mercredi 04 juillet 2007
Introduction et commentaire.
Il m’a été demandé, en octobre 2005 lors du congrès sur la parenté, de venir vous parler de mon expérience de passeur, ce qui m’a surpris. Cette surprise, qui tient, je pense, au dispositif de la passe, est d’ailleurs mentionnée dans les textes de Lacan. J’ai donc répondu : « Je vais réfléchir » et, pressé par un supposé programme, je me suis dit « pourquoi pas ? ». Et puis après, que vais-je aller dire à Paris, lieu de rassemblement de « supposés savoir », de mon expérience de petit passeur de province de la Gaule du nord ?
Qui plus est, décidé à mettre un peu d’ordre dans mes trop nombreux papiers, je venais de décider de brûler toutes les notes que j’avais prises en écoutant celui qui m’avait confié ses dires comme passant. Belle affaire qui me voyait dans de beaux draps !
Le titre de mon intervention d’aujourd’hui m’était demandé (il fallait faire vite, me disait-on). Lacan, dans son texte parlait de l’urgence et de mensonge. Je sais que ce texte difficile fut objet de votre étude, cette année.
A ce propos voici ce qu’il est dit du mensonge par Lacan :
« Je l’ai laissée , [la passe], à la disposition ce ceux qui se risquent à témoigner au mieux de la vérité menteuse » (Autres Ecrits, p.573)
A propos de l’urgence, il précise :
« Le mirage de la vérité, dont seul le mensonge est à attendre (c’est ce qu’on appelle la résistance en termes polis) n’a d’autre terme que la satisfaction qui marque la fin de l’analyse.
Donner cette satisfaction étant l’urgence qui préside l’analyse, interrogeons comment quelqu’un peut se vouer à satisfaire ces cas d’urgence. » (Autres Ecrits, p.572)
Vous aurez peut-être consulté le dictionnaire sur le mot « urgence ».
En note, j’ai mentionné les définitions des dictionnaires LAROUSSE et ROBERT historique 1 .
La fin ne souffrirait donc pas de retard. Et pourtant, la fin peut devenir interminable ou l’analyse peut prendre fin avant la fin. De cette fin, le passant va certainement en parler dans ses entretiens avec le passeur. Je me place, dans ce bref exposé difficile, du point de vue du passeur et de son expérience en tant que tel. Je ne choisirai donc pas ici de parler du passant, et encore moins d’en présenter une vignette clinique. Il s’agirait par contre de cela au cartel de la passe.
La prise de contact
J’ai donc reçu un appel téléphonique d’un passant 2 , disant que mon nom avait été tiré dans le chapeau. Je fus très étonné de cet appel et au premier moment, je l’ai pris pour un canular. J’ai répondu que j’allais reprendre contact dans quelques jours.
Au premier moment, je me suis demandé si j’allais accepter. Certes, j’avais terminé « ma » psychanalyse, j’avais expérimenté cette traversée du fantasme. Mais je ne me sentais pas apte, au premier abord, à évaluer, comme je le croyais. Allais-je être capable de répondre de ce qui m’arrivait [D’où l’utilité de se demander d’où cela vient]. En me rendant compte, à la réflexion, que la demande n’était pas d’évaluer mais d’écouter, j’acceptai. Le doute s’est alors vite emparé de moi. Allais-je pouvoir être à la hauteur de ce cartel de la passe pour bien dire ce que j’avais entendu du passant. Au départ je percevais cette une double interrogation, celle sur la capacité à répondre, puis celle sur le doute à répondre. Mais ce doute justement m’apparaît être cette faculté de laisser s’entrouvrir l’inconscient et d’être ouvert à ce qui peut advenir. Inutile de vous dire qu’à ce moment, il y a eu un défilement rapide de ce que j’avais vécu dans ma propre psychanalyse. Un film à vitesse accélérée reprenant des points de butée qui avaient été les miens. Il y avait donc un acte à poser : accepter. Ce que j’ai fait.
Mais alors comment faire, comment m’y prendre. Les quelques consultations et interrogations posées à des collègues m’ont appris qu’il n’y avait pas de méthode, ni encore pas de mode d’emploi. Je n’avais donc qu’à m’y lancer et on verrait. Heureux doute ! Pour poursuivre par une métaphore : dans quel bateau de passeur m’embarquais-je ? C’est un travail d’être passeur et c’est aussi un coût !
Je reprenais alors contact avec le passant, pour organiser la rencontre ou plutôt prévoir les rendez-vous. Car, le passant n’habitait pas à la porte d’à côté et il m’avait déjà demandé si je ne me rendrais pas prochainement dans sa ville !
La rencontre du passant
Il me fallait donc inventer. Nous avons convenu de nous rencontrer pendant une journée à deux reprises. Il y avait un souci d’économie d’énergie et de temps. De plus je pensais « urgence » et qu’il n’y avait pas lieu d’être trop long. Nous allions nous voir le matin pour une première séance et pour une seconde l’après-midi, si cela suffisait. Le rendez-vous fut pris seulement dans deux mois, au vu des emplois du temps de chacun en cette période de grandes vacances.
Il semblait ne pas y avoir d’urgence, ce qui était contradictoire, ce qui entrait en contradiction avec mon titre.
La rencontre fut très intéressante. Le cadre de la rencontre nous laissait du temps, du temps pour dire et du temps pour entendre, dans l’endroit propice de mon bureau situé à la campagne. Un rendez-vous entre passeur et passant, en effet, entre collègues aussi. Le passant avait déjà rencontré un autre passeur, dont j’ignorais le nom 3 , et il avait d’ailleurs le sentiment de venir redire ce qui lui semblait important. Je ne le connaissais pas, cet autre. Je ne pouvais savoir ce qui allait être important, ce que j’allais retenir et ce que j’allais dire. Aussi je notai. Je me fis le scribe de cette histoire, de cette « traversée du fantasme ». Cette traversée je l’ai questionnée, je me la suis faite expliquer et faite redire. Il m’apparaissait, en effet, tentant pour le passant aussi de dire ce qu’il croyait devoir dire. Un peu comme s’il y avait des choses à dire pour pouvoir passer, comme dans l’histoire des comptines d’enfant sur les petits poissons 4 . Il m’était tout aussi tentant symétriquement d’être un passeur responsable de faire passer le passant. Que d’écueils dans cette traversée de la passe. J’ai donc opté pour l’écoute, en convoquant, si cela se pouvait, l’inconscient au rendez-vous. J’ai noté les propos qui venaient, les uns après les autres, faire chaîne de ce que je ne comprenais sans doute pas. Il ne s’agissait pas d’une séance d’analyse ou de refaire une analyse et encore moins un contrôle. J’ai écouté ce passant pendant une heure et demie. Nous avons fait un break à midi. Puis après avoir relu quelques unes de mes notes, je l’ai réécouté pendant une heure et demie l’après midi en lui reposant des questions pour compléter mon secrétariat, sans trop vouloir comprendre. Ce qui est difficile. Très vite j’avais l’impression de me faire une idée. Trop vite, probablement.
La question qui me venait régulièrement à l’esprit était « qu’ai-je à entendre ou à demander pour pouvoir me faire un avis, une opinion ou un témoignage que j’allais redire au cartel de la passe ».
J’ai alors posé la question, un peu facile, de savoir ce qu’il imaginait être ou devenir s’il était « nommé » analyste après le cartel de la passe. Et qu’est-ce qu’il en serait s’il n’était pas nommé. « Peu d’importance m’a-t-il dit, je continuerai comme avant ». Cette importance à être ou pas nommé allait m’informer peut-être sur ce désir de la passe ou d’analyste. En fait est-elle pour le sujet un objectif, un examen à passer ou une expérience dont elle rend compte, tout simplement ? Pourquoi donc demander la passe, lui ai-je dit? Il a semblé difficile de situer en termes clairs ce qu’était la traversée du fantasme. Il m’a semblé difficile de « bien » m’y prendre pour le savoir. En y réfléchissant, j’allais reprendre simplement les dires du passant et les rapporter au cartel de la passe. J’eus encore, du passant, quelques appels téléphoniques pour me préciser quelques uns de ses dires. Dans ce cas j’avais l’impression que cela n’apportait pas grand-chose de plus. Je restais dubitatif à propos de l’issue de cette passe, dont j’étais redevable ou responsable, dans le sens où j’avais à répondre de ce qui s’y était dit. Qu’allais-je donc dire au cartel de la passe ?
Le cartel de la passe.
Justement, ce cartel de la passe. J’y fus convoqué plus de six mois après ces entrevues avec le passant. Les dires ne résonnaient plus fraîchement dans ma mémoire. Il y avait comme une eau troublée qui parcourait mes remémorations au travers de mes notes. Il n’était pas nécessaire que je questionne davantage, je savais assez … pour ne pas comprendre. J’ai choisi de continuer avec le doute. Ici, je suis confronté à l’inconscient, à l’intuition, au sérieux de ma responsabilité. En ce sens à ne pas « raconter » une histoire trop interprétée. A dire ce que j’ai entendu, pour autant que cela puisse se faire. J’ai déjà tant oublié pensais-je. Laissons donc parler notre « confiance » et « inconscient », s’il se peut.
Arrivé au cartel de la passe, il m’a suffit de dire, de témoigner de ce que j’avais entendu. Tout semblait couler de source. Il m’apparaissait que je rapportais les dires et que j’avais simplement à témoigner. La difficulté était de dire sans porter un jugement. C’est que tout comme dans la « direction de la cure », ce que Lacan dit de l’analyste, « c’est qu’il ne doit pas diriger le patient » 5 . Le risque du passeur, en utilisant la métaphore de la barque, est de diriger le passant, de l’amener à bon port. Certes le désir nous convoque de le mener à bon port, même par temps de houle, et, en cela, ce désir permet d’être passeur. Mais le passeur se retrouve démuni de ne pouvoir faire passer avec certitude, puisqu’il ne tient même pas le gouvernail de la barque. Cette certitude viendrait alors du passant et sera appréciée par le cartel. La question finale qui m’a été posée par les membres du cartel était : « Pensez-vous que le passeur que vous avez écouté ait terminé son analyse ». La réponse m’est venue comme un souffle pacifiant, sincère et a également signé le terme de mon intervention.
Le passeur a repris son chemin du retour sans savoir ce qu’il advenait de « son » passant, qui, pour lui, avait été important.
Une expérience de passeur qui passe. Le passeur passe et passe les dires. « Ne regardez pas le renard qui passe », dit la comptine. Il est celui qui simplement transmet sans se mettre en avant et sans en tirer un quelconque avantage, si ce n’est celui de la rencontre ; celle-ci, vous l’aurez remarqué n’était pas très enthousiasmante, elle fut même, à certains moments, ennuyeuse.
André LEVEAUX 6
Paris, le 07.06.2006
1
LAROUSSE urgence
nom féminin
1.
Caractère de ce qui est urgent.
2.
Nécessité d'agir vite.
-
D'urgence, de toute urgence
:
immédiatement, sans délai.
-
État d'urgence
:
régime exceptionnel qui, en cas de troubles graves ou de calamité publique, renforce les pouvoirs de police des autorités civiles.
3.
Cas urgent, nécessitant une intervention médicale ou chirurgicale rapide.
Service des urgences.
urgent
adjectif
féminin
urgente
(lat.
urgens, -entis
, pressant)
Qui ne peut être différé; qui doit être fait, décidé, etc., sans délai.
ROBERT historique
Urgent est emprunté au bas latin urgens « pressant, qui ne souffre pas le retard », participe présent du latin classique urgere « pousser, presser, sans origine certaine malgré plusieurs rapprochements indoeuropéens.
Urgence (1550) se dit de la nécessité d’agir vite ; le mot, inusité à l’époque classique, a été repris à la fin du XVIIIe s., dans d’urgence (1789( !!), cas d’urgence ), puis employé seul (1792) avec une spécialisation médicale courante pour « cas nécessitant une intervention et des soins rapides », avec des métonymies : les urgences « le service des urgences », une urgence « un patient relevant de ce service ».
Urger v.intr., construit sur le modèle de presser/pressant (1891) est surtout employé dans il urge (1903), ça urge , familiers.
2 Passant dont je me dois de taire les propos et que je déguise quelque peu pour éviter qu’il ne soit reconnu.
3 Un autre passeur mystérieux que j’ignorais. Je ne connaissais pas son avis sur le passant. J’aurais eu envie de le deviner !
4 Petit poisson pourrais-je passer la Mer Rouge – oui (par exemple) à condition de sautiller sur un pied.
5 LACAN, Ecrits , p 586
6 Membre du Forum de LIEGE, Association des forums du Champs Lacanien de Wallonie (Belgique) – AFCLW(B) et membre de l’Ecole. Adresse de courriel : al@thiniheid.be
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