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Du management ou la parabole de la fille du général Oufkir

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Stéphane BOLLUT

jeudi 10 mars 2011

Du management ou la parabole de la fille du général Oufkir (1).

De l’âge de 9 ans à celui de 33 ans, Soukaïna Oufkir, avec les siens, n’a connu que l’enfermement de l’illusion à l’horreur ; de l’ignorance complice à la lutte organisée du social.

La barbarie était douce mais elle était barbarie ; la cage était en or mais elle était cage ; la surveillance était résidentielle mais la résidence était bien surveillée. C’est l’histoire de celle qui, comme dans toute histoire-non-histoire incestuelle, se réveille flouée, brisée quand elle comprend avant tout autre, figurante prédestinée, que son élévation au pinacle n’était que nourriture sacrificielle à la perversion du père mythique et de la mère abusive : sa majesté le roi au nom de l’unité et de l’unisson de la mère patrie. L’abuseur est le fil(s) de la mère. Il en restera toujours dans le texte une brutalité où la génitalité vient recouvrir le désir, une meurtrissure propre au non-social, là où ce qui fait institution (faire exister) consiste justement, avec Lacan, à frayer des voies dans le non-rapport sexuel.

Le père de Soukaïna, le général Oufkir, qui n’était pas un opposant vertueux mais un opposant, s’est suicidé de cinq balles dans le dos un jour d’août 1972. Ayant organisé un attentat contre Hassan, il fallait bien l’exécuter non point le juger et le condamner. C'est-à-dire de réfuter que l’archaïsme de son acte puisse faire effet analyseur de l’archaïsme princeps de celui qu’il l’avait créé et suscité… Ne descelles pas le pacte dénégatif : ce n’est point l’abuseur qui est scandaleux mais celui qui, d’une manière ou d’une autre, le révèle.

Soukaïna s’est réveillée flouée. Elle conjure par l’écriture. C’est concevoir avec Derrida que « ce qu’on ne peut pas dire, il ne faut pas le taire, il faut l’écrire ». «  J’écris ce livre pour elle et elle seule (…). Elle, mon pt’it trésor, l’enfant que j’ai été  », p.19. En effet le roi Hassan avait décidé, quelques mois après « le suicide » du papa si fort, qu’il allait organiser «  la mise à l’abri (de la petite famille en la conduisant) dans un endroit sûr, sous sa protection paternelle et divine  » Ibid. Le pseudo principe de « care » soit le bien de l’autre et l’idéologie de la bientraitance avaient déjà de l’avenir. Il s’agit de croire pas de savoir. «  Ils étaient (donc) venus nous chercher pour nous mettre à l’abri  », pour une durée indéterminée, c’était secret, contre les ennemis qui nous voulaient du mal…Nous étions «  neuf élus  » (pp.20-21).

Dès lors «  les lettre rédigées au roi étaient de plus en plus déplorables. On se plaignait à lui du traitement qui nous était réservé, convaincus que, sitôt mis au courant de notre détresse, dieu le roi père s’empresserait de punir les vicieux qui commençaient à prendre trop de plaisir à nous faire des bobos à l’âme et au cœur  », p.46. Le roi avait du savoir entendre puisque que beurre et confiture s’ajoutèrent aux denrées spartiates : «  ah quand même, le roi nous a entendus. Y’a rien à dire, dans la vie il faut savoir se battre  » ( !), p.59. Mais on ne pouvait pas abuser plus longtemps Soukaïna qui peu à peu s’autorisa à voir, au prix d’être assignée identitairement de rebelle par ceux-là même complices apeurés qui l’aimaient. Dieu sait, encore lui, que dans nos institutions on attaque toujours ceux qui dénoncent que les repas de fin d’année puissent ne plus être un rite de société mais une pelleteuse de jouissance pour entériner la communauté de déni… Néanmoins Soukaïna finit par savoir convaincre, c’était trop gros.

Ainsi et conséquemment ce fut l’entrée du capitaine Borro. Avec ce mateur en chef, «  le jour donna l’impression de ne plus se lever  », p.61. Le totalitarisme s’avoua avec rage (et c’est le signe du début de sa fin, soyons en sûr) à l’endroit où on avait commencé à le débusquer : «  la dernière lettre écrite de notre sang et faisant référence au traitement nazi, c’est lui qui fut chargé de nous la faire regretter. Il allait nous apprendre le prix des mots l’analphabète  », p.60. Dorénavant il allait s’agir de «  rester redevable du prix de la vie épargnée au compte-gouttes  », p.65. Séduction et menace assurément constitue un biface structurel.

Ainsi, sept années durant, vint le temps des privations absolues et de la séparation familiale par des cloisons et des cachots, histoire d’anéantir. La paranoïa et la perversion s’alliaient consacrant un Antoedipe furieux pour détruire ce qui ne peut pas l’être. La barbarie criait son désespoir sauvage et radical, ravagée par sa terreur de la mort et de la castration : «  ils ont marché dans notre sang sans parvenir à enjamber notre sève  », eux qui ne pouvaient mourir «  que sur ordre  », p.101.

Cependant l’oscillation de l’ambivalence, chez les prisonniers, n’était pas saturée. Le retour infantile de la peur de vivre un abandon d’amour nommé comme tel par Mendel, après l’invention du syndrome de Stockholm se réactualisa : «  qu’ils nous aient fait quitter le désert pour nous rapprocher de la capitale et durcir nos conditions d’incarcération était déroutant, surprenant  ». Bien sûr ce n’est pas possible, ce ne doit pas être ça : «  mais non, mais non, ils nous ont rapprochés du monde civilisé pour faciliter notre libération. On écrit donc au roi pour le remercier (…), p.80.

Soukaïna se fissure, se fragmente. Comme une chute effroyable dans un monde terrible. Elle va porter à elle seule, pour tous, l’effondrement de la honte. «  H comme honte, H comme hache, quel horrible sentiment Hassan  », p.92. Il fallait «  admettre sa défaite  », p.94, «  ils ont du se délecter d’avoir réussi à hacher menu notre personnalité  », p.95. L’idée et la programmation du suicide lui deviennent le seul salut, holocauste, pour faire à tout prix l’expérience de l’amour.

Le gouffre refoule ; au bout de la traversée du désert les prisonniers se constituent en communauté de droit : ils vont collectivement s’excepter pour référer, la haine est sublimée. «  Après vote en urgence, adoption à l’unanimité d’une grève de la faim illimitée (…), le mental est plus fort que la mort. Ils accumulaient les provisions et nous les laissions pourrir à nos pieds  », p.108. C’était le bras de fer… Du coup il fut permis à la famille de se voir deux fois la semaine. Vint maintenant le rêve de l’évasion qui va trouver sa concrétion. La liberté ou la mort ; se sauver ou être sauvés, c’est pareil : «  réussir sa vie, c’est ne plus avoir peur de mourir  », p.133. Alors, «  le rire était revenu  », p.110, avec la folle énergie de creuser un tunnel sous la protection de la Vierge Marie, pour rejoindre l’extérieur, des ambassades, la civilisation… Cinq fugitifs ! Soukaïna reste pour laisser sa chance à ceux qui sont en meilleure santé… Interrogatoires sur le vif exacerbé. Déplacement et on se prépare «  à la torture physique  », p.105… mais le totalitarisme fait rebasculer l’explicite de la menace derrière l’implicite de la séduction, code du manager. On nous dit qu’on ne va pas nous faire du mal car «  on est issu d’une grande famille  », p.136 et on nous soigne, car il est interdit de mourir : si des fois les fugitifs parviennent à révéler, il va bien falloir les faire passer pour des extrémistes diffamatoires, ou en rabattre sur des supposées problématiques psychiques individuelles.

Les fugitifs étaient parvenus aux ambassades, sans pouvoir être reçus. C’est la rue qui accueille l’asile. Fuyant vers le Nord, ils alertent RFI et le journaliste Alain de Chalvron.

Soukaïna et les siens, après deux mois ubuesques au commissariat politique, sont « hébergés très confortablement » à Marrakech. La presse étrangère, la DST, les avocats, Simone Veil, alors présidente du parlement européen, se mobilisent. Trois ans passent, Hassan II ne cède toujours pas sur cette « libido dominandi » dont avait pu l’affubler Jean Lacouture (2). La cage redevenue dorée restait toujours cage et « dehors », las, le nom d’Oufkir sentait le souffre s’il n’était pas maudit. Ce n’est pas vraiment Panurge qui nous désespère lui qu’on laisse jouer sans limite, mais son troupeau de passifs taiseux qui scellent à nouveau le pacte dénégatif.

Après «  dix neuf années de quarantaine  », p.146, dans les sphères on fait fantasmer : se discuterait du lieu de l’exil. Soukaïna repense au suicide sacrificiel pour faire sauter le secret obturateur et antilibidinal. Maître Kiejman contient parce qu’un tel acte ne troublera pas vraiment la lugubre fête, pas davantage que les suicides à France Télécom. Hassan en vient à choisir le Canada comme lieu d’exil, mais c’est une mascarade perverse pour « l’extérieur »-baroud d’horreur- et «  nous restons enfermés, isolés, seuls  », p.155. Soukaïna reprogramme son grand départ, quand la libération est annoncée comme prochaine … et effective le 26 février 1991 : 19 ans !

«  Le roi (…) avait pardonné  » ( !), le comble,  pour ne point perdre la face. Les médias se désintéressent, «  nous allions (désormais) passer quatre ans et demi (…) dans une prison à ciel ouvert  », portant des relents d’infamie et malgré tout, le monde était à découvrir… Des histoires d’amour qui font souffrir pour apprendre à se désillusionner afin de savoir espérer, sculptures.

Vint enfin l’obtention du visa pour la France et «  puis un jour j’ai rencontré Sylvie et la poésie s’est emparée de ma vie  », p.174. «  Je suis née le 13 juillet 1996 à Paris  », p. 175, ce qui n’empêchera pas les difficultés et les outrages et encore les résurgences de «  l’angle mort  », p.187… Les douleurs à chaque étape du mourir à soi-même. La liberté a un coup que, maintenant, Soukaïna, plus que tout autre, sait qu’il faut savoir payer dans la contrainte et l’habilitation du social, sous peine, sinon, de resombrer dans la barbarie. Quelle bonne nouvelle ! Si on pouvait savoir avant qu’il ne soit trop tard que cette décision de faire société est en fait « facile » à prendre, l’abuseur, notre enfant abandonné, perdrait toute sa force de conviction antoedipienne; et même lui et peut-être surtout lui, dont nous sommes l’obligé ainsi que de tout Autre, pourrait se retrouver étayé dans ce processus d’individuation dont il en fait payer le coût de son déni aux autres.

Stéphane BOLLUT.

(1) Soukaïna Oufkir, la vie devant moi, une enfance dans les prisons de Hassan II , Calmann-Lévy, 2008.

(2) Une vie de rencontres , Seuil, 2005.

 

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