jeudi 14 juillet 2011
Du plat de résistance au désir de résister
« Si se nos impide soñar que te mantendrá despierto » (« Si vous nous empêchez de rêver, nous vous empêcherons de dormir »), La revolución de la puerta del sol, (slogan de la jeunesse espagnole)
Les comptables impassibles de nos existences ont pensé nous manger tout cru ! Mais c’était sans compter qu’en face d’eux il y avait de la pensée. Je ne saurai croire que la guerre contre un management sans concession soit perdue. Hier soir je discutais avec une psychologue du travail qui me demandait si je pensais que nous pouvions, nous les intellectuels, être en danger dans les institutions. Une espèce en voie de disparition… est-ce possible ? Ma réponse est définitive : NON.
Et nous allons ici essayer d’en dire quelque chose du côté du désir et de la résistance.
Le désir… Drôle de mot, drôle d’idée, drôle de posture pour ces « jouis la loi », comme les appelait Jacques Lacan. Parce que l’homme est imparfait, qu’il a à se faire, à se refaire sans cesse, il se doit d’être le créateur de lui-même et des autres, parce que le désir est aussi du lien social, dans cette incroyable aventure qu’est l’ « Humanité ». Or que se passe-t-il depuis ces dernières années ?
Il est indéniable que le rythme s’est accéléré du côté de la « déshumanisation » et la loi 2002-2 en est une première illustration qui, sous couvert du « sacro saint respect de l’usager » n’est que la rationalisation financière de nos secteurs d’activité. Sans parler des procédures d’évaluation qui n’ont que pour ambition de chiffrer le coût de la prise en charge de la « misère du monde »… au rabais, entendons-nous. Car évaluer… enfin qu’y a-t-il de nouveau dans la pratique de l’évaluation ? Sinon de dire que son objet n’est plus le même. Aujourd’hui nous chiffrons, hier… nous parlions de ce que nous faisions, ce qui n’empêchait pas de quantifier le coût de nos secteurs !
Et, cela s’est accentué depuis l’avènement du néo libéralisme débridé de ce président de la République que 53% du peuple s’est choisi, pendant que les autres le subissent, mais gageons que dans ces 53%, tous ne sont pas « sarkozystes » mais désespérés par le déficit de projet à gauche… Je sais tout cela est discutable mais justement discutons-en.
Parce que si la question du désir est hétéroclite en nos sombres jours technologiques et scientistes, on peut dire ici qu’elle est tout à fait absente de beaucoup de sphères (politiques, professionnelles,..). Pour argumenter mon propos je vais vous raconter un fait. Ancienne salariée de l’association où je pratiquais en tant qu’éducatrice spécialisée, je fus invitée, il y a quelques mois à l’assemblée générale. J’étais assise à côté d’une élue de gauche, conseillère générale de la majorité en place. J’écoutais attentivement l’exposé des rapports d’activité des différents services de l’association. Ce qui était remarquable, c’est que malgré une forte baisse des subventions, l’engagement professionnel de mes anciens collègues restait le même, pas question pour eux d’abandonner le terrain de la rencontre, de l’accompagnement de tous ces publics en difficultés sociales. Cependant le service de l’accompagnement social lié au logement 1 , est venu assombrir le tableau en portant à la connaissance de l’assemblée, la décision du conseil général de ne plus financer un des postes d’éducateurs et de porter à l’appel d’offres le dispositif lui-même, d’autres associations étant plus alléchantes en terme de coûts. Le calcul du coût tendait à échelonner le degré de pauvreté des personnes en difficultés de logement. En bref, il s’agissait d’être très pauvre pour pouvoir prétendre à être aidé. « Y a-t-il des questions, des remarques ? », demande l’éducateur qui présentait son rapport d’activité. Je n’ai pu contenir ma parole et j’ai demandé « mais que fait-on pour les gens qui ne seraient pas suffisamment pauvres, mais suffisamment en difficultés ? »… L’élue de gauche, (à ma gauche !), qui griffonnait sur son petit carnet des notes, prête à repartir en courant vers une autre assemblée générale, on ne savait trop finalement si elle était encore parmi nous ou bien là-bas à l’autre AG, répond « c’est la faute de l’état qui ne tient pas ses engagements ». Tiens donc c’est la faute de l’autre ! Ce à quoi j’ai répondu à cette chère dame, « mais madame, l’engagement politique serait donc de reporter la responsabilité sur d’autres alors que vous avez à exercer des responsabilités vis-à-vis des citoyens, c’est un peu facile, non ?... L’agir n’est-il pas de mettre au pied du mur ceux qui promettent sans donner ? ». En bref, de résister. Inutile de vous dire qu’elle n’a pas appréciée mon intervention, qui fût applaudie et a disparue sans que je m’en aperçoive. Je me retourne… chaise vide ! Politique de la chaise vide…
Tout cela est inquiétant quant à la question du désir. Nous sommes ici, en présence de gens qui sont installés à des places mais n’occupent pas la fonction. Sans désir peut-on faire acte de politique ? Cela me semble bien difficile en ce que le désir est moteur de l’imaginaire, il ouvre demain… Il porte notre existence vers toujours plus de devenir. Si le désir se trouve mutilé, comment allons-nous lancer notre société vers demain, après-demain. Que seront nos enfants dans dix ans, vingt ans ? Les sacrifiés du « no future », les possédés de manipulateurs sans vergogne… Dans cette ère scientiste qui vous propose des centenaires par milliers… Même mourir est devenu fantaisiste ! Et ce qui est effarant, c’est la « toute-puissance » de ces hommes (et femmes) a toujours vouloir repousser davantage les limites de la nature humaine, comme si nous n’étions que des automates dont on pourrait à sa guise démonter et remonter la mécanique… C’est la même chose pour la question de ce qui nous anime, l’ambition d’écraser l’autre ou faire communauté avec l’autre, manipuler les pensées ou faire se rencontrer par la parole, des Hommes.
Nier le désir, c’est nier l’« humain », l’« humaine condition »… Nier le désir c’est inhumain.
Mais comme je vais mourir, je sais que je suis habitée du désir de toujours devenir… absurdité de la condition humaine, mais qu’il est bon d’être absurde et humaine! Parce que l’on créé, parce que l’on devient, parce que un jour… rien. Alors pour désirer la vie, il nous faut plus que jamais aujourd’hui, résister pour exister.
Résister n’est pas s’opposer, c’est proposer en retour dans un perpétuel dialogue, le possible futur de nos existences. Pour cela, il nous faut être désireux de faire vivre le projet de notre devenir commun. Pour cela, il nous faut le langage. Mais quelle (s) langue(s) parlons-nous, en nos temps de l’ultra-communication ?
Voilà, ici le point de résistance.
Sous l’égide d’un terme plus que galvaudé, la gouvernance , on nous parle aujourd’hui de démocratie participative, dont d’ailleurs, Ségolène Royale a fait son étendard lors de la dernière campagne présidentielle. Ce qui veut donc dire que jusqu’alors nous ne participions pas, nous citoyens, à la vie de la cité. Je ne crois pas me rappeler que je ne paye plus d’impôts !!! Je ne crois pas me rappeler ne pas participer au suffrage universel !!! Alors oui, ne nous trompons pas sur les mots, la gouvernance sert à ne pas dire l’impossible conquête de ce qui fait notre humanité. Ils ont fait, ces gouvernants, de la planète un vaste marché financier où l’être humain sert de variable d’ajustement, au titre de l’intérêt de quelques-uns. Cependant, ceci n’a qu’un temps, le temps de l’improbable… ce n’est pas possible que l’on puisse se comporter collectivement du côté de la soumission comportementaliste. Et pourtant si ! Je rejoins ici l’hypothèse de Joseph Rouzel 2 s’agissant de l’avènement et de la montée en puissance des sciences cognitivistes comme origine à ce modèle de société fonctionnelle et capitaliste. Ces penseurs de tous acabits qui prônent le bonheur, en tête de gondole des librairies de France… de ceux qui vous parlent de résilience , de discrimination positive , de self made man et j’en passe, du côté des formules magiques !!! Comme possibles pourfendeurs de la nature humaine, ils répondent présents aux sirènes du fric et de la notoriété sans grands efforts. Enfin, ils l’ont leur sésame, l’homme automatisé , l’ homme muet qui pianote des mots mutilés par SMS et autre MSN !
Un monde en réseaux, un monde virtuel… Sauf que… n’en déplaise à tous ces dirigeants, l’homme est fait de devenir , et par nature il est avant tout un « être social »…
Alors depuis quelques années des mouvements de résistances se font et se défont pour se recréer… que ce soit du côté de la contestation ou du pragmatisme, l’horizon unique et définitif du néolibéralisme s’ouvre sur d’autres perspectives et notamment celle du vivre ensemble et du faire ensemble et ce, loin des modèles admis par la noblesse des états. Des millions de personnes aujourd’hui sont en quête de liens, habitées par le désir d’être unis et collectivement présents dans le projet du XXIème siècle qui demeure à écrire et non à subir 3 . Peuvent-ils continuer à penser, ces fanatiques du chiffre, que l’on puisse leur servir impunément de plat de résistance alors qu’en Espagne, en Grèce, en France… des citoyens s’indignent du « no future » que ces technocrates leur proposent ? Alors que le peuple tunisien a su détourner les réseaux sociaux (facebook, twitter,…) 4 au profit d’un printemps arabe qui les a débarrassés du tyran, pour entrevoir la lumière d’une possible démocratie. Ce peuple qui a ouvert le chemin de la révolte contre l’inhumaine condition à l’Egypte, à la Lybie demain, à la Syrie après-demain. Oui, la résistance est possible parce que nous avons un autre modèle, un autre projet sociétal à proposer et celui-ci est porté par le plus grand nombre.
Celui en tout cas d’admettre que désirer c’est résister…
Alors du fond de nos institutions, de nos écoles en travail social, de nos consciences professionnelles allons-nous accepter l’inéluctable gestion financière de nos secteurs d’activités au détriment de nos fondations théoriques, éthiques et historiques qui disent ce qui nous animent, nous les éducateurs spécialisés et autres métiers des secteurs médico sociaux ?
Allons-nous priver l’exercice de ces incroyables métiers au service des plus fragiles, des plus malchanceux, de nos « savoir-faire » qui nous demandent d’être attentifs à la question de la clinique au service de la rencontre humaine, faite de désir et de résistances, au cœur d’une société plus équitable et non égalitaire… ce qui me semble trop utopiste, voire dangereux, on sait ce que l’Histoire a produit au nom de l’égalité mais c’est là, un autre débat !
Laurence Lutton, cadre pédagogique et éducatrice spécialisée
1 Relatif à la loi Besson du 31 mai 1990 portant sur le fonds solidarité au logement
2 Joseph Rouzel, Quand la gouvernance prend la mauvaise direction , 4 ème congrès de l’AIFRIS, du 4 au 8 juillet 2011, Genève
3 A ce sujet, je vous conseille l’excellent ouvrage de M. Benasayag et F. Aubenas, Résister c’est créer , éd. La découverte, Coll. Sur le vif
4 Voir le petit livre de Lina Ben Mhenni, Tunisian girl, blogueuse pour un printemps arabe , éd. Indigène
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resister, s indigner, communiquer
guernier melanie
vendredi 22 juillet 2011