet : déménager sur la côte pour travailler dans une entreprise de menuiserie marine. Ils aboutissaient presque quand…

Changement inopiné de patron, plus question d’embauche… L’horreur !

Depuis, la béance du chômage le rend fou. Pour gagner de l’argent, Il a déniché un « plan » : cobaye pendant une semaine au CHU. Il suivra un protocole rigoureux afin de tester un nouveau médicament contre la coagulation du sang. En cinq jours, il empochera presque un SMIC, de quoi « payer le retard de loyer et d’autres dépenses… peut-être aussi d’arrêter définitivement le tabac ». Car il souligne qu’il lui sera formellement interdit de fumer.

 Sa compagne, elle, vient de démissionner, lasse de ses  horaires décalés, du travail éreintant et monotone.

D’un premier compagnon,  elle a eu un fils. Mais le gamin va mal, il a 10 ans et pique des rages terribles ; il va dans une école spécialisée, une SEGPA. L’enfant aime bien Mr Pel. 

                                              ***                                         

Quelques semaines plus tard. La dette de loyer s’est sensiblement creusée. Je ne suis pas vraiment surprise. L’association est parfois perçue comme un édredon qui réceptionne bien (trop bien) les entorses aux obligations locatives.

Il me faudra du temps, des rencontres, des rendez-vous manqués, quelques conversations pour comprendre -un peu - la partie immergée de l’iceberg.

Avec l’argent du CHU,  Mr Pel a d’abord pris soin de ses rêves ; il s’est offert les dernières figurines d’Astérix qui manquaient à sa collection – que j’aurai l’occasion d’admirer -  Il a aussi convaincu  sa compagne de passer le permis de conduire pour qu’ils puissent ensuite acheter une voiture et partir le plus souvent possible à la mer. Ses alcoolémies lui ont été fatales, il n’a plus le courage de recommencer à zéro les épreuves du permis.

***

 Un jour, une crise conjugale sort Mme Lé à sort de sa réserve. Elle n’en peut plus de l’inactivité de son homme,  de sa mauvaise humeur, ses caprices, son mal être! Elle cherche de l’aide. Je lui indique les permanences  d’une conseillère conjugale, un rendez-vous est pris. Ni elle, ni lui n’iront finalement.

Peu après,  Mr Pel retrouve enfin du travail, un CDD en menuiserie. Pendant quelques mois, il va fabriquer des huisseries. Avec la perspective de cet avenir de nouveau acceptable, la famille retrouve un peu d’aisance et de stabilité.

 Les tensions  du couple s’apaisent !

Le fils et le père

Je n’ai jamais rencontré Mr Ro.  Anéanti par l’alcool, il est mort il y a quelques mois. Personne n’ayant réclamé ses affaires, il a bien fallu vider l’appartement qu’il occupait. Lisa  a rassemblé ses biens dans deux grands sacs en plastique : des liasses de relevés bancaires et autres papiers administratifs, des bricoles disparates, une affiche, quelques photos, , deux montres et des bagues.

Un jour, des bords de Loire, son fils unique m’appelle. Avec l’appui de son assistante sociale et de sa curatrice (il vit donc lui aussi, avec des béquilles sociales), il souhaite venir à Rennes récupérer les affaires de son père et  rencontrer ceux qui l’ont connu. Je sollicite les collègues et partenaires concernés. Les choses s’organisent par téléphone. 

 « A la gare, vous me reconnaîtrez facilement, j’ai 25 ans, je suis petit, un peu rondouillard et j’ai une casquette blanche sur la tête ! ». Quand il se décrit ainsi, je fonds intérieurement de ces mots sans fioriture, des « gens de peu » comme les surnommait tendrement Pierre Sansot.

Ce sont deux prêtres-ouvriers retraités qui, avec une solide équipe de bénévoles, vont l’accueillir durant ces 24 h. Ils connaissaient bien Mr Ro, d’abord dans la rue puis dans un logement. Depuis des années, ils accomplissent un formidable travail de présence et de soutien à ces gens que les passants regardent à peine sur les places de Rennes. Ils ont  prévenu l’entourage du défunt de l’arrivée du garçon.

Avant de reprendre son train pour Orléans, comme prévu, il passe à Alfadi, accompagné d’un bénévole.

L’émotion bande ses flèches noires, électrise la pièce où nous les accueillons. Le jeune homme s’assoit et découvre son héritage. Lentement, la main tremblante, il ouvre les sacs, en sort des objets tellement dérisoires, incapables de compenser son désir de complétude. Il regarde quelques photos où il reconnait  le papa de ses 12 ans puis d’autres d’un visage étranger, confus, abimé.  Dans une sorte de transe, il enfile une à une les bagues à ses doigts et tente de parler. Des sanglots jaillissent.

 Catherine, une collègue qui a bien connu Mr Ro,  lui restitue des mots,  vains dans l’instant, mais qui, peut-être, feront leur chemin :

« …votre père avait bien reçu votre lettre, il désirait aller mieux, se soigner avant de vous revoir…il ne vous avait pas oublié… »

Le jeune homme répète les paroles les plus blessantes qu’il a retenues de son passage à Rennes. Il exhume sa douleur, si longtemps tue. « Le mal qu’ils lui ont fait, ils l’ont fait à moi, je suis pareil à lui, mon père c’est moi. » Son corps tremble de spasmes incontrôlables.

Nous sommes là, silencieux, pleins d’empathie devant son naufrage.

Peut-être aurions nous pu lui offrir la chaleur d’une épaule, tenter un geste,  c’eût été plus doux. Nous autres professionnels, sommes aussi liés à nos automatismes et à nos peurs.

Puis, le jeune homme se calme, salue, repart avec ses sacs vers son train du soir, vers les bords de Loire.  

 Métro

Je vais à un rendez-vous en métro. Dans la rame clairsemée, un jeune homme hirsute se distingue des autres voyageurs. Il marmonne un étrange soliloque mi-anglais mi-français. Un maillage subtil de regards, de mimiques et de gestes surgit tel un mur invisible entre les autres et lui. Perplexité, signes discrets de connivence surprise, amusée ou compatissante.  

           La différence fascine. Elle cristallise des réactions souvent aigues et contrastées : peur, attirance, rejet, compassion, curiosité. Elle renforce les sentiments d’appartenance, agit comme un révélateur entre les groupes humains. Il existe entre eux des frontières plus ou moins poreuses.

Je le regarde, un très bref instant, pour lui signifier que je n’ai pas peur et qu’il peut m’adresser son discours. Il décline l’offre, passe à autre chose. Il exécute un balancement spectaculaire de tout son corps contre une barre d’appui verticale. La tête au sol et les pieds en l’air puis il reprend sa place initiale.

        Comme lui, tant de gens hors norme, sont brutalement ou subtilement éloignés, écartés. La mixité sociale, tant revendiquée dans les discours, reste trop souvent une utopie.

La maison vide

La trentaine, menue, petite et brune, Mme Fo va bientôt mettre au monde son 5 ème enfant. Elle a tendance à baisser les yeux (ils sont beaux et verts), à laisser la masse de ses  cheveux épais et son mari parler pour elle.

Ses deux aînés ont été placés dans un foyer de l’enfance il y a quelques années. Comme ils ne reviennent jamais à la maison, le père ne les voit plus. Trop humiliant de se déplacer pour aller rencontrer ses propres enfants. Inconcevable de solliciter leur amour filial dans de telles conditions.

Restent un adorable garçonnet de 6 ans et une petite fille de 2 ans et demi. Celle-ci, quand elle n’est pas dans sa poussette, ou dans son baby-trotte, est tenue étroitement contre le flanc de sa mère. Qui protège qui ? On ne sait pas. Mais on sent bien qu’il y a empêchement à la montée naturelle de la sève pourtant si vive de l’enfance. La petite a la peau du visage marquée de tâches ; elle ne marche pas, ne peut même se tenir debout, ses jambes arquées restent molles. Elle marmonne quelques mots entre ses lèvres serrées sur une tétine en caoutchouc. Une fois passés les premiers instants de timidité, le garçon pâle et maigrichon essaie de capter mon attention en me montrant ses jouets.

 Son père le rabroue à plusieurs reprises. Toujours vêtu du même pantalon de laine sombre, avec son ventre spectaculairement proéminent, il a la silhouette clownesque d’Obélix. 

 Mais lui ne possède aucune potion magique pour anéantir ses ennemis, seulement  la menace dérisoire des mots. Il aimerait « leur foutre des baffes sur la gueule à ces abrutis » à ceux qui critiquent sa façon d’élever ses enfants !

Aux aguets, il déverrouille prudemment le portail de sa cour quand il sait que je viens, à moins qu’il ne m’attende carrément sur le trottoir. Il me donne le nouveau numéro de portable de sa femme ; il a voulu qu’elle en change « pour pas s’faire emmerder par les autres. »

 Ils sous-louent une maisonnette à l’allure précaire, délabrée, construite à la hâte dans les années 50 après le tsunami solidaire qu’avait suscité l’abbé Pierre. Ils l’entretiennent bien. Ils paient un loyer résiduel dérisoire mais le chauffage électrique et l’eau chaude coûtent cher. D’autant plus qu’ils laissent souvent les fenêtres ouvertes pour aérer. Ils fument beaucoup tous les deux. Vieille habitude. Index et majeur jaune orangé.

Le temps est long, la vie est lente. Seul luxe dans cette maison, la télé panoramique toujours allumée. Elle tient lieu de vacances, de baby-sitter, de livre, de sorties, de relations. Répétition des tâches quotidiennes : le fils à accompagner à l’école 4 fois par jour, la petite chez le kiné, les visites à l’hôpital pour le bébé à naître. Ils font tout à pied ou en bus, par tous les temps. Pour éviter la coupure scolaire du midi, on leur avait proposé que l’enfant reste manger à la cantine. Cela avait fonctionné un temps puis le père, fâché qu’on ne lui accorde pas la gratuité totale, l’avait retiré.

 Ils  ne possèdent pas les codes  éducatifs et sociaux suffisants pour s’intégrer dans la société. Ils comprennent encore moins les interventions de tous ces gens de la PMI, du CDAS et pire encore, les travailleurs sociaux du service « enfance et famille » qui viennent régulièrement à leur domicile. Mandatés par le juge des enfants, ils ont la délicate mission de suggérer d’autres façons de faire avec les enfants. Ils proposent et, le cas échéant, peuvent imposer des actes dans le cadre d’une AEMO. C’est insupportable, surtout pour lui.

Mes interventions liées à l’habitat ne les menace pas fondamentalement, alors ils m’acceptent.  Mais je me sens mal à l’aise car je connais la gravité des procédures en cours. Comment leur faire visiter sereinement une maison quand je sais que l’insupportable risque d’advenir. Eux le pressentent, ils sont d’ailleurs invités à entendre le rapport des éducateurs avant qu’il ne soit envoyé au juge. Celui-ci devrait les convoquer bientôt. Ils ont des stratégies d’évitement, de déni, se concentrent sur leur microcosme, les joies et les soucis du quotidien,  l’espoir d’un déménagement  qui changerait tout ;  « le juge comprendra qu’on offre une belle vie à nos enfants ».

                                             ***

Ils se partagent les tâches, à elle l’extérieur, à lui la maison.

D’ailleurs elle n’a pas le droit de toucher au lave-linge. Justement, il  a des soucis avec. « Je ne sais pas ce qu’il a mais les lavages durent des heures…et les factures d’électricité sont énormes ». On confronte nos expériences : je  lave  la plupart des vêtements à 40°, lui  lave tout à 60° au moins. Etonnements, curiosités.  On regarde de près les  programmes.

 La bouffonnerie effleure le tragique : l’ignorance, la bonne volonté pour découvrir, la gaité soudaine, le soulagement de comprendre.

Il me parle de son ballon d’eau chaude qui fonctionne mal. Il n’a pas averti  les services d’entretien de l’AIVS. La trouille, la flemme, la crainte de demander, d’être mal reçu ? Consterné, il me montre son four neuf mais pratiquement hors d’usage « Je l’ai acheté 49 euros à Netto…le joint a brûlé dès la première utilisation ». Mr  Fo est dépité par sa désastreuse- bonne affaire  « Il marche encore, mais c’est pas d’chance quand même »

         Il faut la patience d’un artisan pour exercer ce métier si particulier d’ethnologue-juriste-avocat-interprète- écrivain public. Nos capacités relationnelles, la confiance, le respect, l’empathie… opèrent parfois des  déverrouillages subtils..

Je m’étonne à voix haute qu’ils laissent toujours les volets d’une chambre fermés. « C’est à cause de l’humidité ; depuis cinq ans qu’on est là, on a changé trois  fois la tapisserie ; alors on laisse le radiateur électrique allumé et on ferme la porte, les enfants n’ont pas le droit d’y jouer».

 La maison est déjà petite, l’espace à vivre restreint. Les parents dorment dans le séjour. Chaque nuit, ils déplacent la table, déplient un vieux canapé pour dormir. Vident-ils le cendrier plein chaque soir ? Chacun ses répulsions. Pour moi, c’est très difficile, l’odeur du tabac froid. Sachant en plus qu’un bébé va naitre bientôt…

                                    ***

 Peu avant Noël, la juge des affaires familiales, informée par différents rapports sociaux, décide d’enlever le nouveau-né à sa famille. Rapt institutionnel, consenti comme un moindre mal. Alors que la mère est partie chercher son grand à l’école, une voiture de police s’arrête. Des hommes débarquent, frappent à la porte de la cour et emmènent le bébé. Quelques jours plus tard, ils emmèneront les deux derniers enfants, délestant les parents de ce qui les enracinait le plus dans ce monde.

 Je reçois Mme Fo quelques jours plus tard au bureau où elle vient chercher quelques dizaines d’euros qui lui sont dus. Elle balbutie quelques mots de tristesse et de révolte puis s’en va. Discrète et vaincue sur un lourd vélo noir et poussif que je ne lui avais jamais vu.

 Quelques jours plus tard, je passe au domicile. Mr Fo est seul. Sa femme est partie voir ses trois plus jeunes enfants.  Il reste debout ; Je m’adosse contre un mur. Il fume en silence, prononce quelques paroles sur sa honte immense face aux voisins, son refus absolu de se déplacer au foyer de l’enfance.

« Moi, si j’y allais, je casserais tout ! »

Dans 1 an, dans 2 ans, l’histoire va-t-elle recommencer avec un nouvel enfant?

La cuisine d’Alfadi

On y est bien dans cette cuisine confortable et claire, tout au bout du couloir. Une ou deux fois par jour, on s’y retrouve pour bavarder, décompresser, lire le journal, déjeuner. Les fumeurs(ses) prennent l’air sur la terrasse. Les parfums de thé se mélangent à celui plus fort du café… On peut mettre son pique-nique au frigo en arrivant le matin.

C’est le lieu du collectif convivial, des échanges informels. Fréquemment, les uns ou les autres apportent quelques gourmandises : des biscuits,  du chocolat, un gâteau- maison… pour le plaisir, pour fêter un départ, un anniversaire, pour cimenter le groupe dans de fréquentes et minuscules célébrations du plaisir de vivre. Comme un antidote à la dureté des situations humaines rencontrées chaque jour.

 Selon l’humeur et le temps disponible, chacun y passe puis retourne à ses rendez-vous. Corinne, la secrétaire-hôtesse d’accueil, a toujours son oreillette de téléphone installée, prête à répondre.

Le stylo-plume

Homme affable et solitaire, Mr Am recherche les contacts humains. Il  me reçoit dans son appartement haut perché. Le soleil de novembre éclaire les  deux fauteuils synthétiques, le bahut récupéré à Emmausmeubles lourds et dépareillés du séjour.  Il m’offre un thé à la menthe et quelques amandes disposées dans une soucoupe. Je retrouve les sensations d’une Afrique que j’ai connue et aimée, le temps qui se dilate, se décloisonne, s’ouvre, magnanime. A la fenêtre, les grands arbres des Gayeulles chuchotent la même abondance immatérielle.

C’est la première fois que nous nous rencontrons. L’écheveau des mots s’étire. Mr Am m’invite à parcourir les sommets et les abimes de sa vie.

Simplement.

 Abruptement.

 Sur une photo jaunie, il me montre, attendri,  une silhouette féminine :« C’était ma femme, on habitait en banlieue parisienne, on attendait un enfant… voyez  comme son ventre est gros…elle était prête à accoucher… ses parents portugais n’ont jamais accepté ma nationalité d’origine et ma religion…dès que nos fils est né,  ils sont tous repartis au pays... il a 14 ans maintenant, il vit là-bas, avec sa mère… je ne les ai jamais revus. »

Mr Am  sourit tristement. Des cernes profonds trahissent des insomnies, une santé chancelante. Il y a 10 ans, un doigt écrasé lors d’un accident du travail, lui a valu la reconnaissance de travailleur handicapé. Mais le taux d’incapacité reconnu ne lui donne pas accès à un revenu de substitution.

Il relève un pan de sa chemise et me montre une grosse tâche sombre, une espèce de soleil noir dans son dos. Ses douleurs invalidantes à la main et au bras l’immobilisent parfois pendant des jours et des nuits. Sur une étagère, un paquet de calmants, d’antalgiques et d’antidépresseurs !

Il m’indique une autre photo sur le mur. Une jeune femme très belle entourée d’enfants. « C’était mon unique sœur tant aimée…morte, assassinée !  Ca s’est passé l’année d’avant mon accident ».

Effrayé par la violence de ses malheurs, il se lève soudain, s’éloigne vers la cuisine, marque une pause. Nous abordons des sujets moins brûlants : l’ameublement du logement, la dette de loyer.  

            Nous avons peu de temps pour une convivialité gratuite, sans intentions spécifiques dans nos métiers sociaux. Certaines associations, les prêtres-ouvriers et leur équipe de bénévoles, les groupes d’entraide mutuelle offrent cela …mais ceux que nous accompagnons ont rarement la force d’oser ces liens nouveaux.

                                             ***      

Début janvier, alors qu’on roule vers la communauté d’Emmaüs à Hédé, il m’offre un beau stylo-plume dans son étui de bois. Je viens à peine de refuser son repas ;  j’accepte, touchée par ce cadeau inattendu.

Arrivés là-bas, un compagno nous oriente vers le hangar réservé aux meubles de basse qualité. Au moins,  il n’y aura  pas à subir la comparaison avec le mobilier réservé aux clients plus riches.

 Mr Am se choisit  une table, une armoire, un sommier, une étagère et deux chaises.

30€, livraison comprise.

                                             ***

Un mois plus tôt, pensant gagner du temps (le dépôt des meubles se trouvait dans Rennes) , j’avais rédigé  un courrier à une autre association caritative, sésame indispensable pour obtenir le tarif de solidarité. Mr Am avait choisi un sommier neuf à lattes! L’homme du dépôt avait alors scotché dessus un bout de papier « réservé » et nous avait orientés vers le hall d’accueil puis avait ajouté, laconique :

« Pour les formalités, essayez de voir le responsable ! ».

 Non initiée aux habitudes de ce lieu, j’entre avec Mr Am.

Beaucoup de familles de tous âges et nationalités attendent. Les mères calment les petits qui s’agitent.

Patience, patience, patience encore et toujours ; Vertu essentielle car elle conditionne leur chance d’obtenir un colis alimentaire, de quoi se nourrir quelques jours.

Assise derrière une longue table encombrée de papiers, une bénévole retraitée interroge à tour de rôle le premier de la file. Elle  parcourt des yeux l’exposé du travailleur social, écoute, retranscrit les demandes sur une fiche spéciale et oriente les gens vers de petits bureaux.  On la sent agacée, fatiguée.

Je  laisse Mr Am dans cette cour des miracles, et lui souhaite bonne chance. On m’attend ailleurs.

Quelques jours plus tard, il me racontera ses déboires, étonnamment indulgent pour celle qui avait oublié  d’inscrire le fameux sommier sur la fiche, indispensable pour retirer le meuble. Il y est retourné deux fois, pour rien. Il n’est  pas parvenu à se faire entendre.

             Comme si les pauvres parlaient une langue non recevable, inaudible, incompréhensible.

 Après un échange avec les collègues, je lui propose Emmaüs, plus loin mais plus organisé. J’envoie un fax expliquant les ressources et les besoins de Mr Am  à l’assistante sociale. Le même tarif estampillé « solidarité » est accordé.

                                             ***

 Mr Am supporte sans se plaindre ces contretemps. Croyant faire une bonne affaire, il a acheté un téléphone portable 30 € à un inconnu qui n’a jamais fonctionné !  Par crainte de représailles, il n’a rien osé dire au vendeur de rue, pourtant recroisé depuis.

Le mois dernier, il a perdu son portefeuille dans le bus. « Je l’ai oublié sur le siège. Je suis allé le jour même à la STAR mais ils n’ont rien retrouvé, même pas les papiers». Tout à refaire, la carte vitale, la carte d’identité, le passeport, sans parler de l’argent.

J’apprends qu’EDF lui avait coupé l’électricité pendant 8 mois…il s’est éclairé à la bougie jusqu’à ce qu’il rembourse sa dette avec l’argent du FSL.

Il cherche un emploi. Quelle autre alternative pour  sortir de cette vie de  misère?

Pendant sa récente formation en  « Gestion des déchets » il a mieux vécu : plus de liens sociaux, plus d’argent, plus de légèreté.  Puis de nouveau, il a replongé dans l’angoisse de la survie avec son allocation spécifique de solidarité de 400 €.

 Chaque semaine, il se rend au Point Accueil Chômage. Du lundi au vendredi, il fait la tournée des agences d’intérim. Par le biais d’une association de quartier, il réussit à se faire parrainer par un jeune cadre d’entreprise. Comme il n’a plus de téléphone, je fais l’intermédiaire et participe à la première rencontre. Le type est sympa, désireux de partager ses compétences et son réseau professionnel.  Mais au fil des semaines, il se démotive quand il réalise les nombreux obstacles que doit affronter Mr Am : pas de moyen de transport individuel, handicap, difficultés à communiquer rapidement...Le lien, fragile, se délite.

Comment payer le loyer, rembourser sa dette, les frais d’huissiers qui  courent malgré la signature et le respect scrupuleux d’un plan d’apurement, les factures d’énergie, l’eau, se nourrir, accueillir ses parents quand ils viennent en France.

 Avant, dans une autre vie, il  aimait jouer aux échecs. Cette passion lui  permettait de rencontrer des gens différents. Manque de moyens ; l’inscription dans un club coûte trop cher. Lui reste le plaisir solitaire de la cigarette.

Le chantier

La première fois, je  rencontre Mr et Mme Cha au bureau avec Lisa. Elle les connaît depuis longtemps et fait les présentations.

Les cheveux blancs et longs, tirés en une maigre queue de cheval, Mme Cha me sourit spontanément. Son mari, quand il ne somnole pas,  ouvre ses yeux d’un bleu intense. Ils  contrastent avec l’opacité lourde de son teint. Tous les deux portent les stigmates d’un alcoolisme au long cours.

Ils se sont connus dans un centre de soin et se sont mariés récemment.

Grâce à un héritage familial,  Mme Cha a dépensé une petite fortune pour la fête. Robe, costume, repas de noces, cadeaux… « A la Grandé !» comme on dit en Italie. « Y’a pas que Sarkozy à pouvoir s’offrir le luxe. »

 Mme Cha consomme quotidiennement un cocktail bières-médicaments. Elle supporte les aigreurs gastriques, la somnolence, la bouche pâteuse et s’emporte avec véhémence si l’on ose questionner son régime suicidaire. Son visage déjà congestionné s’empourpre :

 « Mon médecin et moi, ça fait plus de 20 ans qu’on se connaît, alors !»

Malgré ses malaises importants, elle tente de sauvegarder son apparence, sa vie sociale. Boudinée dans un jean trop serré, elle cultive coquetterie et mondanités. Nous avons le même prénom et elle adore me le rappeler, comme un symbole enfantin de fraternité.

                                                     ***

Un matin, j’ai rendez-vous à leur domicile et  m’apprête à repartir devant la porte close. Il y a eu un loupé, ce qui arrive assez souvent. Les gens d’Alfadi notent rarement leurs rendez-vous. Ce n’est pas l’agenda qui manque mais l’envie, la culture. Ou alors ce sont des préoccupations qui les absorbent, des peurs, des ras-le-bol qu’on vienne les chercher là où ça fait mal. Parties de cache-cache avec eux même et les autres.

 Je rejoins ma voiture quand je vois arriver les deux fils de Mme Cha, nés d’un premier mariage. Présentations. Nous restons un long moment à parler dans le froid hivernal.

Depuis son accident de voiture, l’aîné marche difficilement, appuyé sur un déambulateur. Il laisse entendre dans une moue cynique et désabusée qu’il fume beaucoup - et pas que du tabac - mais qu’il ne va pas si mal comparé à sa génitrice.

Le cadet, beau comme un jeune arbre, a l’allure fringante d’un diplômé des grandes écoles. Cuisinier depuis peu au chômage, il est revenu à Rennes pour y chercher du travail et aider sa mère, m’explique t-il. Révolté par son addiction morbide, il envisage d’interdire à tous les magasins du quartier de lui vendre la moindre goutte d’alcool.

 Les 2 frères évoquent à demi-mots leur enfance douloureuse.

Mais la préoccupation du moment c’est l’appartement maternel en piteux état. Avant l’été, Lisa avait sollicité une association qui devait réaliser un grand nettoyage. Le projet n’avait pu se concrétiser car l’entreprise traversait une crise. En découvrant la somme exigée pour un simple « grand ménage », les fils, emportés par un fougueux élan salvateur, proposent d’accomplir ce travail, en mieux. Repeindre, retapisser, acheter de nouveaux équipements ménagers, monter des étagères…

                                             ***

L’idée suit son cours. Coups de fil entre Pierre, le curateur de Mme Cha, celle-ci, son mari, ses fils  et moi. On se rencontre deux fois tous ensemble.  

Le benjamin, enthousiaste, presque exalté, a ramené les prospectus des magasins de bricolage et d’électroménager. Il propose des devis, expose ses compétences, convainc…Mme Cha, accepte. Son mari également. Pierre et moi avons envie d’y croire. Il autorise donc le retrait d’une grosse somme d’argent ;  le chantier peut commencer.

Au fil des semaines, nous rendons quelques visites ou téléphonons pour prendre des nouvelles. Elles  sont, hélas, assez vite mauvaises.

Les deux jeunes ont commencé à tapisser toutes les pièces en même temps sans en finir aucune. Un chaos formidable s’est amoncelé partout ; des rouleaux de tapisserie, des pots de peinture, des pinceaux, de la colle se mélangent aux ordinateurs, chaine hi-fi et vêtements des garçons. Les cendriers pleins, les assiettes sales, les briques de lait et bouteilles vides sont abandonnés sur la table, ou par terre.

La cuisine et la salle de bain sont dans un tel état d’encombrement et de saleté que j’ai du mal à imaginer comment ils peuvent encore les utiliser. Les fils ont totalement envahi l’espace parental (à peine 45 m2) ; ils y invitent leurs copains et copines, mangent et dorment là. Plusieurs fois, je tente de les contacter par téléphone, sans succès.

                                             ***

L’intention semblait sincère mais ils ont vite été rattrapés par leurs démons intimes. Sans habitude de rigueur, déchirés par des sentiments antagonistes (conscients ou non) vis-à-vis de cette mère qui les a si mal aimés – et, de surcroît,  devenue relativement riche alors qu’eux-mêmes survivent à peine-  ils ont tout laissé partir à vau l’eau.

Un matin, paniquée, Mme Cha m’appelle ; elle s’est réfugiée chez une voisine et supplie que je vienne la voir immédiatement.

 « J’ai peur pour ma vie…mes fils m’ont bousculée, tiré les cheveux, menacée, injuriée... ça ne peut plus continuer, cette fois c’est trop…mon aîné perçoit une Allocation d’adulte handicapé que sa curatrice lui verse au compte-goutte,  sinon il dépense tout en bonbons, en drogue, en bêtises ; l’autre m’a avoué être revenu à Rennes parce qu’il était recherché par la justice… » 

Au fil des semaines, son mari s’alcoolise de plus en plus, complètement stressé par l’envahissement de son lieu de vie. Il finit par trouver refuge à l’hôpital psychiatrique.

Constat d’échec !

          Il aurait fallu être plus vigilants, susciter d’emblée un partenariat avec la curatrice du fils aîné, proposer aux fils de restaurer une seule pièce avec un délai et un budget précis.  

La situation s’aggrave encore.  Le couple parental vit dans la peur. Je les rencontre, les écoute, réfléchis avec eux, le curateur de Mme Cha…

 L’urgence : changer la serrure.

Porter plainte ou pas ? Mme Cha  est confrontée à un choix douloureux. Se protéger elle-même en sollicitant le tribunal  ou continuer à minimiser la gravité des agressions. Je lui propose de rencontrer l’assistant social de la police afin de réfléchir aux différentes hypothèses et à leurs conséquences. Finalement elle portera plainte.

« Une petite activité parallèle »

Je rencontre ce passionné de Renaud dans son HLM, long bâtiment sans charme posé près d’un domaine militaire. Anneau d’or à l’oreille gauche, cheveux mi-longs, jeans savamment déchirés, petit foulard au cou ; il a adopté le style de son chanteur-fétiche. On parle musique - j’adore la chanson moi aussi - ça nous aide à engager les premiers contacts.  

Il est arrivé à Alfadi après avoir loué une chambre vétuste à un propriétaire escroc. Rapidement relogé, Mr Do s’en satisfait moyennement ; il rêve d’autre chose, une maison à la campagne.

          Ils sont nombreux ceux qui aspirent à un bout de terre !  Parfois, le miracle survient ; une maison avec jardin  se trouve disponible par un hasard de circonstances : PLU avec projet de démolition dans un futur indéfini, acquisition par Rennes métropole, entrée dans le parc AIVS…

 Jardinier en « contrat aidé » dans une entreprise d’insertion, il précise qu’il fait un peu de brocante en  parallèle avec un copain. En effet, pas mal de bibelots et meubles s’entassent dans l’appartement, ne laissant que très peu d’espace libre.

Je lui transmets un document administratif qu’il doit remplir et renvoyer au bailleur. Des choses banales pour le citoyen ordinaire à peu près organisé, qui s’accommode de cette paperasse hélas incontournable. Justement, Mr Do ignore où se trouve sa feuille de non imposition. « Mon ex m’aide toujours pour mes papiers, je vais voir ça avec elle et je vous porterai  le document dans l’après-midi. Pas de problème…. Ce jour là, Mr Do s’engage aussi à rembourser une dette de loyer. Il s’agit d’une centaine d’euros, cela n’a rien d’énorme. Je lui rappelle simplement les grandes lignes du contrat élaboré avec Lisa. Etant en sous-location, comme beaucoup d’autres personnes, il n’a pas de problèmes financiers avec le bailleur puisque c’est Alfadi qui paie. Mais ce filet protecteur ne le soustrait pas à ses obligations.

et pour le loyer, je récupèrerai des sous de la brocante en fin de semaine… ! ». On se salue.

Je dévale les 5 étages sans ascenseur. Besoin  de me dégourdir les jambes, respirer profondément  l’air froid du dehors. Chez lui, ça sentait violemment le tabac froid. Les tissus, les canapés en étaient imprégnés, sans compter l’odeur pénétrante du chien. Cocktail suffocant.

Je ne sais trop quoi penser de l’entretien. Entre les paroles et les actes, entre les intentions et le réel…on verra…

Il ne vient pas dans l’après-midi.

                                             ***

Les semaines passent.

 Impossible de le joindre sur son portable. En appelant son employeur, j’apprends qu’il est en arrêt maladie suite à une chute de mobylette.

Ses freins auraient lâché un dimanche matin alors qu’il allait acheter des croissants. Pas de chance.

 Je lui envoie un courrier pour prendre de ses nouvelles et lui rappeler nos accords. Rien… je laisse des messages sur son répondeur… en vain. Rien qu’une voix féminine enregistrée et monocorde qui répète la même phrase.

Puis, un matin de bonne heure, surprise ;  il m’attend dans le hall, le visage fatigué, chiffonné. « J’ai passé la nuit dehors, j’ai perdu mes clés. Vous avez un double ici ?»

Je cherche dans l’armoire métallique… Théoriquement, il doit y en avoir une!

 Quand il comprend qu’il va pouvoir enfin rentrer chez lui, il se relaxe.

Café ? Oui, oui, un café s’il vous plaît.

On passe dans un salon d’accueil. Il me raconte sa longue nuit dehors, ses indemnités journalières jamais reçues, ses galères d’argent, de permis de conduire… à 20 ans, il avait foncé dans un barrage de flics. On lui avait retiré le précieux papier rose…qu’il n’a jamais eu le courage de le repasser.

 On en vient à la longue période de silence… Dans ses yeux je lis l’hésitation, parler ou se taire. Il se lance :

« Vous m’avez écrit, vous vous rappelez ? Vous vous êtes moquée de moi dans cette lettre. J’ai pas supporté. »

Je monte dans mon bureau et imprime un double du courrier pour comprendre ce qui l’a blessé. Je découvre la phrase assassine : « … votre petite activité parallèle ».

 « J’ai pas encaissé vous comprenez, elle n’est pas petite mon activité, elle est comme elle est !»…silence d’acquiescement….

Puis il ouvre les vannes du passé et s’en suit un long récit d’humiliations, de malchances, de rejets répétés. Il constate avec amertume que ça a commencé en famille. « ...ils ont tous une bonne situation…A Noël  dernier, j’ai fait la manche devant le magasin que gère un de mes frères, il ne m’a même pas regardé quand il est sorti…»

Long chemin à parcourir pour lâcher le rôle ambigu de victime pour un rôle plus vaste, plus riche et coloré.

     

Regarder fixement  par la fenêtre est inconvenant 

Mr et Mme Aub sont mariés depuis presque 20 ans. Soudés, massifs, compacts, au physique et au moral. Tous les deux travaillent en  milieu protégé. Souriants, surtout lui, presque débonnaire. Un faux air de Baloo, cet ours magnifique qui danse et chante avec Moogli. Elle, parfois renfrognée, l’air absent mais captant tout dans les moindres détails. Elle a fourbi d’autres armes, douces et guerrières, aiguisé sa perception des êtres.

Passée la trêve hivernale, ils se retrouveront à la rue si notre association, en lien avec d’autres partenaires, ne leur trouve pas une solution de relogement. Il y a 3 ans, le bailleur, recevant maintes plaintes du voisinage, avait tenté un déménagement dans un autre quartier puis s’était lassé car les mêmes critiques avaient resurgi ailleurs : le bruit, l’alcool, des attitudes étranges, pas « normales», des façons cavalières d’apostropher le voisinage, d’observer par la fenêtre, ouvertement et sans détour.

C’est l’assistant social du CDAS qui a alerté la commission locale de l’habitat et demandé l’intervention d’Alfadi.

                                    ***

Après un court échange téléphonique (ils ne lisent ni l’un ni l’autre), je vais les voir chez eux pour un premier contact.  Nous sommes début janvier ; Il fait déjà nuit à 17h30 !

Je cherche leur immeuble et le trouve finalement tout au bout d’un îlot de petits cubes identiques de 3 étages, entourés d’arbres. Ils viennent de rentrer du travail et m’invitent à leur table encombrée. Des tas de bibelots, d’objets disparates empilés par terre, dans les angles, dans la grande vitrine. Entre le dedans et le dehors,  leur salle de séjour et la nuit, une immense baie vitrée, sans rideaux ; être vus ainsi m’inspire le sentiment désagréable qu’ils sont exposés dangereusement,  vulnérables.  Derrière, il y a des fenêtres, des gens, d’autres petits immeubles identiques.

 Mme Aub  me raconte la genèse de leur histoire ; son désir farouche de se marier avec cet homme là, assis près d’elle ; quand tous s’y opposaient, familles et institutions. Ils l’ont fait. Elle s’éclaire soudain d’un grand éclat de rire.

Elle enchaîne avec la naissance de leur fils. Puis l’effondrement quelques semaines plus tard : « Ils sont venus nous le prendre.» Elle n’a jamais compris. Il a presque 18 ans maintenant ; la souffrance s’est assoupie dans les profondeurs de son être. Le fils vient les voir tous les samedis.

                                               ***

Je les rencontre à plusieurs reprises, écoute leur perception des faits, leurs souhaits de relogement. Ils savent qu’une épée de Damoclès oscille dangereusement au dessus de leurs têtes. Quoi faire, quoi dire ?

Ils ont si peu de prise sur le futur ; ils vivent dans le présent. Ce soir même, Mr Aub a affronté une voisine en colère. « Quand j’ai sorti la poubelle, j’ai oublié mes clés ;  alors j’ai sonné chez elle pour qu’elle m’ouvre. Je me suis fait traiter bien mal pour ce bête oubli.»

 Ils ne comprennent pas ce qui leur arrive.

                                             ***

 Je contacte quelques partenaires qui les connaissent, depuis des années parfois : le médiateur de la société HLM, les assistantes sociales du travail, la curatrice… Nous cherchons ensemble une solution. L’idéal serait une petite maison, proche des transports en commun et des entreprises. Chaque année, la CLH  propose ainsi une vingtaine d’habitats dits  « adaptés » ; mais tant d’autres gens cherchent la perle rare.  

 Mr Aub parle volontiers de l’atelier de sous-traitance automobile où il se rend chaque matin en covoiturage avec un collègue. Il est très fier d’avoir trouvé cette solution et il aime bien son boulot. Hélas,  les commandes diminuent avec la crise et dès janvier ils auront des journées de chômage. Conscient de sa tendance à boire un peu trop, il a décidé d’arrêter l’alcool pour ne pas être licencié. Maintenant ça va de ce côté-là.

Quelques jours avant Noël, il était assis tranquillement à la table, comme ce soir. Un homme a lancé de toutes ses forces un projectile dans sa fenêtre. La vitre s’est fracassée ; il aurait pu être blessé, tué net.

Le vitrier étant en congé, ils ont supporté 3 semaines le froid  particulièrement intense, cet hiver là.  Ils ont simplement scotché un grand carton sur le trou béant. Ils ne se plaignent pas, font peu de commentaires. « C’est la deuxième fois en moins d’un an. L’assureur se demande s’il va continuer à nous assurer ; ça lui coûte trop cher» précise Mr Aub.

Rabelaisienne

Est-ce d’avoir été chauffeuse-routière pendant des années ? (ça existe au féminin, le mot chauffeur-routier ?!) Quand je la rencontre pour la première fois, je suis estomaquée par sa voix, ses gestes, ses vêtements, ses mots…elle a tout pris de l’apparence masculine ! Après quelques secondes d’adaptation, j’intègre. Ok, c’est une femme-mec.

Elle a préféré que je vienne chez elle. J’entre donc dans son petit studio, au premier étage d’un immeuble miteux, coincé entre une  poste de quartier et un garagiste. Elle me propose son unique chaise et s’assoit sur le lit qui prend la moitié de la pièce. Comme souvent, la télé fonctionne.  Je lui demande prudemment si elle accepte de l’éteindre et si elle peut attendre que je parte avant d’allumer une nouvelle cigarette. Elle me concède le retrait du son et finit sa clope tranquillement (silencieusement amusée par ce qu’elle estime peut-être comme des requêtes de bourgeoise délicate) 

 Elle semble plutôt satisfaite du cheminement avec Alfadi. Je bénéficie d’un à priori positif.

Mme Mi  a été expulsée de son HLM suite à des troubles de voisinage. Son style de vie et de langage surtout ne plaisait pas à tous, en particulier à ses proches voisins, un retraité militaire et  sa femme. Entre eux, un léger (ou gros) différent de palier se réglait à coups d’injures et de menaces qui auraient fait pâlir d’envie notre cher Brassens, pornographe du phonographe. Ces grenades verbales faisaient mouche et anéantissaient les fameux voisins qui, n’en pouvant plus, ont fini par porter l’affaire en justice.

Une audience est d’ailleurs prévue d’ici quelques jours. Elle me dit qu’elle s’en fout, qu’elle n’a rien à perdre de toute façon, n’ayant  ni mômes, ni personne. Et, si prison il y a, ce sera, en somme, une nouvelle aventure dans sa vie.

Finalement, le juge la condamnera à70 heures de travaux d’intérêt général.

***

Dès ce premier rendez vous, j’ai  eu un condensé de ses talents oratoires. Plus que l’étendue sémantique, c’est la persuasion de la voix qui subjugue.  Quand elle se fâche, elle fulmine sans retenue. Ses nuées ardentes ne préviennent pas ; elles jaillissent et mettent KO l’adversaire, quelles qu’en soient les conséquences. Contrairement à d’autres « accompagnés » d’Alfadi qui ont intériorisé une attitude relativement soumise et se tiennent à grande distance des revendications politico-sociales, elle, crie sa colère, dénonce les exploitations et les injustices.

Mme Mi déteste et aime à haut voltage. Avec un loyer actuel  pourtant élevé pour des ressources de 450 €, elle  soutient ses voisines subissant le même propriétaire véreux, surtout les mères, qui survivent tant bien que mal.  Elle  a toujours un pack de lait, des biftecks surgelés ou des pâtes pour les dépanner.

                                             ***

Lasse de vivre dans son deux-pièces ; elle veut retrouver un vrai logement. Elle maintient scrupuleusement son inscription au « service habitat social » de Rennes métropole mais il y a très peu de T2 disponibles dans les quartiers qui l’intéressent. On lui a proposée un bel appartement au …5 ème étage sans ascenseur, incompatible avec ses problèmes de santé. Elle n’en peut plus d’attendre !

                                             ***

 Un lundi matin, 9h, je commence ma semaine de travail par une visite à domicile. Décidément, elle me mène par le bout du nez, elle se débrouille pour me faire venir. Sans trop me l’avouer, je fais une entorse à la règle générale qui consiste à alterner les lieux de rencontres,  tantôt au bureau, tantôt chez eux.

 Je frappe à sa porte.

 Je me sens comme une comédienne concentrée qui va entrer en scène et sait qu’il devra mouiller sa chemise, donner le meilleur dans un spectacle d’impro émotionnellement dense. Je respire profondément. Je pense souvent à Almodovar et à ses histoires extrêmes : amours, désirs, morts et rédemptions. Il trouverait des pépites d’or à Alfadi.

Je frappe à nouveau ! Rien. Pourtant le rendez-vous était bien prévu!

C’est alors que j’entends sa voix claquer comme un fouet, contrariée, mauvaise : « Entrez, vous êtes sourde ou quoi, vous voyez pas qu’j’suis au téléphone ». Je fais un pas et j’entre, mal à l’aise, un peu sonnée par son uppercut verbal. Dans la pénombre, je l’aperçois -drap tiré sur ses épaules nues - dans son lit, la télé allumée et le portable à la main.

Je ressors aussitôt ! Aucune envie de supporter son humeur massacrante…et son intimité.

« Bonjour, j’attends dehors, le temps que vous vous habilliez, question de respect.».

 -Partez !  De toute façon, je n’ vous demande rien. Nous, les gens dans la merde, tout le monde s’en fout ».

- Je ne me fous pas de vous, simplement j’ai besoin de quelques conditions pour dialoguer ».

 Elle éclate, elle en veut au monde entier, au propriétaire surtout, qui n’a pas bougé le petit doigt. Depuis 2 jours, les eaux sales de l’étage supérieur refluent dans son évier avec des odeurs pestilentielles ;  impossible de cuisiner ou laver la vaisselle. De surcroît, elle n’a pas été retenue pour un boulot qu’elle convoitait. Des livraisons en, horaires décalés sur toute la Bretagne. Et de plus, elle est malade ; bref, ça va mal, mal, mal…

La tempête passe, elle apparaît, en survêt et tee-shirt, à la porte ; elle ouvre ses volets, éteint sa télé et m’offre un café… elle est à bout de nerfs.

La paix revient ; on réfléchit, on décide ensemble quoi faire. Elle a peu d’unités sur son portable, elle me demande de joindre son proprio afin qu’il vienne immédiatement. J’appelle. Mal à l’aise, il promet qu’il va se déplacer le jour même, que les canalisations sont effectivement en mauvais état, que des locataires irresponsables mettent n’importe quoi dans les éviers et qu’il n’y peut rien. Mme Mi commente à voix haute, sans aucune retenue : « cet espèce d’enculé, ce gros connard, ce pauvre con d’enfoiré de… ».

Cette scène me paraît folle car lui, proteste à peine. Il semble quasiment…habitué. Il sait parfaitement qu’en dépit de ses injures et ce problème d’évier, elle a raison. Car il abuse cyniquement de ses locataires peu aptes à se défendre. Il leur loue cher des studios lamentables. Il donne les quittances au compte-goutte; il piétine les lois qui régissent les contrats de location.

Quelque temps après cet épisode, nous reparlerons du langage, de ses effets. Elle se contente de sourire. Elle s’en fout et  plutôt m’entraîne chez sa voisine qui habite un deux-pièces  minable au rez-de-chaussée: un réduit sans fenêtre en guise de chambre, une salle d’eau ni éclairée, ni aérée, des carrelages cassés, des fils électriques hors-norme, une  prise de courant à quelques centimètres de la douche … Elle me demande comment faire cesser ce scandale.

Quand un obstacle tombe

 Les premières rencontres plutôt réservées ont laissé place à un lien plus serein entre Mr Glo et moi.

Profondément meurtri dans son estime de soi, il a accompli, à son rythme, quelques actes qui ont inversé le sens du mouvement. Spirale ascendante, ténue mais tangible. Il a un peu plus confiance en lui et en l’avenir.

Aujourd’hui, je l’accompagne au Palais de justice pour un rendez-vous avec le juge des tutelles. Une peur paralysante l’avait empêché d’honorer une première audience un mois plus tôt.

Cette fois, il est déterminé à  se défendre. Il refuse cette curatelle tellement suggérée comme LE moyen d’aide INDISPENSABLE par deux travailleurs sociaux qui le connaissent depuis des années et ont été témoins de sa descente aux enfers : envahissement incontrôlable de son appartement, expulsion, dettes, aggravation de sa toxicomanie et de son alcoolisme, rupture familiale…

             Lors des passages de relais et partenariats entre professionnels, les évaluations des uns peuvent influencer notablement le regard des autres. Une part de subjectivité interfère, filtre empreint de nos références  intellectuelles, théoriques, émotionnelles. Vision forcément relative. Penser une éthique de la transmission est essentiel.

13h45- Il n’est pas là. Je vais frapper à sa porte. Rien ! Je l’appelle sur son portable. Silence ! J’étais convaincue qu’il viendrait. Perplexe, hésitante, je décide malgré tout d’aller au tribunal pour le représenter. Alors que je conduis, une collègue me téléphone : «Il n’a rien entendu, il dormait dans sa chambre. Il veut aller à l’audience…peux-tu revenir le chercher ? » OK, je reviens.

Pendant le trajet, il raconte son expérience du tribunal, il y a 8 ans. Affolé par ce rendez-vous devant le juge des affaires familiales, il était arrivé pratiquement à la fin. Son attitude avait encore alourdit les griefs de son ex-compagne. Il s’était résigné à un droit de visite restreint qui ne lui convenait pas et, au fil des mois, il avait renoncé à voir son enfant. Depuis peu, il a reprit contact et il retrouve un peu d’espoir!

 Puis, sans transition, alors qu’il n’y a plus de pression dans ce sens, il entrevoit des aspects positifs à une curatelle provisoire. Il est très calme, étonnement ouvert au dialogue.  

On attend très peu.

 Le juge d’instance interroge brièvement Mr Glo sur sa situation actuelle. Flottant dans ses vêtements sombres, qui exacerbent sa pâleur, il  affirme d’une voix grave qu’il va mieux depuis qu’il a retrouvé un toit. L’homme de loi lui fait un cours magistralement complexe sur l’éventail des mesures judiciaires et administratives. Puis, pressé, sans susciter le dialogue, il prononce une mainlevée. Mr Glo n’en revient pas d’avoir déjà fini. Quant à moi, je suis interloquée par cette justice expéditive.

Etant là, au cœur de cet immense paquebot sur pilotis, je propose à Mr Glo  d’y conclure quelques affaires restées en suspens.  Nous déambulons d’un étage à l’autre avec une sorte de fébrilité confiante. Un grand vent souffle contre les baies vitrées. On pourrait presque voir apparaitre le mufle d’une baleine dans cet océan de bleus tachetés de gros nuages voyageurs.  Il obtient un double de son jugement de séparation (perdu depuis longtemps), récupère son permis de conduire (mis sous scellé depuis un an).

Nous rentrons. Il fait doux. Le printemps pointe son nez. Aujourd’hui tout semble possible et je m’étonne de ce métier de funambule.

Lassitude  

 

Parfois j’en ai plus qu’assez, sensation d’avoir mille ans, fatiguée de jouer les sœur Emmanuelle, fatiguée de côtoyer des traîne-misère, lasse de cette société barbare qui comptabilise tout et n’importe quoi dans son PNB obsolète, nous paie pour que ceux que certains- et non des moindres - nomment « la racaille », rasent les murs en silence.

Parfois, j’arrive au bureau et je suis soulagée parce qu’un rendez-vous a sauté… la personne n’a pas prévenu ! Ouf, un répit !

Dans ce métier on est comme les chasseurs ! On cherche longtemps des traces dans la neige, on sonne à des portes désespérément closes, on laisse des messages qu’on voudrait engageants sur des répondeurs,  on appelle des numéros qui ne fonctionnent plus depuis longtemps, on écrit, on propose un, deux, puis trois rendez-vous. On change de tactique et proposons une rencontre  en présence du directeur… sans réponse… sensation désagréable d’emm… ces gens qu’on est censés «  accompagner  ».

Quelle légitimité avons-nous au fond à les « suivre » et « poursuivre » ainsi ?

On fait un tour au restaurant des clodos, « Le fourneau »,  pour voir si,  par hasard, dans le groupe des chevelus-barbus qui attendent et bavardent dans la cour, accompagnés de leurs chiens-anges gardiens, celui qu’on cherche n’y est pas. On se faufile, un peu gênés par nos vêtements propres, nets qui signent notre différence, on entre et l’on s’entend dire « Untel ? Pas venu depuis 3 jours, désolé ».

            Que font-ils, où sont-ils, ces « usagers » ? Drôle de mot qui glisse facilement vers… usés, usagés, vidés, éculés comme leurs chaussures, leurs comptes en banque, leurs rêves ! Nés gueux plutôt que princes, subissant le délitement des métiers, la modernité aseptisée qui exclue et isole, toutes ces révolutions contemporaines qui creusent  l’angoisse et bouchent l’horizon à une frange grandissante de la population.           

            Sensation de vertige devant la tâche : fertiliser le désert avec nos arrosoirs et nos semis de jardins.

    Je suis lasse du cloisonnement des programmes d’aide, lasse d’entendre des discours rabâchés, imprécis, pleins de mots vidés de leur substance…presque des mensonges qui circulent  abondamment et  masquent la réalité brute, charnelle.

           Lasse de faire avec les différentes strates d’accompagnements, aux contenus souvent aléatoires, ambivalents, quoiqu’en disent leurs concepteurs. Les objectifs (favoriser l’autonomie, l’insertion…) soutenus par des lois et des décrets qui évoluent sans cesse, s’adressent à des publics bien cloisonnés (les plus de 25 ans, les Rmistes, les mères seules, les handicapés…) et s’exercent selon des durées, des procédures administratives variées. Et nous, travailleurs sociaux, salariés de collectivités territoriales, d’institutions et d’associations diverses, parfois frontalement ou subtilemement opposés (logiques économiques, managements portés par des philosophies  divergentes, jalousies de statuts, implications individuelles différentes, parfois antagonistes…), sommes au cœur de la marée. Tels des bois flottés,  nous résistons variablement à la corrosion.

 

 

Un bouchon de gazinière

Aux dernières nouvelles, Mr To était parti pour quelques semaines de vendanges ! On est en décembre, le raisin fermente depuis longtemps dans les cuves.  Mais pas de Mr To à l’horizon, il ne répond pas à mes appels  Pourtant je souhaite le rencontrer rapidement.

Notre association est  garante de la bonne occupation des logements de ses sous-locataires. A ce titre, j’ai reçu la copie d’un recommandé. J’y apprends que sa gazinière pourrait faire exploser tout l’immeuble - tant qu’un bouchon de sécurité ne sera pas posé sur une arrivée de gaz défectueuse. Coïncidence;  la semaine précédente c’est un appartement entier qui a brûlé au dessous de chez moi, à cause d’un court circuit dans un appareil ménager !

Dans les mêmes temps, une Animatrice locale d’insertion m’appelle, ennuyée, car elle aussi,  cherche à joindre Mr To. S’il ne répond pas à sa 3ème convocation, elle devra informer la CAF qu’il n’a plus de contrat RMI valide ce qui entrainera la suppression de son allocation.

 Je décide d’aller sonner chez lui. Personne.

 Je laisse un mot dans sa boîte à lettres. Aucune réponse. Le lendemain, j’y retourne et glisse sous sa porte une lettre plus explicite où je propose de l’aider concrètement à régler cette histoire de bouchon ; je  lui expose les conséquences d’un silence persistant.

Miracle ! Il me téléphone. On se rencontre le jour même. Mal à l’aise, il m’explique qu’il sentait bien une odeur de gaz quand il cuisinait, Il ouvrait la fenêtre, voilà tout. Pas de quoi fouetter un chat !

Nous partons à Leroy-Merlin acheter le fameux bouchon puis je le dépose au pied de son immeuble.

« Alors ça ira, vous l’installez aujourd’hui même, promis?

 –oui, oui, pas de problème »

Je rappelle le lendemain. Il n’a pas d’outil pour dévisser son écrou grippé et n’ose pas demander un coup de main aux voisins. Finalement, je prends deux pinces chez moi et nous résolvons le problème. Un début de confiance s’établit entre nous.

Depuis longtemps au RMI, il aimerait bien travailler. Il n’a jamais validé sa formation de garde-forestier par une quelconque expérience de travail. Trop de vents contraires. Récemment, son père est mort, ses deux sœurs vivent loin de Rennes, son couple a éclaté, il voit son fils de temps à autre, jamais seul ni chez lui.

 Une occasion se présente, à prendre rapidement. Son animatrice locale d’insertion lui propose  un « contrat aidé » de 20h pour débroussailler des berges de rivières.

Quelques jours plus tard, perplexe, cette partenaire me recontacte pour savoir si j’ai revu Mr To. « Il est venu au premier entretien qui s’est bien passé…il devait rencontrer le chef de chantier le lendemain…il n’est pas venu et ne répond pas au téléphone.

A tout hasard, je sonne chez lui en fin d’après-midi. Il m’invite à monter d’une voix à la fois endormie et excitée. Il était tranquillement en train de boire et fumer avec un ami, « on se connait depuis l’enfance, il passe quelques jours chez moi ». Son pote le sermonne avec indulgence d’avoir laissé passer une offre de boulot, reproche de pure forme, comme une politesse qui me serait due à moi, ambassadrice du bon l’ordre social. Ils réalisent l’inutilité de leurs efforts et comprennent qu’ils peuvent jouer la carte de la sincérité.  

Une chatte angora s’étire nonchalamment sur une étagère. Mr To, d’humeur bavarde, reprend de bonne grâce le récit des derniers jours, la vodka l’y aide certainement. Il est bien allé au premier entretien car il connaissait la responsable, mais l’idée d’affronter le chef d’équipe l’a tellement angoissé qu’il s’est mis hors d’atteinte, hors jeu, à l’abri entre ses quatre murs. Les coups de fil, insupportables, attendre que la tempête passe, faire le mort, ne plus penser, ne plus ressentir, fuir.

                                             ***

Je lui exprime ce que je ressens de mon côté en échouant à chaque appel. « Dès que je suis avec quelqu’un je l’éteins ; clic-clac, c’est mécanique, j’y pense même pas !» m’explique t-il d’un ton sans appel. Il ne peut pas envisager une autre manière d’être, quel que soit l’enjeu d’un coup de fil, n’en déplaise aux professionnels zélés et bien intentionnés  que nous sommes.

La perspective de travail est écartée pour l’instant.

Cependant d’autres sujets le préoccupent : les démarches liées à l’héritage de son père, la convocation pour le contrat de RMI, les relations difficiles avec sa banque. Il ne sait plus si son assurance-habitation est encore valide. Quand je lui  propose de l’accompagner ; il accepte volontiers.

« J’sais pas leur parler, moi » me dit-il  avant d’entrer.

Nous saluons l’employée, assise, à demi-cachée par un guichet central. Debout, mal à l’aise, il demande à voir sa conseillère (dont il ne sait pas le nom).  La banquière, évasive, répond que personne ne peut le recevoir mais qu’elle lui donne un rendez-vous pour la semaine prochaine. Elle me dévisage, interrogeant ma présence. Je me présente, l’inconfort est palpable.

La question est  simple. Combien lui facturent-ils son assurance habitation? Elle cherche sur son écran : 180 € pour un 40m2.  

Je suis scandalisée par cet abus manifeste vis-à-vis d’une personne fragile. Mr To ignore a tellement intériorisé ses échecs qu’il se sent toujours en faute, toujours coupable.

On parle 5 mn discrètement tous les deux. Echange d’informations, soutien et encouragement dans sa décision. Nous réussissons à annuler son contrat d’assurance et, sur le champ,  allons chez un autre assureur qui pratique des tarifs raisonnables.

On ressort de la boutique à l’heure du déjeuner, sous un froid mordant. Mr To grelotte dans sa veste légère mais il est content !

En marchant vers la voiture, on croise des gens qui portent banderoles et  panneaux sur les épaules.  Ils rejoignent la gare pour participer à la grève nationale ; l’ambiance est à l’insurrection, à la révolte et à la fête (sombre peut-être mais fête quand même). Quand je l’aurai déposé chez lui, j’irai me joindre à eux.

Résurgences

 Petite, très ronde, avançant à pas menus avec ses pieds chaussés de ballerines en tissu fleuri, Mme Co ressemble à une enfant apeurée. Ses cheveux noirs et raides et son teint blanc, sa retenue, lui donnent des airs de geisha. Elle esquisse enfin un sourire après une première demi-heure d’apprivoisement.

 Après quelques années d’un accompagnement social fructueux, Mme Co a un logement correct, une vie tranquille qui lui convient. Elle gère ses modestes ressources sans problème. « J’bois pas, j’fume pas !» me dit-elle un jour, comme pour minimiser sa réussite.

                                             ***

Mme Co arrive en fin d’après-midi dans les locaux de l’association. Nous rédigeons ensemble une lettre à la CAF qui lui réclame un indu. Convaincue de n’avoir fait aucune erreur, elle est déstabilisée par le ton accusateur du courrier administratif.

De l’autre côté de la porte, on sent une effervescence inhabituelle monter. Ce soir, Alfadi fête les vœux avec ses administrateurs et partenaires, et, pour la première fois, sont invités aussi les « usagers ». 

Mme Co se réjouit et s’inquiète, elle a envi de participer mais cette nouveauté la stresse. « Ce sera long, pas trop j’espère, la nuit tombe vite en janvier ». Un peu déconcentrées, on finit enfin la lettre à la CAF. Les voix des premiers invités nous parviennent. Elle se crispe soudain :

« Quelqu’un a parlé de Mme Xé, je la connais, je ne veux surtout pas la voir, j’ai participé à un atelier cuisine avec elle dans un chantier d’insertion, elle me traitait toujours de lente. C’est pas vrai, j’suis pas lente, c’est pas de ma faute !»

Elle frémit d’une colère longtemps contenue et fait ressurgir ce passé douloureux.

Après un moment, « Voulez-vous que j’aille vérifier si cette personne est là ou pas ? Si l’idée de la revoir est trop pénible, vous êtes  libre de changer d’avis et partir ». Cette alternative la rassure. Finalement elle participera à la soirée, la personne redoutée n’étant pas là.

Cérémonie des vœux 2009

Pour l’occasion,  la salle de réunion - pas très grande pour recevoir une foule de gens-  a été vidée de ses chaises et autres mobiliers. Ne reste qu’une table remplie de petits fours, canapés, vins,  jus de fruits et autres gourmandises. Toutes ces couleurs excitent les papilles.   

 Dans un élan d’audace, le directeur a concrétisé l’idée, lancée par l’un de nous, d’inviter aussi les gens d’Alfadi.

Quelques uns sont très en avance. Mme Li, plantureuse femme métissée, patiente depuis 16 h dans le hall d’accueil. Elle s’est donnée du  baume au cœur avec quelque boisson alcoolisée. Pour tromper l’ennui, elle déguste un, puis deux cafés et apostrophe nonchalamment ceux qui entrent. Je la salue, on se connait déjà de vue. Ravie de tromper l’ennui, elle me complimente, me dit que je suis belle et moi de lui répondre qu’elle est très belle. On rit. Cette femme, dont je ne connais rien, rayonne d’un charme particulier. Je ne sais pas si Corinne, la secrétaire, s’amuse autant à l’avoir ainsi à ses côtés. Difficile de se concentrer dans ces conditions.

Vers 18h, le flux des invités grandit.

 Les habituels : hommes vêtus de sombre, bien rasés, femmes élégantes, sobres et  discrètement parfumées. Les discussions s’engagent naturellement entre les visages connus, partenaires, collègues, élus, administrateurs…

Et les autres : les cabossés, les gens de la rue, les précaires des minima-sociaux. Une dernière petite clope devant l’entrée pour se donner un plaisir familier, affronter cette soirée spéciale.

 Les eaux se croisent mais ne se mélangent pas.  Cette  situation vaguement iconoclaste, intimide tout le monde. 

Nous, les salariés, tentons d’atténuer l’effet de surprise, les peurs, mettons en relation les personnes susceptibles d’avoir quelque chose à se dire, et petit à petit, invitons les gens à monter jusqu’à la grande salle.

Il faut vite réinstaller des chaises ; on avait oublié que la santé non plus n’est pas également partagée ;  des malades, des estropiés sont là et ne peuvent rester debout trop longtemps.

                                             ***

Les deux mondes se frôlent, contraints par l’espace.  Monsieur Lou, à l’aise lors de nos rencontres à deux - bonnet de marin vissé sur la tête-  ne me lâche pas. Je fais quelques présentations. Il met un temps fou avant d’oser adresser la parole à des inconnus. 

Chacun cherche son chat, tente de recréer un territoire rassurant.

 Une sensation éloquente bouscule les frontières habituelles.

L’odeur de la pauvreté s’est immiscée partout ; elle a envahi le hall d’entrée, l’escalier, la grande salle, bourrée à craquer de personnes au coude à coude. Un mélange âcre et puissant crispe les narines. L’odeur des corps, des vêtements, des haleines renvoie chacun à une animalité viscérale, suscite des émotions profondes et sans appel , attirance, répulsion, métaphore des usages et normes de chaque groupe social. On ne peut éviter de sentir ;  Les cerveaux reptiliens lancent des SOS…des images archaiques surgissent.

Pas de repli possible. Par correction vis-à-vis des hôtes. La salle trop petite, amplifie l’expérience.

On écoute les discours, qui, cette année de changement, s’allongent exceptionnellement : le président sortant, sa remplaçante et enfin le nouveau directeur. Soudain, désinhibée par l’alcool, une voix s’élève. Le verbe haut, la première arrivée proteste contre l’immobilité, l’ennui, la lassitude de rester ainsi debout si longtemps.

 Quand arrive la fin des élocutions, tous applaudissent à l’unisson. On entend un murmure de soulagement et de gaité. La salle s’anime, retrouve sa liberté de mouvement. Quelques uns en profitent pour s’esquisser, n’en pouvant plus. La misère dans les courriers, les films, les discussions entre pairs, oui, mais, delà à une confrontation intime c’est trop. Un collègue va discrètement ouvrir une fenêtre. Aérer. Que l’air glacial de l’hiver vienne atténuer les sensations olfactives.

Petit à petit, les choses se détendent : les plaisirs du boire et du manger et de la convivialité familière, la possibilité de faire quelques pas, la foule qui se dilate également vers le hall, les efforts conscients pour s’adapter…

 Drôle de soirée !

 Rupture

Petite femme brune, la quarantaine enrobée, un soupçon d’accent portugais, Mme Di m’accueille chez elle. Il y a 3 ans, expulsée d’un logement, elle a aménagé ici en famille  avec le soutien d’Alfadi. Le budget tient à peu près, l’équilibre global semble attester d’un mieux-être durable. Elle et son compagnon envisageaient-avec Lisa-  de clore le lien avec l’association. Mais l’éclatement du couple est venu tout bouleverser.

Mme Di me précède dans le jardin où son linge sèche. J’envie son coin de terre en pleine ville : un arbre, une cabane, de l’herbe, des fleurs, un lieu où les enfants peuvent jouer dehors.  Etrangement, elle n’ouvre jamais les volets sur ce côté verdoyant et calme. Un jour, elle se plaint de l’obscurité permanente de sa salle  « Voyez, il n’y a pas même pas d’éclairage central au plafond !

-Mais pourquoi vous n’ouvrez pas les volets côté jardin ? ça vous donnerait beaucoup plus de lumière !

Pas de réponse.

Ce serait si simple ! Opacité des êtres !

 Je ne sais trop comment soutenir cette femme en colère, désespérée. De sa dernière union, est née une petite fille, blondinette de 4 ans, longtemps après 2 autres filles, toutes les deux majeures.  Mme Di vient d’abandonner son poste de femme de ménage car elle n’arrivait plus à concilier ses horaires décalés avec l’éducation de la petite. Elle n’a guère hésité. Avec l’Allocation de parent isolé versé pendant un an, elle a presque autant d’argent qu’en travaillant, elle se donne le temps de voir venir…

Elle compulse ces maudites factures qui arrivent et s’amoncellent sur les meubles, inéluctablement. Elle les égare,  les retrouve,  relit avec angoisse les sommes écrites en gras, les mises en demeure en rouge.  Comment payer le gaz, l’eau, l’électricité, la dette de loyer, l’assurance de la voiture?

Tout ça lui donne la nausée, et,  pour se calmer, elle fume sans arrêt. Elle aimerait dissoudre ces équations douloureuses dans les volutes légères de la fumée qui monte, disparait. Le magma brûlant des problèmes lui gâche la vie : argent, habitat, enfant, justice, travail, solitude. Elle mange mal et fume beaucoup trop. « Quand j’aurai la force, je ferai quelque chose pour arrêter !»

 A travers ses propos, je comprends sa longue expérience de la précarité. Elle m’explique son plan d’apurement négocié avec tel organisme, ses tentatives échouées avec tel autre, sa demande de dégrèvement de la taxe d’habitation. Elle passe la moitié de ses semaines chez les créanciers ; l’autre à se reposer et maintenir les liens familiaux…beaucoup ont quitté le Portugal et se sont installés  aux alentours de Rennes.

 Petit à petit, elle affronte les conséquences de sa nouvelle vie.  Souvent, elle visite une cousine qui a un forfait téléphonique permettant d’appeler vers l’étranger. Elle peut parler autant qu’elle le veut à son père resté au pays. Chaque semaine, elle lave et repasse le linge de ses grandes filles. La cadette de 18 ans, aurait bien aimé passer son bac et poursuivre ses études mais un bébé va naitre avant Noel. Cette grossesse imprévue  a permis au couple de trouver facilement un logement. Un matin, je croise son ainée, maussade qui, sans un salut, ouvre un placard et se gave de bonbons rouges comme des grosses fraises en guise de petit déjeuner.  Mère à la dérive, fatiguée déjà par  les épreuves, les boulots mal payés et les rêves anéantis.

Mme Di  aime ses filles et les aide autant qu’elle le peut. Elles aussi vont devoir lutter, avec ou sans homme, avec leurs enfants. Elle se souvient de ses maternités précoces, d’un unique garçon mort à la naissance, puis la petite dernière. Quatre ans seulement ; presque le même âge que son petit fils. Elle en veut tellement au père de sa fille de l’avoir déçue, trompée.

C’est comme ça, elle n’a jamais su garder les pères de ses enfants près d’elle. Tous sont partis.

Quand le désarroi pèse trop, elle va prier sur la tombe de sa mère, enterrée près de Rennes, puis elle rentre pour 16h30. Sa petite a besoin d’elle.

L’homme invisible

Combien de fois ai-je tenté de rencontrer ce père de famille sensé être « accompagné » par Alfadi ? Sa dette de loyer grimpe un peu plus chaque mois. Un policier m’appelle pour me signaler qu’un de ses chiens a mordu par deux fois une grand-mère, que ses carcasses de voitures encombrent le trottoir. Tout ça finira à la casse avec une grosse amende.

Mr Va travaille dans un abattoir à 20 km de Rennes, un vrai contrat à durée indéterminée, une rareté. Il s’occupe pratiquement seul de ses enfants , sa femme, souffrant de troubles psychiques, étant incapable d’assumer son rôle.

Il est terrorisé à l’idée que ses enfants lui soient retirés.

 Deux travailleurs sociaux de l’APASE viennent chez lui pour une Action Educative en Milieu Ouvert. Nous parlons à plusieurs reprises au téléphone. Ils font ce qu’ils peuvent pour le soutenir dans son rôle de père ;  ils peuvent …peu.

Je lui ai proposé plusieurs rendez-vous après 18h, chez lui ou au bureau, lui ai écrit des courriers pour lui montrer que je ne venais pas pour l’encombrer de soucis supplémentaires mais  pour le soutenir dans la résolution de quelques uns.

Jamais on ne s’est rencontrés !

Plusieurs fois, je suis venue après 18h dans sa petite rue tranquille, bordée de maisons coquettes. Je frappais à la porte mais je n’avais pour toute réponse que des aboiements de chiens enfermés à l’intérieur. Il faisait nuit mais aucune lumière ne filtrait du pavillon. A l’heure où la plupart des familles se retrouvent chez elles, où les enfants jouent, font leurs leçons, regardent la télé, il n’y  avait apparemment personne. Pas un signe de vie. Les chiens cessaient d’aboyer quand je m’éloignais, et le froid, l’hiver,  l’impossible rencontre, la détresse cachée que j’imaginais.

« La dame n’ouvre jamais, elle se cache !» m’avait dit le policier. Et les enfants ? Enfermés eux aussi ?!

Un jour, au bureau, en réponse à un n’ième courrier, je trouve une enveloppe non timbrée à mon nom. Sur une feuille de cahier d’école déchirée à la hâte, des mots écrits au feutre bleu azur :

« Madame, voici mon nouveau numéro de portable (l’ancien s’est cassé), un RIB nouveau (celui qu’a votre comptable n’est plus valable) »…on peut se voir, vous pouvez m’appeler.

 Le  surlendemain, j’essaie de le joindre à son nouveau numéro. Une voix préenregistrée répète mécaniquement « il n’y a pas d’abonné à ce numéro ».

« Le téléphone est tombé dans l’eau » me précisera quelques jours plus tard l’éducateur de l’Apase.

                                             ***

Les oranges de Noel

Mr Ko est ouvrier intérimaire dans le bâtiment. Tout petit, avec ses parents, il a quitté sa Grèce natale pour émigrer vers l’eldorado Suisse. Puis son père est parti. Rapidement, il a  boudé l’école,  connu les foyers éducatifs, la rue, l’alcool. Ses pas l’ont emmené un peu partout en Europe, et enfin, il s’est installé  à Rennes.

                                                     ***

Mr Ko avait un appartement en HLM. Dans ces constructions anciennes, on entend tout ou presque de la vie des voisins : la télé, le bruit des chaises qu’on déplace, les cris des enfants, les conversations animées, les ébats amoureux, les disputes. Vivre tranquille dans ces conditions tient du coup de chance, tomber dans La bonne cage d’escalier, avec des voisins autant que possibles discrets, tolérants et pacifiques.

De temps à autre, il organisait des fêtes,  parfois très arrosées …et très peu appréciées du voisinage, d’autant que ses hôtes venaient avec leurs compagnons à quatre pattes. Alors ont commencé les plaintes au bailleur.

 Celui-ci, déjà agacé par ce locataire à cause de ses retards de paiements, a envoyé un médiateur pour tenter de trouver des compromis acceptables. Mr Ko s’est assagi, il a remboursé sa dette et payé régulièrement par la suite. Il s’est cru tiré d’affaire.

            Plus difficile et aléatoire est le changement du mode de vie. Les énergies d’habitudes sont puissantes et les réseaux relationnels ne changent pas en un jour.

Mais à nouveau, après une grosse fête isolée mais bien tapageuse, la valse des lettres de doléances a repris.

Et cette fois la procédure a été appliquée sans états d’âme : résiliation du bail, suspension des APL, expulsion.

Relatant cette période noire, Mr Ko, constatait avec amertume les traitements de faveur réservés à d’autres locataires bruyants mais plus diplomates. Ils s’en sortaient sans trop de problèmes. Etranger, il maitrise mal le français, les codes relationnels. Dégoûté, fatigué, il s’est de nouveau retrouvé à la rue. Il n’a pas su, ou pas pu, aller au rendez-vous pour l’état des lieux, visite contractuelle essentielle car elle fixe les responsabilités et …les conséquences financières des dégradations.  

A-t-il reçu le courrier avec l’heure et le jour, n’ayant plus d’adresse personnelle ? Connaissait-il les conséquences de son absence ? « A quoi bon » semble suggérer son geste d’impuissance. Le bailleur a  engagé des frais élevés pour refaire l’appartement et la facture lui revient.

                                             ***

Pendant des mois il a alterné partout, nulle part, chez une amie, dans sa voiture, la cabane du chantier où il  travaille. Il a horreur de s’immiscer dans l’intimité des autres s’il ne s’y sent pas autorisé.

Je l’ai soutenu pour que la Commission Locale de l’Habitat lui attribue rapidement un nouveau logement. Mi-décembre, l’AIVS lui propose un studio de 19 m2 dans une résidence d’étudiants, situé au dessus des garages, chauffage électrique, une simple pièce pour lui et sa chienne. Je l’accompagne pour la visite. Sachant qu’il n’a pas d’alternative,  il exprime joyeusement son soulagement de retrouver un chez-soi.

                                             ***

Fin janvier 2009.  Aujourd’hui, je le revois pour la dernière fois. Je suis venue avec Solenne qui prendra le relais après mon départ imminent. On sonne! Il arrive peu après jusqu’à la porte d’entrée de l’immeuble, un balai à la main. Sa silhouette dégingandée nous précède dans l’interminable couloir du rez-de-chaussée. Il nous ouvre sa porte, souriant, jovial. Il lâche son balai et sa serpillère, pousse un gros moignon d’os rongé dans un angle de la table ; un peu de tabac à rouler sort du paquet entrouvert. « Ma chienne est restée dans la voiture, sur le parking – mais attention hein, la fenêtre est ouverte, je la bichonne ma chienne -  j’ai à peine fini le ménage, vous arrivez un poil trop tôt, c’est pas grave, installez-vous. »

Et nous voilà dans ses meubles, la télé allumée posée sur une grosse commode retient une étagère  branlante ; tout ça vient d’Emmaus ou de la déchetterie.

On a à peine le temps de nous poser, qu’il nous entraine dans le flot tumultueux d’un récit de voyage.  Subjuguées par son timbre de voix rocailleux et grave, on marche sous le soleil brûlé de sa Grèce natale, ses mains volent comme des hirondelles électrisées par de chaudes vibrations orageuses. Un de ses doigts, rigide depuis un accident, suit la danse. Il parle, s’esclaffe avec des sons et des mimiques incroyables. Cet homme espiègle qui est là devant nous, magnifiquement ivre, a ôté le masque des convenances sociales ordinaires. Il est fou, il est sage, il n’a plus d’âge.

Il rentre à peine du Portugal où vivent désormais sa mère et son beau-père. Comblé d’émotions positives et de cadeaux, il exhibe une superbe casquette offerte par sa fille - dont j’apprends l’existence :

 « Ma fille, oui,  je l’ai fait naître, je l’ai tenue dans mes mains » nous dit-il, ému, ses deux mains ouvertes dans un geste d’accueil «…avec sa mère, on allait se marier, et puis, non, elle n’a pas voulu, ma fille n’est pas de moi, mais quelle importance, je l’ai tenue dans mes bras, je l’ai reconnue, c’est ma fille…elle est venue chez ma mère pour Noel, et aussi ma marraine, et regardez ma chemise, ma belle chemise…elle me l’a offerte,  j’ai aussi rapporté 5 litres d’huile d’olive, de la morue séchée, un lapin… regardez, on va le manger dimanche ».

Triomphant, il sort l’animal dépecé, rosâtre, dégoulinant et à demi congelé d’une glacière.

Il a un besoin incroyable de s’épancher sur sa vie, raconter son périple avec sa vieille 205 diesel: 1600 km aller et autant pour rentrer. « Avec un plein  j’ai fait presque 1000 bornes, vous vous rendez compte? J’ai réussi ! Heureux de partir et heureux de revenir ! Samedi dans la nuit, je me suis fait flasher en arrivant à Rennes ; trop bête ; pas le moindre problème sur les 3000 km et puis là, en arrivant. » Et il éclate de rire.

Soudain affairé,  il va chercher deux sacs en plastique et d’un énorme et lourd sac poubelle noir. Il plonge la main dedans et, tranquillement, remplit les sacs super U de belles oranges.

«Tenez, voici des oranges de mon jardin ;  oui j’ai bien dit mon jardin  ; prenez, prenez, c’est pour vous! ».

 Il rayonne de joie !

 Solenne et moi, nous nous regardons, stupéfaites par l’intensité de sa présence. Gagnées par sa folle gaieté, sa générosité, on rit avec lui.

Dans les interstices de son magnifique récit, sensible, affectif,  Solenne se hasarde à quelques questions ou sujets incongrus : la CAF, les ASSEDIC, l’APL, la recherche  de boulot.

 Hors d’atteinte, résolument ailleurs, il sourit et a cette attention délicate : «Au fait,  votre bébé, c’est un garçon ou une fille ? » Elle rectifie et ajoute ; c’est Lisa, une autre collègue qui vient d’avoir un bébé.

 « Entre nous, vous êtes là pour m’aider, non ? Alors je peux vous le dire. S’il n’ y ‘a pas de boulot à Rennes, je partirai faire les saisons, je bosserai au black, et comme ça je pourrai rembourser ma dette au bailleur.»

Nous repartons  chacune avec un sac d’oranges !

Conclusion

Je pourrais vous raconter d’autres histoires…

Cet homme à la santé chancelante, ex-clodo qui, enfin relogé dans une maisonnette, s’inquiétait tant pour son frère, plus mal en point que lui. Un jour, il m’accueille dans son deux-pièces sombre, humide. Avec mon nez (trop) aiguisé, je crus mourir de dégoût à chaque seconde, chaque effluve d’un mélange nauséabond : tabac froid, chien mouillé, salpêtre, odeurs indéfinissables du matelas pourri, à même le sol…

                                              *

Et cette jeune mère, immensément fragile, toujours sur le qui-vive, pressée, menacée de l’intérieur. Comme impuissante, ligotée par un destin  trop lourd, elle regardait ses deux filles suivre sa voie chaotique. Tellement perturbée qu’elle ne parvenait plus à attraper la main tendue.

                                             *

Et cet homme, issu de bonne famille, colmatant les brèches qui menaçaient sa barque : les traumatismes de la légion, la prison, la déchéance, l’alcool, l’épilepsie. Il tentait sa chance dans une petite cité où il avait suivi une cure de désintoxication fuyant Rennes car trop dangereuse « j’y suis arrivé par le hasard d’un transfert de détention ; je veux changer de vie, vous comprenez, j’ai peur de rencontrer d’anciens prisonniers, ça pourrait finir mal ; j’en ai buté des types quand j’étais légionnaire. » Je passe un après-midi mémorable avec lui et son compagnon d’infortune.

                                             *

Et cette toute grand-mère de… 36 ans, mariée à 17 ans avec un forain. Ils ont eu 5 enfants. Une vie mouvementée à tenter de concilier leur double culture : maison, caravane, appartement, caravane... Un grave accident  a handicapé son compagnon…l’amour aussi s’est transformé. Elle a quitté le foyer, a continué  à se préoccuper de lui et des siens, autrement. En attendant que sa demande de maison aboutisse (« grâce à Dieu, dit-elle, ah, s’il n’existait pas celui-là, quelle vie impossible ») elle dort dans le canapé-lit d’une copine; l’un ou l’autre de ses enfants la rejoint parfois pour une nuit quand le manque devient trop lourd. Et puis, un beau jour, une vraie maison entourée d’un jardin lui est proposée. Elle exulte.  

 

      « Il faut être toujours ivre, tout est là ; c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous! » 

Beaudelaire                                       

                                             Sylvie Raimbault     -    Juillet 2009

Glossaire des sigles :

ALFADI : A ssociation pour le L ogement des FA milles en DI fficulté 

AAH : allocation d’adulte handicapé

AEMO : Action éducative ne milieu ouvert

AIVS : agence immobilière à vocation sociale

APASE :

API : allocation de parent isolé

ASS : allocation de solidarité spécifique

CAF : caisse d’allocations familiales

CDAS : centre départemental d’action sociale

CHU : centre hospitalier universitaire

CHRS : centre d’hébergement et de réinsertion sociale

FSL : fond social pour le logement

MDPH : maison départementale pour les personnes handicapées

PMI : protection maternelle et infantile

Référente : personne qui a un lien de proximité privilégié avec un usagé

RMI : revenu minimum d’insertion

SHS : service de l’habitat social

TGI : tribunal de grande instance

TS : travailleur social

Commentaires

contacter ce puissant homme il ma aider a recuperer mon ex

Bonsoir Tout le Monde !!!!!!!!!!
Je m'appelle lucette FERRES car j'ai vue vos forum futur maman je suis agée de 39 ans ,tout a commence quand nous avions quitter
PARIS pour venir en suisse pour des raison de travail avant notre depart tout etaient normal arriver làbas ,la vie etait encore plus belle mais quelques temps apres, mon mari ne revient plus dormis dans l'appartement que nous avions louer il passait tout le temps dehors et quand j'appelle son numero il me dit de l'oublier pour toujours les jours passe je l'appelle c'est la meme chose j'etais depasser et c'est sur aufeminin.com que j'ai decouvert le ... voyant Mr vodoun hounon qui me proposait de me fait un retour affectif rapide.Quand je lui avait narrée l'histoire il a decidé de m'aider et il ma offert une consultation gratuite,de suite il a commencer une cérémonie le lendemain qui était un jeudi par le biais de ces esprits et il ma donner 48heures pour le retour de mon mari .Le vendredi matin mon mari ma envoyer un message sur mon portable cela me paraissait etrange, et immediatement j'ai envoyer un mail a Mr vodoun hounon pour lui dit que mon mari ma envoyer un message pour me suplier.Mr vodoun hounon ma dit de le laisser qu'apres les 48h qu'ils reviendra, finalement le samedi soir vers 16h mon mari est revenu a l'appartement pour me supplier de le pardonner je l'ai accepter parceque c'est ce que je voulais qu'il reviennent.Actuelement je suis heureuse avec mon mari et la bonne nouvelle est que je suis enceinte de 5 mois je vous remercie Mr vodoun hounon car grace a vous je suis heureuse.C'est difficile a y croire mais finalement j'ai
eu la preuve du miracle.Je notifis que ce monsieur dont je parle est un Français et vie en france avec toutes sa famille,et je lui offert un telephone portable apres avoir eu satisfaction,en plus de sa ma manière de le recompencez est de faire sa publicité,c omme je le fais en vous demandant de le contactez pour tous vos problèmes en bref quelques soit la nature du problèmes: Par exemple: problème sentimental, de travail, d'enfant, guerison,mariage,grossesse,etc ...................... Je demande a ceux qui sont dans le besoin de faire recour a ce Mr , car il est souvant connecter.Essayez et vous n'allez jamais le regretter,je sais qu'il n'éxiste plus des gens du genre dans le monde,mais par la grace de Dieu j'ai pu decouvert la bonne personne. contactez le sur le 00229 67 88 27 01;il est souvent connecté sur skype pour des question de directe voila son adresse skype: hounon.amangnon il ne decroche pas des appel de ceux qu'il ne connait pas. Adresse email du voyant : puissantmarabout2014@outlook.fr conversation avec lui. Ecrit par lucette FERRES
Merci.

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Merci.

tout vos soucis n’exister pas à me contacter; car je suis la pour vous aidez

Bonjour
Suite à plusieurs années d'initiation spirituelles et détenant également des pouvoir de la magie noir avec action rapide et très efficace . Je vous

cites un peu de ce que je peux faire comme rituels:
1-problème de mariage
2-problème spirituel dans votre vie
3-malchance et blocage dans la vie
4-besoins de récupérer son amour
5-avoir du boulot
6-attirer l'argent vers vous
7-problème de divorce
8-être aimer par tous
9-retrouver votre futur amour
10-avoir la chance au jeux de hasard et jeux LOTO
Et pour tout autre cause, n'hésiter pas à me contacter . je vous trouverai toujours une solution adéquate satisfaisante .
Laisser moi vous aider , vous qui avez des problèmes. je pratique aussi traditionnelle et je met fin à plusieurs maladie incurable sur cette terre

et ceci immédiatement quelques soit le nombre d'année que vous traîner ces problèmes. Ne rester plus dans l'angoisse , je suis enfin de retour

pour avec de nombreux système pouvant vous satisfaire. N'hésiter plus , il n'y a pas de problèmes sans solutions.
Contacte Rapide: marabout07@live.fr je suis joyable +22999354712
Bien à vous

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Bien à vous

Témoignage de satisfaction du retour de mon ex mari

Témoignage de satisfaction du retour de mon ex mari
Bonjour,
Ne vous faites plus de souci pour vos problèmes d'ordre sentimental ou sociaux.
J'ai eu une expérience avec un voyant d'Afrique et grâce à lui j'ai retrouvée le bonheur car ma vie a changé de la meilleure manière sur tous les plans avec succès car il m'a fait revenir mon ex en 5 jours et en plus j'ai été promue dans mon service. Alors si vous avez des problèmes de couple ou un problème quelconque que ce soit: au boulot, dans votre vie social, sur le plan financier, et même sur la stérilité, etc... n'hésitez pas à le contacter.
Pour mon cas , mon copain s'est mis à changer sans aucune raison mais un jour je suis tombé sur une personne nommé COFFI en lisant le commentaire d'un internaute sur un forum et je me suis confiée au Médium-voyant sérieux et efficace.
Je vous le conseille pour une satisfaction totale et immédiate alors prenez votre destin en main.
voici son adresse electronique : prophetecoffi@gmail.com

Témoignage de satisfaction du retour de mon ex mari

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