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Ecouter sans chercher à comprendre

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Solène Huet

jeudi 27 octobre 2011

Ecouter sans chercher à comprendre

J’ai travaillé cinq ans dans un service d’AEMO. En tant qu’éducatrice, j’ai cessé de vouloir faire comprendre aux parents qu’ils agissaient mal envers leur enfant et de les amener où je pensais qu’ils devaient aller. Le jour où j’ai arrêté de chercher à comprendre et où j’ai apporté une écoute bienveillante à ces familles, mon travail a été bouleversé. J’ai reçu de nombreuses révélations de violences intra-familiales alors même que les familles étaient suivies depuis des années par les travailleurs sociaux. En écoutant les émotions et les comportements comme des langages, j’ai permis à certains parents et enfants d’entendre quelque chose chez eux autour de l’insupportable de leur vécu, de besoins maltraités, de retentissement de situations inachevées.

Je leur ai offert un espace pour se dire à leurs proches, pour s’entendre parfois pour la première fois. Ainsi cette mère de quatre enfants me dira, après 10 ans de suivi éducatif par différents services, « merci d’avoir vu qui j’étais au-delà de ce que je montre à tout le monde ». Cette femme était considérée depuis des années comme négligente et démissionnaire, incapable de comprendre les besoins de ses enfants. Sa réalité à elle, c’est que le père des enfants avait des comportements extrêmement violents, avait tenté de la tuer plusieurs fois, obligeait ses fils de 6 ans et 14 ans à participer à des bagarres de rues organisées par les pères du quartier. Cette femme vivait dans la terreur permanente et n’était entendue par personne.

C’est aussi cette maman de trois enfants de 8, 5 et 1 an qui ne réagit pas lors de la rencontre avec les enseignants de son fils de 8 ans alors qu’ils lui racontent les auto-mutilations de ce dernier. C’est lorsque je lui dirais « je ne comprends pas votre réaction Madame. Les faits décrits par l’école me semblent très inquiétants et vous ne réagissez pas. J’ai l’impression que vous subissez » que cette femme craquera et révélera les violences physiques très brutales du père sur les enfants.

C’est ce père qui depuis son divorce ne voit plus ses filles et se bat contre son ex-femme pour que ses DVH soient respectés. Son combat se joue sur un mode procédurier et il attaque régulièrement le service éducatif. Lors d’un entretien où il m’accuse avec véhémence d’incompétence, je lui dis simplement « Je vois votre colère et je la comprends. Mais elle m’empêche d’entendre le père que vous êtes, vous ne parlez jamais de votre relation à vos filles. » Ce monsieur s’effondrera en larmes et m’avouera avoir prévu son suicide dès le jugement définitif de divorce et le diagnostic d’une maladie incurable qu’il venait de recevoir. Un accompagnement particulier a alors pu se mettre en place auprès de cet homme et éviter un drame.

C’est cette femme présentée comme « hystérique » et maltraitante par tous les professionnels car elle refuse un suivi spécifique pour son fils de 8 ans qui a des comportements très violents. Entendre sa colère envers les professionnels, son amour pour son fils, lui permettra de se sentir en confiance et d’oser parler des comportements pervers du père des enfants qui encourage et valorise la violence physique et sexuelle envers les femmes.

C’est cette femme suivie depuis 7 ans par les services éducatifs pour ses quatre enfants, tous majeurs depuis sauf le dernier dont elle a l’hébergement principal. Lors d’un entretien banal (le premier que je fais avec elle), elle glissera simplement au milieu d’une conversation sur la scolarité de son fils « F (son autre fils) m’a dit un truc la semaine dernière ». Le ton de sa voix et son expression du visage m’alerte et je lui propose « Vous souhaitez que l’on en parle toutes les deux à la fin de l’entretien ? » Ce qu’elle accepte. Elle commence alors à révéler 20 ans de tortures, barbaries, violences physiques et sexuelles sur elle et ses enfants, qui lui ont permis ensuite de déposer plainte pour viols et tentatives d’homicides. Quelques mois plus tard, elle me dira « Je l’avais jamais dit à personne, je sais toujours pas pourquoi je vous l’ai dit ce jour-là. »

C’est cet adolescent de 14 ans, présentant des troubles du comportement importants, en échec scolaire et sur la voie de la délinquance, qui refuse toute autorité et que je n’arrive pas à rencontrer. C’est sa mère qui me dit au premier entretien « il faut me le placer j’en peux plus ». C’est son père qui utilise la violence pour essayer de se faire respecter. Ecouter ces parents d’abord, dans ce que le comportement de leur fils a d’insupportable pour eux, sans m’arrêter sur les propos rejetant. C’est entendre ce père dire sa propre enfance martyre, sa haine de ses parents naturels comme moteur d’existence, sa difficulté à aimer « mon amour j’en avais pas beaucoup, j’ai tout donné à ma femme et y en avait plus pour les enfants ». C’est entendre que dès que je viens rencontrer les parents, l’ado prend une chaise et s’assoit avec nous. C’est progressivement mettre des mots, du sens sur des comportements. C’est voir cet adolescent avouer à ses parents qu’il deale depuis un an car c’est ça ou les tabassages répétés par les jeunes adultes du quartier. C’est l’entendre dire son amour et son admiration pour sa mère. C’est voir ses parents si marqués par la vie se remettre en question, tendre la main à leur fils. C’est voir ce fils rentrer le soir à 19h au lieu d’errer la nuit dans les rues.

Je voulais aujourd’hui saluer ces personnes qui m’ont profondément touchée par leur vulnérabilité et leur force. Ecouter sans présupposé, sans tentative d’analyse et d’explication, m’a fait découvrir des réalités que j’étais bien loin d’imaginer et que je n’aurais probablement jamais comprises sans eux. C’est je crois reconnaitre la capacité des sujets à faire par eux-mêmes pour eux-mêmes s’ils se sentent reconnus et respectés.

Solène Huet

Commentaires

accompagner

c'est bien de ne pas se positionner en juge.
les parents ont des difficultés, et parfois c'est leur enfant qui trinquent.
mais je pense qu'il est aussi utile d'entendre leur douleur comme nous pouvons entendre la souffrance de l'enfant.

la maltraitance d'enfant est grave, mais celle que subit les parents ?

Ecouter

Je partage une pratique très proche de la tienne. C'est une pratique qui m'a valu bien des jugements négatifs de la part de certains collègues. Du côté des familles par contre, j'ai ressenti le bien fondé de cette attention réelle à leur vécu.
Je tente de me départir des jugements spontanés et hâtifs tant je sais que je ne sais pas...mon métier exige beaucoup d'humilité. Il nous faut protéger des enfants, en gardant à l'esprit qu'eux seuls savent ce qui les sauvera. Nos solutions plaquées sur eux ne sont que des égarements.

Ecouter sans chercher à comprendre

Je reste persuadée qu'il est tout à fait possible d'écouter la souffrance des parents, la souffrance de l'enfant, tout en restant ferme sur les besoins de l'enfant et l'interdit des passages à l'acte. Dans mon expérience, nombre de situations se sont dénouées ou ont évolué à partir du moment où je reconnaissais l'amour du parent pour son enfant ET en même temps énonçait clairement l'interdit des actes. Les parents qui ont des comportements maltraitants ont aussi besoin de structure et de repères.
Le travail en équipe est indispensable pour permettre au travailleur social de ne pas se laisser "embarqué" dans un contre-transfert qui l'éloignerait du cadre. C'est un risque à mon sens dans la protection de l'enfance car les affects et les pulsions y sont très puissants. L'équipe est là pour permettre de se désindentifier de ses affects et faire tiers dans la relation éducative.

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