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De la dite incompétence des travailleurs sociaux

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Jean-Pierre Leblanc

lundi 27 février 2006

Un soupçon…

Depuis quelques temps, des affaires graves d’abus sexuels commis sur des enfants, conduisent certains à s’interroger sur l’efficacité des mesures médico-sociales et éducatives articulées à la protection de l’enfance. On peut en venir ainsi à douter de la compétence, voire de l’utilité des travailleurs sociaux qui conduisent ces mesures, comme cela transpire parfois dans certains articles de presse. C’est ce qui s’est passé à Angers, lorsqu’on a découvert que des enfants ont continué d’être abusés sexuellement, alors qu’ils bénéficiaient de ces mesures éducatives de protection : le « réseau de pédophilie » qui y a été démantelé, a fait apparaître cela pour un nombre conséquent d'enfant.

Il ne viendrait à l’idée de personne de jeter le discrédit sur la médecine toute entière parce qu’elle reste impuissante face à certaines pathologies. Il ne viendrait à l’idée de personne non plus, de douter encore de cette médecine dans son essence même, lorsqu’un événement catastrophique se produit sur le plan sanitaire (épidémie, épizootie etc.). C’est pourtant ce qui arrive de temps à autres au sujet du travail social, lorsque certains événements graves font douter de ce qu’on voudrait être son aptitude à les contrôler.

Ne peut-on considérer qu’il ne s’agit pas là simplement de la manifestation d’une ignorance liée à un simple manque d’information ? Si c’était le cas, elle serait sans doute moins massive et surtout moins passionnée, et ceux qui soupçonnent les travailleurs sociaux d’inutilité ou d’incompétence auraient peut être pris un peu plus les moyens d’une meilleure information. De même, ceux-ci, parce que c’est leur intérêt, auraient peut être aussi tenté de trouver les moyens de mieux faire connaître les ressorts de leur travail.

Ce qui est arrivé à Angers a à cet égard un impact particulier, car on y rencontre une abjection qui dévoile ce que l’humanité peut receler de monstrueux. Cela conduit alors à exiger de la part de ceux qui sont censés protéger et prévenir, une vigilance qu’on voudrait sans défaut pour que ne se produisent plus de tels abus, qui sont d’autant plus inacceptables que ce sont des enfants qui sont en cause.

On peut justement s’arrêter à cette occasion sur une chose, parce qu’il s’y indique de façon plus aiguë qu’à l’habitude le rapport singulier que le public entretient généralement avec le travail social : la manière aussi légitime que bruyante avec laquelle ces affaires, telle celle d’Angers, sont mises sur la scène médiatique, n’a d’égal que le silence qui reste jeté sur ces milliers d’autres situations de danger avéré auxquelles ont à faire les travailleurs sociaux. Nous n’en entendons pas parler parce qu’elles sont traitées certes, et parce que dans de nombreux cas, les problèmes ont pu être identifiés et les enfants protégés. Cela suffit-il pour autant à expliquer le silence et la réserve qui caractérisent habituellement l’attitude du public et des médias sur le travail social ?

L’impensable, le refus de savoir, la part obscène.

Sans doute que non. Car la discrétion qui prévaut habituellement sur cette activité est symptomatique d’une autre chose, qui nous pousse à taire ce qui en est l’objet même : le malaise devant la misère humaine et le désordre qu’on y traite, devant la part d'inhumanité qui s’y loge, qu’on cherche à contenir et à ignorer en les maintenant le plus loin possible de nous. C'est d’ailleurs pour cela qu’il arrive que ceux qui y ont affaire dans leur travail, éprouvent souvent une sorte de pudeur, de gêne, voire de désintérêt, à en parler à ceux qui sont extérieurs à leur champ, lesquels ne s'empressent d'ailleurs pas beaucoup non plus de vouloir en savoir quelque chose.

Lors d’événements tels ceux d’Angers, apparaissent alors plus nettement cette mise en question récurrente, ce discrédit épisodique qu’on jette parfois sur le travail médico-social et éducatif. Au delà du caractère quelque fois passionné ou partisan de ces positions, elles sont à considérer et à respecter, tout en les replaçant dans une autre perspective : elles sont l’expression d’une chose plus profonde, inhérente à la nature même du réel en cause. Elles indiquent que pour ces problèmes là, quelque chose objecte en nous profondément à ce qui ébranle nos modes de compréhension habituels : à chaque fois le dégoût, la colère, le refus de ces réalités saisissent avec la même force. Comment pourrait-il d'ailleurs en être autrement, quand il s’agit de ces passions humaines qui franchissent les limites de la morale et de la loi, jusqu’au viol, au meurtre, à l’inceste. Elles s’expriment de manière sordide et ravageante ; elles menacent le lien humain dans ce qu’il a de plus fondamental, là où il se transmet d’une génération à l’autre : c’est le cas lorsque des enfants deviennent les objets sexuels des adultes, qui peuvent même être leurs responsables, voire leurs parents.

Nous sommes scandalisés de la souffrance inadmissible qui n’a pu être empêchée. Mais cela nous scandalise aussi car il se dévoile là l'insupportable fragilité de ce qui nous « civilise » : le renoncement aux passions les plus destructrices, qui est la condition de notre humanité, apparaît ainsi comme une chose qui peut être précaire : l’inconcevable, le pire, sont donc toujours possibles, il n’y a pas de limites et de remèdes définitifs à cette sauvagerie, et il arrive que pour certains sujets, dans certaines circonstances, elle ne puisse être contenue !

Nous sommes alors renvoyés, chacun, à ce que nous avons dû justement refuser et rejeter intimement en nous pour consentir à la loi humaine, pour que vivre ensemble soit possible sans que ne surgisse l'étripage généralisé qui ne manquerait alors pas autrement de se produire. C’est le prix que nous avons payé pour entrer dans la communauté humaine : nous sommes construits sur le sacrifice et le refus de cette part d'obscénité destructrice. La conséquence, c’est que tout à fait « normalement », nous n’en voulons plus rien savoir, et que nous voudrions cette part là « oubliée » une fois pour toutes.

Mais ce rejet, cet « oubli » ne sont jamais total et absolus : de cette part, il reste en nous quelque chose, qui s'éprouve justement dans le dégoût foncier qu'elle nous inspire, comme si se révélait ainsi que nous avions quand même la notion de ces choses là, à cause de la manière dont elles nous affectent. Sentiment inquiétant de quelque chose à quoi nous nous voulons radicalement étranger, et qui pourtant nous touche intimement jusqu’au malaise. C’est ce qui rend d’autant plus inacceptable la rencontre avec de tels évènements : ils produisent ce malaise parce qu’ils nous font éprouver l’existence en nous de cette part là, contenue, refoulée certes, mais présente. On sait d’ailleurs qu’elle peut malheureusement ressurgir dans des circonstances extrêmes (notamment en période de conflit) : certains sujets y manifestent une humanité héroïque, mais d’autres, qui peuvent être connus comme étant ordinairement de « braves pères de famille », perdent tout repère au point de se comporter comme de redoutables tortionnaires.

Face à ces choses là, nous réaffirmons alors souvent notre refus, pour retrouver nos repères habituels : « non, ce n'est pas possible, c'est impensable »… On peut d'ailleurs voir là, au passage, une des clés de l’attitude apparemment incompréhensible de proches, lorsqu'ils étaient en situation d'approcher concrètement les évènements en cause, sans s'en être alertés : à Angers, des voisins ont bien perçu des mouvements inhabituels, et ils n’ont rien dit. Mais comment aller jusqu’à concevoir ce qui doit justement rester inconcevable ? Comment penser à l’impensable, sauf à éprouver ce sentiment honteux et fugace d’avoir des idées décidément bien déplacées… Ce n'est que lorsque on est face à la réalité « crue », que surgit avec force cette impression mêlée de colère et de dégoût : « mais comment est–il possible de faire des choses pareilles ? ».

Ces choses qui suscitent cette colère et ce dégoût, cette part obscène qu’on voudrait voir éradiquée, la société en confie le « traitement » à certaines instances, à certains métiers. Les travailleurs sociaux en font partie. Ils ont socialement en charge cette part boiteuse, obscure, ce fond de misère humaine et d’inhumanité qui n’est jamais vraiment réduit. Tout naturellement lorsque cette part déborde, on s’en prend un peu à ceux qui sont chargés de la contrôler en pensant qu’ils ne font pas bien leur travail, en se demandant d'abord s’ils sont compétents, puis s’ils sont bien utiles en s'y prenant comme ils s'y prennent. On va quelque fois leur en vouloir de n’avoir pas su contenir cette obscénité, qui se révèle alors plus près de nous que nous l’aurions pensé, d’une manière que nous ressentons déplacée parce qu’elle nous fait entrevoir cette réalité dont nous ne voulions plus rien savoir. C’est la façon commune de tenter de sauvegarder une illusoire tranquillité de l’esprit, au prix cependant de l’ignorance des véritables enjeux en cause, et des conséquences qui doivent en être tirées.

L’insupportable tromperie

Mais il est vrai qu’il peut être choquant d’apprendre que la présence et le « suivi » effectifs d’assistants sociaux, d’éducateurs, de médecins et de « psys » de tous poils (dont l’incompétence n’excède pas celle que l’on rencontre dans tous les autres métiers) auprès des enfants en cause, n’a pas réussi à empêcher qu’ils soient abusés et agressés : « Mais finalement que faites-vous, à quoi servez-vous ? », entend-on dire alors.

D’aucuns, en toute logique, supposent alors des défaillances dans la mise en œuvre des missions, ou bien une inadéquation des méthodes d’intervention. Quelque fois même, subrepticement, un glissement s’opère : les responsables de ce gâchis ne seraient plus seulement les auteurs de ces agressions, mais ceux qui « n’ont rien vu », ceux qui « n’ont rien entendu », ceux qui « n’ont rien fait »…

Croire cela a une fonction. Cela permet d’ignorer et de se masquer une vérité scandaleuse : nous n’avons pas de remèdes définitifs et sûrs contre l’émergence de cette réalité éminemment humaine qu’est la perversion. Il n’y a pas de prévention efficace et assurée contre elle, pour la bonne raison qu’elle utilise justement les formes les plus évoluées du lien humain pour se déployer et s’assouvir, celles de l’amour et de l’autorité. C’est malheureusement une banalité de constater qu’on trouve des comportements pédophiles dans les activités liées à l’enfance, un peu comme on trouve des pyromanes chez les pompiers. La perversion contient en effet intrinsèquement une dimension de manœuvre, de tromperie : elle emprunte le discours même de la Loi, en cherchant à démontrer qu’elle est dérisoire et mensongère, ce qui doit rendre alors sa transgression légitime. Il est préférable, soutiennent par exemple certains discours pervers qui « détournent » ainsi l’idéal moral sur lequel ils prétendent s’appuyer (le « bien » de l’enfant par exemple), que ce soit un proche qui initie sexuellement l’enfant plutôt qu’un « étranger », ou bien encore il est mieux que ce soit quelqu’un de plus âgé et d’expérience plutôt que quelqu’un de jeune et d’inexpérimenté. La justification perverse avancée est souvent de défendre le « droit » de l’enfant au plaisir, ainsi que le souci de lui éviter des souffrances ultérieures : celles que ne manqueront pas selon cette argumentation perverse, de susciter la maladresse, la malveillance toujours possibles de partenaires inconnus lors de rencontres laissées au hasard, à quoi conduit – ce qui est un comble, disent-ils – le respect de la Loi ! ( Puisque la Loi proscrit toute relation sexuelle entre proches de l’entourage familial, ainsi qu’avec quelqu’un de la génération ascendante quand il s’agit de mineurs). A l’enseigne de ce discours, la Loi apparaît toujours « mal faite », elle est même une imposture.… Singulier mais très proche voisinage logique qu’entretient le discours pervers avec celui de la morale et de la Loi : de là découlent d’ailleurs souvent certaines fascinations, aussi réciproques que méconnues…

Plus, le discours pervers tente de mettre ceux qui représentent la Loi en positon de partenaires du scénario qu’il met en oeuvre, à leur insu. Tel ce père qui conduit sa fille de onze ans à un entretien, et qui, effondré, énonce que quelqu’un de son ex belle-famille prétend que sa fille lui aurait confié qu’il s’était livré sur elle à des attouchements. Il est en conflit avec cette ex-belle famille, et il voit là une raison à cette accusation. Son ton est cependant mesuré, il est sincèrement affecté. Il engage alors l’intervenant à s’entretenir seul et régulièrement avec sa fille, parce qu’il ne craint rien et qu’il pense que ces entretiens pourront l’aider. Entendue seule, sa fille est détendue, spontanée, et confie sa surprise qu’une chose pareille ait pu être dite. Elle se déclare même horrifiée de cela. L’intervenant encourage et questionne activement, en indiquant que ces choses là existent, qu’il est important de les dire pour qu’elles s’arrêtent, et que cela peut aussi rendre service à l’abuseur lorsque c’est quelqu’un qu’on aime. A cela l’enfant répond dans un sursaut spontané que si cela s’était réellement passé, elle le dirait tout de suite, parce qu’elle considère qu’une chose comme celle là est trop grave pour la taire ! Des mois d’entretiens dans le cadre du suivi éducatif n’ont rien indiqué de plus, des visites à domicile non plus, des rencontres avec cette personne de l’ex-belle famille qui n’avait à sa disposition qu’une confidence équivoque que l’enfant niait ensuite, pas plus. La vie suivait son cours et les raisons de l’intervention s’orientaient sur tout autre chose. Cette jeune fille restait ouverte et spontanée, elle s’exprimait sur ce qui faisait sa vie, et elle apparaissait évoluer normalement malgré de grosses difficultés familiales, comme le confirmaient aussi les renseignements pris par ailleurs. Ce n’est que plusieurs mois plus tard, qu’elle confiera que son père abusait bien d’elle. C’est quand il est devenu violent avec elle, qu’elle n’a plus supporté cette situation et qu’elle a parlé. Auparavant, elle dira n’avoir rien exprimé, à part ce propos tenu à un tiers et vite nié, parce que son père lui disait qu’il irait en prison si elle le faisait. Sa mère n’étant plus présente, elle craignait un abandon qui l’effrayait par-dessus tout. Cet homme a donc joué de manière perverse sur l’attachement de sa fille à son endroit, ainsi que sur sa peur d’être abandonnée. Il renforce de plus une complicité perverse, tel un pacte, en l’incitant à oeuvrer activement à la manipulation des travailleurs sociaux. Ceux-ci participaient ainsi sans le savoir, à leur corps défendant, au renforcement de cette complicité, en raison de cette tromperie qui devenait une sorte de « cause commune » entre le père et la fille, et qui consolidait l’emprise de l’un sur l’autre. C’est une redoutable et parfois dangereuse rencontre que celle qui s’opère avec un sujet orienté de cette manière… C’est aussi un destin des moins enviables que celui d’un tel sujet, dont la possibilité d’aimer et de désirer demeure assujettie à cet impératif d’une jouissance illicite, dans la mise en œuvre de scénarii dont les conséquences peuvent être catastrophiques.

Cette tromperie inhérente à la stratégie perverse se révèle ainsi presque toujours au moment où l’on en est victime, à quelque titre que ce soit. C’est souvent de cette manière que s’opère son dévoilement. Pire, on peut en être même les complices inconscients : qu’on pense à ces collaborateurs zélés, compétents, de certaines activités liées à l’enfance, dont la pédophilie a mis des années à être reconnue. Elle demeure encore quelque fois difficile à admettre pour ceux qui en étaient proches, tant ils pouvaient leur apparaître au dessus de tout soupçon… car il peut se révéler alors, de manière insupportable, qu’ils ont participé tout à fait à leur insu de cette tromperie…

Alternatives fragiles et souvent illusoires...

Face à tout cela, plusieurs alternatives de travail sont évoquées, tant par l’encadrement supérieur des services, que par certains travailleurs sociaux eux-mêmes. De manière sommaire, on peut tenter de les caractériser en trois directions.

D’abord, certains sont conduits pour faire face à ce problème à imaginer des procédures d’investigation systématiques sur la population enfantine. Elles ont le plus souvent un effet ravageant et vain :

Ou bien elles sont explicites et elles ont un effet inducteur qui peut être pervertissant. A partir du questionnement par trop zélé et précis d'un fonctionnaire de police, nous avons ainsi vu un petit garçon de quatre ans décrire le viol qu’il aurait subi de la part de sa grand-mère. Pour imaginaire qu'il se soit révélé, ce viol a cependant conduit à une garde à vue et une interdiction de séjour, pas imaginaires du tout, elles.

Ou bien elles sont indirectes, constituées d’outils bâtis sur des critères objectivables et quantifiables (grilles et échelles d’évaluation faites d’items qui découpent l’observation). Elles conduisent alors à obéir à des procédures et des profils définis à priori et validés statistiquement, dont la valeur n’est jamais certaine et décisive pour un sujet particulier. Elles ont le grave inconvénient de transformer l’incertitude en soupçon, avec les effets pernicieux qu’on sait. Des parents se sont ainsi retrouvés devant le juge des enfants parce que leur enfant de cinq ans avait dessiné à l’école un pénis en érection (du moins cela y ressemblait…), sans qu’on ait pu en parler auparavant avec eux, puisqu’ils étaient alors considérés comme des auteurs possibles, ou au mieux comme des irresponsables, impuissants ou aveuglés devant l’abus de leur enfant… Cela aurait pourtant pu permettre de remettre plus vite à sa place un grand frère de quatorze ans, initiateur aussi malicieux que mal inspiré de ce genre d’iconographie auprès de son petit frère, sans doute lui aussi curieux de ces choses là ... Le dessin, conçu comme un critère « objectif », avait eu valeur de signe suffisamment probant pour déclencher l’intervention judiciaire ! Outre une dramatisation inutile, ce genre de démarche comporte le danger de rendre l’intervention de la loi dérisoire.

Cette confiance aveugle faite au signe « objectif » pris en lui - même, au « trait » prélevé sur un sujet qui correspondrait alors à un profil établi, est une démarche empruntée à l'approche des phénomènes de la nature et à l’approche bio-médicale. Elle peut faire des ravages lorsqu'elle est plaquée sur l'humain. Qu'on se souvienne de l'assurance de cet expert psychologue du procès d' Outreau, qui affirmait sans sourciller qu'un des prévenus, innocenté par la suite, avait des « traits pédophiles » !

Ensuite, une autre opinion s’affirme actuellement chez certains commanditaires : les travailleurs sociaux ne seraient pas assez « sur le terrain », et ils doivent en prendre davantage les moyens. Parmi ces moyens, l’intervention à domicile, la « visite à domicile » leur apparaît alors essentielle, au point de leur sembler devoir devenir le principal mode d’intervention. Il est amusant de constater que cette opinion émane le plus souvent de gens qui ne sont justement pas « sur le terrain ». Car les intervenants sociaux de « terrain » savent d’expérience que l’intervention à domicile est comme le plus belle fille du monde, qu’elle ne peut donner que ce qu’elle a. Si elle a toute sa valeur pour saisir une atmosphère, pour approcher un mode de vie et des relations quotidiennes, pour aussi signifier, voire affirmer une présence et une attention, ou pour simplement joindre des personnes qui ne se déplacent pas, elle a aussi ses limites. Tout travailleur social a expérimenté ces visites à domicile où tout semble harmonieux et non suspect, pour apprendre quelque temps plus tard qu’il régnait dans les mêmes lieux, quelques heures auparavant, une confusion et une violence insoupçonnables lors de son passage. Dans certains cas, elle peut être même contre-indiquée, en raison du sentiment d’intrusion qu’elle provoque, où à l’inverse, de l’excessive familiarité que tentent d’y obtenir certains sujets. Dans les deux cas, cela devient un obstacle à la réalisation de la mission. Elle peut enfin dans certains cas apparaître simplement « déplacée », lorsque les personnes sont dans un recours actif et fécond à l’aide de l’intervenant social, qu’elles sollicitent elles mêmes sur son lieu d’exercice.

Mais vis à vis du problème des agressions sexuelles commises sur des enfants par des adultes de leur entourage, on peut se risquer à avancer que ces visites n’ont rien de décisif. Est-il besoin d’indiquer que ce n’est jamais sur les lieux mêmes, en présence quelque fois des auteurs, que les enfants victimes confient ce qu’on leur impose ? C’est en effet presque toujours ailleurs, à l’école, au centre aéré, ou dans le bureau d’un intervenant médico-social ou éducatif, qu’ils parlent. Enfin, est-il nécessaire de préciser que, sauf dans le cas de pathologies lourdes aisément repérables, ceux qui se livrent à de tels abus font tout pour donner le change et que rien n’en soit visible ? Au contraire, ils fabriquent souvent un « visible » au-dessus de tout soupçon, idéal, qui devient vite un piège, si on donne trop d’importance à ce registre du « voir ». Lorsqu’il existe des « signes » visibles de dysfonctionnement repérables sur le terrain (désordre, laisser-aller, agitation, dégradations ), ils ne sont encore une fois jamais probants en eux-mêmes, en ce qui concerne le problème des agressions sexuelles. Ce n’est que dans l’après coup de la révélation du problème, qu’ils peuvent prendre un sens où se découvre une logique qui était impossible à saisir auparavant.

Enfin, d’autres espèrent beaucoup de la mise en place des « référentiels métiers » et des démarches « qualité ». Ils permettront, semble t-il, de mieux caractériser les modes d’interventions (ils peuvent ainsi comporter la liste des moyens concrets, voire celle des tâches qui sont à accomplir dans le cadre de certaines fonctions et missions). Cela peut aller dans certains cas jusqu’à la définition de méthodes élaborées à la manière de procédures, sortes de recommandations de « bonne pratique », qu’on cherche à généraliser à partir d’évaluations comparées, effectuées par exemple entre les pratiques de services du même type : on tente alors « d’optimiser » le produit de ces évaluations comparées, en dégageant des critères communs et idéaux qu’on va tenter d’appliquer ensuite autant qu’il est possible à tous et en toute situation analogue. Ceci se donne comme gage croit-on, d’une rigueur qu’on a du mal à repérer dans les formes classiques d’intervention du travail social. Celles-ci apparaissent en effet à d’aucuns comme décidément trop contaminées par leur objet : l’a peu près pense t-on, le flou, l’équivoque, l’imprévisible. Pour parer à cela, on conçoit ces procédures dans un souci de cohérence rationnelle et méthodologique, et on intègre d’ailleurs des professionnels dans la phase de leur construction. Si ces méthodes paraissent avoir de prime abord l’avantage d’aider à structurer l’intervention et de donner des repères pour cela, elles présentent un vrai danger, d’autant plus important qu’il est insidieux, si elles sont maniées sans recul.

En effet, leur cohérence méthodologique souvent indiscutable sur le plan formel, « optimise » à l’excès la confiance qu’on leur fait. Cette rigueur formelle rassure, elle semble dans un premier temps donner un cadre et des repères à une pratique souvent malmenée par les aléas auxquels son objet la confronte. Mais ce type d’approche a malheureusement peu de rapport avec les réalités humaines que rencontrent les praticiens du travail social et éducatif, ainsi qu’avec la logique des démarches qu’ils sont conduits à mettre en œuvre. Si on y prend garde, on impose ainsi des logiques de travail qui sont extérieures à leur pratique effective, qui éloignent alors davantage d’une vraie prise en compte de la complexité réelle à laquelle ces intervenants ont à faire. Ceci peut avoir pour conséquence une application vide et formelle des outils qui sont issus de ces démarches nouvelles, parce qu’elles ne prennent pas vraiment sens eu égard aux enjeux concrets auxquels ces praticiens sont confrontés. De plus, ces méthodes, qui prennent quelquefois l’allure d’un « pense-bête » sophistiqué, peuvent occuper de manière non négligeable l’énergie et l’activité de jugement de leurs utilisateurs : le suivi des procédures quelques fois abondantes qui en sont issues, le souci, le devoir de bien les appliquer et de s’y conformer, peuvent en effet mobiliser l’attention de l’intervenant de manière telle, que cela peut se faire au détriment de sa présence à la réalité particulière qu’il doit approcher. Elles ajoutent à la charge de travail annexe, là où un allègement apporterait plus de disponibilité aux « situations », aux personnes surtout. Enfin, leur standardisation conduit insensiblement à minorer les savoir-faire particuliers, les coordonnées singulières à certaines situations, ainsi que l’aptitude à inventer dans une situation inédite, qui exigent un jugement d’autant plus en éveil qu’il émane d’un intervenant qui se sent responsable de sa manière d’opérer : il prendra moins ce risque, si on fait de cet intervenant un exécutant de méthodes ou de procédures auxquelles on fait une confiance aveugle. Ces outils, dont l’esprit hérite de ceux qui se sont imposés dans le champ de la production industrielle, doivent être donc maniés avec beaucoup de prudence, sous peine de devenir de formidables instruments d’aveuglement et de déresponsabilisation.

Le risque et la confiance comme seules alternatives

Alors, quoi ? Comment s’y prendre face à ces problèmes tels ceux qui se sont révélés à Angers, comment s’orienter dans le travail sans tomber dans une impuissance déguisée en pseudo-réalisme ? Il semble qu’il n’y ait pas d’autres voies que celle d'un paradoxe, constitué de la reconnaissance de la complexité humaine, de ses passions les plus inconcevables et de la vigilance qui en découle alors, et celle de la confiance.

La voie de la reconnaissance de la complexité humaine est la voie d’un risque inévitable : c’est poser que l’inconcevable, le pire, si ils ne sont pas toujours chose avérée, n’en sont pas moins toujours une chose possible. On peut toujours y avoir à faire dans le cadre de ce travail, d’une manière aussi imprévue que soudaine. Parce que pour l’auteur d’un abus, c’est une passion, qui peut s’imposer à lui de manière irrépressible. Il cherchera à l’agir, car c’est ainsi qu’il se ressent vivant, car c’est ainsi qu’il éprouve dans son corps ce qui l’anime. C’est un sort terrible, tragique, pour celui qui en est l’instrument, que d’être ainsi « voué » à en passer par ces modes répétitifs d’exercice de sa jouissance, au prix de l’utilisation pervertissante et ravageante d’un autre, que celui-ci soit ou non au départ consentant. Certains de ces sujets, lorsqu’ils prennent la mesure de cela et de leur difficulté à contrôler leur désir de passer à l’acte, sont saisis d’un désespoir tel qu’il les conduit au suicide. Ces sujets nous obligent à inventer hors des sentiers battus, pour nous orienter d’une éthique humainement rigoureuse : notre manière de les rencontrer doit emprunter des voies différentes que celles qui nous pousseraient à nous comporter de façon passionnée, tant la découverte de leurs entreprises peut susciter la colère et le sentiment du scandale, surtout lorsqu’on découvre qu’on y a été compté.

Dans l’exercice du travail social, pas d’autre voie que de soutenir donc une vigilance qui n’est pas la méfiance généralisée, mais une forme de prise en compte délibérée et sans haine de l’existence de cette part d’obscénité comme n’étant jamais complètement amendée. C’est une attention en éveil, disponible, impitoyable en même temps que bienveillante envers la moindre bizarrerie portée par le vent… C’est ainsi que dans certains cas peut se former, dans l’intime d’une conviction, un faisceau de présomptions qui conduiront à pousser l’exploration, à interroger ou à signaler. Mais ce jugement en éveil, rigoureux en même temps qu’ouvert sur tout et rien, ne peut opérer que pour quelqu’un qui consent à la possibilité de se tromper, de « passer à côté », qui prend ce risque averti. Puisque c’est toujours « à côté », aux marges, de manière incidente et souvent masquée derrière le futile et l’accessoire, que ces réalités se signalent. Pour qu’un tel risque puisse être pris, on comprend qu’il doit être compris et soutenu par ceux qui ont la responsabilité d’encadrer les professionnels qui eux, sont au contact avec ces réalités aussi difficiles à saisir qu’elles échappent à l’entendement commun. Pour cela, il ne faut pas que ces encadrants croient trop eux-mêmes à des « procédures » qui se donneraient comme des garanties illusoires face à cette part de risque, dont la valeur opératoire ne serait alors plus reconnue.

Prendre en compte cette complexité humaine, c’est encore reconnaître que pour la victime, il s’agit également d’une passion à laquelle elle peut aller jusqu’à consentir, par peur, par amour, par habitude, par ignorance, par plaisir, le plus souvent pour toutes ces raisons à la fois. Dans ces cas là, elle sera dissimulée, masquée, même si elle ressurgit (pas toujours) dans des signes et des symptômes qu’on peut rattacher à tout autre chose. Elle pourra aussi être niée farouchement, car le lien qui unit la victime à son tourmenteur peut être extrêmement puissant, surtout lorsque la nécessité inhérente à l’enfance d’aimer et de croire en celui qui se présente comme son répondant est au cœur de l’affaire. Le problème ne réside pas en effet dans ces cas où le sujet se plaint, ou bien lorsque des signes tangibles se manifestent : sauf erreur ou incompétence, encore une fois toujours possible mais résiduelle, ces situations sont rapidement prises en compte et traitées. Il réside dans ces cas où durant des mois voire des années, rien n’a transpiré malgré un suivi qui n’a pas failli.

Là, pas d’autre voie que celle de la confiance qui va se créer dans un lien patiemment tissé, confiance dont on sait qu’elle ne se décrète pas et qu’elle ne voisine jamais avec des attitudes inquisitrices. Certes, susciter cette confiance ne veut pas dire pour autant en être aveuglé. Cela demande un travail qui permet de la favoriser délibérément en s’engageant dans une vraie présence, tout en tentant de repérer les enjeux de la relation qui se noue alors, ainsi que la manière dont on y est placé. Cette confiance s’établit dans un échange, dans un lien de parole où le sujet éprouve concrètement au fil du temps cette présence sur laquelle il peut compter, cet accompagnement qui lui donne la possibilité d’adresser son embarras et sa souffrance les plus intimes.

Ainsi, ce n’est qu’au bout d’une dizaine d’entretiens hebdomadaires pour lesquels il était au début très réticent, qu’un garçon de dix ans qui avait accusé à tort un de ses parents de l’avoir agressé sexuellement, (cette personne a subi alors une garde à vue de quarante huit heures, suivie d’une interdiction de visite et d’un placement de l’enfant), a pu nous dire avec beaucoup d’angoisse et de honte ce qui lui était vraiment arrivé plusieurs années auparavant. Abusé par un proche de l’autre parent (les deux conjoints étaient séparés), il n’avait pas pu dénoncer cette personne à laquelle ce parent là était très attaché, car il se sentait déjà douloureusement rejeté par lui. Il craignait que celui-ci puisse lui en vouloir davantage et de ne pas être cru, à cause de ce qui aurait été ainsi dévoilé : cela aurait menacé cette relation à laquelle ce parent tenait beaucoup, ce que ce garçon avait parfaitement perçu. Il était donc subjectivement dans une impasse, envahi et obsédé intérieurement par ce qu’il avait subi, sans pouvoir en parler aucunement. Débordé cependant par ce qui cherchait à s’exprimer en lui, il a évoqué l’agression sexuelle en la travestissant : il a donné ainsi le change en « dénonçant » le parent dont il craignait le moins le rejet, à savoir celui qui n’était pas en lien avec l’abuseur. De plus, il accréditait ainsi les paroles du parent dont il quêtait l’affection, qui accusait son ex-conjoint avec lequel il était en conflit de toutes les turpitudes possibles. Imagine t-on la culpabilité de ce garçon, l’angoisse et le sentiment de honte qu’il avait à dépasser pour faire « l’aveu » de cette vérité déguisée en mensonge ? Il n’a pu le faire qu’après beaucoup de réticence, d’ambivalence douloureuse, mettant tout en œuvre pour lasser son interlocuteur. La bascule de la confiance s’est opérée quand il s’est ainsi assuré que le rejet tant redouté par lui, au point de le susciter sans cesse dans ses relations, n’était pas là au rendez-vous… Le changement intervenu dans son comportement après cet « aveu » a été spectaculaire. Tout cela s’est déroulé à l’intérieur d’un travail qui a duré plus d’une année.

A cause de cette confiance donc, une confidence décisive, un appel direct ou indirect vont permettre alors de prendre la mesure de la gravité du problème et d’intervenir. Cet appel aura été possible parce que le lien de confiance a pu prendre suffisamment d’importance pour entamer la peur, la dépendance ou la complicité du sujet avec son tourmenteur. Ce lien de confiance n’est encore une fois possible à instaurer que sur fond de renoncement à une position d’inquisiteur. Il ne peut donc être créé qu’au prix d’un vrai risque, et c’est cela qui pourra porter éventuellement ses fruits. Mais ce risque fécond ne peut être pris qu’à partir de l’acceptation de la réalité suivante : il y aura malheureusement toujours des cas où aucun signe direct ou indirect ne viendra à temps pour étayer suffisamment une conviction. Dans cet ordre des choses, il ne peut y avoir de garantie assurément définitive : si la confiance est bien le chemin le plus fécond, il inclut de prendre le risque que celle-ci soit trompée, il ne peut en être autrement.

Cette disponibilité à ce que « le vent » porte, cette vigilance bienveillante et pourtant impitoyable toujours en éveil, cette aptitude rigoureuse à entendre ce qui n’est jamais proféré explicitement, mais qui pourtant ne cesse de se dire dans les paroles ou les comportements des sujets qu’on rencontre, cette capacité enfin à se faire l’adresse du plus intime pour ces sujets et d’être à la hauteur de la confiance qu’on a suscité, ne sont pas des « qualités naturelles ». C’est une matière qui se travaille, les moyens existent, à la condition qu’on s’oriente d’une éthique qui reconnaît la complexité spécifique de son objet : celle d’un sujet humain, à qui sa raison et sa maîtrise conscientes sont toujours insuffisantes pour saisir immédiatement les enjeux cruciaux de son existence, ainsi que pour signifier ce qui ne cesse de la traverser, qui peut prendre dans certains cas des formes extrêmes, massivement pathologiques. La part de la subjectivité, la valeur de la parole, d’une présence sous la forme d’un accompagnement qui ne craint pas le temps qui doit être pris à cela, sont au cœur de cette approche.

Parmi ces moyens, on ne s’en étonnera pas, la possibilité de parler en toute confiance des situations et des rencontres auxquelles on a à faire, est déterminante. Ceci ne s’improvise pas ; outre les échanges habituels dans l’équipe de travail, il s’agit de pouvoir parler de manière ouverte et engagée de ce qu’on rencontre très concrètement dans son exercice professionnel, et de tirer les conséquences de ce qu’on apprend alors. Cela exige des lieux et des temps déterminés, avec la présence de quelqu’un dont la fonction est de soutenir et de permettre une telle prise de parole, ainsi que d’aider à saisir les points vifs qui s’en dégagent Il est essentiel que cela se fasse autant qu’il est possible sans esprit d’évaluation ou de jugement normatifs. C’est cela qui peut permettre de mieux repérer ce qui se joue dans une « situation » ainsi que la manière dont on s’y place. Cela peut alors conduire à pouvoir entendre et lire dans l’après coup ce qui y restait masqué, implicite. Or cet implicite peut déterminer puissamment les enjeux de cette situation et la façon dont on y intervient. Ainsi, lors de ces moments où la pratique réelle de chacun peut se dire et s’analyser dans la rigueur mais aussi dans la bienveillance, peut s’opérer alors ce « pas de côté » qui change la perspective de l’intervenant. Cela peut permettre à qui est impliqué dans une situation de mieux en saisir les enjeux, d’y retourner un peu plus « averti », de retrouver finalement un autre souffle et d’y reprendre le vent, là où l’air venait à lui manquer…

La mise en œuvre de tout cela a son prix, qui est celui d’un vrai risque : ne pas fuir ces situations troubles, ne pas rester sous l’empire de ces craintes paralysantes de « passer à côté », ou d’être un jour mis en examen. Prendre le risque d’une présence attentive et avertie, qui peut toujours un jour aboutir au dévoilement du scandale, dans lequel on est alors toujours un peu compté dans l’après coup. Car la confidence qui aura permis de prendre la mesure du problème, va révéler en même temps à quel point on pouvait en être ignorant l’instant d’avant, quelques fois depuis longtemps. C’est cela qui apparaît à certains insupportable : « comment, pendant tout ce temps vous étiez présents et vous n’avez rien vu ! ». Il n’y a pourtant pas d’autre chemin que de consentir à cette part de risque. C’est la mission des travailleurs sociaux et sa noblesse.

Est-il besoin d’ajouter que ce chemin est jalonné d’incertitudes, avec l’angoisse éventuelle qui peut s’y attacher. Et si les travailleurs sociaux ont en effet à répondre de ce qui fonde leurs pratiques, ils pourront d’autant mieux le faire qu’ils seront confrontés à un vrai questionnement, qui ne recule devant la prise en compte d’aucune réalité. Ce n’est par exemple pas le cas lorsque la réponse de la suspicion s’impose, portée par ceux qui sont chargés pourtant d’informer.

Angers. Janvier 2005

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