dimanche 29 juillet 2012
Firmin…
Il avait 35 ans et moi 37. Je le connaissais, au moins de vue. Firmin, petit homme roux à la moustache fournie et ébouriffée, la casquette au ras des yeux, la gitane maïs au coin des lèvres tuméfiées, son chien sur les genoux. Impassible spectateur de la rue, assis en tailleur au pied de cette banque, pareille à tant d’autres, qui promettent monts et merveilles à coup de crédits dont le coût dépasse l’entendement des classes moyennes, consommatrices aujourd’hui, elles aussi, de l’emprunt sans fin.
Firmin faisait partie du paysage citadin, et laissait filer devant ses yeux absents les badauds pressés, insensibles à sa présence. Seule, une dame brune, queue de cheval et lunettes d’écailles cachant la moitié d’un visage avenant, lui tendait la main. Non pas pour lui filer cinq francs ou dix francs, non pour l’aider à se soigner et à soigner son chien, compagnon inséparable de son errance apprivoisée.
Moi, je l’ai remarqué, parce que je remarque toujours la présence humaine, c’est comme ça… Pas de philanthropie, pas de générosité… non, c’est comme ça.
Alors quand mes finances le permettaient, moi, je lui donnais dix balles, sinon c’était deux francs. J’avais trois adresses à l’époque, dans cette ville, que je visitais, la banque où je retrouvais Firmin, la poste où je croisais le monsieur triste et grave à l’imperméable beige et une autre banque face à l’ancien théâtre municipal, là je me posais sur la même marche qu’Oscar, un vieux monsieur à la moustache blanche qui avait été décoré par De Gaulle et qui finissait ses jours à même le sol, du pays qu’il avait défendu contre l’oppression nazie. Souvent, il sortait de sa blouse grise, ses reliques journalistiques dont une des photos commémorait la décoration d’Oscar, le résistant.
J’avais 25 ans à l’époque et je me cherchais un avenir… entre arts, philo et socio… Firmin en avait 23, je ne sais pas s’il cherchait encore un avenir…
A 37 balais, je travaillais au sein de cette association autogestionnaire, (dont je parle souvent comme pour souligner que ce n’est pas grave l’absence de la gouvernance (!), mieux vaut un gouvernement), j’étais chargée avec mes collègues éducateurs, comme moi, de l’accompagnement social des allocataires du RMI les plus « marginalisés » et des « familles avec enfants en grandes difficultés sociales », tout cela entre guillemets pour marquer la stigmatisation politique de ces valeureux dirigeants locaux qui connaissent bien la vie !
Voilà, c’est cette année-là, que je rencontrais Firmin. Il était venu à un rendez-vous que je lui avais proposé sans trop croire qu’il y serait et il y était.
Je faisais connaissance avec ce sympathique clochard inoffensif, occupant du pas de porte de sa façade bancaire. Nous nous sommes serrés la main. Il sentait très fort des pieds, de tout son corps. Une sorte de putréfaction tenace, il fallait penser très vite pour oublier le règne des sens en de pareils cas. C’était intenable en vérité. Nous nous sommes attablés autour d’un café, avons allumés nos cigarettes, puis nous avons discuté.
Je tendais une oreille attentive à ses mots qu’il mangeait sous sa moustache rousse.
A 35 ans, Firmin en avait assez de la rue, il demandait que je l’aide à se loger… dans un foyer, une chambre meublée. Mais… pas question de se séparer de son chien.
Firmin aurait pu être mon petit frère, plus jeune que moi, ce jeune vieillard, à qui j’avais prêté la cinquantaine !
Fils d’un homme alcoolique et veuf, très tôt Firmin a connu les familles d’accueil à la campagne. Il a aussi connu les coups, il n’a que peu rencontré sa fratrie. Firmin me raconte son parcours avec un sourire navré, il n’a pas fréquenté l’école très longtemps, il sait à peine signer son nom.
Voilà, la mission est claire, Firmin veut se poser et s’abriter des dangers de la rue, auxquels il n’a plus la force de faire face. Une bande venue de l’est de l’Europe l’a chassé de son emplacement, s’est fait cambriolée sa banque, Firmin.
A la fin de cette première rencontre, je me surprends à avoir oublié son odeur durant l’entretien, c’est juste que maintenant nous bougeons pour nous saluer, que des effluves me reviennent aux narines.
Les mois passent, je n’ai pas de solution de logement pour Firmin mais il continue à venir me voir un vendredi matin sur deux, il me donne de ses nouvelles. En attendant que la situation aille mieux, il a confié son chien à un copain qui l’héberge de temps en temps. Le problème, le chien il peut l’héberger tous les jours mais pas Firmin… Mais Firmin ne s’inquiète pas, il va trouver un logis. Moi, je ne suis pas bien sûre mais je m’appuie sur Firmin, il m’aide à y croire.
Un vendredi, je suis avec une jeune collègue, nous recevons à deux, Firmin. La semaine précédente, elle l’avait reçu, j’étais en congés. Firmin n’est pas en forme. Le week end dernier il s’est fait renverser par une voiture. Sa jambe présente une plaie ouverte qu’il n’a pas fait soigner depuis. De suite nous appelons l’hôpital et le foyer d’hébergement qui l’accueille temporairement. Il se trouve que si, Firmin a été examiné mais ne se rend pas comme convenu, une fois tous les deux jours à la permanence médicale. L’hôpital ne l’a pas gardé, pas de CMU !!!
Nous emmenons Firmin, faire changer son pansement et nettoyer sa plaie béante. Puis nous réactualisons ses droits d’assuré social.
Le temps passe, les rencontres se poursuivent, la relation est là… nous nous racontons.
Puis un vendredi, Firmin entre triomphant dans les locaux de l’association, il est en possession d’un jeu de clés. Son logement ! Une chambre meublée, une dame (brune aux lunettes d’écailles trop grandes pour un si joli visage avenant) lui a trouvé ce meublé où les animaux sont acceptés. Firmin va pouvoir récupérer son compagnon à quatre pattes, le poil roux !
Un jour je rencontrerai la dame brune, une prof d’arts plastiques qui aime les chiens perdus et les hommes naufragés. Elle me remerciera de ma présence auprès de Firmin, je n’ai su que répondre sauf à dire qu’il s’agissait de mon métier… rencontrer, accompagner. Je n’ai pas pensé moi, à la remercier…
Le combat qu’elle menait maintenant pour Firmin, était de récupérer le petit chien roux mais le logeur ne voulait pas le rendre !!!
Firmin déprimait…
Voilà, j’ai quitté Firmin, je l’ai confié aux soins d’une jeune collègue qui m’a remplacée lorsque j’ai pris mon poste de cadre pédagogique… Je continuais à croiser Firmin, assis sur le bitume de cette ville que j’arpente depuis 25 ans, malgré le logement, Firmin continuait à habiter temporairement la rue…
Il avait 42 ans, moi j’en ai 44. Firmin est mort la semaine dernière. Je ne sais rien de plus…
Laurence Lutton
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vendredi 28 septembre 2012