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Former des éducateurs à Bamako

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Veronique Anclin

samedi 13 février 2010

Former des éducateurs à Bamako

Voici donc le récit de mon expérience humaine et professionnelle lors d’une mission solidaire au Mali.

L’objectif était de former une équipe "d'animateurs" dans un centre pour enfants abandonnés à Bamako.

Ceci avec l’association Planète Urgence.

L’association a un double objectif, lutter contre la destruction de la planète et lutter contre les inégalités entre le Nord et le Sud. Ceci sous la forme de projets de terrain concrets et très variés.

Dans un contexte de solidarité internationale, Planète Urgence intervient à partir d’un principe : le congé solidaire. À savoir la mise à disposition (et la prise en charge des frais) par des entreprises, de salariés dont les compétences correspondent à des besoins répertoriés ; et pour le salarié, le départ sur une mission sur un temps de congés.

Je me suis engagée sur ce projet à Bamako qui correspondait à mes compétences.

Éducatrice spécialisée de formation initiale, j’ai exercé pendant quelques années dans un internat accueillant des adolescents et jeunes majeurs avant de rejoindre un service de milieu ouvert. J’ai une longue expérience en AEMO. Je suis maintenant chef de service éducatif.

J’ai également été amenée à intervenir quand j’étais éducatrice, ponctuellement mais assez régulièrement, auprès d’étudiants dans un institut de formation au Havre sur les pratiques de l’éducateur dans le secteur de la protection de l’enfance.

La formation, ce n’était donc pas tout à fait nouveau pour moi.

A Bamako, les stagiaires étaient quatre professionnels animateurs confrontés à la complexité d’un métier qu’ils abordent avec une certaine improvisation et pour lequel ils montrent un engagement important.

Trois femmes, deux d’entres elles avaient beaucoup d’ancienneté, la 3e a des bonnes notions de psychologie et quelques années d’expérience et un homme jeune avec très peu d’expérience mais une ambition certaine.

Les conditions de travail au Mali même dans la capitale sont très précaires, très peu de moyens, et beaucoup de situations d’urgence, une évidente « concurrence » entre la législation et la coutume. J’ai constaté également la méconnaissance des stagiaires des structures ressources existantes dans leur pays.

Les situations des enfants étaient très variées, enfant maltraités dans leur famille, enfants talibés récupérés dans les rues, petites bonnes maltraitées issues des villages qui se sont sauvées et/ou perdues, jeunes femmes mineurs mariées et violentées par leur mari, enfants abandonnés par des mères vivant dans la rue, bébés destinés à l’adoption etc..

Mon premier souci a été d'amener mes 4 stagiaires Maïmouna, Djélika, Mariam, Ibrahima (le jeune homme), à s'interroger sur leur métier et pour ce faire, je leur ai proposé une première journée où nous avons décliné les notions d’éducation, de pédagogie, de culture, pour arriver à l’éducateur au sens large puis l’éducateur professionnel et son champ d’intervention. Cette première étape a été essentielle pour aborder la suite. J’avais besoin de comprendre comment ils se représentaient leur rôle auprès des enfants.

J’ai eu le plaisir et l’avantage d’élaborer moi-même le contenu de cette formation avec une certaine liberté et de la diriger et l’ajuster sur place en fonction des premiers constats. J’ai alterné les cours théoriques avec des temps d’application en rapport avec les situations de l’un ou l’autre des deux centres ; et alterné aussi les parties sur le développement de l’enfant avec des interventions sur la méthodologie du travail.

Voici le programme finalement effectué :

lundi 30 / 11 / 09 : Présentation des participants et de moi-même et des attentes de chacun en présence des deux directrices d'association "ASE Mali" et "le cris des mères".

Organisation et présentation globale du plan de formation.

Présentation des deux associations, leur fonctionnement et le profil des enfants accueillis.

Travail autour de « l’Accueil de l'enfant », les questions relatives à son arrivée et premiers exemples de situations.

Mardi 1er / 12 / 09 : "L'éducation, la pédagogie, l'éducateur au sens large, l'éducateur en institution, la culture".

Définitions et liens avec les sociétés et les politiques gouvernementales, limites de compétences du champ éducatif.

Exemple de prise en charge éducative à partir de deux situations.

Mercredi 2 / 12 / 09 : Nouvelle application autour d'une situation de chaque association : Quel type de réponse éducative selon les situations, champ de compétences, Qui fait quoi lors d'une prise en charge ? La pratique en lien avec la législation.

Jeudi 3 / 12 / 09 : Début du cours sur le développement sensoriel, moteur et affectif de l'enfant de la naissance à l'adolescence.

Quelques aspects spécifiques : La préoccupation maternelle primaire (PMP) ; le faux self ; l'objet transitionnel ; le principe de l'anticipation ; le principe de répétition.

Vendredi 4 / 12 / 09 : écriture du compte-rendu de la 1ere semaine et évaluation intermédiaire.

Lundi 7 / 12 / 09 : lecture et exploitation de tableaux sur le développement de l'enfant en lien avec le cours du Jeudi ;

Cours "le dessin chez l'enfant, évolution du graphisme" ; le développement de la perception chez l'enfant ; les stades du développement intellectuel.

Début du cours sur les écrits professionnels (théorie).

Mardi 8 / 12 / 09 : Méthodologie des écrits professionnels.

L'observation de l'enfant, la grille d'observation ; les principes ; le cycle d'observation ; le dossier de l'enfant.

Mercredi 9 / 12 / 09 : développement de l'enfant, suite, La maturation.

Cours sur "Le projet" : Théorie et montage d'un projet. Application à partir d'une situation.

La journée se termine avec une séance de dessin avec tous les enfants présents pour illustrer le cours sur le dessin.

Jeudi 10 / 12 / 09 : les troubles du comportement chez l'enfant, définition et différents types de troubles, le comportement agressif ; le mensonge ; le vol ; la fugue ; l'instabilité psychomotrice. Exemples de situations issues de mon expérience en foyer éducatif.

Le deuil, définition ; les différents stades du deuil ; les appuis sociaux ; la particularité du deuil chez l'enfant, et d'un enfant ; les principaux symptômes d'un deuil pathologique ; exemples de situation sur ces deux thèmes.

Vendredi 11 / 12 / 09 : Elaboration d’une fiche d’observation et de situation de l’enfant.

Finalisation du compte-rendu écrit de la formation et bilan de la mission en présence de la coordinatrice de Planète Urgence et des deux directrices d'association ; remise des attestations de formation, séance de photos.

Je souhaite préciser que pour préparer mes interventions, j'ai utilisé un certain nombre d’ouvrages dont celui de Joseph Rouzel : "Le travail d'éducateur spécialisé", éthique et pratique, et celui très intéressant de Daniel Roquefort, « Le rôle de l’éducateur ». (L’éducateur bonne mère, l’éducateur animateur, l’éducateur intellectuel, etc.). Celui-ci a été un réel support pour évoquer leur pratique telle une profession qui se pense et se construit dans une recherche de ce que cela engendre chez l’enfant mais aussi vers la perception de « Soi » dans ses pratiques.

Le livre de J. Rouzel m’a essentiellement servi pour l’intervention sur la notion et le montage d’un projet. Ceci avec le souci d’évoquer le projet à travers l’histoire de l’humanité.

Évidemment, j’ai fait quelques raccourcis mais nous nous sommes particulièrement arrêtés sur la citation de Jean Paul Sartre qui ne les a pas laissé indifférents : « Peu importe ce que l’on a fait de nous, ce qui compte, c’est ce que nous ferons de ce que nous avons fait de nous ». Dans ces moments là, la formation prenait la forme de grandes discussions !

Je ne voulais pas tomber dans « le projet à tout va » comme c’est le cas dans nos pratiques sociales d’aujourd’hui. En outre, cela aurait été déplacé dans un lieu sans moyen. Nous l’avons donc plutôt abordé sous la forme du projet individuel, de partenariat ou d’orientation dans sa faisabilité.

J’avais emmené plusieurs livres d’auteurs tels que Henri Wallon, Winnicott, Piaget, Dolto, Freud, dont j’ai tiré la plupart des cours théoriques, beau mélange hétéroclite. Des ouvrages qu’ils ont souhaité acquérir.

Nous avons beaucoup échangé autour de nos différences culturelles. Ils affirment un rapport à l’autorité bien différent de chez nous. L’éducatif ne se fait pas à travers la parole et assez peu à travers le jeu malgré qu’ils s’assimilent volontiers à des éducateurs animateurs. Ils ont été cependant intéressés par les propos de Françoise Dolto.

Nos débats portaient notamment sur les méthodes éducatives, Maïmouna chante et danse parfois avec les enfants et soutient beaucoup leur scolarité, elle semble d’une grande fermeté avec les enfants. Ibrahima quand à lui, était tenté de me faire admettre que nous avons échoué en France dans l’éducation de nos enfants avec le dialogue au détriment de l’autorité. Nos échanges ont été francs et relevés mais très chaleureux.

Tous ont été vraiment intéressés par l’étude des situations d’enfants en fonction de leur histoire, leur inscription dans celle de leurs parents et la compréhension des évènements par les enfants en fonction de leur stade de développement.

Globalement, les deux jeunes stagiaires ont pris conscience que leur fonction allait bien au delà de l'animation. Je pense qu’ils se sont sentis valorisés dans cette fonction et ont compris le maillage nécessaire entre le juge des enfants, l’hôpital, le SAMU social, et le travail de la police (c’est la brigade des mœurs qui leur confie les enfants).

Ils se sont sentis moins isolés dans un secteur où ils pensaient devoir tout assumer.

Je pense avoir pointé quelques dysfonctionnements au sein d’une des associations qui s’autogére sans réellement rendre de compte au juge des enfants de la gestion des situations. Pour exemple, Mariam a exposé une situation où ils ont été amenés à cacher un enfant pour la protéger de sa mère, une jeune femme vivant de la prostitution, sans signaler au juge la demande de celle-ci de le reprendre. Parallèlement, ils souhaitaient continuer à proposer un accompagnement à cette jeune femme mais constataient qu’ils n’y parvenaient plus, (perte de confiance). Une volonté de bien faire mais où ils ne laissent pas la place à l’énoncé des droits et devoirs, ni à la responsabilité parentale. Des écueils dans lesquels nous tombons aussi.

Il est bien évident que j’ai moi aussi appris beaucoup. Ils ont perçu je crois que je n’arrivais pas avec ma science et d’ailleurs savaient que je n’étais pas formatrice, mais tirais mes interventions essentiellement de mes propres formations, de mes pratiques et de mon expérience.

J’ai souhaité les interpeller plus que les dérouter, afin qu’ils aient envie de continuer à se former.

Cette formation les a forcément un peu frustrés puisque nous sommes passés un peu vite sur l’ensemble des sujets.

Nous avons évoqué le manque de moyens pour la mise en place d’activités pédagogiques ou de sorties alors que les cours mettaient en évidence l’apport de ces outils dans le développement et la « réparation » de l’enfant. Mais était-ce nécessaire d’insister sur une évidence, j’ai préféré insister sur l’importance du ludique dans les prise en charge, dans la mesure où j’ai observé une tristesse latente chez les enfants accueillis.

Au Mali, se pose donc la question de la légitimité du Juge des enfants et même des textes de lois, dans un pays où la coutume est encore prépondérante dans le fonctionnement de la société.

J'ai pu me rendre au centre de documentation du ministère de la promotion de la femme, de l’enfant et de la famille. J’ai rencontré le responsable de ce centre et ainsi complété mes connaissances sur la législation en vigueur au Mali, très similaire de la notre.

Ce haut fonctionnaire m’a informé de l’existence d’un centre de formation pour éducateurs sans pouvoir me renseigner sur le nombre de professionnels en cours de formation ni sur le moyens développés. Il mentionne nettement la différence entre les besoins et les moyens, et n’était pas choqué par le fait que les deux associations aient fait appel à une organisation humanitaire, pratique tellement courante au Mali.

D’autre part, il m’informe de la volonté politique d’orienter les actions vers le maintien de l’enfant dans sa famille et donc du développement de l’AEMO.

Il se trouve que le déroulement de cette formation a été propice à sa réussite pour moi puisque j'étais la première semaine, la seule volontaire dans le cadre de Planète Urgence à Bamako, alors que plusieurs collègues sont arrivés pour d’autres missions la 2e semaine. Cela m'a incité à aller vers la population, à être complètement immergée dans la vie quotidienne des Bamakois.

Cela m'a aussi permis d'être très concentrée sur ma mission, de revoir et préparer l'après-midi ou le soir mes interventions du lendemain et donc également de tenter de comprendre dans quel contexte évoluent les professionnels de l’enfance en danger. (J’ai pu prendre le temps de découvrir le Bamako nocturne la 2e semaine, c’était chouette !).

Les derniers jours, Maïmouna, Djélika, Mariam, Ibrahima et moi avons vu la fin de la semaine approcher avec une petite menace du « tout a une fin ». Je me suis aperçue qu’ils vivaient chacun cette formation comme un intermède, qui ne résoudrait pas leurs problèmes quotidiens mais représentait un bol d’air, une fenêtre qui s’est ouverte peut-être vers un « travailler autrement ».

C’était pareil pour moi finalement.

L’envie de faire durer encore cette idylle était palpable et une certaine tension positive a fait que nous avons fini la semaine dans une concentration, une application où chacun, eux comme moi voulions profiter de chaque instant. J’étais très touchée par l’attention et le respect qu’ils portaient à cette formation et ne regrette pas d’y avoir apporté beaucoup de préparation.

Cette 2e semaine s’est accompagnée aussi de beaucoup de rire, notamment quand Djélika et Maïmouna évoquaient leur conjugalité, l’une est la 1ere femme sur les 3 qu’a son mari, l’autre est une seconde et dernière femme. Chacune se vente d’avoir la meilleure place dans cette polygamie qu’elles présentent avec un mélange de raison et de passion. J’ai « récupéré » au passage quelques recettes pour garder les faveurs de mon homme sur le long terme. Ibrahima était un peu gêné, Mariam espère trouver son bonheur dans la monogamie.

Les situations des adolescentes et des mineures mamans de bébés ont été aussi beaucoup évoquées ainsi que le devenir et l’évolution de la place de la femme dans la société malienne. Ibrahima montre une solidarité certaine à la gente masculine, je pense que cette génération d’homme, les jeunes adultes, sont effectivement dans une situation délicate. Entendent-ils « le cri des mères » monter ?

Existe-t-il un mouvement plus large homme/femme en Afrique pour venir bousculer les coutumes ? J’ai assisté à une conférence portant sur la culture du Mali le dernier jour avant mon départ, il semble que les intellectuels maliens revendiquent leur culture et leurs coutumes comme garantes de leur identité mais parallèlement en dénoncent certaines telles que les mutilations sexuelles. Je n’ai pas souhaité aborder ce problème lors de la formation. Il me semble qu’un mouvement de société s’opère mais vers quoi ?

Pour conclure, je dois dire que les stagiaires de cette mission se sont montrés très demandeurs et même insatiables. Ils semblent dans une volonté de poursuivre cette démarche de formation ensemble et également de façon personnelle avec un approfondissement dans la psychologie de l’enfant ainsi que dans la prise en charge de l’enfant au quotidien. Mais leur condition de travail actuelle n’est pas vraiment propice à une évolution des pratiques.

J’ai rendu compte à la directrice de l’association « le cris des mères » de ma démarche auprès du responsable du centre de documentation du ministère afin d’entendre son avis sur les orientations affirmées. Mais elle s’est peu exprimée. Pour une première immersion, je ne me suis pas permise d’aller plus loin dans mes investigations, ce n’était pas le but.

Voilà pour ce témoignage, j’ai beaucoup observé la façon dont les quatre stagiaires recevaient cette formation. Je crois énormément à la transmission des savoirs, démarches peu respectée aujourd’hui dans nos associations. Cela doit survivre que ce soit en France auprès de nos jeunes professionnels qu’auprès d’équipes de collègues au-delà des frontières.

Moi, je suis tombée amoureuse du Mali. En général, je suis quelqu’un qui a besoin d’un peu de temps pour aller à la rencontre de l’autre, mais là, j’ai été surprise de cette grande facilité dans les rencontres pendant la formation et à l’extérieur. Je ne me formalisais pas du tout quand mes stagiaires parlaient bambara pendant les cours, cela leur était nécessaire pour s’exprimer librement et les a mis à l’aise là où ils montraient les premiers jours une petite timidité.

Rapidement, ils ont traduit la plupart de leurs échanges même quand ils exprimaient une certaine dérive face à mes propos. Ils m’ont dit que j’avais de l’humour et qu’ils m’appréciaient. Ça m’a fait plaisir évidemment. Cela facilitait nos échanges et la compréhension.

Mais j’ai encore de multiples interrogations sur le « comment travailler ensemble » dans la poursuite de cette première expérience.

Depuis mon retour, j’ai entrepris de lire l’ouvrage d’Axelle Kabou, « Et si l’Afrique refusait le développement » chez L’Harmattan, livre qui recherche les causes de la situation dramatique dans laquelle le continent s’est enlisé. J’avance tout doucement dans une tentative de compréhension en lien avec ma toute petite expérience, grande pour ce qu’elle m’a fait ressentir d’émotion.

Merci à Maïmouna, Djélika, Mariam et Ibrahima.

Véronique ANCLIN

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