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ENTRETIEN – La supervision : dialogue avec Joseph Rouzel

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Joseph Rouzel

samedi 06 février 2016

Joseph Rouzel, psychanalyste, superviseur et ancien éducateur spécialisé, est bien connu pour le rôle qu'il joue dans le traitement de la question des liens possibles... ou impossibles entre la psychanalyse et le travail social. Il a créé et anime l’Institut Européen «  Psychanalyse et travail social  », qui forme notamment des superviseurs .

Est parue il y a quelques mois une seconde édition de son ouvrage intitulé : « La supervision d'équipes en travail social » (Editions Dunod). Cette visibilité et le peu d'ouvrages consacrés à ce thème pourraient placer ce livre comme « référence » sur la question de la fonction de superviseur. Mais est-il à la hauteur de cette assignation ? Dans une conversation libre, Joseph Rouzel et, pour Nonfiction, Elen Le Mée (superviseur également), évoquent plusieurs aspects de la supervision traités dans le livre.

Le syntagme « psy » suffit-il pour être superviseur ?

 

Nonfiction.fr  : Vous indiquez que certains superviseurs pratiquent la supervision en s'appuyant sur le syntagme « psy » parce qu'ils sont psychiatres, psychanalystes, psychosociologues, alors qu'ils n'ont reçu aucune formation spécifique sur la supervision. Vous dénoncez chez eux certains « dérapages » voire « dérives ». Pour pallier ce problème, vous avez justement créé un organisme de formation pour superviseurs. Mais pouvez-vous nommer ces dérapages ? Car l'Université me semble donner, en tous cas aux psychologues, toutes les billes qui sont nécessaires pour s'orienter dans la jungle des productions théoriques et y trouver de quoi réfléchir à l'élaboration de leur pratique. Quant aux psychanalystes, il leur est désormais également demandé d'avoir passé quatre ans à l'université, pour obtenir un master de psychologie avant de pouvoir exercer (appuyés sur le titre de psychothérapeute). Les dérapages ou dérives dont vous parlez ne sont-ils pas simplement le fait de personnes dont les compétences ou le professionnalisme sont à mettre en cause, chose qui n'est pas forcément « soignable » par encore plus de formation ou d' « intervision » ?

 Joseph Rouzel  : Les diverses formations de psy (psychiatre, psychologue, psychothérapeute  etc) ne prédisposent pas à l’exercice de la supervision, de la régulation d’équipes ou encore  de l’analyse institutionnelle. J’en sais quelque chose pour intervenir en master 2 de  psychologie clinique sur cette question de la supervision, à la fois pour en cerner les grandes  lignes théoriques, mais aussi pour indiquer que c’est du lieu d’en faire l’épreuve que l’on peut  se laisser enseigner.  Au passage ce que vous énoncez d’une obligation (ce que je n’ai pas lu  comme tel dans le texte de loi, qui ne concerne que les psychothérapeutes)  pour les  psychanalystes d’une quelconque formation universitaire ne permet pas d’occuper cette place.  Lacan n’avait pas tort d’affirmer qu’il n’y pas de formation du psychanalyste, mais seulement  des formations… de l’inconscient. Autrement dit un psychanalyste se forme sur le divan. Il y a  aussi dans la fonction de superviseur une place  spécifique qui ne se découvre qu’en en f  faisant l’épreuve. C’est un métier à part entière. C’est la raison pour laquelle j’ai monté une  formation de superviseur dans laquelle s’inscrivent des directeurs d’institution, des médecins,  des psychologues, des éducateurs, des assistants de service social, des formateurs… Dans  cette formation le fil rouge est constitué par l’Instance Clinique à laquelle chacun se coltine  dans l’exposé d’une situation vécue. Nous avons ainsi formé plus de 150 professionnels. Et  certains se retrouvent régionalement dans des groupes d’intervision pour continuer à travailler  sur le mode de l’instance clinique ce qu’ils rencontrent comme difficultés dans leurs  interventions.  Bref comme l’écrivait le poète  Antonio Machado : « Caminante no hay camino /  se hace camino al andar... » .

Quelques éléments de «dérive» que j’ai pu constater ? La position de « sphinx » (critique d’un groupe d’éducateurs) où un superviseur campe, d’une façon sadique, dans un silence de mort. Une autre position tout aussi dommageable : le superviseur qui se répand en déversant des savoirs universitaires, il fait des cours. Ou encore la dérive vers le groupe de parole sans règle, qui détourne la séance vers le café du commerce. Et encore le superviseur qui ne respecte pas la confidentialité imposée au groupe et va se répandre chez le directeur… etc.  Aucune de ces positions n’engage un repérage clair de la fonction de superviseur. Aucune ne permet l’élaboration par les professionnels de leur position subjective dans la relation aux usagers. Ce qui me paraît la pierre de touche de tout travail de supervision, autrement dit un travail d’éclaircissement sur les embrouilles du transfert. Avec les usagers (supervision) ; entre professionnels (régulation d’équipe).  La première question qu’il y a lieu de se poser c’est donc : la supervision à quoi ça sert, qu’est-ce qui est visé ?  Le dispositif mobilisé est la conséquence logique de ce questionnement. 

La question du conseil en supervision

Nonfiction.fr  : En conformité avec les options des psychanalystes traditionnels, vous mentionnez que les conseils ne font pas partie de la supervision . Dans de nombreux Lieux d'Accueil Enfants Parents supervisés, suivant ces mêmes constats du caractère déplacé du conseil, un interdit sur celui-ci a été apposé (et est parfois transmis aux accueillant(e)s par les superviseurs, qui le suivent eux-mêmes, ne conseillant jamais les personnes accueillies). Quand on questionne les instances « décisionnaires » sur ce sujet, on a affaire à des visages fermés de gens fâchés qu'on leur pose la question du conseil... comme une question alors qu'ils estiment que l'ayant déjà résolue (par un interdit), il est « décadré » d'y revenir, et vous n'avez rien compris. Résultat, les accueillantes ainsi supervisées s'abstiennent de tout conseil. Mais n'ayant pas toujours reçu une formation appropriée, elles ne savent parfois pas « poser des actes de parole » comme le font notamment les analystes. Partant, il arrive que certains LAEP soient désertés par les participantes, faute de parole, faute d'échanges. Supervisés, mais vides... Deux gros yeux de chouette qui vous regardent sans piper mot tendent à susciter trop d'angoisse. Quand on ne met pas en place des activités en LAEP, celles-ci devant toujours être « à la demande des bénéficiaires » , il faut quand même qu'un élément tiers, média, vienne entre les accueillis et les accueillants. Cet élément tiers et facilement accessible était justement parfois le conseil, en tant qu'il relève de la culture. Parce qu'il véhicule des « savoir-faire », des manières de faire et la question de savoir si elles sont socialement partagées, ce qui permet d'engager fructueusement le débat, en groupe, sur le comment y faire avec les enfants. D'où émergent, enfin, de nombreux éléments subjectifs qui trouvent enfin leur place dans le discours. Voulez-vous ajouter quelque chose sur cette notion du conseil ?

Joseph Rouzel   : Plus que de fournir des conseils - chacun sait que les conseilleurs ne sont pas les payeurs ! – il me parait plus intéressant de soutenir l’élaboration des professionnels, de la relancer, de la susciter jusqu’au point où ils découvrent eux-mêmes les réponses à leurs questions. Maurice Blanchot a eu cette affirmation très forte « la réponse fait le malheur de la question ». Donc autant garder vivantes les questions qui aiguillonnent la recherche de chacun. La posture du superviseur doit alors se caler sur les méandres de cette recherche. Il ne saurait y avoir de recette prêt-à-penser. Parfois c’est un certain silence - il est des silences qui travaillent et d’autres qui participent de la jouissance -  qui permet l’élaboration, d’autrefois la sollicitation, le questionnement, voire parfois l’étonnement. C’est un peu comme le travail du menuisier : il faut savoir prendre le bois dans le sens du fil.  

Répartir la parole entre les participants du groupe supervisé

Nonfiction.fr  : Je pense donc qu'il n'y a pas lieu, face au conseil, d'adopter une posture de refus défensif. C'est du reste un peu ce que je reproche à votre démarche globale dans le livre : de fonctionner beaucoup en termes d'interdit, de défense, de préventions. Ainsi, les participants du groupe supervisé doivent-ils impérativement se taire pendant l'exposé de l'un d'entre eux, qui lui-même devra impérativement se taire quand ses collègues prendront eux-mêmes la parole pour lui renvoyer ce qui leur est venu pendant son exposé. Il n'est pas question de polémiquer, dites-vous. Naturellement, un groupe de parole, pour fonctionner, demande que chacun se taise et écoute quand quelqu'un parle. Pourtant, à faire trop radicalement taire la parole qui émerge (comme un symptôme) en dehors du temps prévu à cet effet, peut-être risque-t-on d'étouffer le feu qui demandait à naître. Je remarque ainsi que certaines personnes qui osent une phrase au milieu du propos d'un collègue bénéficient à cet instant de leur seul moment de parole : quand on la leur passera parce que c'est à leur tour, ils ne pourront la prendre. Que pouvez-vous me renvoyer à ce sujet ?

Joseph Rouzel  : Si vous observez attentivement ce que j’écris de l’Instance Clinique et ses règles afférentes, vous verrez alors que le dispositif est construit pour faciliter l’émergence d’une parole chez chaque participant. Mais le prix à payer pour que cette parole puisse être entendue, c’est qu’une certaine frustration freine l’emballement à déverser tout de suite émotions, sensations, affects, questions, raisonnements… Paradoxalement, l’expérience que j’en ai – et ceux qui s’y sont coltiné en témoignent – c’est que c’est cet empêchement (qui n’a rien d’un interdit, mais impose une règle du jeu) favorise et la prise de parole et l’écoute de la parole d’autrui. La parole de chacun est prise en compte, un par un, sans être noyée dans des effets de groupe. La parole se libère dans la contrainte. C’est la fonction du cadre, effectivement rigoureux, mais pas rigide, que de garantir ce travail de parole subjectif dans un collectif.  C’est la condition pour ne pas transformer les séances de supervision, comme je le disais plus haut en café du commerce, ou encore en déversoir de plaintes sempiternelles. En ce domaine je suis très « Balintien », puisque je rappelle que la séance et le groupe sont au service d’un exposant, qui transfère dans l’espace de la séance ce qu’il vit, et en grande partie sans le savoir, en lien au quotidien avec un usager. Ce transfert du transfert met en mouvement des affects et les déplace. Il s’agit donc bien d’un mode de traitement du transfert, inhérent à toute relation humaine. De même la régulation d’équipe, en présence de représentants de la direction, vise au « traitement »  du transfert entre professionnels. Une institution, sociale, médico-social, hospitalière, scolaire… c’est transfert à tous les étages !

Troisième temps de la supervision : conversation libre

Nonfiction.fr  : Décrivant les trois temps de l'instance clinique que vous proposez pour mettre les professionnels au travail, vous mentionnez qu'au troisième temps, qui est un temps de « conversation ouverte » : « le superviseur (...) se retire discrètement de la conversation. » Je suis frappée par ce troisième temps que vous avez formalisé. Car sans avoir jamais entendu parler de cette formalisation, j'ai constaté que dans les groupes avec lesquels j'ai travaillé (formation-analyse des pratiques), il survenait souvent spontanément un peu avant la fin du temps imparti au travail. Et j'ai effectivement été amenée à me retirer des conversations, qui prenaient diverses directions. Votre formalisation de ce temps me paraît donc importante, pour le soutenir malgré qu'il puisse paraître incongru, et ce en particulier à nos commanditaires qui, à mon sens, ne sont pas sans avoir un droit de regard, pas sur ce qui nous est dit, mais sur la manière dont nous travaillons. Je m'amuse de la réflexion d'une participante quand, à l'approche de l'arrivée prévue d'un responsable qui venait à juste titre « voir comment ça s'est passé », je disais : « On va peut-être se remettre au travail ? », à quoi cette participante répondait : « Comment ? Ce n'est pas du travail ? ». « Au temps » pour moi... (le temps de comprendre...) Cependant, ces temps de conversation me semblent aussi pouvoir survenir après qu'un lourd travail ait été accompli, même si tout le monde ne s'est pas exprimé…

Joseph Rouzel  : Soyons clairs. Et vous avez raison de le souligner. Les commanditaires n’ont aucun droit de regard sur ce qui est dit, sur les contenus des séances. C’est la conséquence de la règle de confidentialité qui s’impose autant aux participants qu’au superviseur. Par contre, c’est vrai, si on veut les associer à la nécessité de ce travail, si l’on veut que cela prenne sens aussi pour eux, il faut envisager une forme de compte-rendu sur la dynamique du travail. En général je propose une rencontre annuelle avec la direction au moment du renouvellement ou de l’arrêt de la convention. 

Quant à  ce troisième temps que je nomme « conversation », il me paraît indispensable. On ne le trouve pas à ma connaissance dans les groupes Balint. C’est effectivement « le moment de conclure », dernier temps du « Temps logique », dont parle Lacan et sur lequel je me suis appuyé pour penser les trois temps de l’Instance Clinique. Si le superviseur se met en retrait – il l’est déjà pendant les deux premiers temps – ça ne signifie pas qu’il n’y participe pas. On peut constater que dans ce temps la fonction de superviseur peut se faire tournante. La fonction peut se détacher de celle ou celui qui l’occupe. La fonction est… retraitée. Au regard de l’objectif que je poursuis, le « désempéguage » du transfert  , ce qui va faire coupure et ouvrir l’espace de la pensée et de l’action chez l’exposant, peut intervenir d’un des participants, qui fait jouer alors la fonction de superviseur. Voilà ce que je désigne comme mise en retrait du superviseur, qui consiste avant tout à ne pas se prendre pour la fonction, à y être sans… y être.  

Le problème de l'évaluation

Nonfiction.fr  : Dans la supervision d'équipes en travail social, un participant d'une conférence que vous y retranscrivez vous demande comment ça se passe quand on tourne en rond dans la supervision, quand on est encore plus confus qu'avant, « On jette le superviseur ? », questionne-t-il. Vous répondez qu'il ne faut pas « instrumentaliser » la supervision pour « produire des hypothèses, des compréhensions, des solutions, des projets, etc. » Ne pas produire cela, n'est-ce pas exactement ce qu'on reproche aux superviseurs, si je vous suis bien quand vous dites qu'on a voulu supprimer ses crédits à votre organisme de formation de superviseurs d'orientation psychanalytique ? Du reste, je ne sais pas de quoi vous parlez au juste : je remarque que bien sûr, au cours de l'analyse des pratiques, il y a des moments de flottement, il faut savoir attendre que quelque chose émerge sans se précipiter sur une recherche compulsive de solutions ou d'explications (ce qui s'approcherait peut-être en effet de ce que vous appelez « instrumentalisation ». Mais le résultat final de l'opération demeure la production d'hypothèses, de nouvelles manières de comprendre et de faire. Par exemple, dans le bref récit qui précède, vous parlez d'une aide-soignante qui, grâce à l'analyse des pratiques, est parvenue à discerner ce qu'un psychotique montrait avec son corps en tournant sur lui-même, en entrant en fureur quand on l'excluait lors des repas vers une table ronde : fœtus, le cordon ombilical s'était enroulé autour de son cou. Elle dira que l'analyse des pratiques lui a permis d'entrer différemment en lien avec cet usager. Mais comme le mentionne Louis-George Papon , la « vérité » est quelque chose sur quoi il est assez facile de s'asseoir... Pour éviter qu'elle ne soit intégrée dans le ronron institutionnel au titre d'un simple petit plus qui rend moins idiot, je crois nécessaire de penser un autre temps de l'analyse des pratiques, où il s'agit d'ouvrir le débat vers ce qu'il va être possible de mettre en place au regard de ce qui a émergé, ici pour que cet homme trouve sa place, par exemple, au moment des repas. Et je crois que cette démarche, même si elle peut paraître contrainte (et elle l'est, mais « Ne me parlez pas de liberté ! » écrivez-vous...), est peut-être préférable au fait de laisser la saisissante découverte inter-subjective se noyer dans la jouissance du contentement de soi de celui qui vient de comprendre quelque chose de plus. Car la découverte de l' « insu » donne parfois lieu à l'appesantissement plutôt qu'à l'acte. Cela se manifeste parfois quand les participants, bien au chaud, nous font part, à l'issue d'une séance, de ce qu'on se serait cru à prendre le thé... Des actes de coupure sont je crois nécessaires pour permettre aux professionnels de sortir de la pure jouissance de la découverte subjective. Il faut rompre l'inertie à laquelle la plupart d'entre nous tendent à se laisser aller quand ils ne subissent justement aucune contrainte extérieure. Ces actes de coupure sont nécessaires dans la cure analytique, et peut-être  a fortiori  dans l'analyse des pratiques d'un milieu professionnel, le but n'étant pas seulement de permettre à ces professionnels de voir les choses autrement, mais aussi de poser des actes en tant que professionnels, du côté d'une créativité qui tente de prendre en compte ce qui se dérobe à la compréhension, afin de générer des pratiques qui soient plus en accord avec le vécu subjectif des patients ou des bénéficiaires... et le leur. En d'autres termes, il ne s'agit pas de comprendre qu'on tourne en rond. Mais de chercher le moyen de ne plus tourner en rond. Et ce second temps demande une impulsion. « On n'est pas là pour jouir », pourrait-on dire. D'ailleurs, je vous cite : « épurer les affects ne constitue pas l'objet premier de la supervision, il s'agit plutôt de dégager des possibilités d'action. » (p.36). Comment résolvez-vous cette tension entre ces deux nécessités que vous énoncez clairement : laisser parler les gens et déboucher sur l'action, ce qui est tout particulièrement exigé de nous ces derniers temps, en rapport avec l'évaluation des pratiques et le risque même d'être évincés si nous ne pouvons faire part de résultats pour ainsi dire concrets.

Joseph Rouzel  : Il me semble qu’en posant la question vous y répondez dans le même temps. J’ajouterai pour ma part, que ce que vous désignez comme compréhension,  hypothèses etc vient, comme Lacan le disait de la guérison dans l’analyse, de surcroît, et apparaît parfois bien plus tard que la séance elle-même. Il se produit un cheminement, une mise en mouvement de la pensée, qui ne s’arrête pas au temps de la séance. Beaucoup de participants en témoignent. Ainsi de cette éducatrice qui avait exposé une situation très difficile avec un jeune qui lui faisait les pires vacheries : rayer sa voiture avec une pierre, lui tirer les cheveux et les vêtements… Son exposé de la situation était largement teinté d’une forme de haine : elle ne pouvait plus l’encadrer, plus le sentir etc.. Elle était au bout du rouleau. Lors d’une séance ultérieure, dans le temps de conversation, elle prit la parole : « Vous savez j’en pouvais plus de ce jeune ; j’ai lâché le morceau l’autre fois. Quand je suis sortie de la séance il était là, comme s’il savait que j’avais parlé de lui, eh ! bien, c’était plus le même ! » 

Supervision ou analyse des pratiques ?

Nonfiction.fr  : Dans votre livre, vous contestez le passage, dans les années 70, du terme de « supervision » au terme d'« analyse des pratiques » (avant d'ailleurs son effacement du paysage). Vous contestez la dimension de « contrôle » (terme que vous reconnaissez dans un autre contexte, celui de la supervision individuelle des analystes débutants, qu'on appelle en effet « contrôle ») associée à l'analyse des pratiques. Il se peut que l'expression « analyse des pratiques » ait historiquement été associée à un contrôle excessif des pratiques. Pourtant, quand on prend juste en considération la connotation de surplomb et de directivité du terme « supervision », on peut largement préférer l'expression « analyse des pratiques », qui me semble désigner très exactement ce que les superviseurs font... Pourquoi insister pour maintenir le terme de « supervision » ? Pour maintenir le « métier », comme vous dites, de superviseur ? Serait-il trop arrogant de se dire « Analystes des pratiques » ?

Joseph Rouzel  : Comme je l’écris dans mon ouvrage, le terme de « superviseur » s’est imposé historiquement après guerre. Puis il a été détrône dans les années 80, au moment où les intervenants sociaux se sont auto-désignés comme « techniciens de la relation », au profit  de celui d’« analyse des pratiques ». Ce terme me paraît équivoque. D’abord parce que c’est devenu un fourre-tout, ensuite parce que, pris dans un contexte où la question du contrôle généralisé envahit l’espace social, comme le souligne Foucault, ce terme se trouve assimilé souvent à la vérification des « bonnes pratiques ». « Supervision », peut être interprété naïvement comme une position de surplomb ; mais on peut le penser aussi comme un espace où les professionnels acquièrent une certaine élévation pour penser leur pratique quotidienne, un espace qui permet de … prendre de la hauteur. Une anecdote : une participante à un groupe de formation de superviseur, juste avant de démarrer le temps de travail, lance une mandarine à une autre participante et la loupe. « Tu n’es pas une super-viseuse », s’exclame l’autre visée. Partons alors du point de vue qu’il y a dans la pratique de superviseur, comme dans toute activité humaine, du ratage, de la foirade, pour le dire à la manière de Beckett. Il s’agit bien là aussi d’un métier frappé d’impossible au sens où Freud précise que, comme diriger et éduquer, analyser relève d’un impossible parce qu’« on peut y être sûr d’un résultat insuffisant ». 

Nonfiction.fr  : Joseph Rouzel, nous vous remercions d'avoir répondu à nos questions.

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