dimanche 16 décembre 2007
Je suis en dette d’un article dont je ne trouve plus la source, lu sur le site de la SPP, et qui est à l’origine des remarques qui suivront. Voilà un oubli qu’il faudra interroger. Cet article parlait du fossé qu’il y a entre la pléthore de bonnes pratiques ou plutôt de soucis de bien faire éducatifs, thérapeutiques, pédagogiques et de la non moins grande évidence de la persistance de la destructivité.(Sociale, guerrière, émeutière, contre-émeutière) Ce qui m’interrogeait tout benoitement, (dites-moi, Benoit), c’est qu’est ce qui peut faire adresse pour un sujet en mal de penser et de lier sa déréliction subjective, en prise à un collectif lui-même à la traine de construire son histoire : par exemple, ces choses à construire pour les personnes issues de l’immigration, ou bien délogés par les guerres répliques (au sens tellurique) des avatars de la colonisation. Qu’est ce qui peut faire adresse, c'est-à-dire qu’est ce (et qui) qui peut se tenir en ce lieu de recevoir quelque témoignage d’un sujet face à l’horreur, de recevoir ce témoignage et de ne pas l’interpréter, de l’accueillir sans que ce terme ne se recueille ou ne se replie dans quoi que ce soit de religieux ; sans cette tentation de réparer l’autre.
Il y a cette violence dont il est assez aisé d’en inférer la cause à des carences de transmission symboliques, je ne dis pas cela avec mépris face à cette hypothèse, mais pour plutôt mettre en exergue la tâche quasi-impossible et la force psychique qu’il eût fallu déployer pour y parvenir. Comment penser cela possible au regard de ce que je peux percevoir dans mon travail auprès de jeunes migrants, de ce que je peux percevoir de leur tension adaptative, entre idéal et pragmatisme, clivés par nécessité, réservant parfois, c'est-à-dire mettant de côté, réservant pour demain le moment posé où ils auront du temps pour eux.
J’écris ceci à la suite des nombreux arrêtés d’expulsion qui fleurissent pour garnir le jardin d’une république qui veut monter sa maîtrise.
Quelle posture pourrions nous avoir, y aurait-il une psychothérapie qui les dérive de leur dérive, qui les en distrait, ou sauront-ils nous distraire de notre fantasme soignant ? Nous pensons des réseaux et c’est vrai qu’il en faut, puisque dire il faut revient à désigner la place d’une faute, mais des réseaux qui pense le bien de tous et de chacun, la précarité n’apprend-elle pas à y lire et à y prédire l’annonce de la déliaison, la répétition de l’effacement de l’Autre encore une fois, avant même que quoique ce soit d’un deuil et d’une psychisation ait quelque chance de s’engager ?
Ce dont il s’agit c’est du déni du mal. D’un côté des populations entières sont en souffrance de penser le mal historique qui concerne le singulier de chaque trajectoire, peut-être d’un trajet : immigration espagnole, trajectoire des migrants du Maghreb, trajet de primo Lévi ou de Semprun. D’un autre encore, souci de la santé, idéal d’équilibre, nécessité d’une absolue mise au clair de la souffrance, épuration de la douleur, devoir de mémoire, intimation à prendre conscience de sa réalité sociale, adaptation au pas de charge avant même que les fantômes du passé soient tout à fait morts. Terrorisme du bien être, terreur d’être comme si rien n’avait été des souffrances du passé, terreurs plus terribles encore que ces souffrances mêmes. Une jeune congolaise me disait : si on ne me croit pas pour cet accident que je raconte aujourd’hui, alors ce que je dis d’hier n’est pas crédible non plus et je n’ai plus qu’à être folle. Et ce déni si présent, si puissant dans sa force invisible : au lendemain de l’explosion d’AZF, alors que j’étais avec un psychiatre dans une cellule de crise et que rodait un nuage nocif au-dessus de nos têtes, une personne à la fermeté polie (employée) nous dit d’éteindre les cigarettes. Etait-ce pour ne pas ajouter la goutte de nocivité qui aurait oblitéré sa croyance au bien, était-ce une défense qu’il fallait quand même encore comprendre, une protection dont elle avait besoin ? Autant confisquer des lance-pierre dans les tranchées de 14.
Et ces jeunes migrants qui arrivent si douloureux et fragiles parfois, parfois plein de ressources aussi, et dont le psychologue devrait absolument tirer le jus de son parcours comme dans d’autres temps on pratiquait une saignée, sans doute pour qu’il ne se fasse plus de mauvais sang, sangsue du soin qu’ils déjouent ingénieusement : au plus va se livrer un discours blanc et sans affect qu’on pourrait interpréter comme le signe clinique, mais de quoi sinon qu’il faut du temps à l’humain pour se penser comme tel !
Il y a peut-être deux chemins et certainement trois pour être averti, le troisième est la psychanalyse. Les deux premiers sont la littérature et l’expérience. Ces trois chemins ont ceci de petit dénominateur commun, c’est qu’ils ne nous laissent pas sans savoir et de grand dénominateur commun, qu’ils ne nous font pas la grâce de l’illusion qu’avec application (en s’y appliquant et en appliquant les directives) on résout tout.
Ce qui nous délivre de penser le bien pour l’autre, à sa place.
Ce qui nous livre la charge mais le plaisir aussi d’un travail de pensée, à notre place.
Patrice Bosc
Psychologue Clinicien
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