vendredi 23 septembre 2016
In fine, l’analyse des pratiques est-elle réellement… pratique ?
Depuis les années 90, les métiers de la santé, du sanitaire et social, de l’enseignement, de la formation ont intégré l’analyse des pratiques à un processus de professionnalisation : les professionnels de ces secteurs se sont inscrits dans une volonté d’agir avec pertinence et efficience.
Par sa posture principale de « réflexion sur l’action », comme « dans l’action », l’analyse des pratiques se présente en démarche appropriée pour comprendre l’action. Il s’agit d’aider le praticien dans son appréhension du terrain, dans l’élucidation des aspects qui le composent ; de l’accompagner à la prise de conscience (conscientisation) de ce qui mobilise l’agir, permettant d’ajuster sa pratique, de l’améliorer, de s’adapter aux évolutions et aux contraintes contextuelles, structurelles et fonctionnelles.
Cette posture de réflexion, en termes d’analyse réflexive, relève de la praxis sociale : elle vise à rendre lisible et intelligible l’action quotidienne, routinière, engluée dans la complexité des situations et des contextes, accompagne à dépasser les contradictions existantes et à résoudre les situations auxquelles le praticien est confronté. En cela elle s’appuie sur une démarche d’évaluation.
La réflexion qui suit émerge d’expériences d’analyses des pratiques, en tant qu’animateur comme en tant que participant.
Analyser ses pratiques : pour quelle(s) finalité(s) ?
Toute action pose la question, a priori, de son intérêt, de son utilité, de son efficience.
Aussi, quels aspects peuvent motiver à analyser les (ses) pratiques au sein d’une organisation ?
Retenons-en trois.
Le technocratisme qui nous gouverne impose son modèle bureaucratique contraignant, procédural, normatif, versant dans un excès de rationalisation des activités.
Ces excès « qui conduisent à des pratiques totalement irrationnelles, révèlent le caractère affectif et souvent passionnel de toute pratique, même et surtout lorsqu’elle se présente sous un aspect raisonnable et objectif. » (Chami, 2010 : 61). Il s’agit en fait d’une logique d’entreprisation du monde[1] (Solé, 2008), survalorisant les critères d’adaptabilité, de rentabilité ; induisant la compétitivité par une production toujours croissante d’activités concurrentielles, soumises à d’incessants contrôles, et considérées obsessionnellement sur le plan gestionnaire et comptable. L’objectif reste essentiellement le profit financier.
Il est en résonnance avec cette conception hyper-technicienne du modèle précédent, soutenue par des modes de gestion, de « gouvernance » mobilisés par l’obligation de résultats, selon des méthodes qui se veulent rationnelles, productives, efficaces, et toujours plus performantes.
Méthodes se considérant de qualité, « encadrées » par des obligations législatives, faites d’injonctions paradoxales, reposant sur des valeurs affichées et si peu définies[2].
Nos situations professionnelles sont « tissées » ensemble du fait de la multiplicité de praticiens attachés chacun à un domaine professionnel - avec leurs propres règles, conceptions, contraintes. Ces praticiens agissant dans un dispositif, comme partenaires, interlocuteurs, spécialistes dans leur domaine, générant des interrelations, des interactions pluridisciplinaires.
Considérer et penser les faits humains d’après la complexité (Morin, 2005), c’est rompre d’avec une lecture séquentielle, linéaire, parcellaire, voire binaire des différentes réalités en jeu, ouvrant plutôt sur une vision multidimensionnelle et multi-référentielle, tenant compte d’aspects contradictoires, de logiques spécifiques, d’incertitudes, d’antagonismes, d’ambigüités.
Les finalités visées par l’analyse des pratiques reposent sur des principes méthodologiques mettant en œuvre les fonctionnalités suivantes :
Rendre lisible et intelligible l’action quotidienne engluée dans la complexité des situations et des contextes. Il s’agit de résoudre les situations, qui plus est inhabituelles, auxquelles le praticien est confronté, de dépasser les contradictions existantes, autrement qu’en plaquant des réponses « formatées » et stéréotypées.
Accompagner à des évolutions, des changements, des ajustements des pratiques et des fonctionnements institutionnels. S’adapter aux évolutions et aux contraintes contextuelles, structurelles et fonctionnelles.
Aider à la compréhension, à la transformation et à l’évolution de l’identité professionnelle (Fablet, 2009). Identité pouvant être circonscrite à un collectif de travail restreint (équipe) spécifique à une institution, comme élargi à de l’inter-institution.
Face aux profondes transformations contextuelles, structurelles et fonctionnelles des métiers, qui font évoluer les professionnalités de tous les champs, un processus de professionnalisation s’est mis en marche (Altet, 2000), en termes de fonction formative : que ce soit auprès de professionnels débutants comme auprès de ceux déjà en exercice[3].
La professionnalisation considère pleinement la réflexion sur son action.
Développer des habiletés pour comprendre, pour élucider les situations, les contraintes, les enjeux relatifs à sa pratique, en développant le sens de l’analyse, renforçant ainsi les compétences nécessaires pour la pratique.
Par la réflexion sur l’action (qui produit la réflexivité) et la conscientisation (de ce qui mobilise l’agir) qu’elle produit, il s’agit d’élaborer des savoirs pratiques et théoriques opérationnels. La production de connaissances et de compétences ajustées accompagne à une autonomie du praticien.
Ces fonctionnalités, qui ne se veulent pas exhaustives, paraissent nécessaires pour l’examen des finalités.
Des pratiques organisées et contextualisées .
Nos pratiques se déroulent dans et d’après un contexte : social, culturel, idéologique, politique, économique, législatif et esthétique. Autant de caractéristiques qui induisent des modes de fonctionnement structurels et organisationnels.
À cette entreprisation du monde déjà évoquée, correspond le management comme méthode d’organisation des individus et de gestion des ressources. Méthode répondant aux systèmes complexes de valeurs doctrinales en cours selon les époques et les sociétés.
Nous engageons notre intégrité dans nos activités (profession, métier), sans restriction. L’injonction du « toujours plus » s’appuie ainsi sur les prédispositions que nous pouvons avoir à vouloir démontrer que nous sommes le meilleur. L’intégrité de l’individu ne distingue pas les mondes qu’il fréquente. L’absence de posture critique sur soi et le monde laisse libre cours au renforcement de ces prédispositions.
Et les faits sont là : nombreuses sont les situations de souffrance au travail. La psychologisation à outrance du malaise professionnel sert plutôt à cacher des dérives managériales : les modalités de gestion correspondent d’avantage à des modes de fonctionnement durs et autoritaires. Parler d’éthique, de fonctionnement participatif ne change rien à la réalité des situations professionnelles et laisse davantage croire que c’est de la seule responsabilité de l’individu – pour ne pas dire de sa faute – et non de la gestion des organisations.
Deux aspects à considérer pour analyser les pratiques :
La gestion des individus est dite inscrite dans les valeurs qui sous-tendent l’action institutionnelle, concrétisées par les slogans, les mots d’ordre, les mises en forme (logo, symboles). Ce qui est censé se retrouver dans les « projets de service », les « projets d’établissement », les « projets associatifs/institutionnels ».
Pour répondre à des obligations de résultats, le fonctionnement organisationnel est soutenu par des modes de management relatifs à des conceptions d’organisation de travail. Confrontés à des contraintes multiples et contradictoires, nous sommes tous éprouvés et sur-sollicités en permanence.
« Respect et dignité humaine », parmi tant d’autres valeurs instituées, n’excluent pas les dysfonctionnements organisationnels. Les incohérences managériales induisent des comportements, provoquant des situations de lassitude, de saturation, de désintérêt.
Nombreuses professions et situations professionnelles reposent sur du communicationnel, avec une part généralement importante de relationnel : relation formative, relation éducative, relation d’aide, d’accompagnement au sens large, avec de la gestion d’informations.
Des situations qui placent le praticien face à des sollicitations quotidiennes, parfois épuisantes, mobilisant en permanence des aspects psychologiques, sociologiques.
Comment définir l’analyse des pratiques ?
Définir est par essence à la fois un art difficile et une gageure.
Quelle définition peut être globalisante sans être simplificatrice, exhaustive sans être incompréhensible ?
L’intérêt d’une définition résidant dans son exploitation pratique.
Prenons l’exemple de l’argent. Des aspects permettent de le cerner d’après des réalités particulières et de le voir comme :
Comment contenir l’ensemble de la réalité du sujet qu’une définition veut caractériser ? Elle en prend généralement une partie, fonction des points de vue et des points de référence convoqués. Autant de définitions qu’il y a de disciplines qui veulent saisir le sujet ; autant de définitions qu’il y a d’auteurs.
Selon leur spécificité : scientifique, linguistique, technique, mathématique, théologique, les définitions contiennent les critères relatifs aux domaines dont dépend l’objet défini. Chaque discipline, chaque courant de pensée possède ses systèmes de références, ses éléments sémantiques, ses systèmes conceptuels et idéologiques.
Définissons l’analyse des pratiques comme étant une démarche collective , instituante , mobilisée par la volonté de praticiens de comprendre leurs pratiques, de les ajuster, de les améliorer, en faisant appel à l’ analyse réflexive . Analyse relevant d’une logique évaluative.
Une démarche instituante : dans le sens de formative, en termes de co-participation, co-implication, co-investissement, co-élaboration.
Et une volonté appuyée par des procédés méthodologiques , portée par des finalités . Finalités qui peuvent être celles exposées plus avant, comme : la compréhension de l’agir quotidien, l’amélioration des pratiques, l’identité professionnelle des acteurs, la professionnalisation, le développement des aptitudes à l’analyse et l’autonomie des praticiens.
Pratiquer différemment, penser autrement l’action
Penser est le maître mot, et les neurosciences nous apportent des connaissances à ce sujet. Non pas « intellectualiser » en discourant abstraitement[4], ni comme un préalable à l’action, mais bien en considérant la pensée accompagnant l’agir, et l’action nourrissant la pensée.
L’analyse réflexive, principe même de l’analyse de pratiques, est une aide à penser autrement. Une aide pour prendre de l’autonomie vis-à-vis des cadres de pensée et des contraintes sociales, que d’aucuns nomment déterminismes. Ce qui suppose d’opérer des modifications sur les représentations, les croyances, l’habitus[5] inscrit profondément dans les êtres, structurant les manières de faire et de penser conditionnées aux normes sociales : assignation des rôles, attribution des tâches, avec des pratiques sexuées, inscrites durablement dans la relation dominant-dominé.
L’intérêt et la qualité de la démarche d’analyse des pratiques tiennent, de mon point de vue, à certains paramètres particuliers aux pratiques professionnelles en général et à la démarche d’analyse des pratiques en particulier, liés entre eux, qui viennent s’ajouter à tout ce qui a été exposé précédemment :
À l’usage, différents aspects interpellent quant à l’implication réelle dans la démarche d’analyse des pratiques, induisant de ce fait la question du bien fondé de son déroulement au sein d’une organisation, de son intérêt et de son efficience.
Sur quelles bases repose l’introduction de l’analyse des pratiques dans l’organisation ?
Face à des organisations qui mobilisent et sollicitent en permanence l’individu, la question de la volonté : de comprendre ses pratiques, individuelles autant que collectives, afin d’apporter des modifications qui s’avèreraient nécessaires est un préalable qui conditionne l’implication et les finalités. L’absence d’une volonté réelle place la démarche face à des difficultés dont celles de se trouver confronté à des réticences improductives.
L’analyse des pratiques repose sur un ensemble de critères, principes pourrions-nous dire, qui se présentent comme les garants d’un fonctionnement qui se voudrait efficient.
Tout d’abord, définir qu’il s’agit d’analyse des pratiques, et non de régulation, ni de groupe de parole[6] – qui pourrait laisser croire que s’exprimer, dans l’idée d’un « tour de table », suffirait à élucider les problématiques vécues. Bien que pour les dirigeants, c’est se donner l’impression d’avoir accordé un espace de « parole » qui permette de se « libérer » des problèmes.
Ensuite, c’est par la formalisation d’écrits que l’acte formatif, instituant, joue pleinement son rôle de professionnalisation. L’élaboration de connaissances et d’aptitudes collectives, avec des compétences éprouvées, devient source de productions capitalisables dans la mémoire institutionnelle.
Du fait d’une règle diversement interprétée, tout ce qui est dit en analyse de pratiques reste confidentiel et interne à l’entreprise. Cette règle protège l’auteur par rapport à ses propos certes, ce qui n’exclut aucunement de produire des écrits, sans pour autant exposer les praticiens.
Que ce soit directement ou indirectement, et à des degrés divers, chaque praticien est concerné par l’ensemble de l’organisation au sein de laquelle il exerce. Disons que les pratiques forment un tout cohérent d’activités dans un système global participant d’une même raison sociale. L’amélioration d’une partie seulement d’un fonctionnement concerne l’ensemble d’une organisation.
Quelles qu’en soient les raisons, la sélection des participants est un indicateur. Dispenser des praticiens d’une démarche d’analyse, notamment parce qu’ils occupent des places de responsables ne peut qu’interroger quant au sens et aux finalités réelles.
Se soustraire à une démarche de réflexion en limite fortement le champ d’action et ne peut que restreindre, pour ne pas dire rendre inopérantes les améliorations envisagées.
La question de l’expression des participants étant un aspect fondamental, comment être assuré qu’elle soit libre et sans censure ?
Partons de deux points essentiels :
Le principe démocratique
Son évocation est d’autant plus surprenante lorsqu’elle argumente de l’absence de responsables en analyse des pratiques : pour permettre la « libre expression » des salariés.
Cela tend à indiquer que, selon les circonstances, l’expression n’est pas autorisée mais plutôt sujette à censure – admise implicitement.
S’exprimer, c’est s’exposer
« Chaque mot que l’on peut avancer à propos de la pratique scientifique pourra être retourné contre celui qui le dit » (Bourdieu, 2001 : 15) [7] N’en-est-il pas de même concernant toute expression ?
Comment être assuré de ne pas être sanctionné par l’organisation ? Des propos peuvent être reprochés à leur auteur pour différentes raisons : parce qu’il peut s’agir d’aspects personnels, subjectifs, de convictions intimes, de dysfonctionnements à taire, etc.
Dans le cadre de l’analyse des pratiques, il s’agit de former à la réflexion sur l’action : développer le sens de l’observation, des capacités d’analyse et de synthèse, de conceptualisation, de formalisation. Dans ce cas, l’expression, peut-elle être muselée ?
L’expression repose sur la mise en place de conditions favorables tenant compte :
L’analyse des pratiques, et la littérature sur le sujet le rappelle, n’est pas un lieu où se prennent des décisions impactant directement sur l’organisation. Décisions au sens d’une action volontairement effectuée par les instances habilitées : les décideurs.
L’expérience m’a confronté à des remarques de participants sur le fait que l’intérêt de ce qui se développait en analyse de pratiques n’aboutissait pas à des prises de décisions. Cette indication rappelle le rôle et la place de l’analyse des pratiques par rapport à l’organisation au sein de laquelle elle existe. Et en effet : face à des situations problématiques, récurrentes ou non, envisager, par la prise de conscience, des solutions possibles tout en ayant un sentiment d’impuissance par le fait de ne pouvoir agir de manière décisionnelle (hors cadre de l’analyse des pratiques) pose une difficulté majeure aux participants.
Ce serait cependant oublier que le processus décisionnel repose sur un ensemble d’expertises. En ce sens, si l’analyse des pratiques n’est pas un lieu de prises de décisions, elle est un espace producteur d’informations et de réflexions qui peuvent participer des prises de décisions institutionnelles.
Entre pratique et analyse : une relation dynamique
La spécificité de l’analyse des pratiques est la mise en tension entre la pratique exposée par le praticien d’une part et son analyse d’autre part (Altet, 2000), afin d’opérer des améliorations. Pratique et analyse ayant leurs caractéristiques respectives.
Ce que l’on entend par la PRATIQUE
De quoi les pratiques sont-elles constituées ?
Des pratiques orientées par :
Les apports de l’ANALYSE
Qu’entend-on par Analyser ?
Agir avec efficience et lucidité nécessite de rendre lisible et intelligible nos pratiques, ce qui s’opère par la conscientisation. Cette prise de conscience de nos manières de faire est garante de l’amélioration envisagée.
C’est-à-dire qu’ayant mis en mot la pratique en la décrivant, en l’explicitant, en l’élucidant pour en connaître les composantes et le fonctionnement, l’ analyse rend possible alors l’articulation nécessaire entre la compréhension de la pratique d’une part et la problématisation, la théorisation pour agir avec lucidité d’autre part.
Le circuit pourrait être le suivant
Une analyse conditionnée par :
L’analyse de pratiques se présente comme :
Il semble pertinent de voir cette relation pratique-analyse-pratique améliorée de manière circulaire : l’analyse (2) se fait sur la pratique exposée (1), dans le but d’une amélioration. L’amélioration envisagée peut tout à fait nécessiter d’être à nouveau soumise à l’analyse : pour ajustement par exemple. D’où cette porosité entre pratique améliorée (3) et pratique à améliorer (1) exposée dans le schéma ci-dessous.
La visualisation qui suit fait apparaître un ensemble de caractéristiques respectives à l’analyse et à la pratique, et les spécificités de la démarche.
L’analyse réflexive en tant que démarche d’évaluation.
Les pratiques sociales, de façon tout à fait ordinaire, s’inscrivent dans la répétition, dans l’habitude routinière, et résistent à la critique. Il s’agit alors pour le praticien d’interroger, de « penser son action » (Mialaret, 1996 : 109) : de passer d’une pratique spontanée, faites d’automatismes, à une pratique réfléchie.
Interroger le vécu professionnel, l’expérience et les connaissances, pratiques comme théoriques[9], dans l’intention de comprendre sa pratique pour opérer des améliorations, procède d’une posture de réflexion sur l’action, en tant que praxis sociale[10]. Ce qui participe pleinement de la professionnalisation.
C’est cette posture de réflexion sur l’action, induite par l’analyse exposée dans le chapitre précédent, qui porte à la logique exploratoire, à la démarche de problématisation, de conceptualisation et de théorisation également explicitées.
Il s’agit en fait d’une analyse réflexive qui procède d’une logique évaluative. Les deux étant, pour ma part, par les principes qui les sous-tendent, adossées l’une à l’autre. Disons que l’analyse réflexive bénéficie des principes de l’évaluation.
Deux précisions à apporter.
Tout d’abord, sur le choix du terme analyse réflexive.
Au vocable habituellement utilisé : réflexivité, celui d’« analyse réflexive » apparaît préférable. D’une part il met en forme la relation entre analyse et réflexion, d’autre part, il met en adéquation, de fait, la démarche d’analyse des pratiques avec la posture d’analyse réflexive par le maître mot : analyse.
L’épithète réflexive indiquant la spécificité de l’action : faire appel à la réflexion pour examiner, étudier en profondeur une situation, une idée. Une capacité au discernement pour éviter la confusion et le jugement hâtif. Il s’agit d’opérer un retour sur : soi-même, sa posture professionnelle, son mode d’agir, par l’introspection, pour une meilleure capacité d’action. En ce sens, du fait qu’elle favorise l’ouverture par la conscientisation[11], l’analyse réflexive est une action instituante contenant une plasticité professionnelle.
Ensuite, le principe évaluatif.
L’analyse réflexive opère selon les mêmes principes que l’évaluation. Non pas l’évaluation généralement sollicitée pour du contrôle, de la mesure, mais bien plutôt la démarche évaluative considérée comme « processus de détermination et de fabrication de valeurs » (Simonet, 2005, 2009) Cette conception permet de l’utiliser comme un outil accompagnant à l’analyse des systèmes de valeurs et des caractéristiques qui structurent et mobilisent nos modes d’agir, c’est-à-dire : nos pratiques professionnelles.
Complétons le circuit exposé dans le chapitre précédent au sujet de l’analyse, en y ajoutant les éléments de l’analyse réflexive qui s’appuient sur la démarche évaluative :
L’ analyse réflexive |
procède de la |
démarche d’évaluation |
Une évaluation considérée en tant que :
Une évaluation établie d’après :
Notons trois idées qui éclairent la posture de l’analyse réflexive.
Conclusion
La finalité dans l’élaboration de cet article a été d’interroger un nombrilisme institué pour aborder un pragmatisme évolutif instituant, en termes de réflexion sociale visant à une dynamique créative et une pleine autonomie de l’individu.
À parler d’amélioration permanente des pratiques, du fait d’obligations inscrites dans les « bonnes » volontés sociales et institutionnelles, nous en arriverions à croire que l’excellence des pratiques est un objectif. Or, malgré l’affichage des bonnes intentions et la mise en place de certaines démarches au sein des organisations, globalement, le fonctionnement de nos institutions démontre le contraire.
Ce qui fait dire que, pour améliorer ce fonctionnement, aux pratiques essentiellement autocentrées, c’est avant tout dans les mentalités que cela doit prendre sens.
De plus, comment se fait-il qu’une telle démarche d’analyse des pratiques soit circonscrite à certains domaines d’activité professionnels ?
Les domaines politique et médiatique seraient assurément de vastes terrains exploratoires.
Afin que chacun puisse mieux se positionner dans une telle démarche, comment considérer l’analyse des pratiques ?
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NOTES
[1] N’organisons-nous pas notre existence d’après le modèle entrepreneurial ?
[2] À la question : comment les valeurs se traduisent-elles, concrètement, dans les actes ? La réponse, s’il y a en a une, aide à comprendre que ces valeurs reposent sur des aspects idéologiques et purement « marketing ».
[3] Généralement, les interventions d’analyse des pratiques entrent dans le cadre de plans de formation de l’entreprise.
[4] Qui est une forme de refus d’une action nouvelle. Le discours qui évoque en permanence une efficacité toujours plus efficace est purement abscons.
[5] L’habitus, comme étant la construction structurée et structurante de nos schèmes cognitifs, inscrite dans l’individu de manière permanente. Un habitus qui est à l’origine de nos jugements de valeur. (Bourdieu, 1979).
[6] Il semble que le groupe de parole soit une formule couramment confondue avec l’analyse des pratiques.
[7] Bourdieu de compléter par le fait que : « Loin de redouter cet effet de miroir (ou de boomerang), je vise consciemment, en prenant pour objet d’analyse la science, à m’exposer moi-même, ainsi que tous ceux qui écrivent sur le monde social, à une réflexivité généralisée. » (Bourdieu, 2001 : 15)
[8] « Les savoirs pratiques, ce sont les savoirs que le praticien se forge par l’expérience, ils sont les formes accomplies des savoir-faire. » (Mosconi, 2001 : 29)
[9] Chami parle de : savoirs pratiques, de savoir-faire (expérientiels) et de savoirs théoriques (Chami, 2010). Mosconi d’apporter les indications suivantes : 1) « Les savoirs scientifiques (des sciences sociales et humaines) ne valent pour les praticiens que si ceux-ci peuvent les investir dans leur pratique. (…) « Les savoirs théoriques, savoirs scientifiques ne sont opératoires pour les praticiens que s’ils sont réappropriés par ceux-ci » (Mosconi, 2001 : 25) 2) « L’analyse part des savoirs pratiques et de l’expérience et en opère la transformation. Elle retravaille la pratique vécue et la réélabore. (…) La finalité de l’analyse, ce sont les savoirs pratiques et non les savoirs théoriques, même si les animateurs des groupes d’analyse de pratiques peuvent, après coup faire un travail de théorisation sur leurs expériences d’animation de tels groupes. » (Mosconi, 2001 : 33).
[10] « Dans « Pour une praxis pédagogique », F. Imbert oppose justement praxis à pratique. Celle-ci, parce que devenue habituelle, ritualisée, si ce n’est professionnalisée, perd ses capacités instituantes et créatrices au profit des « allants de soi », tandis que celle-là, dans la mesure où elle est effectivement conçue et représentée comme dialectique, conserve toute sa disponibilité à reconnaître l’altération. Une pratique tend, par exemple, de façon quasi-programmée, à exclure le conflit, à le réduire ou à vouloir le maîtriser, alors qu’une praxis en ferait, éventuellement, une instance de changement. » (Ardoino, Berger, 1989 : 220).
[11] Qui est au « programme » de formations et de l’exercice professionnel déjà existant (par les plans de formation continue). Lacourse et al., parlant du domaine de l’enseignement, indiquerons que : « Dans une logique de professionnalisation, il nous est apparu essentiel de permettre au futur enseignant de s’engager personnellement dans sa formation à travers une démarche réflexive, dans le but de soutenir son développement professionnel. » (Lacourse et al., 2007 : 187) Démarche de réflexivité pour laquelle le professionnel, actuel et futur « doit donc disposer de plusieurs habiletés pour ce faire, dont la complexité est probablement sous-estimée : sens de l’observation, capacités d’analyse et de synthèse, capacité de conceptualisation, de contextualisation des notions tirées des lectures pour éviter l’applicationnisme, de formalisation, de verbalisation, etc. » (Lacourse et al., 2007 : 189)
[12] L’évaluation n’étant pas limitée à de l’autoévaluation.
[13] « Pour nous, l’Analyse de pratiques correspond à ce type d’analyse compréhensive qui vise l’intelligibilité de ce qu’elle observe, reconstruit a posteriori le fonctionnement des pratiques et situations à l’aide de modèles d’intelligibilité, de concepts, de référents théoriques, d’outils, de grilles de lecture, qui s’efforcent de les décrire en sortant des discours normatifs et des jugements de valeur. » (Altet, 2000 : 30-31)
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