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L’ascension du mont blanc, un rite de passage ?

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Jean-Marie Vauchez

lundi 24 octobre 2005

En juin 1995, avec 6 jeunes 3 collègues, un guide et un médecin, j’ai réalisé l’ascension du mont blanc. C’est à travers cette expérience, que je me propose d’aborder la question du jour : Quels rites de passages aujourd’hui ?

Toutefois, je ne prendrai pas l’intitulé dans l’ordre. Je vous propose de commencer par le récit de cette aventure, puis de traiter de «l’aujourd’hui » des rites de passages, pour proposer enfin une vision, nourrie de mon expérience d’éducateur d’une manière de soutenir ces adolescents dans leurs difficultés.

Tout est parti d’une idée un peu provocatrice d’un jeune.

« Et si on faisait quelque chose de formidable…. Quelque chose que même les autres n’ont pas fait et ne feront pas. »

Nous étions en début d’année scolaire et j’étais à la recherche d’un support pour toutes les activités de l’année. Ce jeune, je m’en rappelle parfaitement, avait lancé son idée sans trop croire que quelqu’un allait l’attraper. Le sort a voulu qu’il y ait l’un de ses camarades qui s’y soit accroché. Dans la voiture, nous n’étions que trois, et moi qui restais plongé dans mes préoccupations, ai répondu « c’est ça, pourquoi pas le mont blanc ? »

Sur le ton de la plaisanterie, et peut être aussi « pour me tester » comme disent les éducateurs, ils ont dit : chiche !

Ces jeunes restaient la semaine dans un institut de rééducation. Sous ce nom, assez barbare 1 , se cache un type de structures très répandues en France. Dans le jura, nous avons plus de 100 places dans deux établissements. Ce sont des établissements médico sociaux, ce qui veut dire que les enfants qui s’y trouvent ont bénéficié d’une orientation par la CDES. Cette commission est celle qui est chargée de l’évaluation et de l’orientation des enfants handicapés. Mais là le handicap se nomme « trouble du comportement » ce qui veut dire agressif, pénible, violent… De parfaits petits délinquants en puissance.

Le travail d’éducateur, dans ce type d’établissement, est particulièrement varié. Il faut, tout à la fois, veiller à ce que la vie quotidienne se déroule sans trop de heurts, mais aussi organiser des activités pour les temps extra scolaire, sans perdre de vue l’objectif thérapeutique de l’établissement.

En retrouvant mes collègues, j’ai parlé de cette idée, qu’ils ont appréciée. Alors, petit à petit, nous avons donné forme à ce projet. Nous avions l’objectif de structurer les activités de l’année, en proposant un thème pour l’année entière. De plus, nous percevions une attente importante pour ce projet. Les enfants étaient très motivés, avec une envie de pouvoir dire qu’ils avaient fait quelque chose d’extraordinaire que « même les autres, n’auraient pas fait »

Nous avons tenté le coup auprès de notre institutions qui nous a suivit. Passons sur les tracasseries administratives qui ont émaillées le départ de notre projet. Très rapidement, nous avons structuré notre idée autour d’une préparation tout au long de l’année où l’ascension proprement dite, viendrait couronner une préparation la plus complète possible. A un rythme d’une fois par quinzaine environ, nous avons programmé une préparation à l’ascension. De plus, vu le nombre de prétendants, il nous a également fallu trouver une manière de sélectionner les candidats. Pour nous, il était impossible d’envisager ce type de projet avec des jeunes cherchant trop ouvertement le risque. La montagne reste un territoire où les risques sont réels. Or, en aucun cas, nous ne souhaitions prendre des risques inutiles en incluant dans notre groupe, un jeune dont nous savions qu’il recherchait le risque pour lui même.

Avant de partir, l’obligation nous a été faite par la DDASS de soumettre les enfants à un certain nombre de tests à l’effort. C’est donc avec une équipe « certifiée conforme » que nous sommes partis, début juin pour chamonix. Comme prévu, le premier jour nous a conduit au refuge tête rousse, qui est une ancienne construction, située au bord d’un petit glacier et en bas de la face de l’aiguille du goûter, passage obligé pour atteindre le dôme du goûter, l’un des contreforts du mont blanc.

En sortant du refuge tête rousse, au petit matin, c’est une bonne neige tombant serrée d’un ciel opaque, qui nous a rappelé qu’en haute montagne, le temps n’est pas toujours beau. Après une petite hésitation, c’est le plus jeune qui nous a décidé en disant que « ce n’est pas un petit peu de neige qui va nous faire renoncer » Le guide nous a proposé de tenter le coup et de voir si cela pouvait passer. Finalement, un passage qui prends habituellement 3 heures, nous a demandé 5 ou 6 bonnes heures d’efforts, en ramant dans une neige assez profonde pour nous cacher le rocher. Toutefois, ce temps, bien que rendant le passage plus pénible, nous le rendait paradoxalement plus sûr puisque le froid fixe les rochers. Nous n’avions donc pas trop à craindre les chutes de pierres assez fréquentes en cet endroit.

Après une beaucoup trop courte nuit, le départ du refuge du goûter fut donné. C’est donc de nuit (1h du matin) que nous avons progressé pour le dôme du goûter. Ce passage austère, dans le froid et la nuit a sans doute été le plus difficile. Rien d’autre à faire qu’avancer dans le noir, sans avoir de but visible. Plusieurs enfants ont eu de véritables difficultés à franchir cet obstacle et l’arrivée au refuge de secours Vallot apporta un réconfort très apprécié. C’est là que notre guide refit les cordées pour le dernier passage de l’ascension. Quatre enfants lui paraissaient ne pas pourvoir terminer le trajet. Il décida qu’un adulte resterait auprès d’eux, pendant que les autres assureraient la sécurité des dernier ascensionnistes.

En effet, le dernier passage est constitué par une arête assez vertigineuse. C’est le deuxième endroit véritablement dangereux du trajet car une chute peut précipiter l’imprudent en Italie ou en France, mais 2000 mètres plus bas, dans tout les cas.

Vers 8 h nous sommes arrivés au sommet, avec une pensée pour nos compagnons restés au refuge à 4300 m. Dans toute ascension, la descente est une partie très délicate. C’est pourquoi nous avions réservé une deuxième nuit au refuge du goûter afin de pouvoir envisager le point dangereux de la descente de l’aiguille du goûter dans les meilleures conditions.

Notre guide est partit très rapidement en direction de la vallée. A l’époque, nous n’avions pas les moyens de communication (téléphone portable) et il n’a pas tenu compte de la fatigue de nos 4 fatigués qui, dans une neige devenu lourde par le soleil, ont progressés très lentement. Ce n’est que vers midi que nous avons rejoint le refuge du goûter ou nous attendait une mauvaise surprise. La réservation que nous avions faite par sécurité avait été annulée en raison d’un quiproquo. (en voyant notre guide passer, le gardien avait présumé que nous redescendrions tous) Pas d’autre choix que de devoir rejoindre le refuge tête rousse dans l’après midi. En raison de la fatigue de nos éclopés, nous avons mis 7 heures à franchir ce passage qui nous avait demandé 2 heures de moins à la monté sous la neige. En effet, en raison de la fatigue des enfants, mais aussi de nous même, nous avons dû multiplier les manœuvres de sécurité.

Vers 19h, après une bonne journée, c’est avec un plaisir très pur que nous avons pu trouver la douceur des banquettes du refuge tête rousse. Ce n’est seulement en arrivant à cet endroit que nous avons pu contacter que l’autre partie du groupe, les plus vaillants, avaient rejoints la vallée avec notre guide.

Finalement, c’est le lendemain que nous nous sommes retrouvés. Pour notre part, nous avons terminé la descente sans difficultés pendant qu’eux profitaient des délices de la vallée (grasse matinée et croissants)

De nos jours :

J’arrête ici le récit de cette aventure pour revenir au thème qui nous réunit. Je souhaite m’occuper, en premier lieu de « l’aujourd’hui » du titre de la journée. En effet, si je fais remonter ce souvenir, c’est que je pense qu’il serait beaucoup plus difficile de se lancer dans une pareille entreprise actuellement. Je vous propose plusieurs explications :

La lutte contre les risques dans la pratique éducative.

Nous avons tous une tendance à vouloir éliminer le risque, dans la vie courante et bien plus encore dès lors que nous sommes en situation de responsabilité éducative. Or, cette attente très légitime, se traduit, au niveau collectif, par une législation qui encadre de manière de plus en plus serrée l’activité des éducateurs. Notre société espère ainsi expurger, le plus possible, le risque de notre activité.

C’est tout un ensemble de règlements divers qui nous entraîne dans cette direction. Porté par les assurances qui exigent de plus en plus de garanties, les règlements intérieurs intègrent de plus en plus de procédures ou de protocoles visant à limiter les risques. Jeune éducateur, lorsqu’on voyait un lac, rien ne s’opposait à ce qu’on fasse trempette (en surveillant, bien sûr) maintenant, il faut un périmètre balisé, un maître nageur sauveteur sur la berge, un éducateur dans l’eau pour 4 enfant…etc. Autant dire que si on croise une jolie berge en ballade, on ne trempe même pas les pieds. Autre exemple, l’alimentation. Un bon sandwich au fond du sac pour une randonnée devient un objet en voie de disparition. Les différentes normes sanitaires imposent des emballages sous vide, un stockage clos avec température contrôlée.

Les contraintes liées au contrat de travail existent aussi. Depuis la mise en place des 35 heures, de nouvelles règles sont apparues. L’amplitude des plages de travail, les pauses obligatoires… tout devient considérablement plus rigide. Or, pour notre exemple, nous étions en situation professionnelle du début à la fin de notre aventure ce qui rend plus délicat les problèmes de responsabilités.

Par ailleurs, gravir le mont blanc a un coût. Nous avions engagé des recherches de financements auprès d’entreprises locales qui nous ont bien aidé. Mais la charge principale restait dans l’encadrement. 7 adultes (dont 2 bénévoles, le médecin et son compagnon de cordée) pour 6 enfant, c’est cher !

Concrètement cette augmentation des charges se traduit en une réduction des heures de travail disponible. Je peux témoigner que les transferts que nous organisions à tour de bras, il y a 10 ans se raréfient dramatiquement. Les horaires de travail des éducateurs se resserrent sur l’encadrement du quotidien, principalement en raison du refus des instances tutélaires, donc de notre société, d’aligner les dépenses d’encadrement proportionnellement à l’augmentation du nombre d’enfants pris en charge !

Si je prends le temps de développer, dans le détail cette évolution du milieu éducatif, c’est que je pense qu’il illustre bien la transformation de notre société et qu’il est possible de généraliser certains constats.

La question de la judiciarisation de la société n’est pas une nouveauté. Les chirurgiens en savent quelque chose 2 ! Le principe de précaution, devenu dogme de notre société, s’accommode mal avec la période adolescente. « lorsque je vois ces culs bénits, je n’ai qu’une envie : tout casser » me confiait un ado assez violent. Rien n’est plus éloigné des enjeux adolescents empreint de radicalité ; de vie, de mort ; de fureur et de joie que ce « principe de précaution » inventé par notre société vieillissante. Plus même, si on en croit ce jeune, la précaution érigée en principe, éveille l’envie de tout casser, de prendre des risques pour eux même. En ce sens, la délinquance et les conduites à risque sont des produits de notre société.

Enfin, il est évident que la société répugne de plus en plus à tolérer en son sein des expériences incluant une part de risque ou même d’incertitude. Il faut pouvoir faire des projets, baliser à l’avance le parcours qui reste à faire. Or, là aussi, l’adolescence est une période de la vie ou l’apprentissage de l’aléa, de l’imprévu est central. Or comment apprendre quelque chose sans pouvoir expérimenter ? Nous reviendrons sur ce point !

Quels rites ?

Il me reste encore à traiter du point central du thème d’aujourd’hui : quels rites de passages ?

En préparant cette intervention, je me suis demandé en quoi cette expérience peut contribuer à notre réflexion. En effet, nous n’avions absolument pas pensé cette aventure comme un rite de passage, c’était il y a 10 ans et je ne suis pas sûr que ce moment ait représenté un tournant pour les jeunes qui l’ont vécu. Néanmoins, il y a un point sur lequel il se rejoignent tous, c’est le besoin de reconnaissance. Ils disaient :

-Nous allons faire quelque chose d’extra ordinaire, quelque chose que même les autres n’ont pas fait et ne feront pas !

Un point important à souligner c’est que j’ai une passion pour la montagne. Depuis un an, je la faisais partager aux enfants et adolescents du centre où je travaillais. Ce que je veux dire c’est que ce projet n’avait de sens éducatif que parce qu’il était pris dans un tissus relationnel. L’important pour eux et moi était de partager une expérience de vie. Nous prolongions ainsi, une activité ou nous avions déjà pris beaucoup de plaisir ensemble. Le projet de cette ascension n’est pas né de manière isolée. Nous l’avons conçu ensemble et il était pris dans un travail éducatif sur le long terme. C’est ce qu’on appelle une médiation éducative. Ainsi le moment de l’ascension ne représente que la partie émergée d’un travail débuté un an auparavant et qui s’est prolongé ensuite longtemps encore.

Car, partager une expérience permet aussi de témoigner du chemin parcouru. Je rencontre encore certains jeunes d’alors et qui sont adultes maintenant. Pour eux, je suis, entre autre, celui qui peut témoigner de ce qu’ils ont accomplis. Dernièrement l’un d’entre eux est venu me trouver et m’a dit sur le ton de la plaisanterie : « dit lui toi que je suis bien monté sur le mont blanc » il voulait que je témoigne auprès de son employeur.

Ce n’est pas la même chose de réaliser cette ascension tout seul (en prenant un guide) ou avec les éducateurs qui vous accompagnent au quotidien. Il leur revient de reconnaître la valeur de l’exploit.

Il faut, en effet, à un adolescent, un adulte qui serve de miroir, qui lui restitue la valeur de sa réalisation. Privé de ce regard gratifiant, l’ado ne peut que rester dans une indétermination, un intolérable flou ! Nommer l’acte est de la responsabilité de l’adulte. Que l’acte soit positif ou négatif, d’ailleurs. Il est très important de pouvoir donner à l’enfant le cadeau d’un mot pour représenter l’acte qu’ils vient de poser. Dans mon exemple, c’est là que nous avons le plus pêché. Il y a bien eu quelques articles dans les journaux, quelques photos affichées dans le centre, mais ce n’était sans doute pas suffisant. Pierre Kammerer 3 insiste sur l’importance de reparler, avec les enfants de ce qui s’est passé. Sans doute aurions nous pu faire un petit journal.

En élargissant un peu le propos, je me demande qui assume de nos jours cette fonction. On peut se demander si ces jeunes qui transgressent les règles, qui inventent leurs propres rites de passages, ont disposé de ce regard d’adultes de la génération précédente, qui reconnaît leur valeur. 4 Comment peuvent faire des ados qui n’ont pas en face d’eux des adultes consistants pour grandir ? Biens sûr leurs pairs, les amis les frères, la bande comptent aussi beaucoup pour soutenir les difficultés liées à cette période. Néanmoins Les adultes restent le pivot duquel il faut s’échapper. Sans point de départ, que reste il à l’ado ? L’analyse qui soutient que les jeux ordaliques, liés à la mort, comme donneuse de sens, me paraît très pertinente. C’est pourquoi les interrogations sur l’autorité des adultes sont non seulement bien fondées, mais cruciales pour un bon nombre d’enfants qui abordent l’adolescence.

Il existe une autre question très présente à cette époque de l’adolescence : comment se débrouiller avec toutes ces pulsions ? Je ne compte plus le nombre d’ados qui m’ont confié leur désarroi face à ces nouvelles pulsions qui les habitent. En effet, la période adolescente se caractérise par un double mouvement : D’une part la montée de pulsions qui restaient bien sagement contenues durant l’enfance et d’autre part la déprise de la sphère parentale. En quelques mots, il va falloir apprendre à se débrouiller seul avec ce nouveau corps bourré d’énergie. Or le plus simple, quant on est adolescent, pour essayer de nouvelles modalités de traitement de ses pulsions, c’est de les essayer sur un adulte ! La provocation est une bonne manière d’engager la confrontation dont l’enjeu est d’apprendre à maîtriser l’agressivité, la haine… Tous ces sentiments violents qui encombrent le futur adulte. Quelle meilleure technique pédagogique que d’engager une bonne dispute avec son père et d’observer comment il se débrouille avec cette agression manifeste. Winicott affirmait qu’avec les enfants de cet age, l’important est de survivre ! C’est à dire de ne pas se dérober au débat, de ne pas fuir et de s’engager dans la confrontation. Bien entendu, il va falloir négocier, céder du terrain sur un plan pour en gagner sur un autre

Il faut des adultes responsables en face des adolescents pour les aider à grandir. Des adultes à la fois à même de renvoyer une image gratifiante lorsque c’est mérité, et « d’aller au combat » lorsqu’il faut annoncer à l’ado « qu’il ne faut quand même pas pousser !!! » Il est évident que les parents occupent en premier lieu cette place. Mais les adultes ne sont plus soutenus par des instances collectives qui les aident car notre société ne propose plus de moment institutionnalisé, collectif, qui représente et délimite le passage d’un état à un autre.

Pour les éducateurs, il existe de nombreux rituels qui organisent l’espace et structurent le temps. L’heure des repas, les réunions de groupe… etc. Souvent nous forçons un peu le trait en créant de petits rituels pour fixer les conflits. Ainsi, dans une institution accueillant des enfants difficiles, l’un des interdits est celui issu de la loi évin : l’interdit de fumer. Bien évidemment, ces jeunes, en délicatesse avec les limites et la loi, n’avaient de cesse que de transgresser et donc de fumer partout où ils pouvaient. Les éducateurs menaient une chasse impitoyable aux fumeurs qui pourtant s’ingéniaient à contourner cet interdit. Toutefois, cet établissement restait relativement calme. Cette situation a été bouleversée avec l’arrivée d’un nouveau directeur qui a estimé que cette chasse aux fumeurs était ridicule et qu’il ne convenait pas que les éducateurs consacrent autant de temps pour une si piètre cause. Peu après, l’établissement a été victime d’une hausse spectaculaire des dégradations de matériel (vitres brisées) de l’agressivité des jeunes (insultes) et des comportements à risque (alcool, promenade sur un toit...) Réunis en séminaire institutionnel, les éducateurs ont risqué une hypothèse qui me parait assez juste. L’interdit de fumer constituait une occasion de transgresser, de tester les adultes, assez peu dangereuse. C’était presque devenu un rituel, les réunions de tous les enfants où le directeur « poussait une gueulante » en disant que trop c’est trop! Il faut que ça cesse!

Il ne faut pas priver les ados de conflits ! Dans cette institution, les éducateurs détenant le plus d’autorité étaient ceux qui ont repéré cette fonction de « prêt à transgresser » que revêtait l’interdit de fumer. Ils jouaient le jeu avec d’autant plus de conviction qu’ils avaient compris qu’en permettant aux ados de transgresser véritablement (avec risque authentique de réprimande et de sanction) ils évitaient que les enfants ne soient tentés de se chercher eux même des limites. Il survivaient d’autant mieux aux attaques des ados qu’ils avaient compris l’utilité du conflit et des disputes.

Pour conclure :

L’ascension du Mont Blanc ne fut pas qu’une épreuve isolée. Ce fut le moment fort d’un long processus d’accompagnement d’enfants en difficulté. Pour nous c’était surtout un prétexte, un outils éducatif pour instaurer un moment privilégié, dans l’histoire que nous tissions avec eux. Fut-elle un rite de passage ? Je n’ai pas pu trancher. Par contre c’est une bonne métaphore pour m’aider à soutenir ma tentative de réponse au thème du jour :

Quels rites de passages aujourd’hui ?

Pour ce qui est des rites collectifs de passages, je n’ai pas la compétence pour risquer une réponse. Par contre je peut soutenir que les ados ont de plus en plus de mal à trouver des adultes en face d’eux. Aux tendances de la société que j’ai déjà souligné, il est possible d’ajouter l’évolution de la famille et l’augmentation de la mono parentalité, les rythmes de vies plus axés sur le travail, évidemment le chômage etc… Pris par un rythme de vie plus tourné vers l’extérieur de la sphère familiale, déstabilisés par des repères théoriques flous, les parents ont plus de mal à assumer leur position.

Or, les ados ont besoin d’adultes suffisamment présent pour pouvoir se disputer avec eux ! et aussi pour lire dans leur regard et aussi entendre d’eux, une reconnaissance pour ce qu’ils ont fait (positif et négatif). Ce constat tout simple peut se décliner à plusieurs niveaux :

-Cessons ce conseil absurde qui consiste à dire aux parents qu’il faut écouter et comprendre leur enfant quoi qu’il fasse. Il n’est pas besoin de vouloir comprendre sa fille de 14 ans qui veut sortir vêtue comme une lolita-trasch. Il n’y aurait rien de pire que de lui dire :

« ma fille je comprend ton besoin d’affirmer ta nouvelle féminité. Ce besoin que tu as de séduction ne peut qu’être mal interprété et je te suggère de te vêtir d’une manière plus conventionnelle. »

A cette gamine, il faut un « remonte te changer !» franc et massif.

-Au niveau des politiques sociales, il faut diffuser et soutenir la position selon laquelle des adultes responsables, il faut du temps pour en fabriquer.

Il faut du temps pour former des éducateurs. Du temps pour qu’ils apprennent tous les éléments de psychologie, de droit, de sociologie etc… Mais surtout, il leur faut du temps pour apprendre à se tenir face à des enfants et des adolescents. La formation des éducs se calque de plus en plus sur le modèle de l’université. Cette démarche trouve son achèvement dans la validation des acquis de l’expérience. Cependant, rien ne remplace cette construction d’une expérience par des allers et retours entre le milieu professionnel et la mise à distance en école. Former des éducateurs, cela ne consiste pas uniquement à leurs fournir des connaissances, mais cela veut également dire leur permettre d’avoir des compétences.

Pour ma part, j’ai déjà proposé, non pas de remettre en cause ce mouvement, mais de développer des dispositifs destinés à « mettre du lien » 6 Il s’agissait d’instaurer des personnes référentes, connaissant bien personnellement les enfants, et pouvant, non pas forcément prendre des décision, mais aider l’enfant à en comprendre le sens, à les relier à son histoire et à ses actes.

-Dernier point, je vais tenter de ne pas me dérober, et de proposer une répons à la question du jour : Quel rites de passages aujourd’hui ? Sans doute sont ils moins collectifs, l’individu doit se débrouiller avec moins de repères, soit pour trouver, de lui même des rites, soit, lorsqu’il est devenu adulte, pour aider son enfant à grandir. Au fonds existent ils encore ? Rien n’est moins sûr. Bien sur quelques éléments collectifs font encore sens pour les ados (le bac…) Toutefois, cela reste bien dérisoire. Il ne reste donc plus, au adultes à trouver, au cas par cas, les attitudes permettant d’aider leurs enfants à grandir.

Jean-Marie Vauchez

1 Les instituts de rééducation, visés jusqu'alors dans l'annexe XXIV régissant les établissements médico-sociaux prenant en charge les enfants et adolescents handicapés (intégrée récemment dans la partie réglementaire du Code de l'action sociale et des familles) deviennent des instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques par un décret du 6 janvier (CASF, art. D. 312-59-1 à D.312.59-18). JO. n° 2005-11, 6 janv. 2005, JO 8 janv.

2 Outre la question des honoraires, les chirurgiens comptent également remettre sur la table leurs problèmes d'assurance. «Les montants deviennent insupportables. Les tarifs, pour la moitié d'entre nous au moins, sont fixés par la Sécurité sociale et bloqués alors que le montant des assurances progresse», affirme le Dr Cousin qui parle actuellement d'une moyenne de «12.000 à 15.000 euros pour une année, et pour un praticien qui n'a jamais eu aucun problème». (Le nouvel observateur du lundi 9 mai 2005)

3 Adolescent dans la violence P Kammerer gallimard

4 Car pour tuer le père, encore faut il qu’il y ait un père à tuer !

5 Soit en rendant les accueils plus courts soit en rendant les échéances plus incertaines (en raison des possibilités de défense accrues)

6 Aider à penser la séparation RJAS octobre 2004

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