jeudi 22 décembre 2016
Entre les Lignes de la Prévention Spécialisée - Une Ecologie du Mouvement - Episode 2
Le travail de rue en prévention spécialisée:
Dans l’éducation spécialisée, les professionnels sont rattachés généralement à une structure qui renvoie au commun des mortels, le type de public avec lequel les professionnels travaillent. Les éducateurs en MECS 1 se veulent dans l’accompagnement d’enfants placés, les éducateurs en MAS 2 renvoient l’image de professionnels évoluant dans le milieu du handicap, les CHRS 3 présupposent un accompagnement autour de la réinsertion sociale et du logement, l’éducateur en AEMO 4 va certes dans le milieu familial, mais c’est le lien singulier avec l’enfant qu’il entretient qui est mis en avant dans les représentations sociales.
Derrière toutes ces fonctions, on perçoit un cadre, une structure contenant les acteurs concernés. On distingue les murs, les outils propices au bon fonctionnement de l’accompagnement éducatif. On sent, on imagine des scènes de la vie quotidienne. Ce sont des situations que l’on à déjà vues à la télévision, dans le récit d’amis; on est capable de se représenter le métier malgré ses aléas liés à la souffrance des publics.
La prévention spécialisée quant à elle, renvoie tout autre chose. Dans l’appellation « éducateurs de rue », il y a l’idée que ces professionnels évoluent dans la rue, au coeur du bâti, dans les terrains vagues, dans les allées… Mais alors à quoi sont-ils rattachés? Leur accueil est-il comme dans les structures d’éducation spécialisée, au rez de chaussée? les salles d’activités sont-elles au sous sol? le bureau du directeur au premier étage? les toilettes sont-ils comme à l’accoutumé au fond du couloir à gauche? le coin cuisine fait-il 20m² ? Autant d’éléments symboliques et structurants le regard, la pensée, qu’il est parfois compliqué pour tout un chacun de s’imaginer le quotidien des éducateurs de prévention spécialisée. Comment font-ils pour exercer leur profession hors les murs, au dehors? Comment font-ils pour accueillir la parole de l’autre sans bureau qui fait interface? Comment ces lieux d’habitations se transforment en lieu de travail pour les éducateurs de prévention spécialisée? Où se trouve le parking réservé aux employés? Où est la machine à café? La salle de pause? Le bureau des « éducs »? La cantine? Les toilettes?
Toutes ces questions intriguent, interrogent. Pourtant un éducateur de rue en place depuis longtemps répondrait simplement « Là, devant toi, tu ne vois pas! ».
La majeure partie de leur temps, les éducateurs de prévention spécialisée évoluent dans la rue. Ils déambulent sur les trottoirs, les chemins, le long des allées d’habitations. Ce travail qu’ils nomment le travail de rue, se présente comme une modalité spécifique de l’action éducative en Prévention Spécialisée. C’est un outil de travail permettant aux éducateurs de cheminer vers deux finalités essentielles pour le travail éducatif construit pour et à partir d’un territoire ; à savoir, prendre une place dans un environnement défini et rencontrer les jeunes en voie de marginalisation, présents dans l’espace public.
Prendre une place dans un environnement : L’intérêt de s’implanter dans un territoire réside dans deux objectifs distincts mais complémentaires : comprendre le territoire et y prendre place.
Comprendre un territoire: c’est saisir comment le quartier est habité, comment il vit. Il s’agit pour les éducateurs de prévention spécialisée de repérer comment les habitants s’approprient leur quartier et de voir quels sont les espaces de circulation, de rencontre, de tension. Plus spécifiquement ensuite, ils resserrent l’attention sur le public jeune afin de comprendre comment ceux-ci négocient leur place dans l’espace public. Les jeunes occupent-ils des espaces spécifiques ? Leur présence est-elle partagée avec les habitants ? Au contraire viennent-ils s’imposer ?
Dépassant cette première « photographie » d’un quartier, il convient, pour les professionnels, en parallèle, de saisir les dynamiques collectives du territoire qui sont mises en œuvre par les habitants et par l’ensemble des acteurs institutionnels et/ou associatifs. Quels sont les habitants moteurs, engagés ? Quels sont les partenaires présents sur le quartier ? Comment les dynamiques se créent ou au contraire s’annulent ?
Cette compréhension s’affine avec le temps de présence et progressivement les éducateurs prennent part à la vie du quartier pour devenir petit à petit un des éléments de cet environnement. Il s’agit ainsi pour les éducateurs d’être perçu comme un relais et un tiers (entre les habitants et les institutions, entre les habitants et les jeunes, entre les jeunes et les institutions…). Cette posture qui s’acquière dans le temps vise à participer à la vie sociale du territoire et à devenir une personne ressource pour les jeunes, les habitants et les acteurs d’une manière générale.
Rencontrer les jeunes en risque de marginalisation, présents dans l’espace public : La rencontre des jeunes dans leur lieu de vie et dans l’espace public se fonde principalement sur trois objectifs.
D’abord, à l’instar des tous les éducateurs, l’éducateur en Prévention Spécialisée cherche à initier et à mettre en œuvre des accompagnements éducatifs. Dans ce contexte, en travail de rue, il vient donc proposer une offre relationnelle aux jeunes qu’il repère en difficultés.
Ensuite, de manière moins ciblée, l’éducateur propose une écoute et une permanence dans le temps à l’ensemble des jeunes avec lesquels il entre en contact. Ici, c’est une posture d’adulte qui vient signifier la norme, les attentes et les exigences sociales que l’éducateur incarne dans les échanges informels sur le quartier.
Enfin, rencontrer les jeunes dans l’espace public, dans leur quartier, être en relation, échanger, discuter, débattre avec eux, c’est aussi leur accorder une place et négocier la leur auprès des habitants.
La réalité de ce mode d’intervention est qu’il est mouvant. En effet, la pratique de cette particularité professionnelle est construite à partir de différents éléments qu’il est intéressant d’évoquer pour la comprendre.
La fréquence : Suivant les moments de la journée, le matin / l’après-midi / le soir, ils ne croisent pas les mêmes interlocuteurs pour tisser leur travail social.
En effet, les matins permettent de rencontrer les gardiens d’immeubles, sources d’informations notamment concernant des problématiques d’habitants, ainsi que les mères de famille allant faire leurs courses ou chercher leurs enfants à l’école, les hommes prenant un café avant de se rendre au travail ou pendant leurs pauses.
Entre midi et deux heures, c’est un temps relativement calme sur le secteur car chacun est parti déjeuner. Toutefois, les jours de marché, les rencontres avec les habitants se prolongent plus tard car ils viennent profiter des dernières affaires à faire. C’est également le temps du repas avec les partenaires où les liens se créent, s’affinent en vue d’une meilleure collaboration.
L’après-midi est un créneau qui favorise les occasions d’échanger avec certains habitants (retraités, mères au foyer, …), les commerçants ou autres entités locales. Le travail de rue permet des rencontres avec les jeunes déscolarisés ou sans emploi ; Parfois inscrits sur un espace précis ou mouvant pour échapper aux regards, aux rencontres. C’est à partir de ces moments que les éducateurs de rue commencent à tisser le lien avec ces jeunes. De plus, ils peuvent rencontrer les jeunes scolarisés qui rentrent chez eux et se retrouvent entre copains. Ils croisent aussi sur les quartiers les mères ou pères de familles allant chercher leurs petits à la sortie des écoles,…
La nuit tombée ils retrouvent principalement des hommes dans l’espace public (jeunes ou adultes).
Les saisons : En fonction des saisons ou des périodes de l’année le travail de rue ne s’effectue pas au même rythme (période estivale ou hivernale, vacances scolaires,…). En effet, ils doivent s’adapter au besoin du terrain ; et c’est bien là l’une des clefs de la spécificité de cette intervention. En effet, l’intérêt est d’aller à la rencontre des jeunes et des habitants. Ils organisent donc leur emploi du temps en fonction de leur présence sur le territoire et des rencontres qu’ils espèrent avoir.
La vie sociale des quartiers : Qu’ils s’agissent d’événements religieux, de brocantes, de festivals, de fêtes de quartier, chacun des secteurs est animé par des actions municipales ou associatives. La place des éducateurs de rue lors de ces manifestations peut être participative s’il y a un partenariat opérant (dans le cadre d’une action partenariale ou d’une action collective) mais dans tous les cas ces évènements sont la possibilité de marquer une présence sociale. En effet, ces temps forts sur les territoires permettent de prendre le temps de rencontrer des habitants qu’ils ne connaissent pas nécessairement en se promenant sur cet espace public.
Les territoires : Les espaces publics qu’ils foulent sont investis par chacun des habitants ; de ce fait ils sont vivants. En effet, ils peuvent, par exemple, rencontrer un groupe de jeunes hommes à un endroit précis pendant une semaine, y retourner une semaine après et n’y croiser personne. Les gens se déplacent dans leur quartier et pas nécessairement toujours de façon définie. Pour autant, il apparait clairement des identités propres à chaque territoire, cela induit parfois aussi certains déplacements (ou non déplacements).
Les évènements du quartier : Un quartier vit au gré de ses habitants et des évènements qui jalonnent leurs quotidiens. Certains sont heureux (mariages, fêtes de famille,…) cependant il arrive qu’il y ait des événements tragiques ou violents sur les secteurs (désordres du 14 juillet, accident de la route,…), cela donne lieu à une vigilance particulière de leur part. Leur intervention ne s’organisera pas nécessairement de la même façon afin de pouvoir être présent pour les habitants.
David Dupuy
1 Maison d’Enfant à Caractère Social
2 Maison d’Accueil Spécialisée
3 Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale
4 Aide Educative en Milieu Ouvert
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