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L’institution, la marge et l’individu

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Emmanuel Pinard

jeudi 05 mai 2005

19 ans, choix étrange qui me taraudait depuis plusieurs années : je veux devenir éducateur…Allais-je reprendre « la boutique » de mon père éducateur spécialisé ou avais-je d’autres questions ?

A cet âge je simplifiais, sans savoir pourquoi je me lançais dans la vie active par le biais d’une institution accueillant des personnes adultes déficientes intellectuelles et malades mentales.
1 pavillon homme
1 pavillon femme
1 pavillon des « non-marchants » - ni hommes ni femmes mais non marchants…

Déjà, il me semblait là que quelque chose ne marchait pas !


Je traverse cette institution tant bien que mal et je rencontre des gens dont personne ne veut entendre parler : les fous, les malades à qui l’infirmière donne les médicaments alors qu’il sont encore dans le bain, les grabataires qui doivent manger à 18h30 pour raison d’organisation…
Ces gens, je les trouve étonnants, fatigants, désespérants voir adorables, charmants et parfois c’est insupportable.
L’institution, je la trouve violente, lourde, inhumaine.

Des années plus tard je pourrais dire, l’institution c’est aussi moi !
Que de douleurs.

D’autres expériences suivront en I.M.E puis dans un foyer occupationnel où j’entends parler de la psychothérapie institutionnelle, de l’analyse institutionnelle, bref y a de l’institution !

Euh…monsieur, c’est quoi l’institution ?

En analyse institutionnelle,
René LOURAUD parle de l’institué, ce qui est établi, les normes et les règles.
Puis je lis l’instituant : force de contestation de l’institué qui vient bousculer, nier ce qui est mis en place.
Et enfin l’institutionnalisation, comme une « récupération de la force novatrice de l’instituant par l’institué » (1)

Et de cela serait née l’institution, fruit d’un mouvement dialectique ?

Alors les espaces que je traverse ne seraient pas immobiles ?
Il y aurait du mouvement ?

Impossible, il faut qu’on m’explique !


La psychothérapie institutionnelle…OURY me dit-on, puis TOSQUELLES, puis d’autres encore. Je crois qu’on a oublié Monsieur devant ces noms.
Pas parce que c’est eux, des hommes ayant marqué leur temps par des idées reprises parfois plus pour paraître que par être !
Plutôt parce que ces hommes avec ce qui les a porté, souffrance humaine, parcours incertains, ont fait des établissements recevant des malades mentaux des endroits où l’on parlait d’humanité…


Et à chaque fois je n’en crois pas mes oreilles ni mes yeux d’ailleurs. Le mouvement institutionnel raconté par ceux qui le vivent m’étonne !


Mais comment donc font ils ?
Chef de service en maison d’enfants, auparavant éducateur auprès de malades dits mentaux, l’institution me semble lourde, inhumaine et violente, comme à mes débuts.

L’institution je la définirais dans ce qu’il y a de pire entre le petit village et la grande famille. Luttes fratricides et ragots au rendez-vous. Rajoutons à cela le cadre légal du travail qui oblige à arriver à l’heure, qui définit la fonction de chacun et qui dit même à quelle heure on a le droit « d’aller pisser » !

Un enfant arrive dans une maison d’enfants, au milieu de 50 autres.
Comment l’accueillir lui tout seul avec ses bagages, son amour et sa haine. Comment lui donner la chance d’être un au milieu de tous les autres qui sont chacun un eux aussi.
Ca en fait des un, hein ?

Si je suis bon élève, 1+1=2 !
Oui mais les éducateurs ne sont pas ces bons élèves là. Les éducateurs sont bons dans la marge. Ils peuvent être performants dans le cadre mais surtout dans la marge…Celle où l’on peut lire : « peut mieux faire » .

Et là, on s’aperçoit que dans la marge un enfant plus un enfant ça fait un enfant et un autre enfant, point.
Il est fou !
Ca fait deux prix de journée !! me cri le taux d’occupation.

Cet enfant là, pour lui dire bonjour à lui le matin, il faut qu’il n’y est que lui qui existe quand on lui dit bonjour.
Du coup, on dit 50 fois bonjour, à lui ou à elle.


Mais entre le grand groupe dont je parlais ci-dessus, si si, vous vous souvenez la grande famille, et lui tout seul, cet enfant là…Comment fait-on ?


D’abord on découpe la vie en petit groupe… 50 enfants est égal à…4 groupe de 12 ou 13.
Puis on décide qu’un éducateur s’occupera plus particulièrement de deux ou trois enfants. Enfin on aura rien réglé du tout, parce que vu comme ça, ça ne marche pas !

Ca ne fonctionne pas parce que l’humain est plus compliqué que toutes les cases et colonnes que l’on imagine, parce qu’à chaque fois que l’on invente une case, il y en a toujours un qui met un pied en dehors…
Et puis aussi, le coup de tel éducateur pour tel enfant, c’est une grande illusion… Si ces deux la ne s’aiment pas c’est foutu.
Pas tout à fait je crois, après tout en matière de rencontres humaines, au fond, quand ça rate, ça pourrait bien marcher quand même !

Tout était prévu, organisé, et ce bout d’chou de 1 mètre 22 vient nous mettre par terre ce que 30 personnes adultes ont imaginé après plusieurs heures de réunion.
Du coup, l’éducateur, il n’a plus qu’à se dire que le cadre n’est pas parfait, que ce gamin qui ne veut pas entendre parler de lui se met dans la marge.

« Qu’à cela ne tienne », il l’entendra parler !
L’éducateur mettra un pied dans la marge lui aussi, lui dira peut être qu’il a raison et lui, le salarié, loyal envers l’équipe sortira quelque peu du cadre !

Il se souciera de cet enfant et le regardera aller parler au chauffeur qui l’emmène à l’école tous les matins, à la maîtresse de maison qui lui fait soigneusement son lit …
Et l’institution deviendra plus humaine.

Ne nous trompons pas, il ne s’agit pas de dire que le cadre ne vaut que pour aller au-delà, c’est une hérésie.
La marge est comprise dans ce cadre comme elle est prévue sur une feuille, chacun peut y mettre ce qu’il veut, c’est ce qui s’inscrit « à côté » qui peut guider ou faire perdre la raison.

Attention à ce que nous inscrivons dans cet « à côté ».
A côté de cet enfant, tout proche de lui, mais pas trop près, la bonne distance.
S’il est dans la marge, nous y serons un peu également, nous laisserons des traces à côté des siennes comme des pas sur le sable…
L’éducateur laisse autant qu’il le peut la marge vierge, c’est l’enfant qui inscrira : « là, c’est bien ! », « viens me chercher », « comment je compte pour toi ? ».

Question auxquelles sont soumis ceux qui ont choisis de traverser une institution comme ils traversent un rivière : à la rame, à la nage ; ça coûte, l’effort !

Il faut encore les entendre les questions du gamin, noyées dans le tumulte de la vie institutionnelle : les collègues, les partenaires, les horaires…
Les préoccupations de chacun, légitimes, créent une distorsion des messages qui sont adressés.

Jean François GOMEZ écrit « les justes sont ceux qui se compliquent la vie en ayant un peu de mémoire » (2).
Qu’il est difficile de garder une oreille attentive et bienveillante à l’égard de cet enfant qui vous jette sa souffrance en pleine figure !
Qu’il est difficile d’être juste !

La voie que choisissent les éducateurs n’est pas celle qu’ils avaient prévu, elle est sans issue s’ils manquent d’imagination.
Alors il reste parfois la poésie, comme le silence entre deux vers…

(1) F PETIT - Introduction à la psychosociologie des organisations – privat 1988
(2) J.F GOMEZ - Déficiences mentales : le devenir adulte La personne en quête de sens – érès 2001

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