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LA SUPERVISION : UN LIEU POUR LE MALENTENDU (Monographie 8e promotion)

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Isabelle PIEKARSKI

dimanche 05 septembre 2010

J'ai commencé ce travail relativement tard, je ne savais pas ce que je pourrais bien écrire à propos de la commande qui nous était faite. Ce n'était pourtant pas faute d'y penser, de me demander comment et par quel bout attraper la question .Je suis passée par plusieurs étapes dont je passerai sur la description, sauf peut être lorsque je me suis surprise à me demander ce qui pourrait bien présenter pour "l'autre "un intérêt à être lu, écouter, etc, etc.… Alors pour réussir à éviter je l'espère les sirènes de la séduction et tenter de témoigner simplement de mon travail, j'ai décidé de m'appliquer la même consigne que j'énonce à chaque début de séances de supervision : dire ce qui vient, comme ça vient, sans chercher à plaire à qui que ce soit, à commencer à soi même.

Je suis psychanalyste, de formation initiale éducatrice spécialisée. Je travaille en libéral et supervise depuis une dizaine d'années des équipes en majorité du secteur social.

Je suis également intervenue à l'I.R.T.S de Lorraine pour la formation des travailleurs sociaux dans le cadre de l'analyse des pratiques.

Construction du travail

Pour suivre la consigne que je m'étais donnée, j'ai commencé donc par me laisser guider par ce qui avait pu me surprendre dans les situations apportées par les éducateurs au cours de séances de supervision, et je les ai écrites. J'ai volontairement dans un premier temps exclu toutes recherches de sens et d'articulation théorique, faisant le pari que de ce qui avait fait surprise pour moi, s échapperait un savoir autre, voire une question.

J'ai choisi trois récits, un premier plus détaillé que les deux suivants. J'ai rendu compte le plus fidèlement possible des signifiants que j'ai attrapé lors de ces trois séances, et que j'ai ensuite proposés à la mise au travail avec les participants.

Je n'ai pas porté l'accent sur la problématique des enfants dont il est question, quand bien même il arrive que dans certaines circonstances j'en dise quelques mots ,mais toujours avec prudence car le lieu de la supervision ne doit pas se substituer à la réunion de synthèse.

Les professionnels dont il est questions sont moniteur-éducateurs, éducateurs.

Une question

"C'est la rencontre avec le désir de l'analyste qui produit le transfert, derrière l'amour dit de transfert il y a affirmation du lien du désir de l'analyste au désir du patient". 1

Comment dans le récit d'un éducateur venir cerner au delà des signifiants ce qu'il en est de son désir?

Comment l'amener à ce que cela fasse question pour lui?

Une hypothèse

De la même manière que le désir de l'analyste est en question dans la cure, celui de l'éducateur est à l'épreuve dans la rencontre avec l'autre. Si la condition du côté de l'analyste est qu'il en sache "un bout" sur ce qui l'anime du côté de son inconscient, et à ce titre éclaire sa position, pour l'éducateur cela se pose autrement du côté de sa formation. En effet les

savoirs dits " techniques et théoriques", ainsi que les réponses du "social" ont tôt fait d'entretenir l'illusion d'un savoir sur ce qui est bon pour l'autre, et de fait d'évacuer la question de l'inconscient.

Pourtant la rencontre avec un sujet en souffrance soumet le professionnel aux effets du transfert, et le confronte à la question de son désir. Je pense qu'occuper la place de superviseur c'est avant tout insuffler du manque dans le savoir afin de causer la parole de l'autre (professionnel). C'est ce que modestement ce travail tentera de démontrer.

MINA

Cette situation est amenée par Véronique éducatrice au cours d’une séance de supervision.

LE CONTEXTE

Il s’agit d’un établissement qui accueille des jeunes filles enceintes et pour une durée théorique de six mois après la naissance de l’enfant. Les professionnels sont de formation éducateurs spécialisés, éducateurs jeunes enfants, puéricultrices, conseiller en économie sociale et familiale. Les supervisions sont bimensuelles.

LA SITUATION

Mina est âgée de 13 ans lorsqu’elle arrive au foyer d’accueil d’urgence ou comme son nom l’indique elle se retrouve suite à son renvoi par son père du domicile familial.

La mère de Mina est décédée deux années auparavant d’un cancer, elle à un frère âge de 11 ans.

Le petit ami de Mina a seize ans, il est également placé en foyer.

Mina est enceinte de trois mois à son arrivée, elle dit qu’elle avait envie d’avoir un enfant mais peut être pas si tôt. Lorsque son père l’apprend il fait pression sur elle pour qu’elle avorte, mais les délais semblent passés pour une I.V.G et Mina veut garder ce bébé. S’en suivent des scènes violentes avec le père qui dit avoir dû déménager pour fuir le regard des voisins, et qui finira par mettre Mina dehors. Pendant plusieurs jours elle va vivre dans la rue pour être interpellée par la police et placée en foyer d’accueil d’urgence.

Son père ne veut plus en entendre parler et c’est avec la question de l’argent qu’il va essentiellement s’adresser aux éducateurs, dressant l’addition de ce que lui a coûté sa fille. Les chiffres sont ponctués de propos très durs à l’encontre de Mina notamment en lui attribuant la responsabilité du décès de sa mère, ce que Mina reprend à son compte, si je puis dire, en disant que durant la maladie de sa mère elle même était devenue très méchante avec elle, et que son père a raison de dire cela. Ce que demande aujourd’hui son père c’est que sa fille ne lui coûte plus rien et il attend des éducateurs que ceux-ci la prennent en charge.

Quant il évoque le décès de sa femme c’est également pour dire ce que cela lui à coûté , mais il semble qu’il ne soit occupé de rien laissant à sa belle sœur la charge de sa femme malade .C’est un homme qui se présente comme la victime d’un Autre persécuteur.

Le jeune frère de Mina coupe également les ponts avec elle, lorsqu’il la croise dans la rue il change de trottoir.

C’est donc dans ce contexte que Mina arrive au foyer, elle semble plutôt heureuse de la perspective d’avoir ce bébé.

Très rapidement elle va s’adresser à son ami en lui signifiant que maintenant qu’elle va avoir un enfant elle n’a plus besoin de lui que ce bébé sera son fils , son homme, qu’il sera tout et que donc lui peut partir….

A trois mois de grossesse Mina a déjà acheté en grande quantité tout ce qui sera nécessaire à l’enfant, mais les jours passant elle commence à trouver le temps long, trop long .Elle fait de nombreux projets pour cet enfant, qui est investi comme un objet de (future) totale satisfaction.

Elle s’impatiente de plus en plus et les éducateurs sont surpris de trouver un jour un poupon dans le berceau vêtu des vêtements prévus pour son futur enfant. Mina dira également que le terme de sa grossesse est exactement le même que lorsque sa mère était enceinte de son frère , c’est pareil que ma mère.

Trois mois passent, le petit ami est maintenant à Rouen où il est placé en foyer pour adolescents. Mina sort beaucoup, rentre tard et commence à dire que son copain lui manque, elle insiste pour qu’il vienne la voir. Il fugue de son foyer pour la rejoindre à Toulon pour le week-end .ils se retrouvent passent la nuit ensemble et ont une relation sexuelle. Mais cela ne se passe pas très bien Mina a mal, elle lui dit vouloir aller à l’hôpital, il s’y oppose. Elle part seule et arrive mal en point à l’hôpital pour accoucher d’un garçon à environ six mois de grossesse .L’enfant est donc prématuré avec le cortège de complications médicales. Mina est très contente, semble confiante en ce qui concerne la santé de l’enfant. Elle est toute la journée à ses côtés en service de néonatologie accompagnée par une présence quasi constante des éducateurs qui seront au total cinq à intervenir et se relayer auprès d’elle.

Mais au fil des heures l’état de l’enfant se dégrade .l’équipe médicale prend la décision avec l'accord de la mère de ne pas poursuivre le maintien en vie de l’enfant, entre autres problèmes cardiaques, le bébé présente des lésions cérébrales irréversibles. C’est une jeune éducatrice et récemment diplômée qui à la charge d’annoncer à Mina le diagnostic des médecins ainsi que de la soutenir dans ce qui lui est présenté comme un choix ,  le laisser vivre ou pas . Mina évoquera la possibilité avec l’éducatrice de le garder ajoutant qu’un enfant handicapé on peu l’aimer quand même …Cette même éducatrice dira en supervision quelque temps après ,combien elle s’était sentie désemparée , incapable d’aider Mina pour prendre cette décision difficile, sans autres ressources que les miennes propres ajoutera-t-elle .  J’ai fait ce que j’ai pu, je pleurais avec elle, dans ces moments là on n’est plus professionnels… 

Mina ne retournera pas voir l’enfant et lorsque les éducateurs viendront lui rendre visite, elle leur montrera des photos d’elle prises avec son portable qui la représentent entrain de pleurer, elle les commentera en disant : vous avez vu comme j’avais mal ?

Comme pour conclure ou fermer quelque chose Mina donnera une version à cet évènement; elle affirme que si l’enfant est né prématurément c’est à cause de la relation sexuelle qu’elle a eu avec son petit ami cette nuit là.

Véronique est l’éducatrice réfèrente de Mina, elle dira la lourdeur de cette situation, mais elle semble surtout révoltée par l’attitude du père de la jeune fille qui jamais ne se préoccupera de sa fille. Mais ce qui semble inacceptable, insupportable pour cette professionnelle c’est que tout du long des formalités administratives et financières ce père n’aura de cesse de répéter que tout ça, ça ne doit rien lui coûter! L'éducatrice ajoutera :  j’avais envie de frapper cet homme , et je n'arrivais pas à le faire taire, il répétait tout le temps que ça ne devait rien lui coûter…“

J'interviens en disant que ce que dit le père est une chose, mais que j'aimerais qu'elle en dise un peu plus sur ce qui la gène, et pourquoi tant d'insistance à vouloir qu'il se taise, que veut-elle faire taire ?

Cette éducatrice participe assez souvent à la supervision ,elle prend rarement la parole et lorsque je la sollicite c’est très souvent pour dire au regard des situations exposées par ses collègues, qu’elle ne comprend pas pourquoi elles sont touchées lorsqu’il s’agit de placer un enfant, pourquoi la maltraitance et la violence avec laquelle certaines jeunes mères sont en relation avec leur bébé suscitent chez eux de l’émotion ou du ressentiment «  moi ça ne me fait rien ,c’est notre travail c’est tout… », comme si ça ne lui coûtait rien…

Mais ce jour là c’est différent, je la vois engager une lutte pour ne rien lâcher, pour ne rien perdre, même une larme. Mais l’émotion la dépasse, elle pleure et dit: « je ne voulais pas pleurer.... »

Je lui répond : vous ne vouliez pas pleurer, il ne voulait pas payer…un jour ou l'autre ça coûte quelque chose…

Silence.

Elle dira simplement: je ne l'avais pas entendu comme ça!

Qu’en est-il de ce que nous pouvons (en) dire dans ces instants précieux, qu'a-t-elle réellement entendu? Sommes nous témoins de ce que Lacan nomme « un pas de sens » ?

Lorsque cette éducatrice prend la parole pour parler de ce qu’elle ressent on perçoit bien qu’elle est prise dans une relation imaginaire, elle est en lutte avec ce petit autre, le père de la réalité, celui qui ne veut pas payer et elle même qui ne veut pas pleurer.

Elle n'en veut rien savoir de sa castration. Elle ne veut surtout pas entendre qu'il est question d'y perdre quelque chose." Rien coûter" est pris au pied de la lettre, la dette est réelle faute d'être entendu dans le symbolique.

A qui s’adresse ce “ faire taire  ? Cette question est la sienne ce qui compte c'est moins la réponse que la question avec laquelle elle repart.

Au cours de cette même séance de supervision Julie la jeune éducatrice qui avait accompagné Mina va dire encore combien cette accompagnement à été compliqué et éprouvant pour elle et rajoute qu’elle se demande pourquoi à chaque fois qu’une situation de violence a lieu (elle fait référence également à une autre jeune fille) au foyer c’est toujours lorsqu’elle travaille ,et avec le plus grand sérieux elle va dire cette chose surprenante :  «je sais c'est de ma faute,  je me demande si ce n’est pas moi qui porte la poisse  !!! »

Faute de pouvoir se défendre de ce trop de Réel cette éducatrice va mettre en place un scénario Imaginaire visant à traiter ce Réel qui la dépasse : «  c’est de ma faute…je porte la poisse… » Réponse magique qui lui permet de faire l’impasse sur sa propre violence mise à mal dans le transfert, ainsi que de faire l’économie de la question de son désir.

Manifestement le discours de cette professionnelle témoigne de la jouissance dans laquelle elle se trouve. Sa position est érigée comme une vérité, dont elle use et abuse et qu'elle ne cesse de venir vérifier dans la relation à l'autre.

Comment rendre cette "vérité" bancale? Comment la faire vaciller de sa position?

Elle est Toute, l'autre gueule, elle gueule, l'autre frappe elle frappe, l'autre pleure, elle pleure. La position très rigide dont elle fait le récit dans la séance n'est interrogée qu'en terme de bien ou de mal. C'est l'un ou l'autre et tant pis!

Elle va se positionner de la même manière avec moi en me disant:

Dites moi si c'est bien ou si c'est mal, je suis prête à tout entendre si ça vient de vous!

Me voilà logée à la place de celle qui a la réponse.

Je ne peux que répondre, qu'en pensez vous? Et tenter de rabattre la question de son côté.

Se taire à ce moment c'est faire le pari que ma position pourrait produire chez elle du manque à la place d'un savoir.

Elle n'est pas satisfaite de ma réponse, me le fait remarquer et me dit que maintenant elle ne sait plus où elle en est!

Je lui réponds que c'est un bon début.

Le dispositif de supervision est avant tout un lieu de parole, un lieu de traitement possible du Réel par le Symbolique. Parler c'est déjà consentir à perdre quelque chose, le superviseur témoigne certes d'un savoir, mais d'un savoir troué, "pas tout" qui peut permettre d' ouvrir la “solution “ trouvée comme par exemple par cette éducatrice, et peut-être lui permettre d’éclairer et de repérer sa position (subjective) dans la relation à l’autre.

Parler à un autre, c'est déjà prendre le risque de s'entendre, encore faut il que cet autre par son intervention vienne faire scansion dans le récit afin d'opérer un détachement au niveau du signifiant et permettre un effet de surprise.

LOLA

Lola a treize ans, elle est trouvée par les services de police errante dans les rues de Toulon elle est sans domicile fixe, sa mère est dans une autre région de France, elle a quatorze frères et sœurs, elle est dans la rue depuis plusieurs années, l’éducateur qui parle d’elle dit qu’elle avait "le style rue"( ?) Il est chargé d’aller la récupérer au poste de police. Il ne la connaît pas, il est très impressionné en la voyant, son état physique est très sale, ses vêtements sont abîmés, déchirés. Dès qu’il la voit il comprend que la faire monter dans la voiture , ça va être très compliqué : il se présente à elle comme un éducateur du foyer X, il lui propose de venir voir le foyer … Lola le regarde et hurle ces mots : donne moi une bonne raison de te suivre !

L’éducateur reste sans voix, décontenancé par cette phrase que Lola lui balance en pleine figure et qui l’épingle à cette question essentielle : pourquoi est-il là ? Que veut-il? Lola qu’on attrape pas avec des semblants, Léa qui n’a pas d’adresse mais qui pourtant s’adresse à lui.

Je relève dans la séance certains passages de son récit: la récupérer, la faire monter dans la voiture, viens voir le foyer, voir les éducateurs, la chambre ….et il ajoute que de toute façon elle n'a pas le choix!

Je reprends ces paroles pensant lui faire entendre que ce qu'il oppose à la jouissance de cette adolescente est du registre de la séduction, ce qui accroît la violence de Lola car elle n'en veut rien savoir.

Il se rend bien compte dans l'après coup que les arguments qu'il avance n'ont qu'un seul objectif c'est de la ramener de son côté, avec lui, de l'embarquer dans la voiture!

Mais voilà, en voir un peu plus ne semble pas rassurer Lola ni même l'intéresser.

En réponse à la jouissance de Lola il lui impose la sienne, faisant fi de la castration à laquelle il refuse de se soumettre. Si Lola contrairement à ce qui lui échappe à ce moment là, a le choix de le suivre ou pas, lui n'a pas le choix, la loi l'oblige et c'est pour cette raison entre autres qu'il est là. Se présenter sous le signifiant Educateur n'a de sens que s'il représente un sujet divisé, tenu de faire avec son manque, soumis à la loi de la parole.

Lola ne montera pas dans la voiture, l'éducateur renoncera à prendre le véhicule, ils se rendront à pieds au foyer, lui devant et Lola le suivant en laissant entre eux une dizaine de mètres.

AKIM

Akim à neuf ans, c’est un petit garçon de corpulence assez faible, il est placé avec ses deux petites sœurs pour violences familiales graves, son père est présenté comme un homme sans limites qui frappe. Lors des visites de la mère les éducateurs assistent à des scènes violentes qui provoquent chez eux un réel malaise ; Akim et sa mère se battent dans un corps à corps à même le sol évoquant chez eux une scène sexuelle. Akim terrorise tout le monde les petits comme les grands, c’est la jouissance qui est aux commandes, il frappe les éducateurs, doigts cassés, entorses, tentative d’étranglement, coupure à la gorge avec un tesson de bouteille. Il est hospitalisé à plusieurs reprises, avec un vigile devant la porte de sa chambre d'hôpital, on n’a jamais vu ça ! dit l’éducateur qui parle de lui, chambre qu'il va entièrement saccager, dont il va réussir à se sauver, pour être rattraper par la police et reconduit au foyer. Et ceci à plusieurs reprises. Akim casse, coupe, tranche, arrache tout dans le réel ce qu'il ne peut opérer sur le plan symbolique.

Akim est débordé par le Réel, rien ne vient faire bord, les adultes sont eux aussi débordés. Akim est rendu fou, fou par la violence qui l'agi.

Pourtant lors d’une sortie avec un éducateur qui le conduit à sa demande dans une grande surface, il se passe un événement singulier qui va mettre cet éducateur dans une situation compliquée. Au bout de quelques minutes passées dans le magasin, Akim échappe à la surveillance de l’éducateur, celui ci le cherche et le retrouve à la caisse pliant sous le poids des consoles de jeux, DS 3 et autres jeux vidéo. Akim vient d’être stoppé par la caissière à laquelle il s’est adressé avec le plus grand sérieux  en disant: mon père passera payer.

La suite est facilement imaginable, l’éducateur est pris pour le père, il s’en défend etc. etc.…et pour finir sermonne Akim.

Ce professionnel sent bien que dans cette séquence un peu folle quelque chose a été dit. En énonçant cette phrase Akim vient de serrer sans le savoir ce qui lui fait défaut du côté du Nom-Du- Père .

En effet c'est Akim qui paie de tout son être, de tout son corps, aux prises avec un Autre tout puissant, non barré, jouisseur .Faute de pouvoir se défendre du Réel au moyen du Symbolique, face au désordre de son monde, Akim tente de rétablir un ordre malgré tout. Faire passer le père à la caisse" revient à illustrer ce que dit Lacan: "tout ce qui est rejeté du symbolique revient dans le réel".

J'ai choisi cette situation parce qu'elle illustre un autre aspect du difficile travail de l'éducateur. Le cas de cet enfant est revenu très souvent en supervision en raison de ses nombreuses agressions ainsi que des conséquences directes qu'elles ont eues sur l'équipe.

Les réponses que chacun tentait d'apporter à cet enfant auraient pu avoir du sens si sa structure avait été une structure névrotique. Or les actes posés par Akim sont à entendre dans le registre de la psychose et de fait nécessitent un autre positionnement de l'éducateur. Mais là n'est pas la question.

Ce qui semblait tout à fait surprenant c'est qu'aucun professionnel n'avait pu émettre l'idée que cet enfant était psychotique, et de ce fait il était devenu un Autre persécuteur impossible à contenir, donc mauvais, comme s'il avait le diable en lui . Les professionnels se sentaient également mauvais, je n'y arrive pas avec lui, il me fait peur ,s'il me frappe encore je lui démonte la tête , je vais me mettre en maladie je vais faire fonctionner mon droit de retrait… finalement beaucoup de culpabilité.

Ensuite la plainte s'est logée du côté de la direction qui ne fait rien pour qu'il parte, ou pour qu'il ne revienne pas , et puis la plainte s'est étendue aux autres partenaires qui n'en veulent surtout pas, qui eux ne sont pas une poubelle comme nous!

Que cet enfant ait besoin d'une structure de soins adaptée à sa souffrance est indiscutable, mais il aura fallu bien des coups pour que les éducateurs puissent déjà entendre et puis ensuite dire que la prise en charge de cet enfant les confrontait à un impossible, qui n'a rien à voir avec une quelconque incompétence, comme il pouvaient le penser, mais bien avec une difficulté de renoncer à la toute puissance logée dans le savoir y faire à tout(s) prix.

EN GUISE DE CONCLUSION

Dans son ouvrage "le malentendu de l'enfant" Phillipe Lacadée cite Lacan :

Le malentendu dit-il" c'est le cas ordinaire de toute espèce d'interprétation créatrice entre deux sujets. C'est la façon dont il faut s'attendre à ce qu'elle se développe, c'est la moins anormale qui soit, et c'est justement dans la béance de ce malentendu que se développe autre chose qui aura sa fécondité 2 "

"Pour Lacan, le malentendu était en effet le fondement même du discours inter-humain. Ne conseillait-il pas à ses élèves de se garder de comprendre, de se méfier de la certitude d'avoir compris car alors, disait-il" le malentendu aurait été irrémédiable 3 ".

"Le malentendu c'est aussi le malentendu paradoxal de la langue, quand elle vient à faire défaut confrontant le sujet parlant à un impossible à dire, révélant un monde intérieur angoissant et rendant le monde extérieur plus difficile, et le sujet énigmatique à lui même et à l'Autre.

Le sujet est obligé d'en passer par les mots pour dire ce qu'il veut, dès lors un réel inassimilable se révèle à lui. Un écart se creuse entre cette chose qu'il veut et le mot énigmatique qui ne sert qu'à la représenter sans lui permettre de retrouver l'usage de la jouissance qu'il en a eu.

C'est au travers de ces mots, dans ce que l'Autre lui dit mais aussi dans ce qu'il n'arrive pas à dire lui même, que l'enfant va faire l'épreuve d'un malentendu fondamental - celle d'un manque à être de son côté, celle aussi d'un manque dans l'autre. C'est dans l'intimation même que l'Autre lui fait par son discours – il me dit ça, mais qu'est-ce qu'il veut? Que l'enfant va faire l'épreuve du désir de l'Autre. C'est dans les manques du discours de l'Autre et du sien propre que gîte le manque d'où s'origine le désir. Lacan nous apprend que ce qui cause le désir du sujet c'est le manque, que ce soit de la chose, de l'objet, ou de la part de lui même, de sa jouissance sacrifiée, celle qu'il a cédée ou perdu pour s'aventurer comme tous les être humains qui l'entourent dans ce pays étrange qui est celui de la parole. 4

Pourquoi me dis tu çà ? Que me veux –tu en me disant ça ? Autant de questions que les professionnels tentent de déplier avec nous dans l'espace de la supervision. S'entendre soi parlant c'est la condition de pouvoir entendre un au-delà des mots de l'autre, c'est faire l'épreuve que tout ne peut se dire et donc que la Vérité n'est que mi-dite, qu'il n'y a pas de savoir absolu, mais que de Sujet Supposé Savoir. Alors à cette condition le professionnel peut en rabattre du côté de sa jouissance, et tenter de s'en faire responsable. Mais l'épreuve est pour tous semblable, éducateurs, superviseurs, psychanalystes, nous avons à rendre compte de l'espace du malentendu dans lequel gîte notre inconscient.

BIBLIOGRAPHIE

Jacques LACAN

Séminaire IV La relation d'objet

Séminaire III Les psychoses

Séminaire XI Les quatre concepts fondamentaux de la

Psychanalyse

Philippe LACADEE

Le malentendu de l'enfant

LA SUPERVISION : UN LIEU POUR LE MALENTENDU

Isabelle PIEKARSKI

8éme promotion de la formation de superviseur d'équipes de travailleurs sociaux.

Année 2010

Institut Européen Psychanalyse et Travail Social, Montpellier

1 LACAN : Séminaire Livre XI Les quatre concept s fondamentaux de la psychanalyse p.229

2 LACAN : Séminaire Livre IV La relation d'objet

3 LACAN : Séminaire Livre III Les psychoses

4 P . LACADEE : Le malentendu de l'enfant P.20

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